Les Oiseaux sont faux, par la compagnie Le Schmilblik mise en scène de Maëlle Puéchoultres
Les Oiseaux sont faux, par la compagnie Le Schmilblik mise en scène de Maëlle Puéchoultres
Cette compagnie au fameux nom imaginé par Pierre Dac concernant un objet qui «ne sert absolument à rien et peut donc servir à tout car rigoureusement intégral », est un collectif d’artistes.
Maëlle Puechoultres l’a rejoint, après des études théâtrales, une thèse sur le théâtre indien qu’elle va bientôt présenter, une formation au conservatoire de Versailles et un stage à la Manufacture de Lausanne…
Depuis 2021, elle travaille sur ce spectacle qui a pour thème les théories du complot et leur infiltration dans les consciences.
Hervé, un veuf d’une cinquantaine d’années, au curieux visage : nez pointu et yeux très en fente (ce lui donne un regard à la fois proche et lointain, comme ceux des acteurs masqués du théâtre balinais qui ont aussi inspiré, entre autres Ariane Mnouchkine, Omar Porras… Le jeune acteur porte en fait un demi-masque qui le vieillit de quarante ans (superbe réalisation de Gabriella Lopez): ce dont on ne s’aperçoit pas tout de suite. Hervé, sans doute pas très riche, vit seul, dans une maison de banlieue dont il a aménagé le garage en atelier pour y bricoler paisiblement:une grande armoire métallique soigneusement repeinte en bleu avec des étagères, un établi où il y a un marteau, quelques outils et des jouets comme de petits wagons en bois et objets accumulés là depuis longtemps. Juste à côté, un rayonnage avec des livres. Et deux tables au piètement en X, l’une où il y a son ordinateur et une lampe ancienne de bureau, et une autre avec encore des objets sans aucun usage précis mais à la valeur inestimable pour celui qui les possède…. « Entre la poubelle et l’éternité » disait Tadeuz Kantor: quarante ans après sa mort, il reste, fait rare, une source d’inspiration pour de nombreux jeunes créateurs comme Maëlle Puechoultres. L’univers qu’elle crée ici avec ces meubles et objets n’est pas loin du sien. En fond de scène, un grand écran.
Hervé répare jouets et autres objets mais consacre la majeure partie de son temps à collectionner des appeaux, notamment celui de la mésange charbonnière à cravate et calotte jaune et au plumage vert. Mais aussi à en montrer leur fabrication sur internet: » Pour cet appeau, je vais donc utiliser du buis, qui est un bois qui résonne bien, très léger. Là, pour la vidéo, je l’ai déjà façonné afin que ce soit plus rapide, mais je vous ferai une deuxième vidéo où je vous montre comment bien utiliser le tour. On peut aussi le tailler à la main d’ailleurs, puis poncer ensuite, mais ça, ça dépend des méthodes. » « L’appeau: entre l’humain et l’environnement » dit Maëlle Puechoultres.
Il a recueilli un oisillon et l’a mis dans un carton où il lui donne la becquée. C’est son seul compagnon: « Voilà, voilà, ah! bah! ça va mieux maintenant hein ? On est mieux ? On est bien. Oui. on est bien tous les deux. » Il appelle très souvent sa nièce Mathilde, une étudiante en bio-acoustique dont il est très proche. Pour parler, ou plutôt entendre sa voix. Véritable communication, ou illusion? « Ça va ma chérie et toi ?- Oui oui ça va écoute. Bon j’ai pas compris, c’est quoi cette histoire de fleurs ? Tu es encore allé au cimetière? – Non, je t’ai dit; j’y vais plus au cimetière. - Ben pourquoi tu veux des fleurs ? -Ben pour la Toussaint, je me suis dit quand même… -Ah oui… ben si tu veux… je veux dire moi j’ai pas besoin de ça… »
Hervé la voit assez souvent, enfin quand elle peut… Accro à You tube, il échange des messages avec des inconnus. Il tombe aussi sur un article d’Hubert Reeves, grand amoureux des oiseaux récemment décédé, puis sur une émission où en 2013, ce vulgarisateur présente un livre sur l’écologie…. Les réseaux sociaux et les sites n’ont plus de mystère pour Hervé et de multiples informations lui arrivent en flot continu. Il partage aussi ses enregistrements d’imitation d’oiseaux et est conscient des catastrophes écologiques qui se profilent à l’horizon comme la hausse du niveau de la mer, les forages désastreux pour les poissons, la disparition des oiseaux marins…
Mais n’est-il pas dupe que ses nombreux petits tours sur internet bouffent une énergie considérable? Il est aussi très attiré par les techniques de manipulation et les systèmes de surveillance et quand il découvre des articles parlant de la soi-disant élimination d’informateurs chez Total, il appelle Mathilde… très inquiète pour son oncle.
Les commentaires signés d’un pseudo fleurissent et nous les voyons s’afficher sur un grand écran fabriqué avec deux matières et rappelant celui des ordinateurs. Hervé semble isolé, las et paumé. Sa nièce le comprend de moins en moins et le mettra en garde. On voit se fissurer l’identité de cet homme plus tout jeune, à cause de cette addiction à l’écran de son ordinateur qui reste pourtant son seul moyen de communication avec un mobile pour appeler Mathilde ( Pauline Crépin)..
Tout son univers quotidien semble partir en quenouille, comme souvent dans le théâtre d’Eugène Ionesco et il se sent remis en cause, au plus intime de lui-même. Des cris d’oiseaux deviennent envahissants. Hervé arrache la webcam et l’écran devient bleu. Il enferme son ordinateur dans le placard mais des plumes en sortent. Les tables et le rayonnage se disloquent, les objets et les livres tombent partout et Hervé essaye de se protéger avec les plateaux des tables et sur l’écran, s’affiche un message menaçant: Erreur Système: veuillez patienter pendant que nous rétablissons la surveillance. Toute résistance serait préjudiciable. »
Obsédé par le monde qui l’entoure, il partira dans un délire verbal répétitif: « Moi j’ai jamais fait de mal à personne j’ai jamais rien pris à personne j’ai toujours écouté ce qu’on m’a dit dans les endroits où l’on regarde vers les choses plus hautes alors ces gens là qui me disent tout ça je les trouve injustes car elles ne me parlent jamais en face elles disent tout ça dans mon dos elles ne m’aiment pas en fait et si elles ne m’aiment pas c’est leur faute, et si c’est leur faute et que je peux être sûr que moi je n’ai rien fait de mal et qu’il y a d’autres gens dans le monde qui n’ont rien fait de mal et qui peuvent m’expliquer pourquoi je n’ai rien fait de mal et que ce sont eux qui sont en tort et si ce sont eux les autres qui sont en tort contre nous. « Un remarquable monologue… A la fin, Hervé est en proie à un encombrement général de son atelier: les piètements des plateaux se brisent brusquement, et tout se passe comme les objets devenaient autonomes : tout bascule et l’emprisonne.
Comme l’indique le titre-un peu mystérieux- de la pièce, les oiseaux seraient-ils faux? Le vrai et le pas vrai, le langage oral et écrit, le réel et l’artificiel, le réchauffement climatique à cause de la vie urbaine et la nature, les humains et les oiseaux, la solitude et les dizaines de millions de personnes en contact par internet mais invisibles… Des thèmes et des codes que Maëlle Puechoultres met en scène avec une grande efficacité, sans utiliser la vidéo de façon conventionnelle comme on le voit partout (grossissements, etc.). Ici, elle joue constamment sur un réel des plus ambigus. Hervé tape sur son clavier mais ce qui s’affiche est aussi les réponses qu’il obtient aussitôt… Mais quand il téléphone à sa nièce, une véritable actrice qu’on ne voit pas, lui répond. Cette voix qui pourrait être enregistrée, est bien là… D’où un certain vertige et le spectacle a fasciné les lycéens de Mantes-la-Jolie, ce soir de première.
Un peu lent à décoller, la réalisation est encore brut de décoffrage et il y a de petites erreurs de jeu mais quelle intelligence scénique! Et Maëlle Puechoultres a su s’entourer de toute une solide équipe: jeu (Clément Mariage), costumes et masque ( Gabriella Lopez) son (Isia Delemer), lumières et vidéo (Lucas Collet) scénographie (Ernest Welisch)… Ici, un plateau habituel avec des accessoires et un masque, ce qui est rare! Mais Maëlle Puechoultres sait aussi utiliser un langage contemporain, celui de l’informatique appliquée à un spectacle. Et elle maîtrise parfaitement l’espace et le temps théâtral, ce qui est aussi rare. Si vous le pouvez, allez voir ces Oiseaux sont faux (une heure). Le Collectif 12 a bien visé, en lui offrant une résidence pour cette création. Il faudra suivre de près cette très jeune autrice et metteuse en scène…
Philippe du Vignal
Spectacle créé les 14 et 15 novembre au Collectif 12, friche André Malraux, 174 boulevard du maréchal Juin, Mantes-la-Jolie (Yvelines). T. : 01 30 33 39 42.
Lilas en Scène, Centre d’échanges et de création des arts de la Scène, 23 bis rue Chassagnolle (Seine-Saint-Denis), les 6 et 7 décembre. T. : 01 43 63 41 61.