The Tree, chorégraphie de Carolyn Carlson
The Tree, chorégraphie de Carolyn Carlson
«Nous ne sommes pas extérieurs à l’Univers dit Carolyn Carlson, nous sommes des graines évoluant en cycles et en rythme, comme les changements de saison qui régissent chaque création.», à propos du dernier volet d’un cycle consacré à Gaston Bachelard (1884-1962). Après Now, tiré de La Poétique de l’espace, et Pneuma, inspiré de L’Air et les Songes, The Tree part des Fragments d’une poétique du feu, un essai inachevé du philosophe publié en1988 et constitué de trois chapitres Prométhée, le Phénix et Empédocle.
Neuf interprètes vont, de tableau en tableau, se confronter avec les éléments d’une nature malade, représentée par un arbre chétif dont la silhouette se profile sur un fouillis abstrait de feuilles et branchages, projeté en fond de scène.
Signés du peintre et écrivain Gao Xingjian, ces mystérieux paysages à l’encre de Chine, dominés par des lunes vagues, prennent des tonalités différentes, sous les lumières de Rémi Nicolas. Le temps est au calme, à l’orage, au vent, à la pluie… ambiances soulignées par les musiques éclectiques de René Aubry, Aleksi Aubry-Carlson, Maarja Nuut et K. Friedrich Abel. Noirs, blancs ou couleur automnale, les élégants costumes d’Elise Dulac épousent ces variations climatiques : les robes fluides des femmes aux longs cheveux et les complets stricts des hommes évoquent l’esthétique de Pina Bausch.
Il ne faut pas chercher de logique à cette pièce onirique dont les séquences s’enchaînent sans transition, traversées par le thème de l’arbre. Ici une femme traîne une branche de pin, là un homme passe au lointain, deux troncs d’arbre à l’épaule.
Un autre déplie un escabeau. Un autre encore crie dans un mégaphone qui, passant de main en main, devient télescope, cornet acoustique…. Puis les danseurs courent au son d’une cavalcade. Plus tard, un arbre miniature est adossé à une petit foyer rougeoyant. A chacun de se raconter son histoire devant ces images surréalistes, proches de l’univers de Philippe Genty, avec lequel René Aubry, musicien et compagnon de route de Carolyn Carlson, a toujours collaboré.
De solos en duos, trios ou scènes d’ensemble, les danseurs alternent tempos lents et rapides, mouvements amples et arrêts sur image. Leurs corps longilignes dessinent des courbes et diagonales avec petits gestes des bras, parfois avec petits sauts et quelques portés. Deux personnages se distinguent: un homme énigmatique qui se déplace avec une canne et une chouette, figure du vieux sage, accompagné d’une femme rousse, sorte de druidesse portant une brassée de fleurs… Leurs postures hiératiques, tête parfois levée vers le ciel, donnent une dimension contemplative à la chorégraphie.
The Tree est une réponse à Gaston Bachelard, qui, sensible à l’écologie, déplorait, parlant de notre Terre, que « cette grande beauté naturelle [soit] ternie par les hommes ». Avec lui, Carolyn Carlson convoque la poétique du ciel, de la terre et de l’air, en espérant que l’arbre et la forêt, tel le Phénix cher au philosophe, perdurent. nous retrouvons avec bonheur cette pièce créée en 2021qui marie danse contemporaine et intemporelle.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 22 octobre, Théâtre des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne, Paris ( VIII ème). T. : 01 49 52 50 50.