Ombres portées, mise en scène et chorégraphie de Raphaëlle Boitel

 Ombres portées, mise en scène et chorégraphie de Raphaëlle Boitel

 Les arts du cirque sont toujours en renouveau et cette artiste participe à son effervescence avec ce qu’elle qualifie de «cirque théâtre chorégraphique». Nous avions découvert avec bonheur 5es Hurlants, créé avec les jeunes diplômés de l’Académie Fratellini où elle a été formée et Le Cycle de l’absurdespectacle de sortie du Centre National des Arts du Cirque promotion 2020, où elle a recruté par la suite nombre de ses artistes (Voir Le Théâtre du Blog). La Chute des anges nous avait particulièrement séduit : Ombres portées s’inscrit dans la même veine chorégraphique avec une scénographie d’ombres et lumières, mais avec une narration plus affirmée.

Première image saisissante : de l’obscurité, comme tombée du ciel, une jeune artiste (Vassiliki Rossillion) se balance sur une corde volante, s’y love, fait plusieurs figures acrobatiques, tout en se remémorant des rêves de son enfance. Puis, elle s’envolera de plus en plus haut,  et s’effacera dans le noir, au lointain. « J’ai rêvé Ombres portées comme un spectacle total où se mêlent performance physique, théâtre, danse, septième art, rires, larmes… le tout au service d’une histoire forte, avec des personnages attachants dans un univers graphique participant à la narration…», écrit Raphaëlle Boitel. Elle raconte ici, en paroles, images et mouvements, l’histoire d’une famille «décomposée» par la rage d’une jeune femme contre le père… Trois sœurs et un frère muet gravitent en virevoltant, courent, se chamaillent avec force acrobaties autour de ce vieil homme massif, (Alain Anglaret), bientôt infirme.

© Pierre Planchenault

© Pierre Planchenault

Une noce se prépare et chacun s’affaire. Tia Balacey, la petite sœur, bondit et cabriole. Légère comme une plume, elle sculpte dans l’espace de jolies figures d’acrodanse. La mariée (Alba Faivre) attend son fiancé mais sa fougue amoureuse sera bientôt, éteinte par l’infidélité de celui qui est devenu son époux. Nous la verrons plus tard grimper désespérément à la corde lisse, se dépouillant de sa robe blanche : un beau moment poétique.
Le fiancé arrive enfin (Nicolas Lourdelle), raide et emprunté parmi tous ces corps acrobatiques, aussi drôle que dans les spectacles de Baro d’Evel, la compagnie qu’il a co-fondée (voir Le Théâtre du Blog). Il se livrera à quelques gags, comme le petit gars de la famille, un rôle muet pour Mohamed Rarhib avec acrobaties au sol, mâtinées de hip hop et art du mime. Vassiliki Rossillion, descendue de sa corde volante, incarne K, la sœur rebelleet danse sa rage contre un père indifférent… Que lui a-t-il fait ? Chacun pourra deviner. Raphaëlle Boitel a voulu « sonder la question du “non-dit”.
De tableau en tableau, la figure tutélaire de père haï ou chouchouté selon les membres de la fratrie, est en proie à une déchéance mais cela rassemble à nouveau la famille. Réglés par une subtile chorégraphie, entre horizontalité et verticalité, les corps se croisent, s’acoquinent en un duo sensuel, ou s’agglutinent, tribu brouillonne. Raphaëlle Boitel joua douze ans chez James Thierrée- notamment dans La Symphonie du Hanneton et La Veillée des Abysses- et elle en a gardé un goût pour les images poétiques et  écrit ses pièces sur la scène: «C’est ma feuille blanche, dit-elle, et les interprètes, la musique et la lumière en sont la palette.  »

Les solos des circassiens se fondent dans le ballet des corps et objets, noyés dans les vapeurs des lumières et accompagnés par la musique d’Arthur Bison. Les clairs-obscurs, orchestrés par Tristan Baudoin, sont ici essentiels. Ce passionné d’arts plastiques a rejoint la compagnie 111 d’Aurélien Bory et depuis 2011, il accompagne les créations de Raphaëlle Boitel. Il sculpte la lumière en magicien, cloisonne l’espace avec lampes et projecteurs, enfermant dans leurs faisceaux les interprètes tels des insectes pris au piège. Des effets stroboscopiques les font apparaître et disparaître. 

« Aujourd’hui, dit Raphaëlle Boitel, j’espère que l’histoire de « K », cette jeune femme qui veut s’extraire du silence, touchera chaque spectateur. Son parcours est celui de beaucoup de femmes. Notre rôle est de provoquer la parole. » Mais était-il besoin d’en dire autant ? Ici, la chorégraphie et l’expression des corps suffisent à dénoncer les violences intrafamiliales. Les paroles se perdent souvent dans le feu de l’action : tant mieux, car elles ne sont pas essentielles à la compréhension de ce qui se trame entre les personnages. Reste un spectacle d’une grande beauté plastique, servi par une mise en scène et des interprètes exceptionnels et qui, malgré la gravité du thème, ne manque pas d’humour. À recommander, comme le diptyque La Bête noire et La Petite Reine, Un contre un, La Chute des Anges, actuellement en tournée.

 Mireille Davidovici

 Du 5 au 23 novembre, Théâtre Silvia Monfort,106 rue Brancion, Paris (XV ème). T. : 01 56 08 33 88.

Le 5 décembre, La Faïencerie, Scène conventionnée de Creil (Oise).

Le 23 et 24 janvier, La Passerelle, Scène nationale de Gap (Hautes-Alpes) ; les 28 et 29 janvier, Théâtre Durance, Scène nationale Château Arnoux-Saint-Auban (Alpes de Haute-Provence).

Les 6 et 7 février, Le ZEF, Scène nationale de Marseille (Bouches-du-Rhône) et les 19 au 23 mars, Théâtre des Célestins, Lyon (Ier).

 

 

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