La Grande Ourse de Penda Diouf, mise en scène d’Anthony Thibault

Les Francophonies de Limoges

© Christophe Péan

© Christophe Péan

« Cette année, j’ai voulu montrer la vitalité de la création de la jeunesse africaine », dit son directeur, Hassane Kassi Kouyaté. Grande innovation pour un festival de théâtre important comme celui-ci, le libre prix : 5 , 10, 15 ou 20 €. C’est à choisir et du coup, le public sans doute élargi, va voir plusieurs spectacles… Les salles sont donc pleines. Bien entendu, prix bas ne veut pas dire moindre coût! Il y a un juste rapport financier à trouver.
Mais quelle belle idée dont pourrait s’inspirer Tiago Rodrigues pour le festival d’Avignon où nombre de lieux cette année n’étaient pas pleins et où le public était prié d’attendre parfois un quart d’heure pour que les guichets essayent de vendre les places encore libres! Ce qui anormal. Et à la Carrière Boulbon, haut lieu de cette manifestation, les places étaient à 40 € et la navette à 8 €…  Vous avez dit élitiste?
Les Francophonies sont un service public avec, chaque année, un essai de renouvellement des écritures théâtrales mais aussi chorégraphiques: il y a eu cet automne des spectacles de théâtre d’un bon niveau mais aussi de danse africaine à la fois contemporaine et de rue…

A un moment où le Premier Ministre cherche de l’argent partout, il ne faudrait pas que les Francophonies en payent le prix… Son directeur a déjà eu assez de mal avec ces histoires de visas qui ont empoisonné la vie des  troupes africaines et compliqué l’organisation de ce festival unique en France, à la fois par sa programmation, et son rayonnement. Grâce aussi à des bourses d’écriture, il peut aussi aider les autrices, ce qui n’est jamais un luxe. 

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La Grande Ourse de Penda Diouf, mise en scène d’Anthony Thibault

L’autrice a lu un article de journal sur la création d’une vidéosurveillance parlante à Londres: la municipalité avait demandé à des enfants de réprimander grâce à des haut-parleurs, les personnes  qui commettaient des incivilités dans la rue. Bizarre?
Penda Diouf a aussi lu un essai de Clarissa Pinkola-Estés: Les  Femmes qui courent avec les loups où elle parle de la femme sauvage ou bridée par l’éducation et la société. Elle revendique pour elles, le droit de se libérer des carcans.

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L’autrice  a écrit sous une forme théâtrale, une sorte de conte poétique, loin d’une intrigue au sens traditionnel. Cela se passe dans une famille  apparemment heureuse avec un père, une mère et leur fils qui s’assoient sur un banc, en revenant de l’école. Mais elle a laissé tomber un papier de bonbon sur le trottoir. Un acte gravissime…
Un  policier ou inspecteur de police (Hovnatan Avedikian très just) arrive donc à leur domicile et rappelle que le jet de déchets sur la voie publique est un délit répréhensible et tombe sur le coup de la loi….

Les choses vont commencer à sérieusement basculer: la mère accusera son fils d’avoir laissé tomber cet emballage de bonbon! Il répond que ce n’est pas lui mais il y a la preuve, des caméras de vidéo-surveillance…L’inspecteur de police va alors accabler cette femme exemplaire à plus d’un titre et il lui reproche de n’avoir pas rempli correctement sa mission de mère et d’épouse (un personnage remarquablement interprétée par Armelle Abibou). Il lui  dit aussi que l’emprisonner n’aurait aucune valeur et que seule, vaut l’humiliation. Ici, règnent la honte mais aussi la violence verbale…
Et Maïka Louakairim expédie des ragots, des on-dit, ceux qui font si mal à une personne absolument innocente. Nous repensons à ce brave homme qui, dans notre enfance en banlieue parisienne, avait été soupçonné  d’un double meurtre pendant une longue semaine: il portait un chapeau rond comme le criminel… Et même ses proches commençaient à douter…Mais toute femme peut renaître, comme la nymphe grecque Callisto qui avait été violée par Zeus!
Il y a, souvent à l’avant-scène, un griot âgé: l’ensemble du texte navigue entre Occident et Afrique. Ce spectacle est remarquablement mis en scène par Anthony Thibaut qui a su mettre en valeur la force poétique du texte et créer des images de toute beauté et qui dirige bien ses acteurs. La scénographie de Salma Bordes est tout aussi impeccable.
 Mais vers la fin, cette Grande Ourse  a tendance à patiner et à se perdre dans les labyrinthes où voudrait nous emmener Penda Diouf. Ce spectacle assez touffu, encore une fois loin d’une dramaturgie traditionnelle et proche d’une fable africaine, pourrait être élagué sans dommage: il y a des scènes trop courtes et inutiles mais il mérite largement d’être vu.

A suivre…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 2 octobre à Maison des Arts et de la Danse à Limoges (Haute-Vienne) et créé le 28 septembre au Théâtre Jean Lurçat-Scène Nationale d’Aubusson (Creuse), dans le cadre des Zébrures d’automne des Francophonies-Des écritures à la scène. 

Théâtre Auditorium-Scène nationale de Poitiers (Vienne) avec Le Méta-Centre Dramatique National, le 26 novembre.
Scènes de Territoire de Bressuire (Deux-Sèvres), le 28 novembre.

Agora-Robert Desnos, Scène Nationale de l’Essonne, à Évry-Courcouronnes, en partenariat avec la Scène Nationale de Sénart, les 3 et 4 décembre.
MC 93, Bobigny (Seine-Saint-Denis),  du 7 au 17 décembre.

L’Avant-Scène, Cognac (Charente), le 10 avril.

Les 3T, Scène conventionnée de Châtellerault (Vienne), le 18 avril.

Le texte est publié aux éditions Quartett.

Archive pour 7 octobre, 2024

Les Liaisons dangereuses d’après Pierre Choderlos de Laclos, mise en scène d’Arnaud Denis

 Les Liaisons dangereuses, d’après Pierre Choderlos de Laclos, mise en scène d’Arnaud Denis

Arnaud Denis a réussi son coup, en adaptant et en élaguant avec finesse et honnêteté. Ici, tout est dit, et clairement dit. Ce qui est rare dans une adaptation de roman au théâtre… Celui-ci en 175 lettres, écrit à partir de 1779 et publié trois ans plus tard, il fut   oublié, puis redécouvert au début du XX ème siècle. Et  depuis, très souvent adapté au théâtre et repris par Heiner Muller dans Quartett, avec seulement la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, nobles manipulateurs et pervers. Et de nombreuses fois au cinéma, surtout l’adaptation de  Stephen Fears (1988) avec Glenn Close et John Malkovich…
Les Liaisons dangereuses reste le chef-d’œuvre absolu du roman épistolaire: deux siècles et demi plus tard, l’intrigue comme les personnages, font merveille au théâtre ( enfin pas toujours et ce n’est pas si facile!) comme dans cette mise en scène d’Arnaud Denis il a respecté cette langue ciselée, étonnante de modernité…

 Rappelons l’intrigue extrêmement bien construite par ce romancier hors-pair. La marquise de Merteuil demande au vicomte de Valmont, son ami et ex-amant, de séduire la jeune Cécile de Volanges, une parente à elle, avant son mariage avec le comte de Gercourt. Son but: se venger de celui-ci. Valmont refuse: il veut séduire la présidente de Tourvel dont le mari est à Dijon…Donc à l’époque, assez loin… Elle réside au château de madame de Rosemonde, la tante (très âgée pour l’époque :quatre-vingt-quatre ans!) de Valmont qui l’aime beaucoup.
© Cédric Vasnier

© Cédric Vasnier

La Merteuil voit que le jeune Danceny  est amoureux de la jeune Cécile à qui il donne des cours de chant. Au château, Valmont va s’occuper de la belle Tourvel mais la mère de Cécile, sa grande amie, lui dit de se méfier de ce grand séducteur. La Merteuil dit à Valmont qu’il est amoureux de la Tourvel. Mais il veut qu’ils refassent l’amour… quand la Tourvel lui aura cédé. Elle est d’accord mais exigera des preuves écrites… Ce séducteur professionnel dit alors à la Tourvel qu’il a eu des torts… et pour se faire mieux voir, il sauve de la misère, une famille. Grosse ficelle mais la Tourvel tombe amoureuse. Valmont lui dit alors qu’il l’aime aussi… mais lui demande de quitter le château:il apprend que madame de Volanges l’a dénoncé à la Tourvel…


Il écrit une lettre d’amour à la Tourvel qui lui répondra, vite prise dans un engrenage! La Merteuil, elle, manipule Danceny dont elle reste l’amante et Cécile, tout en étant leur confidente. Mais elle avertit madame de Volanges que sa fille écrit des lettres à Danceny, et réciproquement. Elle pousse la mère de Cécile à l’éloigner chez madame de Rosemonde, pour aider Valmont à séduire  Cécile, revoir sa Tourvel et faire passer leurs lettres aux jeunes amoureux.

 Valmont, en chemin, réussit à passer la nuit avec une vicomtesse. Puis il va s’occuper à nouveau de la Tourvel et remet à Cécile les lettres de Danceny qui lui a naïvement dit de faire confiance à Valmont. Auquel La Merteuil déclare toute sa supériorité sur lui: « née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre. » Valmont demande à Cécile d’avoir une clef de sa chambre. Soi-disant pour lui remettre les lettres de Danceny et les faire se rencontrer. Cécile refuse d’abord puis obéit. Et, après un premier baiser arraché, il arrivera à ses fins.
Le lendemain, voyant sa fille malade, sa mère veut effacer la promesse de mariage avec Gercourt pour la laisser libre de choisir son mari. Cécile, elle, ferme la porte de sa chambre à son amant deux nuits. La Merteuil  lui conseille de garder Valmont comme amant et lui dit cyniquement que Danceny, une fois marié à elle, profitera de cette éducation sexuelle exemplaire…Cécile refera donc l’amour avec Valmont dans sa chambre à lui. La Merteuil et Valmont lui expliquent tout l’avantage de cette liaison… Et se réjouissent assez cyniquement de l’effet que cela produira, la nuit de noces, sur Gercourt.
 Valmont revoit la Tourvel qui lutte toujours contre ses sentiments et décide de quitter le château. Mais il la fera espionner et saura vite qu’elle est malade d’amour… La Merteuil veut le convaincre d’abandonner son projet de séduction et rentrer à Paris. Mais lui désire la Tourvel et fait croire à sa tante qu’il est aussi malade d’amour et va expier toutes ses fautes. En sachant qu’elle lui dira! Il lui dit vouloir se suicider, si elle n’accepte pas d’être à lui! Encore une grosse ficelle et elle cède enfin à Valmont qui avoue à la Merteuil son amour pour la Tourvel avec laquelle il continuera d’avoir une liaison.
 Il va rappeler à la Merteuil sa promesse: elle accepte malgré le manque de preuves écrites mais le fait patienter et lui demande alors avec perversité de rompre avec la Tourvel mais de continuer avec la jeune Cécile. Elle lui dit que cet amour lui ferait perdre sa réputation de grand séducteur. Mais il hésite à rompre avec la Tourvel… La Merteuil exige alors qu’il lui écrive alors une lettre de rupture, avec justifications blessantes, à chaque fois terminées par un: «Ce n’est pas ma faute.»
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La Tourvel s’effondre en la lisant et désemparée, ira se réfugier dans un couvent. Cécile rentre avec sa mère à Paris mais fait toujours secrètement l’amour avec Valmont. Un soir, elle fait une fausse couche. Lui veut séduire à nouveau la Tourvel mais la Merteuil lui dit qu’il en est toujours amoureux…
Cécile, elle, épousera Danceny. Quant à Valmont il exige toujours le cadeau de la Merteuil qui lui avoue qu’elle a tout essayé pour le faire rompre avec la Tourvel, physiquement et mentalement très malade. La Merteuil rentre à Paris et donne rendez-vous à Danceny pour éloigner Valmont qui veut qu’elle honore sa promesse, sinon, dit-il, ce sera une déclaration de guerre. Ce à quoi, elle répliquera: «Hé bien ! la guerre. » Il forcera Cécile à écrire une lettre à Danceny pour qu’ils se voient et donc blesser ainsi la Merteuil… Cela réussit et Valmont s’en vante auprès d’elle. Danceny, mis au courant de cette tromperie, le provoque en duel et le tue! Avant de mourir, Valmont remercie Danceny et lui donne sa correspondance avec la Merteuil.

La Tourvel, accablée par ces morts brutales, prie pour son amant mais s’éteint le soir même. Madame de Volanges remet à la tante de Valmont, les lettres écrites entre elle et la Tourvel, remises par Valmont. Et Danceny les fait lire au tout Paris qui découvre la Merteuil qui s’en ira de Paris pour échapper à la justice. Effrayée, madame de Rosemonde veut mettre fin à cette histoire et Danceny accepte de lui remettre sa correspondance avec Cécile: écœurée, elle se réfugiera aussi dans un couvent.
Epilogue rapide: Danceny renonce à elle et va rejoindre son ordre militaire à Malte. La Merteuil est huée par ses « amis » à Paris. Les pustules dues à la variole d’origine virale  l’ont défigurée et marquée à vie (le vaccin sera découvert quatorze ans après l’édition du fameux roman) et elle perdra sa fortune lors d’un procès et disparaîtra avec les bijoux que la Justice devait lui confisquer, sans doute aux Pays-Bas.

Cette sorte de feuilleton sulfureux dont nous avons tenu à rappeler l’essentiel (oui, c’est long mais pas quand c’est remarquablement mis en scène). Le texte a gardé tout son piquant et Arnaud Denis a su réaliser un travail d’une rare précision: il suit le roman non à la lettre mais du moins dans l’esprit avec la plupart des scènes rappelées plus haut. Delphine Depardieu (la Marquise), Valentin de Carbonnières (Valmont),  Salomé Villiers ( la Tourvel),  Marjorie Dubus (Cécile), Michèle André (la Tante Tous sont très bien et il y a une réelle unité de jeu.
Plus que rare dans le théâtre public comme privé: il réussit à créer une véritable émotion, entre autres quand Valmont réussit à séduire Cécile, cette Lolita avant la lettre qui a seulement quinze ans!  » Nous ne chercherons pas dit Arnaud Denis, à édulcorer la puissance du récit mais à le rendre palpable. »
Pari gagné et nous sommes pris à ce jeu trouble imaginé par ces aristocrates qui, dit le metteur en scène, s’aiment profondément (ce qui n’est pas si sûr) mais qui ne peuvent résister au plaisir de la séduction, surtout quand en plus cela peut
faire mal. Oui, il y aura des victimes mais cela dépend du jeu. Sexisme  mais aussi  impitoyable combat de la Merteuil pour être l’égale des hommes, séduction, consentement sexuel: où commencent les jeux de l’amour et/ou de la perversité? Le tout est dit dans une langue admirable qui a plus de deux siècles et qui donne à ces dialogues une force théâtrale. Côté bémols, nous n’avons pas été convaincus par ces toiles évoquant l’appartement de la Merteuil ou le château. Mais bon… i
Il faudrait aussi que Delphine Depardieu parle un ton au dessus, comme souvent Valentin de Carbonnières: dans le fond de la salle, on les entend mal. Mais sinon, cette heure quarante passe très (on a envie de dire: presque trop) vite… Allez-y, vous ne regretterez pas.

Philippe du Vignal

Comédie des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne, Paris ( VII ème).

 

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