Dialogues de bêtes de Colette, mise en scène d’Elisabeth Chailloux, d’après une idée de Lara Suyeux

Dialogues de bêtes de Colette, mise en scène d’Elisabeth Chailloux, d’après une idée de Lara Suyeux

 Le livre original avec douze dialogues a été publié en 1904 avec quatre d’entre eux (SentimentalitésLe VoyageLe Dîner est en retardLe Premier Feu) et l’année suivante  avec en plus, Elle est maladeL’Orage et Une visite), et enfin en 1930, avec cinq autres dialogues (Music-hallToby-Chien parleLa ChienneCelle qui en revient et Les Bêtes et la Tortue). Les protagonistes sont ici un bull bringué, Toby-Chien et Kiki la doucette mais aussi “Lui” et “Elle”, les maîtres de ces animaux domestiques.  Derrière ce  masque, Colette et son mari Willy qu’elle épousa très jeune et qui la poussa à écrire mais dont il publia les premiers romans… sous son nom…

C’est écrit avec tout l’humour et la finesse habituelle, l’amour profond que cette féministe convaincue, indépendante et bisexuelle (1873-1954) avait pour la campagne et les bêtes: « Elle me saisit par la peau du dos, comme une petite valise carrée, et de froides injures tombèrent sur ma tête innocente, dit Toby-Chien, «Mal élevé. Chien hystérique. Saucisson larmoyeur. Crapaud à cœur de veau. Phoque obtus…» Tu sais le reste. Tu as entendu la porte, le tisonnier qu’elle a jeté dans la corbeille à papier, et le seau à charbon qui a roulé béant, et tout… »

Nadège Le Lezec

© Nadège Le Lezec

Et Kiki-la-doucette lui répond avec lucidité et un certain cynisme: « J’ai entendu. J’ai même entendu, ô Chien, ce qui n’est pas parvenu à ton entendement de bull simplet. Elle et moi, nous dédaignons le plus souvent de nous expliquer. »  Et Kiki-la-doucette ne mâche pas ses mots: ‘Le Chat est un hôte, et non un jouet. Les Deux-Pattes, Lui et Elle, ont-ils seuls le droit de s’attrister, de se réjouir, de gronder, de promener par la maison une humeur capricieuse? J’ai, moi aussi, mes caprices, ma tristesse, mes heures de retraite rêveuse où je me sépare du monde… »
Et dans le troisième volet, dans un salon à la campagne en  fin de journée l’été, Kiki-la-Doucette, et Toby-Chien s’endorment presque, puis font les fous et cassent beaucoup de choses quand Elle entre, chapeau de paille sur la tête avec un panier de mirabelles et constate les dégâts.

Puis dans un cinquième épisode, on est à Paris et Toby raconte les mésaventures de sa maîtresse, sans acun doute une Colette exaspérée et révoltée contre le Paris mondain que Willy son mari lui imposait: «Alors, voilà ! je veux faire ce que je veux. Je ne porterai pas de manches courtes en hiver, ni de cols hauts en été. Je ne mettrai pas mes chapeaux sens devant derrière et je n’irai plus prendre le thé. Et je n’irai plus aux vernissages. Et le monotone public des premières ne verra plus mon visage abattu, mes yeux qui se creusent de la longueur des entractes et de l’effort qu’il faut pour empêcher mon visage de vieillir, effort reflété par cent visages féminins, raidis de fatigue et d’orgueil défensif. (…) Je n’irai plus aux premières, sinon de l’autre côté de la rampe. Car je danserai encore sur la scène, je danserai nue ou habillée, pour le seul plaisir de danser. (…)
Le poète Francis Jammes (1868-1938) qui avait écrit la préface du recueil, parlait de Colette comme d’«une dame qui chante, avec la voix d’un pur ruisseau français, la triste tendresse qui fait battre si vite le cœur des bêtes.»  Ici sont mis en scène entre autres avec précision et une grande poésie par Elisabeth Chailloux, Sentimentalités, Le Voyage, Le Dîner est en retard, dont les  titres sont écrits au fur et à mesure sur une petite table côté jardin par  Cyrille Meyer. Il dessine aussi à l’encre et avec un peu de couleur, les paysages et le train où se passe l’action. Le tout projeté directement sur grand écran en fond de scène.

Lara Suyeux dit, très bien dirigée par Elisabeth Chailloux, avec une grande intelligence de mime et une diction parfaite, ces étonnants dialogues de bêtes. Il y a quelques petites longueurs mais cette heure dix passe très vite. L’occasion et le bonheur de retrouver Colette que l’on a parfois vue comme une autrice mineure. Cent-vingt ans après sa publication, le texte ciselé de cette femme exceptionnelle a gardé la même force poétique. Alors que bien des auteurs masculins de son époque ont été oubliés. Lit-on encore  Anatole France, Romain Rolland, Saint-Pol Roux, Sully Prudhomme? « Colette, dit Elisabeth Chailloux parle tout haut par la bouche des animaux et écrit dans L’Entrave : « Être libre !… Je parle tout haut pour que ce beau mot décoloré reprenne sa vie, son vol, son vert reflet d’aile sauvage ».

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 15 novembre, au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 57 34.

Le spectacle est repris les dimanches à 17h et les lundis à 19h, du 16 mars au 19 mai 2025 au Poche-Montparnasse, Paris ( VI ème).

 

 

 

 


Archive pour 17 novembre, 2024

Dialogues de bêtes de Colette, mise en scène d’Elisabeth Chailloux, d’après une idée de Lara Suyeux

Dialogues de bêtes de Colette, mise en scène d’Elisabeth Chailloux, d’après une idée de Lara Suyeux

 Le livre original avec douze dialogues a été publié en 1904 avec quatre d’entre eux (SentimentalitésLe VoyageLe Dîner est en retardLe Premier Feu) et l’année suivante  avec en plus, Elle est maladeL’Orage et Une visite), et enfin en 1930, avec cinq autres dialogues (Music-hallToby-Chien parleLa ChienneCelle qui en revient et Les Bêtes et la Tortue). Les protagonistes sont ici un bull bringué, Toby-Chien et Kiki la doucette mais aussi “Lui” et “Elle”, les maîtres de ces animaux domestiques.  Derrière ce  masque, Colette et son mari Willy qu’elle épousa très jeune et qui la poussa à écrire mais dont il publia les premiers romans… sous son nom…

C’est écrit avec tout l’humour et la finesse habituelle, l’amour profond que cette féministe convaincue, indépendante et bisexuelle (1873-1954) avait pour la campagne et les bêtes: « Elle me saisit par la peau du dos, comme une petite valise carrée, et de froides injures tombèrent sur ma tête innocente, dit Toby-Chien, «Mal élevé. Chien hystérique. Saucisson larmoyeur. Crapaud à cœur de veau. Phoque obtus…» Tu sais le reste. Tu as entendu la porte, le tisonnier qu’elle a jeté dans la corbeille à papier, et le seau à charbon qui a roulé béant, et tout… »

Nadège Le Lezec

© Nadège Le Lezec

Et Kiki-la-doucette lui répond avec lucidité et un certain cynisme: « J’ai entendu. J’ai même entendu, ô Chien, ce qui n’est pas parvenu à ton entendement de bull simplet. Elle et moi, nous dédaignons le plus souvent de nous expliquer. »  Et Kiki-la-doucette ne mâche pas ses mots: ‘Le Chat est un hôte, et non un jouet. Les Deux-Pattes, Lui et Elle, ont-ils seuls le droit de s’attrister, de se réjouir, de gronder, de promener par la maison une humeur capricieuse? J’ai, moi aussi, mes caprices, ma tristesse, mes heures de retraite rêveuse où je me sépare du monde… »
Et dans le troisième volet, dans un salon à la campagne en  fin de journée l’été, Kiki-la-Doucette, et Toby-Chien s’endorment presque, puis font les fous et cassent beaucoup de choses quand Elle entre, chapeau de paille sur la tête avec un panier de mirabelles et constate les dégâts.

Puis dans un cinquième épisode, on est à Paris et Toby raconte les mésaventures de sa maîtresse, sans acun doute une Colette exaspérée et révoltée contre le Paris mondain que Willy son mari lui imposait: «Alors, voilà ! je veux faire ce que je veux. Je ne porterai pas de manches courtes en hiver, ni de cols hauts en été. Je ne mettrai pas mes chapeaux sens devant derrière et je n’irai plus prendre le thé. Et je n’irai plus aux vernissages. Et le monotone public des premières ne verra plus mon visage abattu, mes yeux qui se creusent de la longueur des entractes et de l’effort qu’il faut pour empêcher mon visage de vieillir, effort reflété par cent visages féminins, raidis de fatigue et d’orgueil défensif. (…) Je n’irai plus aux premières, sinon de l’autre côté de la rampe. Car je danserai encore sur la scène, je danserai nue ou habillée, pour le seul plaisir de danser. (…)
Le poète Francis Jammes (1868-1938) qui avait écrit la préface du recueil, parlait de Colette comme d’«une dame qui chante, avec la voix d’un pur ruisseau français, la triste tendresse qui fait battre si vite le cœur des bêtes.»  Ici sont mis en scène entre autres avec précision et une grande poésie par Elisabeth Chailloux, Sentimentalités, Le Voyage, Le Dîner est en retard, dont les  titres sont écrits au fur et à mesure sur une petite table côté jardin par  Cyrille Meyer. Il dessine aussi à l’encre et avec un peu de couleur, les paysages et le train où se passe l’action. Le tout projeté directement sur grand écran en fond de scène.

Lara Suyeux dit, très bien dirigée par Elisabeth Chailloux, avec une grande intelligence de mime et une diction parfaite, ces étonnants dialogues de bêtes. Il y a quelques petites longueurs mais cette heure dix passe très vite. L’occasion et le bonheur de retrouver Colette que l’on a parfois vue comme une autrice mineure. Cent-vingt ans après sa publication, le texte ciselé de cette femme exceptionnelle a gardé la même force poétique. Alors que bien des auteurs masculins de son époque ont été oubliés. Lit-on encore  Anatole France, Romain Rolland, Saint-Pol Roux, Sully Prudhomme? « Colette, dit Elisabeth Chailloux parle tout haut par la bouche des animaux et écrit dans L’Entrave : « Être libre !… Je parle tout haut pour que ce beau mot décoloré reprenne sa vie, son vol, son vert reflet d’aile sauvage ».

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 15 novembre, au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 57 34.

Le spectacle est repris les dimanches à 17h et les lundis à 19h, du 16 mars au 19 mai 2025 au Poche-Montparnasse, Paris ( VI ème).

 

 

 

 

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