Face à la mère, Guy Cassiers-Jean-René Lemoine
Face à la mère, Guy Cassiers-Jean-René Lemoine
Debout, seul au centre de la scène, le visage accompagné par la lumière, Jean-René Lemoine apparaît dans le prisme d’une géométrie stricte et mouvante qu’a dessiné l’artiste et metteur en scène Guy Cassiers.
Ici, le poète et acteur est amené et se contraint-à creuser au plus profond de lui-même « face à la mère». En fond de scène, répondant aux miroirs carrés diffusant la lumière sur l’écran répondant, lui, au cadre enfermant un moment l’acteur, les mots se tracent et s’effacent : « souvenir », «dire ». Puis apparait enfin, le visage réconcilié de la mère.
Enfance, adolescence : il va les chercher avec courage, les ramener au jour, en ressentir les tourments. Oui, il a voulu «tuer le père»; oui, il aurait aimé aimer sa mère protectrice autant qu’il l’a haïe, en éducatrice «carcérale». Sa quête ne cessera pas, avant qu’il ait réussi à faire remonter son visage des profondeurs de la mémoire. Ou plus justement du souvenir : c’est au fond, en dessous, dans le noir, on ne veut pas le savoir et puis ça remonte et, encore une fois, il faut avoir le courage de le laisser monter. Face à face. Mais avant tout, sa mère morte assassinée l’appelle sur son île de naissance: Haïti, quittée par ses parents quand il avait deux ans. Il fallait cette cassure tragique pour que les liens se renouent.
Il dit : «vous» à sa mère et, à ce vous obstiné, nous ne pouvons échapper: il s’adresse aussi à nous qui partageons bon gré mal gré ce cheminement, cette histoire. Il nous les donne, que nous le voulions ou non. Cela ne va pas tout droit, il faut plonger encore et encore, aller y voir de plus près. L’acteur ne joue pas sur l’émotion qui vient du travail musical minutieux réalisé entre celui qui parle, et celui qui nous le donne à voir et à entendre, ou plus encore à écouter. Haïti, la «matrie»: l’assassinat de la mère est l’emblème de ce pays qui ne cesse de retomber dans la violence, se blesser, se détruire. Nous le savons? Et alors? Jean-René Lemoine nous le rappelle du fond de son histoire personnelle et familiale, avec force et lucidité : Haïti, dévorée par la barbarie, appartient encore au monde humain. À nous de le voir, le savoir et y penser.
Jean-René Lemoine avait mis en scène et joué lui-même Face à la Mère (voir Le Théâtre du Blog Il a eu besoin du regard de Guy Cassiers et celui-ci, de se faire le miroir de ce récit. Un miroir éclairant, éblouissant : oui, ami poète et acteur, tu vas encore plus loin que tu ne crois, ne t’arrête pas ! Précisons : nous disons poète : rarement un texte s’est approché d’une pareille vérité, et acteur dans son immobilité, dans sa discipline impeccable à suivre la musicalité et la scansion de chaque «mouvement», Jean-René Lemoine agit sur la sensibilité et l’intelligence du public.
Voilà : ce bras de fer avec la mère, il nous l’impose avec la force de l’élégance. Une parole vraie, directe, contenue, sans ornements ni commentaires, la vérité qui mène au pardon réciproque, même si la mère n’est plus là pour le dire à haute voix. Mais on l’entend, et c’est la vraie beauté.
Christine Friedel
MC93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 17 octobre. T. : 01 41 60 72 72.
Les 25 et 26 octobre, D-CAF Festival, Le Caire (Egypte).
Les 6 et 7 novembre, Maison de la Culture d’Amiens (Somme); les 12 et 13 novembre, Le Volcan-Scène Nationale du Havre (Seine-Maritime) et le 18 novembre, festival NEXT au Phénix-Scène Nationale de Valenciennes (Hauts-de-France).
Les 5 et 6 février, Centre Dramatique National d’Orléans (Loiret).
Les 20 et 21 mars à l’Agora-Robert Desnos, Scène Nationale de l’Essonne,.
Du 16 au 18 avril à Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy (Savoie).
Les 6 et 7 mai, Centre Dramatique National Drôme-Ardèche de Valence (Drôme).