Bienvenue ailleurs, pièce pour comédiens, percussions et choeur d’adolescents, texte et mise en scène d’Aurélie Namur

Bienvenue ailleurs, pièce pour comédiens, percussions et chœur d’adolescents, texte et mise en scène d’Aurélie Namur

En exergue de ce texte, «La pensée la plus profonde aime la vie la plus vivante.», une phrase du grand Holderlin (1799): c’est plutôt bon signe. Aurélie Namur écrit ses pièces après avoir fréquenté les milieux concernés et ici, elle pose la question de l’avenir des adolescents qui fêteront leurs vingt ans en 2030, et certains auront des enfants vers 2040. Peut-on encore changer notre mode de vie énergivore sans violence ou avec ? Quelles valeurs transmettre dans un univers aussi bousculé?
Ce sont les thèmes que l’écrivaine traite, parfois en filigrane dans cette pièce en trois épisodes : Fragment 1/Sara par sa mère: Ici une très jeune fille va se révolter. « 
Peu après le Méga feu, ce fut Noël, dit Camila. Le matin du réveillon, ma fille but juste un verre d’eau. – Mais… tu ne manges rien – j’ai dit ?- J’ fais une grève de la faim. – Mais… c’est Noël !- Autant que ce soit efficace. – Une grève pour quoi ? – Taxer la spéculation. On est des milliers à faire ça. Je suis pas toute seule.- Qui ça «on»? » Ma fille haussa les épaules… jusqu’à sa chambre. J’ignorais à quel point il était trop tard, mais je savais déjà qu’elle avait gâché Noël. »
Sara, seize ans, découvre les images des immenses feux qui embrasent
les forêts et blessent les kangourous. Un an plus tard, elle va fuguer. Ses proches essayent de comprendre les traces qu’elle a pu a laisser.
Le texte s’ouvre donc par un récit de Camila sur la dernière année passée avec sa fille qui veut abolir le monde actuel. Mais on ne sait plus bien, si c’est la mère ou Sara qui nous parle. Et Aurélie Namur en joue: « Déployer les rapports entre une adolescente et sa mère, me permet d’évoquer, de manière déroutante et concrète, les deux stratégies de l’écologie radicale : confrontation ou résistance au monde (…) et celle de la sécession, qui refuse de s’épuiser à combattre un adversaire qui fera tout pour ne pas perdre : c’est la voie du « faire sans », retirant au monde, en l’ignorant, sa raison d’exister.

Dans Fragment 2 : Sara par Aimé, dézinguée, il est plus question d’environnement et de révision drastique  des modes d’agriculture: «Chaque week-end, je suis venu sur zone, dit Aimé, comme Sara, j’étais fasciné par cet endroit où on repensait tout, où on expérimentait tout! La construction, le maraîchage, le langage, les modes de gouvernance ! C’était ça, la beauté !
Et la semaine, je continuais mes cours d’archi. Sauf qu’un matin-j’avais commencé la révision des partiels, je me rappelle… Le décret d’expulsion a été publié : la ZAD allait être dézinguée. Les fics ont installé des caméras partout : finies les cabanes : option défense. La peur nous gagnait. Tout s’est précipité. » (…).

©x

©PIKL

En interlude, il y a aussi un très beau moment chorégraphié: une quinzaine de filles et quatre garçons, tous élèves de l’option: théâtre du lycée Jean Monnet à Montpellier, dansent sur la seule musique très forte des percussions, seuls ou à plusieurs, très joyeux avec une belle présence, comme pour pallier l’absence de Sara.
Enfin, dans Fragment 3/Sara par Pauline Qui la connait, cette vie qu’on mène, il y a un beau dialogue sur la chasse entre Aimé et Pauline, l’amie de Sara: -Ce matin-là, j’étais hagarde, Je lui demande : « Elle est où, Sara! ?Aimé (en montrant la besace) Ce lièvre qui pend à ta besace, là, tu l’as tué / Donc…plus fort que moi, ce matin là, je dis. Pauline: C’est pas un lièvre c’est un lapin. Aimé: Tu l’as tué, donc maintenant, il est à toi, c’est ça ?! Elle est où, Sara ? Aimé:  Pourtant, c’est un animal sauvage… pourquoi il serait à toi ? Pauline:  J’ai eu envie de le frapper, ce matin-là… Aimé: Tu ne crois pas qu’il faut la laisser tranquille, un peu ? Pauline : Qui ? (soudain plein d’espoir) Sara ? Aimé : la Nature. Pauline: C’est lse règles de la chasse. Aimé: Tu l’as tué ou quoi? (…)  Aimé : C’est toi qui peux me tuer, avec ton fusil. J’ai peur, devant chez moi, tu trouves ça normal Devant chez moi, j’ai peur, / tu trouves ça normal. Pauline: Tu la planques. Aimé  (soudain calme) Pose ton fusil. Pose ton fusil. (Elle finit par poser son fusil. (pour lui-même) Je déteste les chasseurs. »

©x

©PIKL

Aurélie Namur apporte un commencement de réponse : le théâtre serait peut-être un lieu de questionnement et de transmission… il est ici question de vie, ou plutôt de la survie d’humains qui n’ont pas fait grand chose pour sauvegarder leur planète et que leurs descendants accusent de crime mais eux aussi prennent l’avion et roulent en voiture électrique sans état d’âme. Se pose cette question: comment envisager un monde autrement que tel que nous le connaissons ? Comment se raconter autre chose quand ce qui existe, est détruit ?

Un conflit générationnel? Et à écologie radicale, problème résolu? Non, ce serait trop simple, semble nous dire Aurélie Namur. Comment mettre en place une écologie radicale sans renoncer pour autant à un confort indéniable, à une meilleure alimentation grâce au froid, etc.. Et cela tout en protégeant la faune, l’environnement et en vivant ensemble. Mission impossible? Les nouvelles générations n’ont pas d’autre choix que prendre en compte les enjeux économiques de la transition vers une neutralité carbone, donc sans émissions de gaz à effet de serre.

Le texte d’Aurélie Namur est parfois inégal mais elle a l’art-pas si facile- de mettre le doigt là où cela fait mal, sans en rajouter et en dirigeant bien ses acteurs. Ce Bienvenue ailleurs s’apparente à un théâtre-récit soutenu par des percussions, plus qu’à un théâtre documentaire. Sara est une figure absente/présente et si nous avons bien compris, la Mère, Aimé et Pauline, l’amie de Sara témoignent à sa place.
Le sol rouge vif met en valeur lithophone, vibraphone, timbales…. Rien de réaliste ici ; une lumière pour dire la maison de la mère, une banderole traversant le plateau nu pour signifier une ZAD et ensuite sur un tulle, une belle reproduction d’un paysage d’arbres de C.D. Friedrich, légèrement éclairée par derrière.
Les percussions permettant selon la metteuse sen scène de «rendre perceptibles les essoufflements, les acmés comme si le cœur de Sara battait en direct. » Ce qui est moins sûr.
Mais en trois volets, cette quête d’un ailleurs collectif est bien jouée par Pierre Bienaimé, Noémie Guille et Aurélie Namur. La metteuse en scène a visé juste et les lycéens regardaient attentivement dans un silence impressionnant cette représentation d’après-midi. C’est aussi bon signe…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 21 novembre au Théâtre Jean Vilar, Montpellier (Hérault).

Le 13 décembre, Théâtre Jérôme Savary de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault).

Du 17 au 20 décembre, Le Parvis Scène nationale de Tarbes (Hautes-Pyrénées).

Le 13 février,Théâtre de Pézenas (Hérault).

 Les 13, 14 et 15 mars,Théâtre du Grand Rond, Toulouse (Haute-Garonne).


Archive pour 26 novembre, 2024

Les Oiseaux sont faux, par la compagnie Le Schmilblik mise en scène de Maëlle Puéchoultres

Les Oiseaux sont faux, par la compagnie Le Schmilblik mise en scène de Maëlle Puéchoultres

©x

©x

Cette compagnie au fameux nom imaginé par Pierre Dac concernant un objet qui «ne sert absolument à rien et peut donc servir à tout car  rigoureusement intégral », est un collectif d’artistes.
Maëlle Puechoultres l’a rejoint, après des études théâtrales, une thèse sur le théâtre indien qu’elle va bientôt présenter, une formation au conservatoire de Versailles et un stage à la Manufacture de Lausanne…
Depuis 2021, elle travaille sur ce spectacle qui a pour thème les théories du complot et leur infiltration dans les consciences.

Hervé, un veuf d’une cinquantaine d’années, au curieux visage : nez pointu et yeux très en fente (ce lui donne un regard à la fois proche et lointain, comme ceux des acteurs masqués du théâtre balinais qui ont aussi inspiré, entre autres Ariane Mnouchkine, Omar Porras… Le jeune acteur  porte en fait un demi-masque qui le vieillit de quarante ans (superbe réalisation de Gabriella Lopez): ce dont on ne s’aperçoit pas tout de suite. Hervé, sans doute pas très riche, vit seul, dans une maison de banlieue dont il a aménagé le garage en atelier pour y bricoler paisiblement:une grande armoire métallique soigneusement repeinte en bleu avec des étagères, un établi où il y a un marteau, quelques outils et des jouets comme de petits wagons en bois et objets accumulés là depuis longtemps. Juste à côté, un rayonnage avec des livres. Et deux tables au piètement en X, l’une où il y a son ordinateur et une lampe ancienne de bureau, et une autre avec encore des objets sans aucun usage précis mais à la valeur inestimable pour celui qui les possède…. « Entre la poubelle et l’éternité  » disait Tadeuz Kantor: quarante ans après sa mort, il reste, fait rare, une source d’inspiration pour de nombreux jeunes créateurs comme  Maëlle Puechoultres. L’univers qu’elle crée ici avec ces meubles et objets n’est pas loin du sien. En fond de scène, un grand écran.
Hervé répare jouets et autres objets mais consacre la majeure partie de son temps à collectionner des appeaux, notamment celui de la mésange charbonnière à cravate et calotte jaune et au plumage vert. Mais aussi à en montrer leur fabrication sur internet:  »
Pour cet appeau, je vais donc utiliser du buis, qui est un bois qui résonne bien, très léger. Là, pour la vidéo, je l’ai déjà façonné afin que ce soit plus rapide, mais je vous ferai une deuxième vidéo où je vous montre comment bien utiliser le tour. On peut aussi le tailler à la main d’ailleurs, puis poncer ensuite, mais ça, ça dépend des méthodes. » « L’appeau: entre l’humain et l’environnement » dit Maëlle Puechoultres.

© Gabriella Lopez

© Gabriella Lopez

Il a recueilli un oisillon et l’a mis dans un carton où il lui donne la becquée. C’est son seul compagnon: « Voilà, voilà, ah! bah! ça va mieux maintenant hein ? On est mieux ? On est bien. Oui. on est bien tous les deux. » Il appelle très souvent sa nièce Mathilde,  une étudiante en bio-acoustique dont il est très proche. Pour parler, ou plutôt entendre sa voix. Véritable communication, ou illusion? « Ça va ma chérie et toi ?- Oui oui ça va écoute. Bon j’ai pas compris, c’est quoi cette histoire de fleurs ? Tu es encore allé au cimetière? – Non, je t’ai dit; j’y vais plus au cimetière. - Ben pourquoi tu veux des fleurs ? -Ben pour la Toussaint, je me suis dit quand même… -Ah oui… ben si tu veux… je veux dire moi j’ai pas besoin de ça… »

Hervé la voit assez souvent, enfin quand elle peut…  Accro à You tube, il échange des  messages avec des inconnus. Il tombe aussi sur un article d’Hubert Reeves, grand amoureux des oiseaux récemment décédé, puis sur une émission où en 2013, ce vulgarisateur présente un livre sur l’écologie…. Les réseaux sociaux et les sites n’ont plus de mystère pour Hervé et de multiples informations lui arrivent en flot continu.  Il partage aussi ses enregistrements d’imitation d’oiseaux et est conscient des catastrophes écologiques qui se profilent à l’horizon comme la hausse du niveau de la mer, les forages désastreux pour les poissons, la disparition des oiseaux marins…
Mais n’est-il pas dupe que ses nombreux petits tours sur  internet bouffent une énergie considérable? Il est aussi très attiré par les techniques de manipulation et les systèmes de surveillance et qu
and il découvre des articles parlant de la soi-disant élimination d’informateurs chez Total, il appelle Mathilde… très inquiète pour son oncle.

Les commentaires signés d’un pseudo fleurissent et nous les voyons s’afficher sur un grand écran fabriqué avec deux matières et rappelant celui des ordinateurs. Hervé semble isolé, las et paumé. Sa nièce le comprend de moins en moins et le mettra en garde. On voit se fissurer l’identité de cet homme plus tout jeune,  à cause de cette addiction à l’écran de son ordinateur qui reste pourtant son seul moyen de communication avec un mobile pour appeler Mathilde ( Pauline Crépin)..
Tout son univers quotidien semble partir en quenouille, comme souvent dans le théâtre d’Eugène Ionesco et i
l se sent remis en cause, au plus intime de lui-même. Des cris d’oiseaux deviennent envahissants. Hervé arrache la webcam et l’écran devient bleu. Il enferme son ordinateur dans le placard mais des plumes en sortent.  Les tables et le rayonnage se disloquent, les objets et les livres tombent partout et Hervé essaye de se protéger avec les plateaux des tables et sur l’écran, s’affiche un message menaçant: Erreur Système: veuillez patienter pendant que nous rétablissons  la surveillance. Toute résistance serait préjudiciable. »

Obsédé par le monde qui l’entoure, il partira dans un délire verbal répétitif:  « Moi j’ai jamais fait de mal à personne j’ai jamais rien pris à personne j’ai toujours écouté ce qu’on m’a dit dans les endroits où l’on regarde vers les choses plus hautes alors ces gens là qui me disent tout ça je les trouve injustes car elles ne me parlent jamais en face elles disent tout ça dans mon dos elles ne m’aiment pas en fait et si elles ne m’aiment pas c’est leur faute, et si c’est leur faute et que je peux être sûr que moi je n’ai rien fait de mal et qu’il y a d’autres gens dans le monde qui n’ont rien fait de mal et qui peuvent m’expliquer pourquoi je n’ai rien fait de mal et que ce sont eux qui sont en tort et si ce sont eux les autres qui sont en tort contre nous. « Un remarquable monologue… A la  fin, Hervé est en proie à un encombrement général de son atelier: les piètements des plateaux se brisent brusquement, et tout se passe comme les objets devenaient autonomes : tout bascule et l’emprisonne.

Comme l’indique le titre-un peu mystérieux- de la pièce, les oiseaux seraient-ils faux? Le vrai et le pas vrai, le langage oral et écrit, le réel et l’artificiel, le réchauffement climatique à cause de la vie urbaine et la nature, les humains et les oiseaux, la solitude et les dizaines de millions de personnes en contact par internet mais invisibles… Des thèmes et des codes que Maëlle Puechoultres met en scène avec  une grande efficacité, sans utiliser la vidéo de façon conventionnelle comme on le voit partout (grossissements, etc.). Ici, elle  joue constamment sur un réel des plus ambigus. Hervé tape sur son clavier mais ce qui s’affiche est aussi les réponses qu’il obtient aussitôt… Mais quand il téléphone à sa nièce, une véritable actrice qu’on ne voit pas, lui répond. Cette voix qui pourrait être enregistrée, est bien là…  D’où un certain vertige et le spectacle a fasciné les lycéens de Mantes-la-Jolie, ce soir de première.   

Un peu lent à décoller, la réalisation est encore  brut de décoffrage et il y a de petites erreurs de jeu mais quelle intelligence scénique! Et Maëlle Puechoultres a su s’entourer de toute une solide équipe: jeu (Clément Mariage), costumes et masque ( Gabriella Lopez) son (Isia Delemer), lumières et vidéo (Lucas Collet) scénographie (Ernest Welisch)…  Ici, un plateau habituel avec des accessoires et un masque, ce qui est rare! Mais Maëlle Puechoultres sait  aussi utiliser un langage contemporain, celui de l’informatique appliquée à un spectacle. Et elle maîtrise parfaitement l’espace et le temps théâtral, ce qui est aussi rare. Si vous le pouvez, allez voir ces Oiseaux sont faux (une heure). Le Collectif 12 a bien visé, en lui offrant une résidence pour cette création. Il faudra suivre de près cette très jeune autrice et metteuse en scène…

 Philippe du Vignal 

Spectacle créé les 14 et 15 novembre au Collectif 12, friche André Malraux, 174 boulevard du maréchal Juin, Mantes-la-Jolie (Yvelines). T. : 01 30 33 39 42. 

Lilas en Scène, Centre d’échanges et de création des arts de la Scène, 23 bis rue Chassagnolle (Seine-Saint-Denis), les 6 et 7 décembre. T. : 01 43 63 41 61.

 

 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...