Ouasmok ? texte et mise en scène de Sylvain Levey
Ce premier texte, très souvent récompensé et adapté au théâtre, fut édité en 2004 dans la collection Jeunesse aux Editions théâtrales. Régulièrement monté, il n’a rien perdu de sa vivacité. Cette fois, il a pris ses quartiers d’automne à la Scène Maria Casarès à Poitiers. Ouvert depuis un an, ce site patrimonial rénové-les anciennes écuries d’une caserne-propose tout au long de l’année: goûters, apéro-dîners et brunchs-spectacles. Le cadre, beau et chaleureux, invite à la découverte et au partage d’univers artistiques. Ouasmok ? évoque la jeunesse d’aujourd’hui et le rapport entre les garçons et les filles face au sentiment amoureux dans ses premiers émois, mais aussi leur quotidien complexe et agité dans ce passage tout proche, à l’âge adulte. Ce moment et son paysage à la fois merveilleux et perturbé, a bien changé. De nouvelles questions interrogent ici ce lien. Léa serait la représentante d’un nouveau monde, et Pierre, le représentant de l’ancien qui essaye encore de se maintenir.

© Joseph Banderet
Pour la première fois, Sylvain Levey s’empare de la mise en scène : «Pendant longtemps je m’en suis senti incapable. A bientôt cinquante ans, je me sens finalement prêt à assumer ce rôle.»
Pari réussi. Issus de la promotion 2020 de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg Théo Salemkour et Léa Sery sont formidables de vérité et de charme dans ce spectacle ludique et d’une grande finesse. Rien ne manque, et pour l’ensemble du public, cet univers dramatique prend toute sa tension.
Les très jeunes ne saisissent sans doute pas toute la subtilité de la fiction mais sont fascinés par les éléments scéniques et la gestuelle des interprètes. Les jeunes, eux, se sentent concernés par la relation qui se crée et qu’ils ont peut-être déjà vécue. Et les adultes ont là, une vision originale qui en dit long et sans détour, sur l’amour, la séduction, la vie conjugale, le foyer, et autres thèmes parfois graves. La force théâtrale réside notamment dans la structure de la pièce et sa temporalité: ces amoureux vont vivre en une journée ce que les adultes traversent en plusieurs mois ou années : rencontre, mariage, enfants, divorce et même suicide. Tout un programme !
Leur histoire est évoquée en accéléré, à travers sept tableaux représentant ces séquences de la vie tous très inventifs, grâce aussi à une scénographie astucieuse et ludique: comme le clocher qui devient leur appartement, aménagé avec des objets du quotidien, ou d’autres plus surprenants. Au centre du plateau, un grand socle rectangulaire blanc devient un espace de jeu. Et selon les différents moments, viendront prendre place accessoires et mobiliers divers de temps à autre éclairés par un, deux ou trois lampadaires légers et graphiques. Les objets, hétéroclites et symboliques mais parfaitement choisis, la musique, et les éclairages donnent à ce spectacle, un souffle dramatique d’une grande subtilité.
Nous suivons les étapes de l’existence autant imaginée que vécue par ce couple, Pierre, douze ans, et Léa, onze ans, en classe de cinquième. Leurs tempéraments opposés ne vont pas faciliter leur rencontre et la dure réalité prendra le dessus. Mais l’univers de la fiction, son écriture très rythmée d’une intense poésie et d’une résonance contemporaine, l’ingéniosité de la mise en scène réalisée avec peu de moyens, transfigurent la violence de la vie et ses déceptions. Ils offrent dans cette traversée sentimentale au quotidien de Pierre et Léa et de leurs utopies, une beauté, un entrain qui nous touche et nous interroge… Le public est fasciné! Rien d’enfantin dans cette évocation mais une perception délicate et lucide du monde actuel envahi par les nouvelles technologies et où les parents, souvent absents, sont débordés.
Le spectacle est plein d’humour, romantisme et gravité aussi et Sylvain Levey pose un regard d’une forte sensibilité sur la jeunesse et le passage à l’âge adulte, son mal-être, ses découvertes et rêves, sa perception du monde. Un moment exquis de théâtre pour toutes générations confondues, à ne pas manquer.
Elisabeth Naud