Le théâtre de L’Escapade à Hénin-Beaumont en danger
Le Théâtre de L’Escapade à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) en danger
Le 25 septembre, une centaine d’intermittents: acteurs, metteurs en scène et techniciens du collectif « L’Intruse sont arrivés sur le plateau lors de la présentation de la saison 2024-2025, avec une banderole: « Théâtre en danger ». En cause : l’attitude menaçante de la municipalité Rassemblement national et de son maire, Steeve Briois envers ce foyer culturel très actif depuis cinquante ans. Il sont inquiets quant à l’avenir de ce lieu: la municipalité actuelle souhaiterait contrôler la programmation de la salle!
Une convention a été depuis peu signée entre le président de l’association qui gère le théâtre et la mairie. Pour Anne Conti, porte-parole des intermittents, « cette convention permet à la mairie de programmer ses événements à elle et déprogrammer les spectacles du Théâtre de l’Escapade, jusqu’à quinze jours avant la date de la représentation. Vous imaginez, apprendre que le vôtre est ainsi déprogrammé ? » La municipalité, elle, dénonce des accusations qui seraient, dit-elle, « purement politiques ».
A Hénin-Beaumont (26.000 habitants), fief de Marine Le Pen, les terrils témoignent d’un passé industriel. Dans une commune proche, eut lieu une grève patriotique de cent mille mineurs en mai-juin 1941: un des premiers acte de résistance collective mais cent trente mineurs avaient été fusillés!
Le théâtre de L’Escapade depuis une demi-siècle rayonne dans cette ville et autour: concerts, théâtre, ateliers de danse, de guitare, expositions, résidence de compagnies. Les choses se compliquent: en effet, les intermittents demandent notamment que Jean-Yves Coffre, le directeur de ce théâtre, actuellement en arrêt maladie, « puisse revenir et exercer ses fonctions sereinement. » La municipalité d’Hénin-Beaumont, elle, a porté plainte contre lui, pour des faits présumés de harcèlement envers des agents municipaux travaillant au théâtre.
Christopher Szczurek, chef de la majorité R.N. au conseil municipal et par ailleurs sénateur du Pas-de-Calais, s’est, lui, défendu de toute pression et dit que la subvention d’environ 300.000 euros versée au théâtre a toujours été reconduite depuis 2014… Oui, mais voilà, nous sommes en 2024 et le paysage politique français a bien changé, surtout depuis la récente dissolution de l’Assemblée Nationale. et du gouvernement…Et la nomination de Michel Barnier, il y a juste un mois.
Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe-Écologie-Les-Verts et conseillère municipale à Hénin-Beaumont, née en 1986 dans le Pas-de-Calais et a grandi dans cette ville où sa mère est dentiste et son père, médecin, a apporté son soutien aux équipes de l’Escapade. Elle est en conflit ouvert depuis longtemps avec Steeve Briois: « J’arrête de lire les titres de La Voix du Nord Hénin Beaumont, lui avait-il dit. Marine Tondelier avait répliqué avec ironie : »Tant que vous continuez à lire les articles, tout va bien! »
En France, ce genre d’affaires n’est pas nouvelle… Et cela peut aller de la simple et fréquente escarmouche avec les élus locaux. Ceux du Doubs n’avaient guère apprécié qu’Hervée de Lafond à Montbéliard, co-directrice avec Jacques Livchine, du Théâtre de l’Unité, en charge de l’organisation de Montbéliard-Capitale de la Culture, se permette de tutoyer Gabriel Attal au motif qu’elle pourrait être sa mère et que Jacques Livchine, en rajoute une couche et lui disant que son frère à lui, était l’employeur de Madame Attal sa maman. Cela reste anodin et vite oublié mais il y a eu plus grave quand certains maires essayaient carrément d’influencer un jury chargé de recruter un enseignant pour une école d’art. Ou quand un directeur de théâtre voit sa programmation sévèrement critiquée parce que jugée trop élitiste et éloignée du patrimoine… même si les salles sont pleines. L’affaire d’Hénin-Beaumont est à suivre sérieusement : cela pourrait donner des idées aux autres municipalités à majorité R.N…
Bernard Rémy et Philippe du Vignal
Entretien avec Maxime Séchaud, acteur, secrétaire général-adjoint de la C.G.T. Spectacle
-Pourquoi la C.G.T. Spectacle a-t-elle lancé un appel à la grève illimité le 3 octobre?
-Le maire R.N. veut s’approprier L’Escapade. Ce centre culturel extraordinaire rayonne sur la ville et la région, mais pourquoi maintenant, après des années de rapports normaux avec la mairie ? Depuis les élections législatives, le rapport de forces a changé et le R.N est passé à l’offensive avec un net sentiment de supériorité. Onze millions d’électeurs ont voté pour les candidats de ce parti ! Et cela a libéré des pulsions destructrices…
La municipalité d’Hénin-Beaumont pensait que tout se passerait en catimini. Mais la résistance de la communauté du Théâtre: acteurs, techniciens, régisseur, administrateur, l’a surprise. Ce n’est pas de gaieté de cœur que les comédiens se mettent en grève. Jouer est leur passion mais ici, l’existence même de leur raison d’être là est remise en question!
La grève pour jouer en toute liberté, la grève pour le public, la grève pour assurer le service public… Je le répète, l’attitude de la municipalité devient un obstacle à l’exercice du service public. Qui soutient le droit à la Culture dans une petite ville de France ? L’Escapade…
-Le Maire veut-il essayer de paralyser les choses?
-Sans doute mais il est paralysé lui-même et dans ses expressions, il ne parle jamais des travailleurs, de la communauté de production…mais des Partis. C’est de la vieille politique, une suite de calculs lassants! Jean-Luc Dubroeucq, président de l’association qui gère le théâtre, est notoirement proche du R.N.
Sous la pression du R.N., les démissions se sont succédé, le directeur artistique Jean-Yves Coffre est en arrêt maladie et le sous-effectif s’installe. Et quand on retire les moyens de l’efficacité, on peut donc vous accuser d’inefficacité! Oui, mais voilà, la communauté de travail résiste et surtout s’exprime, en rendant publique cette atteinte au service public.
L’arbitraire cherche souvent une apparence de légalité quand il essaye de battre en brèche le droit. Une nouvelle convention, voilà le costume de l’arbitraire…. Le Théâtre de l’Ecapade conteste la signature d’une nouvelle convention entre le président de l’association qui gère le Théâtre, et la municipalité, cela sans accord du conseil d’administration ni de son directeur. Cette convention prévoit, entre autres, que la municipalité puisse reprendre la gestion du lieu, avec préavis de soixante jours. Bref, le type d’organisation du R.N. et la limitation de la pensée, par ailleurs, nécessaire au culte du chef, est incompatible avec l’exercice de le libre pensée, nécessaire à la vie quotidienne d’un Théâtre.
Propos recueillis par Bernard Rémy, Saint-Maurice, le 4 octobre.