Les Fausses Confidences de Marivaux mise en scène d’Alain Françon

Les Fausses Confidences de Marivaux, mise en scène d’Alain Françon

La comédie la plus réussie de son auteur qui l’écrit à cinquante ans, un âge déjà avancé au XVIII ème siècle. Créée par la troupe des comédiens italiens à l’Hôtel de Bourgogne en 1737 mais sans doute trop en avance sur son temps-cinquante ans avant la Révolution-elle eut peu de succès mais davantage quand elle fut reprise quelques années plus tard. Les Fausses confidences, une des premières pièces que nous ayons vue, mise en scène par Jean-Louis Barrault avec Madeleine Renaud qui n’avait plus l’âge du rôle mais celui de Marivaux… Et qui avait su séduit nos cœurs de lycéens…. Cette icône du théâtre classique préfigure Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, une œuvre aussi mythique. Déjà ici, c’est un valet qui tire les ficelles…
L’argument est simple mais l’intrigue assez compliquée : Dorante, fils d’un avocat, mais pauvre, est tombé amoureux d’Araminte, une jeune veuve très riche qu’il a croisée à l’Opéra. Mais comment faire pour au moins, l’approcher?  Monsieur Rémy, procureur au tribunal, et qui est son oncle, lui a proposé Dorante comme intendant. Et Dubois, l’ancien valet de ce dernier, est maintenant-cela tombe à pic!-employé par Araminte et il fera l’impossible pour que son ancien patron arrive à ses fins.  Plaidant le faux pour savoir le vrai, cassant du sucre sur Dorante pour mieux tromper Araminte…
Ce fin psychologue  semble, comme le dit justement Alain Françon, « savoir ce que les autres ne savent pas encore d’eux-même » et applique une stratégie  fondée sur deux principes:  » Femme tentée: femme vaincue. » Et « Araminte a de l’or et le corps de Dorante vaut de l’or. » Reste à mettre tout en œuvre pour résoudre l’équation et donner du temps au temps, pour que l’un et l’autre,  en accord avec eux-même, puissent vivre ensemble. Un travail que Dubois, en  manipulateur-né, réussira parfaitement.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez


La jeune femme accepte d’abord avec confiance ce Dorante qu’elle voit vite d’un assez bon œil. Mais sa mère, Madame Argante, n’a pas le même point de vue et n’apprécie vraiment pas ce jeune intendant sans le sou donc peu intéressant et  elle n’en démordra pas: il a en effet l’intention de protéger les intérêts de la jeune femme… Cette mère autoritaire voudrait bien faire d’une pierre, deux coups: résoudre un litige concernant une terre  et arriver à remarier sa fille avec ce propriétaire: elle éviterait ainsi un procès et caserait Araminte, selon son goût et ses intérêts bien compris à elle.

Marivaux est réaliste et ici, tout est fondé sur le pouvoir de l’argent, et dans une société où les femmes sont mariées par leurs parents, il est essentiel d’avoir une dot importante... Et cela va se compliquer pour Dorante: monsieur Rémy essaye de lui faire épouser Marton, une jeune fille de bonne famille et dame de compagnie d’Araminte. Bien entendu, il refusera aussi sec, disant qu’il est pris ailleurs. Puis Monsieur Rémy lui en propose une autre qui a trente-cinq ans, donc déjà âgée à l’époque mais riche, et dont nous ne saurons jamais rien.
Dorante, lui, offre une bourse à  Lubin,  un valet d’Araminte pas aussi sot qu’il semble, pour le mettre de son côté.
Mais qu’une jeune veuve soit amoureuse d’un simple intendant, fils d’un avocat fauché et veuille se marier avec lui, cela reste choquant dans cette société où la noblesse et l’argent priment. Les choses ont depuis évolué encore que? Voit-on une jeune énarque d’une riche famille du XVI ème  épouser un jeune et brillant prof mais pauvre, et fils d’agriculteurs ruinés?

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Ici, Araminte, dans une scène remarquable de sensibilité, ira enfin vers la table où travaille Dorante et lui prendra les mains, lui avouant ainsi son amour. Surpris tous les deux par l’arrivée de madame Argante. Deux noms qui riment mais dont les personnages sont en conflit ouvert.  Des minutes de pur bonheur théâtral.

Mensonges, fausses confidences, manipulation surtout chez Dubois: hommes et femmes n’hésitent pas une seconde à s’en servir…  Araminte, que l’on sent parfois indécise et pas très sûre d’elle, ment par omission: elle sait que son intendant est amoureux et essaye de faire croire à Dubois qu’il ne lui a rien dit. Lui, l’homme discret en pantalon et chemise noirs mais très vigilant lui souffle le chaud et le froid et fera tout pour que son ancien maître  réussisse à séduire Araminte. Lui, Dorante, instruit par ce manipulateur de haut vol, est bien évasif sur son amour pour elle, alors qu’il en est fou. Monsieur Rémy laisse Marton se duper quand elle croit que Dorante est amoureux d’elle. Comme si Dubois était un peu amoureux par procuration, il a des répliques aussi délicieuses que cyniques et dont Marivaux use en orfèvre., pas loin de celles écrites par Eugène Labiche un siècle après: «Il faut qu’elle nous épouse. »  Anticipant la réplique cinglante de madame Argante: « Qu’il soit votre mari, tant qu’il vous plaira mais il ne sera jamais mon gendre. » Juste avant que Dubois ne conclue, fier de sa réussite: « Ma gloire m’accable. Je mériterais bien d’appeler cette femme ma bru. »

© Jean-Louis Ferrnadez

© Jean-Louis Ferrnandez

Une scénographie très sobre. Côté jardin un couloir vers les appartements d’Araminte, au centre, une sorte d’entrée-salon où se rencontrent  tous les personnages de milieu social et âge différent surtout  Dubois, intendant, M. Rémy, Procureur et le Comte. Et côté cour, un lieu d’où viennent et où travaillent valets, femmes de chambre…  Dans le fond, une balustrade, quelques chaises pliantes suggérant le jardin. Sous peu-trop peu-de lumière et, à la fin, presque dans la nuit. Alain Françon,  pour incarner cette tribu de personnages, a choisi avec le plus grand soin, ses acteurs qui ont eu des formations diverses. Miracle, ou plutôt précision et intelligence remarquables de sa direction.


Il y a dans ces Fausses Confidences, une rare unité de jeu et un diction impeccable pour dire toute la musique de Marivaux. Cela fait un bien fou après une semaine à entendre des textes souvent mal traités… Alain Françon, lui, aime la langue française, la respecte et la fait respecter, loin des micros H.F. et de fumigènes envahissants. Et il traite avec une singulière intelligence scénique les apartés et les silences, ce qui est rare chez les metteurs en scène de Marivaux. Il y a peut-être un léger abus de face public mais qu’importe…

Palme d’or à Georgia Scalliet, en robe longue (voir ci-dessous l’analyse de Christine Friedel) est une fabuleuse Araminte, très crédible dès qu’elle entre sur le plateau, à la fois certaine de sa volonté d’émancipation mais se sachant aussi incapable de ne pas aimer Dorante… Ravie  aussi d’échapper à la fois aux griffes de sa mère et de refuser ce comte que’lle voulait lui refiler. Le jeu de Georgia Scalliet est exemplaire: tout en nuances et sans aucune criaillerie.  Cela fait aussi du bien… Gilles Privat, très souvent sur le plateau, joue Dubois avec sobriété mais est supérieurement  efficace et drôle dans ce rôle pas facile. Pierre-François Garel (Dorante) est aussi juste, malgré un curieux costume peu réussi comme les autres: un des rares points faibles de ce merveilleux spectacle. Ce jeune acteur qui n’a rien des beaux amoureux conventionnels, est très attachant. Dominique Valadié, impeccable, joue avec tout le métier qu’on lui connait cette mère possessive, jalouse, tyrannique. Les autres personnages comme Monsieur Rémy (Guillaume Lévèque) haut en couleurs mais qui ne fait jamais trop, Marton (Yasmina Relil), Lubin (Séraphin Rousseau), Le Comte (Alexandre Ruby), un Garçon Joailler (Maxime Terlin) sont tous crédibles sans exception. Des rôles là aussi tenus avec une grande exigence. Ce spectacle, parfaitement rodé, est un exceptionnel moment de théâtre et, même si vous avez des à-priori sur Marivaux, allez à Nanterre ou Versailles si vous habitez Paris mais des Fausse Confidences se jouent un peu partout aussi en province. Vous ne le regretterez pas.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 28 novembre; jusqu’au 21 décembre, au Théâtre Nanterre-Amandiers à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Du 10 janvier au 12 janvier, Théâtre de l’Empreinte-Scène nationale, Brive (Corrèze).  Les 15  et 16 janvier, Scène Nationale d’Albi (Tarn). Du 22 au 26 janvier, Théâtre Montansier, Versailles (Yvelines). Les 30 et 31 janvier, Opéra de Massy (Essonne). Les 12 et 13 février, Théâtre Saint-Louis, Pau (Hautes-Pyrénées).

Les 25 et 26 février, Maison de la Culture, Amiens (Somme). Du 4 au 6 mars, Le Quai-Centre Dramatique National, Angers (Maine-et-Loire).

Du 8 au 21 mars, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Du 25 au 29 mars,  Théâtre municipal de Caen (Calvados).

Du 2 au  5 avril, Scène Nationale d’Annecy (Haute-Savoie). Et du 8 au 11 avril,  Centre Dramatique National de Saint-Étienne.

 

La Robe d’Araminte, costume de Pétronille Salomé

Longue robe de satin ivoire, montante, sévère et mensongère. Elle colle au corps d’Araminte* ne cachant que les bras, ne dérobant que les jambes, à moins que dans un mouvement elle ne vienne mouler cuisse, jambe, genou ou cheville. Autrement dit, Araminte, riche, veuve et libre -s’il n’y avait sa mère pour tenter de diriger sa vie- se soucie peu de se montrer et aussi peu de cacher un corps qui a tout pour plaire. Coupée en plein biais – des mètres et des mètres de tissu -, amplifiée de « quilles », triangles de tissus pour élargir le bas d’une jupe sans épaissir les hanches le moins du monde, la robe dit cela : mon corps est à moi, à mes mouvements et à mes humeurs, à mon confort et à ma dignité de grande bourgeoise qui ne se soucie pas de devenir comtesse. Mais je m’en fiche. Ma robe attire et tient à distance, et pourtant mon corps est évident, offert. Mais ça m’est égal. Pas étonnant qu’il faille trois actes à Dorante pour parvenir à déclarer  cet amour attrapé d’un regard sur le grand escalier de l’Opéra, qui l’a conduit ici, dans ce décor indifférent habité par son idole.

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

La robe tourne, se vrille, étale sa souplesse laiteuse, fait à celle qu’elle enveloppe un buste presque aussi nu que celui d’une statue, tandis qu’un coup de ciseau vertical laisse entrevoir un éclair de peau dans le dos. Un pli bizarre, à la taille, trahit le défaut qui va permettre toute l’intrigue. Oui, dans le confort de cette robe, il y a une anomalie, une gêne. Ça grigne, comme disait une couturière en chambre. Marivaux ne dit jamais pourquoi Araminte désire l’amour de Dorante – parce que cela va de soi : quand un amour fou, « timbré » comme celui-là vous tombe dessus, il est contagieux, il est irrésistible. Mais ce petit pli, ce couac en couture dit peut-être, ou sans doute : tout ne va pas si bien dans la vie parfaite de la belle veuve, il manque quelque chose, quelque chose crie. Qu’elle cache sous une « indolence » détectée par son entourage, et une indifférence affectée, pauvre cuirasse contres les intrusions diverses qui peuplent la pièce. Robe refuge, robe orgueilleuse : voyez comme je suis belle, et riche. Robe libre. Et pourtant voyez comme j’y suis parfois empêtrée. Robe d’époque : laquelle? Peut-être la fin des années trente du vingtième siècle, avec son léger parfum de fin du monde. Robe dramaturgique, en somme. Arrivera-t-elle à devenir pétale ?

*Le prénom Araminte signifierait « noble », « haute ».

Christine Friedel


Archive pour 29 novembre, 2024

Dans(e) la lumière à la Fondation Groupe E.D.F.

Dans(e) la lumière à la Fondation Groupe E.D.F.

Ce «e» est, comme on dit, inclusif. Dans(e) la lumière est en effet monstration d’œuvres d’art et (dé)monstration de danse vivante. Un corpus créatif dû avant tout à la fée Électricité qui «inspire l’âme et anime les corps », dit Alexandre Perra,  délégué général de la Fondation.
Ce premier rendez-vous, appelé à devenir annuel, installe des œuvres de Bernard Caillaud, Costis, Raoul Dufy, Gun Gordillo, Julio Le Parc, Man Ray, Adalberto Mecarelli et François Morellet qui font partie de la collection. Et Agnès Chemama a programmé jusque fin janvier les chorégraphes Alexandre Fandard et Raphaëlle Delaunay, Carolyn Carlson, Mazelfreten et Jann Gallois, Josette Baïz, Alban Richard, Leïla Ka, Mourad Merzouki, Angelin Preljocaj, Marion Motin, Maud Le Pladec, Léo Lérus et Thomas Lebrun.
Nous avons pu ainsi admirer, entre autres, dix photogravures de l’album de Man Ray Électricité (1931), une commande de ce qui était alors la Compagnie parisienne de distribution d’électricité. Une œuvre à base de rayogrammes ou rayographies, c’est à dire de photos obtenues directement par des objets posés sur du papier et éclairés le temps qu’il faut.
Lunatique neonly, 8 demi-cercles, n° 11 (2004), composition abstraite de François Morellet dessinée avec des tubes fluo courbés, Continuel-lumière (1964), sculpture cinétique de Julio Le Parc, Magique (1993), un coup de foudre artificiel de Costis, Nord (1993, trois figures géométriques basiques sursaturées d’Adalberto Mercarelli, et la ciné-danse serpentine de Loïe Fuller de la maison Pathé, colorée au pochoir en 1905. Toutes ces œuvres valent le déplacement.

© Jean-Claude Carbonne

© Jean-Claude Carbonne

Nous avons assisté à une des séances d’après-midi destinées aux associations et aux scolaires où était invitée Josette Baïz avec le groupe et la compagnie Grenade. En première partie, deux danseurs de la compagnie nous ont offert au rez-de-chaussée un florilège de solos et duos de chorégraphes néo-classiques et modernes, entre autres: Maurice Béjart et William Forsythe.
Le morceau de bravoure, Room with a view, une chorégraphie de (La) Horde (Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel), dans la magnifique salle au deuxième étage, interprétée avec brio par les adolescents du groupe Grenade: Théo Brassart, Jade Roux, Lison Szymkowicz, Chloé Deplano, Thelma Deroche-Marc, Lou Goutron, Lilith Orecchioni, Victoire Chopineaux, Bérénice Rieux, Jossilou Buckland, Arthur Vallière, Marius Iwasawa Morlet, Hector Amiel, Tristan Marsala, Roman Amiel, Victor Lamard-Paget, Sarah Kowalski et Emma Grimandi.
Sur une bande originale. techno signée Rone, les adolescents passent par différentes phases affectives et autant d’expressions et actes les signifiant : de l’apathie, à la marche alentie et à l’agitation à tous les sens du terme : nerveuse, houleuse, politique. Ce mimodrame, en forme de psychodrame, peut diversement être interprété par les spectateurs et les acteurs, comme soulèvement de la jeunesse, exercice militaire, comportement grégaire ou réaction pavlovienne….
Par l’effet de répétition de la musique et du geste (nombreux portés renouvelant le vocabulaire chorégraphique), la petite troupe bourrée d’énergie a fini exsangue, béate, émue aux larmes.

 Nicolas Villodre

 Espace Fondation E.D.F. 6 impasse Récamier Paris (VII ème) . T. : 01 40 42 35 35.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...