Le Spleen de l’ange,de et par Johanny Bert

 Le Spleen de l’ange, de et par Johanny Bert 

 » Mes recherches depuis plusieurs années sur les arts de la marionnette et le rapport entre corps humain et corps manipulé, dit cet artiste, prennent toute leur place dans ce projet.» Après Hen, où la poupée, traversée par sa voix, faisait corps avec l’acteur, (voir Le Théâtre du Blog), il réédite cette symbiose avec la même équipe de musiciens et paroliers.
Avec son «
cabaret dégenré» et déjanté, il abordait l’identité sexuelle par des métamorphoses multiples, mais cette fois, il se mue en ange philosophique : tombé du ciel, il erre sur terre en cherchant désespérément à s’arracher à son être céleste pour entrer dans la peau d’un humain. Piégé dans son éternité, il explore physiquement ce que sentir, toucher, souffrir, mourir veulent dire. En vain… «J’enrage d’être un ange!» chante-t-il. Inspiré par Les Ailes du désir (1987) de Wim Wenders, le spectacle s’ouvre sur la voix du cinéaste dans un entretien avec Serge Daney, à France Culture: «C’était pour pouvoir montrer les humains que j’ai inventé les anges.», dit le réalisateur allemand, passionné depuis toujours par ces figures divines : « J’avais pitié d’eux, qu’est-ce qu’ils doivent s’ennuyer! »

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Sur ces mots, un ange gris, masque blanc et ailes dorées, vient flotter entre ciel et terre puis arrive sous la forme de l’acteur-chanteur-pantin. Mi-ange, mi-homme, le voilà pérégrinant et chantant son ennui et son malheur d’immortel sous le regard complice de Marion Lhoutellier (violon et électronique), Guillaume Bongiraud  (violoncelle et électronique) et Cyrille Froger (percussions et claviers). Ils signent la musique des chansons commandées à Brigitte Fontaine, Laurent Madiot, Alexis Morel, Yumma Ornelle, Prunella Rivière.
Johanny Bert qui a aussi conçu la scénographie et les lumières, endosse cette forme hybride en perpétuelle transformation. Et comme, du ciel, l’ange a gardé ses pouvoirs magiques, par de troublants tours de passe-passe et aidé de manipulateurs derrière le rideau noir, il emprunte parfois des membres humains, mais pas longtemps. Et nous sommes vite séduits par l’esthétique délicate de la pièce et la sensualité du dialogue permanent entre l’acteur et sa poupée. « Dépucelé de l’humanité,/Je veux démissionner de l’immortalité/ Dépucelé de l’humanité,/Je dépose ma peau d’ange dépecée. » chante-t-il.

Mais, à côté des manipulations féériques, le livret de ce théâtre musical et de marionnettes est mince  et ressasse une obsession de l’immortel. Fort heureusement viennent rehausser cet oratorio un peu fade, les arrangements et le jeu vigoureux des musiciens mêlant style classique et sonorités électroniques à la Björk, Bot’Ox ou Laake… Reste un beau spectacle où des masques se brisent, se recollent, se démultiplient, où des costumes sans tête s’animent, des jambes et des bras se détachent, des corps se fragmentent et se reconstituent, des mains deviennent fleurs, des ailes coupées repoussent…

Restera aussi la belle image finale : Johanny Bert reprend son apparence de comédien et nous présente un pantin à fils minuscule, à l’effigie de celui qu’il a endossé grandeur nature. Un joli pastiche de L’Albatros de Charles Baudelaire (L’Ange albatrosde Laurent Madiot ) souligne cette apparition, en forme d’hommage au théâtre: « Pour se désennuyer, certains hommes parfois/ Se fagotent de plumes et de polystyrène/ Puis avec le concours d’ingénieux contrepoids/ Gravitent dans l’espace d’une cage de scène. (…) / Ils dansent dans les airs et abracadabra/ Se figent en des pauses faussement authentiques. /Ce comédien ailé, comme il est gauche en ange.(…) / Le public est semblable à l’ange de la scène /Qui se joue avec joie de toute gravité./ Il vient pour s’extraire à la lourdeur obscène/ Et cueillir au théâtre, un brin d’éternité. »
Plus de drôlerie et de magie que de spleen baudelairien chez cet ange qui, avec son désir d’être mortel, nous redonne une joie de vivre: au moins, nous éprouvons des sentiments, bonheurs et douleurs. De quoi enchanter petits et grands…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 26 octobre, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 13, rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

Le 7 novembre, Théâtre du Pays de Morlaix (Finistère). Du 13 au 15 novembre, Festival Ovni, Théâtre 71-Scène nationale, Malakoff (Hauts-de-Seine).

 

 


Archive pour 22 octobre, 2024

Richard Peduzzi : Perspective

Richard Peduzzi : Perspective

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Cet artiste, peintre d’origine, s’orienta ensuite vers la scénographie et le design. Il a été longtemps directeur de l’École nationale supérieure des arts décoratifs,  puis de la villa Médicis à Rome. Dans la  Galerie des Gobelins, cette exposition en forme de ballade non exhaustive dont Hervé Lemoine, président du Mobilier national, est le commissaire général, comprend de très nombreuses maquettes, aquarelles, dessins, personnels, croquis qui ont toujours précédé (ou pas) les scénographies qu’il a imaginées pour le théâtre  (entre autres pour le  théâtre et l’opéra, les plans d’architecture intérieure et extérieure pour des chais, les créations de mobilier: chaises, fauteuils, tables basses et hautes,  méridiennes, luminaires, tapis, lampes de chevet, tapisseries… « Mais il ne s’agit pas d’une rétrospective, nous a dit avec ironie, Richard Peduzzi,  je n’ ai pas encore l’âge! »

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Patrice Chéreau, mort il y a dix ans déjà, avait commencé à travailler avec lui en 68, quand il avait mis en scène Dom Juan de Molière. Et sans le travail artistique de Richard Peduzzi, son théâtre comme ses opéras n’auraient jamais pu être ce qu’ils ont été. Les couples metteur en scène/scénographe mais aussi peintres, rarement sculpteurs, ne sont pas si fréquents mais la collaboration est alors le plus souvent exemplaire. Comme il y a déjà un siècle, Gaston Baty à ses débuts avec Charles Sanlaville, Louis Jouvet et Christian Bérard, Charles Dullin et André Barsacq, Georges Pitoeff… avec lui-même, puisqu’il était architecte d’origine! Et plus récemment, Georges Lavaudant et Jean-Pierre Vergier, Jean-Pierre Vincent et Jean-Paul Chambas, Ariane Mnouchkine et Guy-Claude François, hélas, lui aussi disparu, qui dirigea avec une pédagogie intelligente et efficace la section: scénographie à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Déco. Des scénographies très construites mais aussi picturales, comme si Richard Peduzzi avait donné naissance grâce à sa peinture, à un univers théâtral. Comment dire les choses:  à la fois à l’opposé de tout réalisme mais fondé sur le réel inspiré, entre autres, par d’anciens murs de hauts bâtiments industriels, une constance dans son œuvre, comme les remarquables scénographies de La Dispute (1973) de Marivaux ou de Massacre à Paris de Marlowe avec un sol couvert d’eau noire..

A partir de 1980, Richard Peduzzi dessina aussi de nombreux prototypes de mobilier et, en 89, reçut sa première commande pour le Mobilier national… Scénographiée par lui-même assisté par sa fllle Antonine Peduzzi  et Alizée David, l’exposition comprend une impressionnante sélection d’œuvres représentatives de son travail de 1972 à 2024.

© Nicolas Treat

© Nicolas Treat

On ne peut tout énumérer mais il y a, dans une petite salle ronde, dix maquettes de décors pour le théâtre et l’opéra, dont une des plus belles est celle qu’il avait conçue pour Comme il vous plaira de William Shakespeare avec deux gradins en bi-frontal et au milieu, sur un sol nu, un arbre mais entre temps, Patrice Chéreau avait, hélas, disparu. Mais les cartels sont tous ensemble à l’entrée: dommage. Comme nous le voyons tous les jours au théâtre, et Richard Peduzzi lui-même en a bien conscience, depuis une dizaine d’années, de telles scénographies à la remarquable picturalité sont  coûteuses en châssis et toiles peintes et beaucoup de mises en scène sont réalisées sur un plateau nu, avec quelques châssis et accessoires. Comme si la scénographie du XX ème et du début du XXI ème avait vécu son âge d’or.

 

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Au rez-de-chaussée, à l’entrée, son iconique chaise-bascule et posées sur des praticables bleu nuit légèrement inclinés, ou suspendues par des fils invisibles, de « simples » chaises à mi-chemin entre des œuvres d’art sophistiquées  et d’une de très haute qualité, réalisées par des artisans français auquel Richard Peduzzi ne cesse de rendre hommage.

Le dessin est ici inséparable d’un ensemble de pratiques de matières : cuivre, tiges de fer lisse ou à béton aux soudures invisibles et peintes en noir mat pour une chaise. Il y a aussi des fauteuils, poufs cubiques, assemblés ou non, des méridiennes (mais peut-être plus belles, que vraiment confortables), un grand lustre rectangulaire avec à la fois, de vraies bougies et des ampoules électriques, réglable en hauteur par une tirette comme dans les suspensions à abat-jour en tôle de notre enfance et qu’il a imaginé pour l’appartement d’un ami à Vienne, des luminaires, tables basses, rocking-chair, lampes de chevet, vases…Au rez-de-chaussée et au premier étage, un curieux bureau avec tablette réglable, inspiré par un tableau de Carpaccio mais pas en bois plein. Et une tapisserie de toute beauté, composée de trois hauts châssis rectangulaires en paille tissée par une réalisatrice lyonnaise.

 

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Manque à l’appel le célèbre banc en bois dont le Musée du Louvre avait acheté quatre exemplaires qui, depuis, auraient été revendus. L’un d’eux figure pourtant dans les collections du mobilier national. Deux étudiantes assises au sol, prenaient des notes et faisaient des croquis. Et cela a réjoui, non sans raison, Richard Peduzzi de voir que le travail de toute une vie ici exposé en partie, soit aussi l’occasion d’une transmission de savoir, d’art et compétences originales. Ne ratez pas cette exposition dans ce lieu très silencieux, et si vous êtes enseignant, emmenez-y vos élèves ou étudiants (entrée gratuite), cela fait du bien de voir autant de créations aussi intelligentes que sensibles… 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 décembre, Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins, Paris (XIII ème).

Tao Dance 13 et 14, chorégraphies de Duan Ni et Tao Ye

Tao Dance 13 et 14 , chorégraphies de Duan Ni et Tao Ye 

Alliant rigueur métronomique et mouvements sinueux, ces pièces hypnotiques révèlent, chacune à sa manière, une approche radicale de la danse. «À travers mon travail, j’espère recentrer l’attention sur l’essence de la sensation et de la perception. C’est dans le corps, dans notre existence physique portant en elle l’ordre intrinsèque de la vie, dit Tao Ye, que réside la plus grande des sagesses.» Il a fondé le Tao DT en 2008 avec la danseuse et chorégraphe Duan Ni. De simples numéros en guise de titre indiquent le nombre d’interprètes et l’ordre d’entrée au répertoire de chaque pièce, les chorégraphes refusant de caractériser leurs créations par des noms évocateurs.

 Tao Dance 13 utilise le concept de trinité. En groupe serré, treize danseuses et danseurs en amples costumes légèrement différents mais dans un camaïeu de nuances sable, avancent au rythme lent de quelques notes répétitives, puis reculent, et pivotent d’un seul tenant. Mais leur marche compacte est troublée par des solos et duos disruptifs. Certains interprètes émergent brièvement du groupe avant d’être absorbés par lui, dans une succession de chutes, rebonds, portés solidaires, rejets violents, culbutes… Un chaos qui entrave un court moment l’évolution de la troupe. Pendant une demi-heure tendue à l’extrême, ces micro-bouleversements intempestifs expriment toute la complexité d’un collectif et la variété des interactions accidentelles possibles.

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Tao Dance14, par contraste et à la surprise du public, éclate dans l’espace et joue de la couleur : les danseuses et danseurs en rangs aérés qu’ils ne rompront jamais, communient dans un même mouvement mais se distinguent par les nuances de couleur de leur longues et amples tuniques uniformes, flottant comme des corolles au gré des figures sinueuses… Une boîte à rythme à la régularité implacable marque le temps et impulse une énergie ondulatoire aux corps. Hommes et femmes forment une large vague ininterrompue, comme poussée par les vents et la marée. Ce collectif respire du même souffle, bouge ou s’immobilise, s’assoit ou s’allonge, en parfaite synchronie.


L’esprit du yin et du yang souffle sur ces chorégraphies, aussi avant-gardistes qu’intemporelles. Leur facture épurée rappelle la danse buto de la compagnie japonaise Sankaï Juku, en plus dépouillé. Le public, médusé, est happé par le mouvement perpétuel émanant de ces corps souples comme des roseaux, emportés dans un élan commun, entre terre et ciel. 

 Tao Ye qui a travaillé avec la Shanghai Army Song et la Beijin Dance Company, puise aux sources des danses traditionnelles et des arts martiaux. Ses chorégraphies ancrées dans le sol défient la pesanteur. On y retrouve la fluidité et la concentration du taïchi, du qi-gong, du yoga, et de l’opéra chinois.  Duan Ni, elle, apporte à cette jeune troupe virtuose son expérience acquise auprès de Yang Meiqi, un des pionniers de la danse contemporaine chinoise. Elle signe aussi les costumes, aussi beaux que pertinents. Depuis leur premier Duo, 2, le couple de Pékin sillonne le monde et a bien mérité son Lion d’argent à la Biennale de la danse à Venise.

 Mireille Davidovici

Le spectacle a été joué du 16 au 18 octobre au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier) T. : 01 42 74 22 77.


Du 24 au 26 octobre, Théâtre central, Séville (Espagne). Le 30 octobre, Teatro Ariosto, Reggio Emilia (Italie).


Les 5 et 6 novembre, International Theater Amsterdam (Pays-Bas). Les 9 et 10 novembre, Teatros del canal, Madrid (Espagne). Le 13 novembre, Le Théâtre de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Les 15 et 16 novembre, Théâtre de Cornouaille, Quimper et le 21 novembre, Le Quartz, Brest (Finistère).

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