Le Banquet des merveilles chorégraphie et scénographie de Sylvain Groud
Le Banquet des merveilles, chorégraphie et scénographie de Sylvain Groud
Sylvain Groud, directeur du Ballet du Nord, Centre chorégraphique national souhaite, par ces temps ténébreux, « réenchanter » le public. Il imagine une pièce contrastée, où se disputent l’ombre et la lumière, afin de « provoquer le beau à l’endroit du pire, transposer poétiquement le chaos ». Le banquet des merveilles n’est pas un repas, mais une manière de partager la danse avec les spectateurs. La soirée se déroule en trois temps : un ballet réunit sur le plateau danseurs et musiciens, pour la traversée mouvementée de zones de turbulence, puis, franchissant le quatrième mur, les interprètes prennent la parole et se joignent au public. Enfin, la troupe entraîne les spectateurs dans le hall du théâtre pour un grand bal, où ils se mêlent allègrement aux danseurs.
Le rideau de scène s’ouvre lentement sur des corps recroquevillés, tels des naufragés, sous un grand drap, occupant tout le plateau. Dans la pénombre, tirés de ce no man’s land par l’arrivée d’une fanfare, les danseurs se rassemblent et rejoignent les musiciens, formant avec eux une procession. Les tableaux s’enchaînent et, puisant dans un tas de hardes amoncelées sur le plateau, les interprètes se mettent en tenues de fête pour une séquence en discothèque, en habits noirs pour une cérémonie funèbre, etc.Un dialogue constant s’établit entre les danseurs et les musiciens de la compagnie lilloise Tire-Laine, comme ce duo où une danseuse s’enfuit en trébuchant, poursuivie par les variations menaçantes d’un saxophone. Cet ensemble, dirigé par Yann Deneque, se fond dans la chorégraphie, jouant du jazz à l’électro en passant par des rythmes africains ou sud-américains.
Sylvain Groud crée des images saisissantes et, sous les lumières de Michaël Dez, il fait alterner des scènes de liesse et des tableaux plus noirs, rappelant la misère et les conflits du monde. Sa scénographie utilise le grand drap déployé sur le plateau : levé ou rabattu, il devient, selon les éclairages, dais d’une boite de nuit, mer houleuse, suaire avalant les corps.Alors que nous sommes happés par cette belle chorégraphie, la prise de parole soudaine des artistes a de quoi nous surprendre. Ils racontent quelques anecdotes émouvantes, objets d’émerveillement. En changeant de registre, le chorégraphe entend faire tomber les masques du théâtre et mettre en évidence le décalage entre l’univers de la scène et « les préoccupations qui traversent le monde contemporain : mouvements de populations liées à des persécutions ou à la précarité, réchauffement climatique, catastrophes écologiques… ».
Cette pièce est l’aboutissement d’un travail de longue haleine avec les cinq danseurs et cinq musiciens, et s’inscrit dans le projet CCN & Vous, que Sylvain Groud a mis en place dès son arrivée au Ballet du Nord, en 2018. En lien avec le tissu associatif roubaisien, il a mené, avec les interprètes, des ateliers dans les hôpitaux, en prison, dans les centres de premiers secours, auprès de populations âgées, isolées, exilées, déclassées…Le Banquet des merveilles a été nourri de ces rencontres et de danses venues d’Afrique, du Maroc ou transmis par des réfugiés afghans, érythréens, iraniens, côtoyés dans des squats : le coupé-décalé, l’ahwach, le dabke.
« J’ai constaté, dit Sylvain Groud, qu’il y a en tout être une extraordinaire capacité de recréer de l’harmonie en réaction à l’injustice, à la souffrance et à la peur. Cette résilience des vulnérables et des victimes du rejet, je voudrais, à travers cette pièce, la faire éprouver aux spectateurs. »Au-delà de l’artistique, le chorégraphe entend poser un geste politique fort. Il estime que, en tant que service public, le théâtre doit être à l’écoute des gens et, en ce qui le concerne, inventer d’autres modèles pour les familiariser avec la danse contemporaine, souvent considérée comme hors de portée.
Le banquet, ce fut aussi, pendant le bal populaire qui clôturait la soirée, une distribution de thé à la menthe et de soupe de légumes, préparés par une association, partie prenante du projet. Là où se jouera le Banquet des merveilles, il y aura, en amont, comme à Roubaix, des rencontres entre les artistes et des associations locales.
Mireille Davidovici
Spectacle créé le 14 novembre, au Colisée, 33 Rue de l’Epeule, Roubaix (Nord) T: .03 20 24 66 66
5 avril, Le Beffroi, Montrouge (Hauts-de-Seine) ; 6 mai, La Filature Scène nationale de Mulhouse (Haut-Rhin) ; 17 mai, Théâtre Le Forum, Fréjus (Var) ; 24 mai,Théâtre des Salins, Scène nationale de Martigues (Bouches-du-Rhône)
Le 3 décembre, à l’occasion des quarante ans des Centres chorégraphiques nationaux, Sylvain Groud organise un Bal chorégraphique à Chaillot, Paris XVIe