La Tête sous l’eau de Myriam Boudenia, mise en scène de Louise Vignaud
La Tête sous l’eau de Myriam Boudenia, mise en scène de Louise Vignaud
La Criée-Théâtre national de Marseille, accueille en apprentissage depuis la rentrée 2023, des élèves de troisième année de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille. Masiyata Kaba, Thomas Cuevas, Alice Rodanet et Arron Mata y font leurs premières armes avec cette pièce d’une autrice contemporaine qui aborde avec légèreté et humour, la grave question du travail.
Louise Vignaud à qui Robin Renucci a confié la mise en scène, a remonté la pièce de Myriam Boudenia, qu’elle avait créée il y a huit ans au T.N.P. à Lyon. Nous avions déjà apprécié sa Phèdre de Sénèque, et une adaptation de L’Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza (voir Le Théâtre du blog). Ici, en préambule, les acteurs, face à la salle, mi-sérieux et mi-souriants, annoncent le ton de cette pièce du quotidien, écrite après les manifestations de Nuit Debout, contre la réforme du Code du Travail. La Tête sous l’eau parle du vide où on tombe quand on perd son emploi: comment survivre dans un monde régi par l’esprit de rentabilité et de compétitivité, où celui qui n’a pas de travail est effacé des radars?
Irène, licenciée il y a peu, s’en sort, en rêvant de plonger à la découverte des fonds marins. Sa fille, Delphine, révoltée par la situation, prône la rébellion. Julien, océanographe au chômage, n’a pas d’autre choix que d’être livreur à vélo pour sa micro-entreprise mais se fait complice des aspirations sous-marines d’Irène. Ces personnages seront confrontés à des gens «normaux»: salariés d’entreprise, conseillers Pôle Emploi, employés de banque, médecins… qui les rappellent à la conformité. De séquence en séquence, les protagonistes résistent à un diktat normatif et essayent de garder la tête hors de l’eau…
Il n’y a pas de morale à cette histoire et la pièce se termine de manière abrupte, laissant Irène, Delphine et Julien face à un avenir incertain. Pour mettre ces destins singuliers en perspective, une bande-son diffuse des paroles chorales recueillies auprès d’anonymes rencontrés au hasard des rues et qui définissent leur notion du bonheur et évoquent leurs rêves… Le spectacle, ainsi rythmé, donne une belle visibilité aux acteurs qui trouvent à habiter des rôles sans grande consistance. Il est prévu que les thématiques abordées ici fassent l’objet de débats, à l’issue des représentations dans les lycées.
La Tête sous l’eau s’inscrit dans un essai de décentralisation: le Théâtre de la Criée propose des spectacles itinérants pour aller à la rencontre des habitants du territoire marseillais. Notamment dans les établissements scolaires ou associatifs et les centres pénitentiaires. Les premières représentations ont eu lieu au Théâtre de l’Oeuvre, dans le quartier populaire de Belzunce, Ouvert autrefois par la Paix une association philanthropique des années 1930, il porte toujours, inscrite à son fronton, la devise: Art et charité: le nom d’une chorale qui y donnait régulièrement des concerts. Un temps fermé puis réouvert en 2020, il programme des compagnies et associations locales et il accueille chaque année une création théâtrale participative avec, à la base, des récits d’habitants. Aujourd’hui, une nouvelle Direction projette d’investir deux étages vacants pour des résidences artistiques.
Après ce baptême du feu, les jeunes comédiens poursuivront leur route. Une tournée plus large est envisagée la saison prochaine mais en attendant, ils sont sollicités à la Criée pour des créations, lectures et ateliers d’amateurs. Une manière pour eux d’aborder concrètement leur métier dans sa diversité. Robin Renucci a une volonté de transmission et s’est entouré d’«artistes complices». Comme Louise Vignaud, participeront à cette saison: Alice Zeniter, Tamara Al Saadi, Kristina Chaumont et le Nouveau Théâtre Populaire : «La création est une aventure collective. (…) Les temps incertains nous poussent à faire preuve d’invention, à cultiver l’espoir et à partager davantage.» Il faudra suivre la programmation généreuse de ce théâtre.
Mireille Davidovici
Du 16 au 18 octobre, a eu lieu la création de cette pièce au Théâtre de L’œuvre, 1 rue Mission de France, Marseille (Ier). T. : 04 91 90 17 20
Du 2 au20 décembre, tournée dans des lycées de Marseille.
Du 27 au 31 janvier, tournée dans trois campus d’Aix-Marseille Université.
Du 4 au 6 juin, rencontre, atelier et une représentation au Centre pénitentiaire d’Aix-Luynes.
Théâtre national de la Criée, 30 quai de Rive neuve, Marseille (VII ème). T. : 04 9154 70 54.