La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Stéphane Braunschweig
La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Stéphane Braunschweig
Le directeur de l’Odéon avait déjà monté cette pièce en 2001 au Théâtre National de Strasbourg. C’est l’une des plus jouées du grand dramaturge russe et nous en avons sans doute vu une bonne douzaine de versions. Celle en 55 d’André Barsacq, au Théâtre de l’Atelier mais c’est trop loin pour en avoir un vrai souvenir… Puis, entre autres, celle en 75 de Lucian Pintilie et cinq ans plus tard, celle d’Otomar Krejčca à Comédie-Française et, en 84, celle d’Antoine Vitez, à Chaillot, une des plus lumineuses.
Celle en 2008 de Philippe Adrien et il y a déjà treize ans, une réalisation radicale de Christian Benedetti puis celle de Brigitte Jaques. Et en 2021, la réalisation de Cyril Teste selon une esthétique vidéo, très précise mais pas vraiment convaincante. Et celle enfin, l’année dernière au Printemps des Comédiens à Montpellier, très remarquable et d’une rare sensibilité, la mise en scène autour d’une table, du metteur en scène argentin Guillermo Cacace.
La pièce (1896) créée en France par Georges Pitoeff en 1922 est des plus fortes d’Anton Tchekhov, avec un tissage de plusieurs thèmes. D’abord l’amour : Medviedenko, l’instituteur pauvre aime Macha mais elle, aime Treplev qui, lui est amoureux fou de la jeune Nina. Mais très vite, celle-ci va aimer Trigorine, un écrivain célèbre qui vit avec Arkadina, une actrice dont Dorn est amoureuse. Lui-même est aimé par Paulina, mariée avec l’intendant du domaine. Mais depuis longtemps, ils ont peut-être une liaison.
Il y a aussi un autre thème qui revient en boucle: l’art du théâtre sur lequel le jeune auteur débutant Treplev a de grandes idées. Comme eux mais plus attachés aux formes traditionnelles: Trigorine, un célèbre écrivain et Arkadina, sa compagne, une actrice qui n’aime pas la pièce de son fils. Que Nina, elle, très jeune va jouer: elle rêve d’être comédienne mais sans bien savoir pourquoi. Et le théâtre dans le théâtre : des moments de la pièce de Treplev sont joués trois fois.
Mais la mort n’est jamais loin ici comme toujours chez Anton Tchekhov: Trigorine tue la mouette d’un coup de fusil. L’enfant de Nina-dont le père est Trigorine qui l’abandonnée- est mort. Mais même si elle a du mal à trouver des rôles, elle aura assez de force pour survivre. Treplev, lui, fait des chantages au suicide, essaye en vain de se tuer mais la seconde fois sera la bonne. Dans La Cerisaie, le vieux Firs abandonné par la famille et resté seul, ne tardera pas à s’éteindre. Et la femme de Verchinine a une relation avec Macha, une des trois sœurs dans la pièce éponyme et n’arrête pas de faire des tentatives de suicide. Irina, elle, qui a accepté de se marier avec Touzenbach, apprend qu’il a été tué en duel… Pour des pièces revendiquées comme des comédies par leur auteur, cela fait quand même beaucoup de morts…
Et la petite pièce écrite et montée par Treplev que joue Nina, tout en blanc est une fabuleuse préfiguration de l’extinction de la vie sur notre planète, victime de la folie des hommes qui ont dévasté les forêts : « Voici, dit-elle, des milliers de siècles que la Terre ne porte pas plus un seul être vivant. (…) Le corps des êtres vivants ne sont plus que poussière. » Une formidable intuition écologique d’Anton Tchekhov quant à la disparition des espèces et à terme, du genre humain, à cause de son avidité et de son manque de prévoyance. Mais la fable du jeune Konstantin Treplev laisse indifférente sa mère Arkadina qui n’y comprend rien.
Et c’est de là, qu’est parti Stéphane Braunschweig et on peut comprendre que cette dystopie imaginée par le grand dramaturge russe, il y a déjà un siècle et demi, ait pu le fasciner : « Au lieu de jouer la petite pièce de Treplev au sein de la grande pièce de Tchekhov, je me suis dit qu’on pourrait jouer la pièce de Tchekhov dans le décor imaginé par Treplev-pour qu’au lieu d’être oubliée ou refoulée- cette vision de Treplev reste présente en rémanence. » Et sur le plateau d’abord fermé par le rideau de fer devant lequel quelques scènes seront jouées, puis il s’ouvrira et nous verrons un sol de sable blanc et des gros cailloux… en résine ( vous avez dit écologie?°. Mais aussi quelques tables et chaises de jardin, la carcasse d’une vieille barque, le lit d’Arkadina et de Trigorine et leurs valises, quand ils partiront pour Moscou. le tout arrosé par moments de fumigène…
Malheureusement sur ce grand plateau, cette scénographie conçue par Stéphane Branuschweig, ne fonctionne pas et il a le plus grand mal à imposer les personnages de La Mouette, sans doute en grande partie à cause d’une distribution qui manque d’unité. Ses acteurs font le boulot mais sont, sauf à de rares moments, peu crédibles. Chloé Réjon qui a pourtant une grande expérience du métier, n’est pas vraiment cette actrice sur le retour. Et comment croire un instant que Denis Eyriiey est Trigorine…
Et mieux vaut oublier le jeu d’Eve Perreur (Nina) dont le personnage n’évolue en rien alors qu’il s’est écoulé plusieurs années quand elle revient, affublée d’une combinaison de travail qui ne l’avantage pas…
Jules Sagot (Treplev) s’en tire, lui, assez bien. L’excellent Sharif Andoura essaye d’imposer le personnage de Dorn, le médecin. Mais comment faire quand on leur demande de parler souvent à plusieurs mètres de leurs interlocuteurs? Lamya Regragui Muzio (Paulina) a, comme toujours, une belle présence mais là aussi, comment faire, quand les scènes d’intimité se passent dans un désert et à la fin, en fond de scène autour d’une table. Là, désolé, nous ne comprenons pas très bien ce que Stéphane Braunschweig a voulu faire! Les micros H.F. n’arrangent rien et il y a une monotonie vocale exaspérante. Et, plus ennuyeux, l’ensemble, précis mais sec, ne dégage aucune émotion!
Côté mise en scène, pourquoi sans arrêt ces allers et retour dans la salle, un vieux truc usé? Pourquoi grâce à un harnais, Nina est-elle emportée dans les airs! Comme à la toute fin,Treplev quand il va se suicider! On entendra un coup de feu et on verra en haut son corps se casser en deux! Pourquoi aussi cette vingtaine de mouettes qui tombent des cintres quand il essaye de se tuer la première fois?
Stéphane Braunschweig dont le Ministère n’a pas renouvelé son mandat, a été prié d’assurer l’intérim jusqu’en juin dernier pour préparer la nouvelle saison quand devait être nommé son successeur. Ce sera finalement Julien Gosselin. Ici, tout se passe comme si le metteur en scène avait mis une certain dose de provoc dans cette réalisation. Du genre: comme c’est ma dernière, je me permets de faire ce qu’il me plait avec La Mouette... Mieux vaut penser qu’il y a eu au départ, une vision dramaturgique erronée.
Dommage pour Tchekhov mais surtout pour le public qui, visiblement, s’ennuyait: il y a même eu quelques désertions. Bref, cette relecture du chef-d’œuvre n’a rien de convaincant! Stéphane Braunschweig est bien plus à l’aise quand il monte de auteurs contemporains comme Arne Lygre avec cinq pièces (voir Le Théâtre du Blog). Il en mettra en scène deux nouvelles: l’une en français, au Théâtre National de Bretagne à Rennes et l’autre, en norvégien, au festival de Bergen, des créations dont nous vous reparlerons.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 22 décembre, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris ( VI ème). T. : 01 44 85 40 40.