Les Liaisons dangereuses d’après Pierre Choderlos de Laclos, mise en scène d’Arnaud Denis
Les Liaisons dangereuses, d’après Pierre Choderlos de Laclos, mise en scène d’Arnaud Denis
Arnaud Denis a réussi son coup, en adaptant et en élaguant avec finesse et honnêteté. Ici, tout est dit, et clairement dit. Ce qui est rare dans une adaptation de roman au théâtre… Celui-ci en 175 lettres, écrit à partir de 1779 et publié trois ans plus tard, il fut oublié, puis redécouvert au début du XX ème siècle. Et depuis, très souvent adapté au théâtre et repris par Heiner Muller dans Quartett, avec seulement la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, nobles manipulateurs et pervers. Et de nombreuses fois au cinéma, surtout l’adaptation de Stephen Fears (1988) avec Glenn Close et John Malkovich…
Les Liaisons dangereuses reste le chef-d’œuvre absolu du roman épistolaire: deux siècles et demi plus tard, l’intrigue comme les personnages, font merveille au théâtre ( enfin pas toujours et ce n’est pas si facile!) comme dans cette mise en scène d’Arnaud Denis il a respecté cette langue ciselée, étonnante de modernité…
La Merteuil voit que le jeune Danceny est amoureux de la jeune Cécile à qui il donne des cours de chant. Au château, Valmont va s’occuper de la belle Tourvel mais la mère de Cécile, sa grande amie, lui dit de se méfier de ce grand séducteur. La Merteuil dit à Valmont qu’il est amoureux de la Tourvel. Mais il veut qu’ils refassent l’amour… quand la Tourvel lui aura cédé. Elle est d’accord mais exigera des preuves écrites… Ce séducteur professionnel dit alors à la Tourvel qu’il a eu des torts… et pour se faire mieux voir, il sauve de la misère, une famille. Grosse ficelle mais la Tourvel tombe amoureuse. Valmont lui dit alors qu’il l’aime aussi… mais lui demande de quitter le château:il apprend que madame de Volanges l’a dénoncé à la Tourvel…
Il écrit une lettre d’amour à la Tourvel qui lui répondra, vite prise dans un engrenage! La Merteuil, elle, manipule Danceny dont elle reste l’amante et Cécile, tout en étant leur confidente. Mais elle avertit madame de Volanges que sa fille écrit des lettres à Danceny, et réciproquement. Elle pousse la mère de Cécile à l’éloigner chez madame de Rosemonde, pour aider Valmont à séduire Cécile, revoir sa Tourvel et faire passer leurs lettres aux jeunes amoureux.
La Tourvel s’effondre en la lisant et désemparée, ira se réfugier dans un couvent. Cécile rentre avec sa mère à Paris mais fait toujours secrètement l’amour avec Valmont. Un soir, elle fait une fausse couche. Lui veut séduire à nouveau la Tourvel mais la Merteuil lui dit qu’il en est toujours amoureux…
Cécile, elle, épousera Danceny. Quant à Valmont il exige toujours le cadeau de la Merteuil qui lui avoue qu’elle a tout essayé pour le faire rompre avec la Tourvel, physiquement et mentalement très malade. La Merteuil rentre à Paris et donne rendez-vous à Danceny pour éloigner Valmont qui veut qu’elle honore sa promesse, sinon, dit-il, ce sera une déclaration de guerre. Ce à quoi, elle répliquera: «Hé bien ! la guerre. » Il forcera Cécile à écrire une lettre à Danceny pour qu’ils se voient et donc blesser ainsi la Merteuil… Cela réussit et Valmont s’en vante auprès d’elle. Danceny, mis au courant de cette tromperie, le provoque en duel et le tue! Avant de mourir, Valmont remercie Danceny et lui donne sa correspondance avec la Merteuil.
Epilogue rapide: Danceny renonce à elle et va rejoindre son ordre militaire à Malte. La Merteuil est huée par ses « amis » à Paris. Les pustules dues à la variole d’origine virale l’ont défigurée et marquée à vie (le vaccin sera découvert quatorze ans après l’édition du fameux roman) et elle perdra sa fortune lors d’un procès et disparaîtra avec les bijoux que la Justice devait lui confisquer, sans doute aux Pays-Bas.
Cette sorte de feuilleton sulfureux dont nous avons tenu à rappeler l’essentiel (oui, c’est long mais pas quand c’est remarquablement mis en scène). Le texte a gardé tout son piquant et Arnaud Denis a su réaliser un travail d’une rare précision: il suit le roman non à la lettre mais du moins dans l’esprit avec la plupart des scènes rappelées plus haut. Delphine Depardieu (la Marquise), Valentin de Carbonnières (Valmont), Salomé Villiers ( la Tourvel), Marjorie Dubus (Cécile), Michèle André (la Tante Tous sont très bien et il y a une réelle unité de jeu.
Plus que rare dans le théâtre public comme privé: il réussit à créer une véritable émotion, entre autres quand Valmont réussit à séduire Cécile, cette Lolita avant la lettre qui a seulement quinze ans! » Nous ne chercherons pas dit Arnaud Denis, à édulcorer la puissance du récit mais à le rendre palpable. »
Pari gagné et nous sommes pris à ce jeu trouble imaginé par ces aristocrates qui, dit le metteur en scène, s’aiment profondément (ce qui n’est pas si sûr) mais qui ne peuvent résister au plaisir de la séduction, surtout quand en plus cela peut faire mal. Oui, il y aura des victimes mais cela dépend du jeu. Sexisme mais aussi impitoyable combat de la Merteuil pour être l’égale des hommes, séduction, consentement sexuel: où commencent les jeux de l’amour et/ou de la perversité? Le tout est dit dans une langue admirable qui a plus de deux siècles et qui donne à ces dialogues une force théâtrale. Côté bémols, nous n’avons pas été convaincus par ces toiles évoquant l’appartement de la Merteuil ou le château. Mais bon… i
Il faudrait aussi que Delphine Depardieu parle un ton au dessus, comme souvent Valentin de Carbonnières: dans le fond de la salle, on les entend mal. Mais sinon, cette heure quarante passe très (on a envie de dire: presque trop) vite… Allez-y, vous ne regretterez pas.
Philippe du Vignal
Comédie des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne, Paris ( VII ème).