La Double Inconstance de Marivaux, mise en scène de Jean-Paul Tribout


La Double Inconstance de Marivaux, mise en scène de Jean-Paul Tribout

La pièce-juste trois siècles au compteur cette année- est écrite dans une langue admirable et l’œuvre de son auteur annonçait Sedaine et Beaumarchais mais aussi Alfred de Musset, et plus près de nous, Eugène Labiche…
Une jeune paysanne, Silvia, aime Arlequin, un jeune voisin de son village mais elle a été enlevée par un prince qui l’aime aussi et qui va se faire passer pour un simple officier. Lui et Flaminia, sa conseillère,
élaborent une stratégie pour faire rompre Arlequin et Silvia. Cette jeune fille avoue plusieurs fois aimer Arlequin. Mais Flaminia fera tout pour qu’elle ne soit pas insensible à cet officier qu’elle a vu cinq ou six fois :  il est en fait le Prince…. Arlequin, lui, aussi est follement amoureux de Silvia mais va se laisser séduire par cette Flaminia, fille d’un domestique du Prince qui l’a l’attiré dans ses filets. Silvia, curieusement n’en semble pas affectée pour autant. Le Prince, lui, dévoilera ensuite sa véritable identité et la pièce finit par deux mariages. Logique… puisqu’il y a double inconstance.

Silvia et Arlequin, ces êtres simples, vont se plier aux intrigues de ces aristocrates et de leurs proches qui ne semblent pas en être à leur coup d’essai. Cinquante ans avant les manœuvres amoureuses de  ces maîtres sulfureux que sont la Marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont des Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos . La manipulation est souvent le moteur des pièces de Marivaux.
Le Prince a mis au point une stratégie avec Lisette, la jeune sœur de Silvia, Trivelin, un de ses officiers et Flaminia, la fille d’un domestique du Palais. Donc, tous soumis à lui et qui vont faire évoluer les sentiments de qu’avait Silvia envers Arlequin et réciproquement… Flaminia y réussira très bien.
Marivaux est un dramaturge inimitable dans l’art du langage scénique quand il veut
montrer les relations de pouvoir, domination, autorité… Mais aussi le désir sexuel et la séduction chez les aristocrates et leurs employés. Avec ruses et subterfuges dans les deux camps, sur fond de drôlerie mais aussi avec un certain pessimisme. Et comme souvent dans ces jeux amoureux inventés par Marivaux, il y a des laissés-pour compte.  laissés pour compte : ici Lisette et Trivelin… Ainsi va la vie et dans ces joutes sentimentales, il y a forcément de la casse, nous dit Marivaux. Flaminia, personnage complexe au double jeu, n’est pas une merveille d’honnêteté.

 © Lot

© Lot

Cette pièce écrite dans une langue ciselée il y a déjà trois siècles nous étonne encore: les dialogues notamment, ceux de la fin, sont remarquables de vérité  et Marivaux sera un des premiers à utiliser les silences… qui disent tout. Quelle modernité ! L’action est déjà dans les phrases des Princes, des bourgeois mais aussi des serviteurs… «-Et vous l’épousez ? -Dites que j’y consens, cela est bien différent. » (…) Marivaux aurait été un remarquable scénariste et dialoguiste de cinéma.
A Arlequin qui a tout entendu et qui n’est pas de la manœuvre du Prince, Silvia répliquera avec cynisme, en guise de rupture: « Eh! Bien, Arlequin, je n’aurai pas la peine de vous rien dire : consolez-vous comme vous pourrez de vous-même. (…) Qu’est-ce que vous me diriez ? Que je vous quitte. Qu’est-ce que je vous répondrais ? Que je le sais bien. Prenez que vous avez dit, prenez que j’ai répondu, laissez-moi après, et voilà qui sera fini. »  Et Marivaux offre à Arlequin, finalement assez heureux mais lucide et voyant bien qu’il a été manipulé, les derniers mots de la pièce un peu mystérieux… comme s’il y avait de la revanche dans l’air: «A présent, je me moque du tour que notre amitié nous a joué. Patience, tantôt, nous lui en jouerons d’un autre.» Vous avez dit grinçant?

Quant à la mise en scène de Jean-Paul Tribout, comment ne pas être partagé ? Il a déjà monté des pièces de Marivaux comme La Seconde surprise de l’amour, Le Triomphe de l’amour et sait raconter ce genre d’histoire élégante mais à base criminelle, puisqu’il y a eu enlèvement d’une jeune fille: «Le corrupteur s’avère suffisamment habile, dit-il, pour sauvegarder les apparences en laissant à l’abusé l’illusion qu’il ne trahit pas ses principes tout en le rendant complice ! Le dénouement semble heureux puisqu’il se termine par deux mariages mais, en réalité le temps de l’amour éternel est rétrospectivement démasqué comme une illusion et remplacé par le temps du plaisir éphémère. Pas sûr que les deux couples y trouvent leur compte ! »

La direction d’acteurs est précise  mais la distribution trop inégale : les jeunes acteurs ( Anthony Audoux qui jouait Arlequin ce soir-là) et Silvia (Emma Gammet) sont pleins de vie, convaincants et ont une diction parfaite… Un vrai bonheur et ils illuminent le plateau. Mais Marilyne Fontaine (Flaminia) surtout au début, boule son texte et ne semble pas très à l’aise. Comme Baptiste Bordet (le Prince, un rôle mineur mais essentiel). Et le metteur en scène aurait pu nous épargner cette scène de séduction sur deux petits canapés réunis. Le décor : des lambris en noir et gris, avec une grande fenêtre et un tapis rond sont tristounets et desservent la mise en scène …Et, là où cela ne va pas du tout : les costumes vaguement XVIII ème siècle en tissu imprimé rose bonbon avec grandes fleurs, ou rayures noires sont laids et parasitent le jeu.
Reste le texte de Marivaux… A vous de voir si cela vaut le déplacement.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 11 octobre au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 57 34.


 


Archive pour 13 octobre, 2024

Quartett d’Heiner Müller, traduction française de Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux mise en scène de Jacques Vincey

Quartett d’Heiner Müller, traduction française de Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux, mise en scène de Jacques Vincey

Cette réécriture des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos a été souvent mise en scène entre autres par Bob Wilson (2006), Patrice Chéreau, Matthias Langhoff et même par la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaecker. La pièce est un condensé du célèbre roman épistolaire: la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont s’affrontent dans un dernier round : le libertinage de ces complices vire à un règlement de compte sans merci. Leur couple a vieilli! Désabusés, au bout du rouleau, ils s’entredévorent, en revivant les épisodes jadis orchestrés par eux et leurs manœuvres amoureuses perverses.
«Nous devrions faire jouer nos rôles par des tigres.», dit Valmont à la Merteuil qui mène encore le bal, désignant à son amant les proies à séduire. Sous la plume d’Heiner Müller, les personnages deviennent interchangeables: la Merteuil se met à jouer Valmont, Valmont se déguise en Présidente de Tourvel mariée et prude, qu’il a réussi à séduire. Et la Merteuil devient Cécile de Volanges, la jeune fille  de quinze ans, elle, séduite aussi par Valmont…

En quatre temps et une heure quinze, Hélène Alexandridis (la Merteuil) et Stanislas Nordey (Valmont) jouent ce quatuor d’amour et de haine, sous l’œil attentif d’Alexandre Meyer ponctuant sur son luth le duel à mort auquel se livrent ces damnés de l’amour soufflant sur les braises de leur passion et de leurs «désirs en décomposition ».
L’auteur n’y va pas par quatre chemins : les mots sont crus et il nomme par leur nom les choses du sexe, détaille les artifices de la jouissance. Mais à la fin, cela sent le cadavre et pue les excréments où les héros se vautrent avec une volupté malsaine et désespérée.

 

 Ch. Raynaud de Lage

Ch. Raynaud de Lage

Ce duel a lieu, selon la didascalie initiale, dans «un salon d’avant la Révolution française et un bunker d’après la Troisième Guerre mondiale». Pour traduire cet espace-temps ouvert et chaotique, Mathieu Lorry-Dupuy a imaginé une scénographie sobre et intemporelle: une boîte blanche et ceinte de rideaux immaculés.
Les comédiens arrivent, emperruqués et poudrés, tels des fantômes de l’Ancien régime
sous les subtiles variations de lumière créées par Dominique Bruguière.  Mais une fois le voile de la bienséance tombé et les rideaux arrachés, les protagonistes se retrouvent sur une terre charbonneuse où suintent les fumeroles de l’enfer. Ils enlèvent leurs oripeaux XVIII ème siècle surdimensionnés imaginés par Anaïs Romand. Elle se défait de sa robe à paniers et de son chapeau à plume interminable et lui, de son élégant manteau cintré satiné: à la fin de ce duel, chacun est exposé dans une semi-nudité.

 Heiner Müller reprend les dispositifs narratifs de Choderlos de Laclos et ne laisse jamais transparaître le point de vue de l’auteur. En dramaturge expérimenté, il utilise les mécanismes de distanciation, effets de masques et travestissements. Le dialogue s’étire et se dilate, grâce à une traduction et à un jeu d’acteurs au cordeau. Le quatuor se dessine dans toute sa musicalité et ce duo est orchestré avec une froide intelligence par Jacques Vincey qui met à nu les ressorts dramatiques, la noirceur de la pièce et déjoue toute psychologie ou paraphrase. Du très bel ouvrage…

 Mireille Davidovici

 Du 4 au 12 octobre, Théâtre de la Commune, 2 rue Edouard Poisson, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 33 16 16.

Les 3 et 4 décembre, Théâtre de Pau (Pyrénées-Atlantiques) ; le 10 décembre, Théâtre de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).

Le 15 janvier, L’Odyssée, Périgueux (Dordogne).

 La pièce est publiée aux éditions de Minuit (1985).

 

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