Une vraie vie de poète de Marc Blanchet et Hélène François, mise en scène d’Hélène François
Une vraie vie de poète de Marc Blanchet et Hélène François, mise en scène d’Hélène François
Cela se passe sur le petit plateau du théâtre Quintaou à Anglet, un des quatre sites de la Scène Nationale du Sud-Aquitain à Bayonne en toute intimité avec cent spectateurs. et dans un merveilleux silence. Marc Blanchet écrit notamment des entretiens et présentations de spectacles pour le festival d’Avignon et les programmes de saison pour plusieurs Scènes nationales, Centres Dramatiques Nationaux… Il est l’auteur de nombreuses chroniques sur la poésie et se revendique poète mais est aussi photographe. Avec Hélène François, il a écrit ce monologue où il évoque son enfance, raconte-un peu-sa vie de poète voyageur et ses rencontres souvent chaleureuses avec des écrivains étrangers.
Marc Blanchet dit que tout le monde aime la poésie mais surtout celle des siècles passés, et de loin: -Vous écrivez de la poésie ? C’est merveilleux. On en a bien besoin de nos jours. -Merci. Mais vous en lisez ? Non, pas du tout. » Cela ressemble à la fameuse phrase dans La Leçon d’Eugène Ionesco: « Pourtant; j’aimerais autant vivre autre part. A Paris, ou au moins, à Bordeaux. -Vous aimez Bordeaux? – Je ne sais pas. Je ne connais pas.
*Les recueils actuels se vendent peu et sont ignorés ou presque des médias et des lecteurs. Quant à la rémunération, Marc Blanchet démontre vite sur un tableau en papier qu’on n’arrive jamais à vivre de sa poésie… une fois rémunérés éditeur, imprimeur et libraire. Il nous parle avec sensibilité et intelligence mais parfois un peu vite-de tous les poètes que ses profs de lycée lui ont fait découvrir ou qu’ensuite il a lus et relus.
Comme René Daumal, sans doute son préféré, avec son roman poétique Le Mont analogue : « Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle du mont Analogue (…) Il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l’invisible doit être visible. »êtres humains tel q
Il parle aussi magnifiquement des recueils de Franck Venaille, son ami récemment disparu. Ou encore d’Ovide ou Homère. Mais aussi de Sylvia Plath, cette immense poétesse américaine (1932-1963). Et de cet autre poète bengali Lokenath Bhattacharya (1927-2001) rencontré en Inde, devenu son ami et mort dans un accident de voiture. Il admirait beaucoup Arthur Rimbaud et Henri Michaux qui le publia chez Fata Morgana.
Marc Blanchet dit aimer aussi l’écriture poétique de Nimrod, un poète, romancier et essayiste tchadien de soixante-six ans. Mais il cite juste une fois Yves Bonnefoy qui semble peu l’inspirer, comme Paul Eluard ou Aragon qu’il n’évoquera pas. Tiens, au fait, ils parlaient avec Drieu La Rochelle et Jacques Rigaut, au café de Madrid à Guéthary, qui ont séjourné dans ce petit village près de Bayonne. Un autre poète, lui mort en 1920, Paul-Jean Toulet, auteur de célèbres contre-rimes (des quatrains aux rimes A B B A, et croisés: 8-6-8-6) y vécut et y mourut. Vous avez dit bizarre? Marc Blanchet doit bien avoir une explication…poétique!
Ici sur deux tapis, une chaise, et une table d’école aux pieds tubulaires; dessus, les livres des poètes dont il va parler, sous une lumière douce qui variera légèrement. Marc Blanchet fait aussi en peu de mots et avec humour, le récit des nombreux petits boulots alimentaires auxquels ses employeurs mettaient vite fin… Et on sent bien qu’il a dû, pour ne pas faire de concessions, vivre de façon très modeste : la liberté de penser et d’écrire a un prix. Et mieux vaut ne pas trop compter sur l’aide d’une ou d’un mécène… « Quant aux médias, ils ont, dit-il, une idéologie : ils se méfient des poètes et ne vont pas vers eux. » Et les dictateurs les détestent cordialement: ils sont vus comme dangereux, puisqu’ils ont un autre rapport au langage!
Mise en scène et direction d’acteur précise et rigoureuse signée Hélène François qui l’a « aidé à trouver le présent au plateau ». J’ai, dit-elle, une même conception du langage. » Marc Blanchet n’est pas un acteur « professionnel » et n’y prétend d’ailleurs pas mais avec un micro H.F., il a une très bonne diction et sait improviser. De cet équilibre, nait ce qui peut être assimilé à une performance avec, au centre, le langage poétique.
« Hélène François n’est pas de nature prométhéenne; la chose est là pour tout le monde et nous avons une expérience commune du langage. Quand les poètes s’emparent du théâtre, dit Marc Blanchet, ils peuvent être plus didactiques qu’ils ne le voudraient. Et la fiction raconte des instants fondés sur une certaine vérité. On navigue entre les deux. » Et la metteuse en scène partage avec lui, dit-elle, la saveur des noms propres: Octavio Paz, Pablo Neruda, Fernando Pessoa… une saveur que lui a transmise Jean-Louis Martin Barbaz, son professeur de théâtre .
Damien Godet, le directeur de la Scène Nationale de Bayonne, a visé juste, quand il a fait se rencontrer cette jeune metteuse en scène et un écrivain souvent proche du théâtre mais qui n’était jamais monté sur un plateau. Ici aucune prétention dans le jeu, aucun effet de mise en scène comme on en voit souvent.
Mais en une heure et quelque, une vie de poète évoquée avec intelligence, simplicité et générosité. Cette soirée de poésie réjouissante près de l’Adour fait le plus grand bien, loin, très loin des injures et vulgarités de Trump, gagnant son élection ce même soir de première… Il faudrait que ce spectacle puisse aussi être vu à Paris. Il le mérite amplement.
*Il y a déjà de la concurrence! Première édition de Créatine, le 24 novembre, de 12 h à 22 h 30, une journée de poésie contemporaine en présence d’éditeurs avec ateliers et lectures-performances au Ground Control, 81 rue du Charolais, Paris ( XII ème).
Philippe du Vignal
Spectacle créé du 5 au 9 novembre au Théâtre Quintaou d’Anglet-Scène nationale de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).
Le 18 et 19 mars, Le Grand R-Scène nationale de la Roche-sur-Yon (Vendée).
Le 22 mars, Cité internationale de la langue française, Château de Villers-Cotterêts (Aisne).
Le 3 avril, Équinoxe-Scène nationale de Châteauroux, au Théâtre Maurice Sand, La Châtre (Indre).