Les Oiseaux sont faux, par la compagnie Le Schmilblik mise en scène de Maëlle Puéchoultres

Les Oiseaux sont faux, par la compagnie Le Schmilblik mise en scène de Maëlle Puéchoultres

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Cette compagnie au fameux nom imaginé par Pierre Dac concernant un objet qui «ne sert absolument à rien et peut donc servir à tout car  rigoureusement intégral », est un collectif d’artistes.
Maëlle Puechoultres l’a rejoint, après des études théâtrales, une thèse sur le théâtre indien qu’elle va bientôt présenter, une formation au conservatoire de Versailles et un stage à la Manufacture de Lausanne…
Depuis 2021, elle travaille sur ce spectacle qui a pour thème les théories du complot et leur infiltration dans les consciences.

Hervé, un veuf d’une cinquantaine d’années, au curieux visage : nez pointu et yeux très en fente (ce lui donne un regard à la fois proche et lointain, comme ceux des acteurs masqués du théâtre balinais qui ont aussi inspiré, entre autres Ariane Mnouchkine, Omar Porras… Le jeune acteur  porte en fait un demi-masque qui le vieillit de quarante ans (superbe réalisation de Gabriella Lopez): ce dont on ne s’aperçoit pas tout de suite. Hervé, sans doute pas très riche, vit seul, dans une maison de banlieue dont il a aménagé le garage en atelier pour y bricoler paisiblement:une grande armoire métallique soigneusement repeinte en bleu avec des étagères, un établi où il y a un marteau, quelques outils et des jouets comme de petits wagons en bois et objets accumulés là depuis longtemps. Juste à côté, un rayonnage avec des livres. Et deux tables au piètement en X, l’une où il y a son ordinateur et une lampe ancienne de bureau, et une autre avec encore des objets sans aucun usage précis mais à la valeur inestimable pour celui qui les possède…. « Entre la poubelle et l’éternité  » disait Tadeuz Kantor: quarante ans après sa mort, il reste, fait rare, une source d’inspiration pour de nombreux jeunes créateurs comme  Maëlle Puechoultres. L’univers qu’elle crée ici avec ces meubles et objets n’est pas loin du sien. En fond de scène, un grand écran.
Hervé répare jouets et autres objets mais consacre la majeure partie de son temps à collectionner des appeaux, notamment celui de la mésange charbonnière à cravate et calotte jaune et au plumage vert. Mais aussi à en montrer leur fabrication sur internet:  »
Pour cet appeau, je vais donc utiliser du buis, qui est un bois qui résonne bien, très léger. Là, pour la vidéo, je l’ai déjà façonné afin que ce soit plus rapide, mais je vous ferai une deuxième vidéo où je vous montre comment bien utiliser le tour. On peut aussi le tailler à la main d’ailleurs, puis poncer ensuite, mais ça, ça dépend des méthodes. » « L’appeau: entre l’humain et l’environnement » dit Maëlle Puechoultres.

© Gabriella Lopez

© Gabriella Lopez

Il a recueilli un oisillon et l’a mis dans un carton où il lui donne la becquée. C’est son seul compagnon: « Voilà, voilà, ah! bah! ça va mieux maintenant hein ? On est mieux ? On est bien. Oui. on est bien tous les deux. » Il appelle très souvent sa nièce Mathilde,  une étudiante en bio-acoustique dont il est très proche. Pour parler, ou plutôt entendre sa voix. Véritable communication, ou illusion? « Ça va ma chérie et toi ?- Oui oui ça va écoute. Bon j’ai pas compris, c’est quoi cette histoire de fleurs ? Tu es encore allé au cimetière? – Non, je t’ai dit; j’y vais plus au cimetière. - Ben pourquoi tu veux des fleurs ? -Ben pour la Toussaint, je me suis dit quand même… -Ah oui… ben si tu veux… je veux dire moi j’ai pas besoin de ça… »

Hervé la voit assez souvent, enfin quand elle peut…  Accro à You tube, il échange des  messages avec des inconnus. Il tombe aussi sur un article d’Hubert Reeves, grand amoureux des oiseaux récemment décédé, puis sur une émission où en 2013, ce vulgarisateur présente un livre sur l’écologie…. Les réseaux sociaux et les sites n’ont plus de mystère pour Hervé et de multiples informations lui arrivent en flot continu.  Il partage aussi ses enregistrements d’imitation d’oiseaux et est conscient des catastrophes écologiques qui se profilent à l’horizon comme la hausse du niveau de la mer, les forages désastreux pour les poissons, la disparition des oiseaux marins…
Mais n’est-il pas dupe que ses nombreux petits tours sur  internet bouffent une énergie considérable? Il est aussi très attiré par les techniques de manipulation et les systèmes de surveillance et qu
and il découvre des articles parlant de la soi-disant élimination d’informateurs chez Total, il appelle Mathilde… très inquiète pour son oncle.

Les commentaires signés d’un pseudo fleurissent et nous les voyons s’afficher sur un grand écran fabriqué avec deux matières et rappelant celui des ordinateurs. Hervé semble isolé, las et paumé. Sa nièce le comprend de moins en moins et le mettra en garde. On voit se fissurer l’identité de cet homme plus tout jeune,  à cause de cette addiction à l’écran de son ordinateur qui reste pourtant son seul moyen de communication avec un mobile pour appeler Mathilde ( Pauline Crépin)..
Tout son univers quotidien semble partir en quenouille, comme souvent dans le théâtre d’Eugène Ionesco et i
l se sent remis en cause, au plus intime de lui-même. Des cris d’oiseaux deviennent envahissants. Hervé arrache la webcam et l’écran devient bleu. Il enferme son ordinateur dans le placard mais des plumes en sortent.  Les tables et le rayonnage se disloquent, les objets et les livres tombent partout et Hervé essaye de se protéger avec les plateaux des tables et sur l’écran, s’affiche un message menaçant: Erreur Système: veuillez patienter pendant que nous rétablissons  la surveillance. Toute résistance serait préjudiciable. »

Obsédé par le monde qui l’entoure, il partira dans un délire verbal répétitif:  « Moi j’ai jamais fait de mal à personne j’ai jamais rien pris à personne j’ai toujours écouté ce qu’on m’a dit dans les endroits où l’on regarde vers les choses plus hautes alors ces gens là qui me disent tout ça je les trouve injustes car elles ne me parlent jamais en face elles disent tout ça dans mon dos elles ne m’aiment pas en fait et si elles ne m’aiment pas c’est leur faute, et si c’est leur faute et que je peux être sûr que moi je n’ai rien fait de mal et qu’il y a d’autres gens dans le monde qui n’ont rien fait de mal et qui peuvent m’expliquer pourquoi je n’ai rien fait de mal et que ce sont eux qui sont en tort et si ce sont eux les autres qui sont en tort contre nous. « Un remarquable monologue… A la  fin, Hervé est en proie à un encombrement général de son atelier: les piètements des plateaux se brisent brusquement, et tout se passe comme les objets devenaient autonomes : tout bascule et l’emprisonne.

Comme l’indique le titre-un peu mystérieux- de la pièce, les oiseaux seraient-ils faux? Le vrai et le pas vrai, le langage oral et écrit, le réel et l’artificiel, le réchauffement climatique à cause de la vie urbaine et la nature, les humains et les oiseaux, la solitude et les dizaines de millions de personnes en contact par internet mais invisibles… Des thèmes et des codes que Maëlle Puechoultres met en scène avec  une grande efficacité, sans utiliser la vidéo de façon conventionnelle comme on le voit partout (grossissements, etc.). Ici, elle  joue constamment sur un réel des plus ambigus. Hervé tape sur son clavier mais ce qui s’affiche est aussi les réponses qu’il obtient aussitôt… Mais quand il téléphone à sa nièce, une véritable actrice qu’on ne voit pas, lui répond. Cette voix qui pourrait être enregistrée, est bien là…  D’où un certain vertige et le spectacle a fasciné les lycéens de Mantes-la-Jolie, ce soir de première.   

Un peu lent à décoller, la réalisation est encore  brut de décoffrage et il y a de petites erreurs de jeu mais quelle intelligence scénique! Et Maëlle Puechoultres a su s’entourer de toute une solide équipe: jeu (Clément Mariage), costumes et masque ( Gabriella Lopez) son (Isia Delemer), lumières et vidéo (Lucas Collet) scénographie (Ernest Welisch)…  Ici, un plateau habituel avec des accessoires et un masque, ce qui est rare! Mais Maëlle Puechoultres sait  aussi utiliser un langage contemporain, celui de l’informatique appliquée à un spectacle. Et elle maîtrise parfaitement l’espace et le temps théâtral, ce qui est aussi rare. Si vous le pouvez, allez voir ces Oiseaux sont faux (une heure). Le Collectif 12 a bien visé, en lui offrant une résidence pour cette création. Il faudra suivre de près cette très jeune autrice et metteuse en scène…

 Philippe du Vignal 

Spectacle créé les 14 et 15 novembre au Collectif 12, friche André Malraux, 174 boulevard du maréchal Juin, Mantes-la-Jolie (Yvelines). T. : 01 30 33 39 42. 

Lilas en Scène, Centre d’échanges et de création des arts de la Scène, 23 bis rue Chassagnolle (Seine-Saint-Denis), les 6 et 7 décembre. T. : 01 43 63 41 61.

 

 

 


Archive pour novembre, 2024

Ouasmok ? Texte et mise en scène de Sylvain Levey

Ouasmok ? texte et mise en scène de Sylvain Levey 
 
Ce premier texte, très souvent récompensé et adapté au théâtre, fut édité en 2004 dans la collection Jeunesse aux Editions théâtrales. Régulièrement monté, il n’a rien perdu de sa vivacité.  Cette fois, il a pris ses quartiers d’automne à la Scène Maria Casarès à Poitiers. Ouvert depuis un an, ce site patrimonial rénové-les anciennes écuries d’une caserne-propose tout au long de l’année: goûters, apéro-dîners et brunchs-spectacles. Le cadre, beau et chaleureux, invite à la découverte et au partage d’univers artistiques. Ouasmok ? évoque la jeunesse d’aujourd’hui et le rapport entre les garçons et les filles face au sentiment amoureux dans ses premiers émois, mais aussi leur quotidien complexe et agité dans ce passage tout proche, à l’âge adulte. Ce  moment et son paysage à la fois merveilleux et perturbé, a bien changé. De nouvelles questions interrogent ici ce lien. Léa serait la représentante d’un nouveau monde, et Pierre, le représentant de l’ancien qui essaye encore de se maintenir. 
 
© Joseph Banderet

© Joseph Banderet


Pour la première fois, Sylvain Levey s’empare de la mise en scène : «Pendant longtemps je m’en suis senti incapable. A bientôt cinquante ans, je me sens finalement prêt à assumer ce rôle.»
Pari réussi. Issus de la promotion 2020 de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg Théo Salemkour et Léa Sery sont formidables de vérité et de charme  dans ce spectacle ludique et d’une grande finesse. Rien ne manque, et pour l’ensemble du public, cet univers dramatique prend toute sa tension.

Les très jeunes ne saisissent sans doute pas toute la subtilité de la fiction mais sont fascinés par les éléments scéniques et la gestuelle des interprètes. Les jeunes, eux, se sentent concernés par la relation qui se crée et qu’ils ont peut-être déjà vécue. Et les adultes ont là, une vision originale qui en dit long et sans détour, sur l’amour, la séduction, la vie conjugale, le foyer, et autres thèmes parfois graves. La force théâtrale réside notamment dans la structure de la pièce et sa temporalité: ces amoureux vont vivre en une journée ce que les adultes traversent en plusieurs mois ou années : rencontre, mariage, enfants, divorce et même suicide. Tout un programme ! 

Leur histoire est évoquée en accéléré, à travers sept tableaux représentant ces séquences de la vie tous très inventifs, grâce aussi à une scénographie astucieuse et ludique: comme le clocher qui devient leur appartement, aménagé avec des objets du quotidien, ou d’autres plus surprenants. Au centre du plateau, un grand socle rectangulaire blanc devient un espace de jeu. Et selon les différents moments, viendront prendre place accessoires et mobiliers divers de temps à autre éclairés par un, deux ou trois lampadaires légers et graphiques. Les objets, hétéroclites et symboliques mais parfaitement choisis, la musique, et les éclairages donnent à ce spectacle, un souffle dramatique d’une grande subtilité.  
 
Nous suivons les étapes de l’existence autant imaginée que vécue par ce couple, Pierre, douze ans, et Léa, onze ans, en classe de cinquième. Leurs tempéraments opposés ne vont pas faciliter leur rencontre et la dure réalité prendra le dessus. Mais l’univers de la fiction, son écriture très rythmée d’une intense poésie et d’une résonance contemporaine, l’ingéniosité de la mise en scène réalisée avec peu de moyens, transfigurent la violence de la vie et ses déceptions. Ils offrent dans cette traversée sentimentale au quotidien de Pierre et Léa et de leurs utopies, une beauté, un entrain qui nous touche et nous interroge… Le public est fasciné! Rien d’enfantin dans cette évocation mais une perception délicate et lucide du monde actuel envahi par les nouvelles technologies  et où les parents, souvent absents, sont débordés.
Le spectacle est plein d’humour, romantisme et gravité aussi et Sylvain Levey pose un regard d’une forte sensibilité sur la jeunesse et le passage à l’âge adulte, son mal-être, ses découvertes et rêves, sa perception du monde. Un moment exquis de théâtre pour  toutes générations confondues, à ne pas manquer.

Elisabeth Naud 

Nos Matins intérieurs ,mise en scène de Nicolas Mathis,conception musicale deChristophe Collette

Nos Matins intérieurs ,mise en scène de Nicolas Mathis,conception musicale deChristophe Collette

Programmé à la Grande Halle de La Villette, en ouverture de Nuit du Cirque qu’organise Territoires de Cirque*, ce spectacle exceptionnel mêlant intimement jonglage et musique, prouve, une fois de plus, la grande richesse du cirque de création. Des cubes empilés, déplacés, éparpillés, disposés en labyrinthe, constituent le terrain de jeu du quatuor Debussy et des dix jongleurs du collectif Petit Travers. Les balles blanches fusent dans l’espace, en tout sens, à jets continus, rattrapées et relancées, ballet perpétuel, sur des airs d’Henry Purcell et Marc Mellits. Christophe Collette et Emmanuel Bernard (violons), Vincent Deprecq (alto) et Cédric Conchon, (violoncelle) jouent et se déplacent avec la même grâce que les circassiens.

©Blandine Soulage

©Blandine Soulage

Être ensemble, voilà ce qui importe quand on jongle au rythme des instruments : mouvement et musique en parfaite synchronie. De cette harmonie naissent d’étonnantes images. Eyal Bor, Julien Clément, Rémi Darbois, Amélie Degrande, Bastien Dugas, Alexander Koblikov, Taichi Kotsuji, Carla Kühne, Emmanuel Ritoux, Anna Suraniti se déploient vivace, lento, vivace…, en rangs serrés ou en farandole, tout en s’envoyant des volées de balles. On les retrouve là où on ne les attend pas, toujours sur le qui-vive, à guetter l’objet qui leur tombe du ciel. Quelques solos acrobatiques émaillent ces scènes de groupe. Quand, aux balles, succèdent des bâtons, les circassiens défient la gravité, les portant sur leur front, ou se les lançant au risque de les faire tomber. Ce qui n’arrive jamais.

© Blandine Soulage

© Blandine Soulage


Les lumièresd’Arno Veyrat font merveille sur ces belles compositions scéniques impulsées par la musique. Le Quatuor Debussy impose tempo, vitesse, durée des séquences : « la musique nous déplace, et fait chanter nos gestes », disent les acrobates qui prennent parfois le temps de l’écouter.
Les fantaisies baroques de Purcell engendrent des gestes déliés, sur une grande variété de tempos.
En contraste, les compositions de Marc Mellits, inspirées du rock ou de la musique répétitive actuelle, offrent un paysage sonore entre mélancolie et rudesse: le son voyage d’un instrument à l’autre, comme bâtons et balles entre les mains des jongleurs.

Il arrive aussi aux artistes de prendre la parole. Ces brefs instants où chacun se dévoile s’insèrent avec grâce dans l’économie générale de Nos matins intimes. Une belle traversée visuelle et musicale proposée par des artistes virtuoses. En vingt ans, Petit Travers, fondé par Julien Clément et Nicolas Mathis, a développé un répertoire de neuf pièces, jouées à travers le monde. Le collectif, installé en 2014 à Villeurbanne, a mis en place un espace de travail : l’Établi, salle de répétition, lieu de stockage et bureaux. En plus de Nos matins intérieurs, quatre pièces du répertoire sont en tournées (Pan- Pot ou modérément chantant, NUIT, Encore la vie et S’assurer de ses propres murmures et quatre courtes pièces: Formule, Ornements, Fragments et Dehors.

En trente ans, le Quatuor Debussy a joué aux quatre coins du monde. Il a obtenu la Victoire de la musique1996 et enregistré plus de trente disques (intégrale de Chostakovitch, musique française, américaine, jazz, musique actuelle, comptines…) Il est aussi un habitué des scènes de danse avec Maguy Marin, Anne Teresa De Keersmaeker, Wayne Mac Gregor, Mourad Merzouki…., de théâtre ou de musiques actuelles, tout en enseignant au Conservatoire de Lyon et animant des ateliers pédagogiques auprès de personnes âgées, enfants détenus, malades…. Il organise depuis 1999 une Académie d’été, dans le cadre de son festival Cordes en ballade en Ardèche.

 

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 1er décembre, La Villette, Espace Chapiteaux, Parc de la Villette ( cotée Porte de la Villette) Paris XlX e T. 01 40 03 75 75

 *Fondée en 2004 dans l’élan de l’Année des Arts du cirque, l’association Territoires de Cirque rassemble aujourd’hui soixante-deux structures – dont les quatorze Pôles Nationaux Cirque – engagées dans le soutien à l’émergence, la création et la diffusion du cirque.

 

Les Dernières Geishas, mise en scène et interprétation de Shingo Ôta et Kyoko Takenaka

Festival d’Automne à Paris

 Les Dernières Geishas, mise en scène et interprétation de Shingo Ôta et Kyoko Takenaka

Le mot japonais geisha signifie : «personne pratiquant l’art» et dépositaire de la tradition. Danse, musique (tambour et instruments à cordes), chant, poésie, calligraphie, maniement de l’éventail… une geisha doit avoir toutes ces compétences. Contre rémunération, elle tient souvent compagnie et distrait les riches hommes daffaires, à l’occasion de banquets, cérémonies du thé ou événements prestigieux.

Les premières ont été des hommes mais, au XIX ème siècle, cette profession devient exclusivement féminine. Jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, elles étaient très nombreuses, notamment à Kyoto. Puis, leur nombre a diminué et il en reste environ cinq cents. Leur formation commence à l’adolescence et dure cinq ans. Aspect physique codifié: visage maquillé en blanc, lèvres en rouge vif, cils et sourcils en noir, chignon traditionnel sophistiqué, semelles compensées de bois, kimono en soie aux caractéristiques variant selon l’âge. L’amalgame entre geisha et prostituée traîne à tort dans l’imaginaire des Occidentaux….
Le cinéaste et comédien Shingo Ôta, et l’actrice Kyoko Takenaka ont rencontré ces femmes qui continuent de faire vivre cette culture. Ils ont suivi leurs cours et répété leurs danses, et ont joué dans les banquets traditionnels. Nous les retrouvons sur scène en kimonos appartenant à Hidemi, la dernière geisha de la station thermale de Kinosaki. La pièce a été jouée sous une forme plus courte, au Japon, dans les villes où il y a encore des geishas, comme Kyoto et Kanasawa.

© Pierre Grosbois

© Pierre Grosbois

Pour ces représentations, les artistes ont ajouté des extraits des vidéos réalisées quand ils sont allés dans les écoles de geishas. Ils montrent en particulier, leurs répétitions avec Hidemi, qui est venue les rejoindre aux saluts. Après une partie proche d’un théâtre documentaire, Kyoko Takenaka interprète une danse gracieuse, Itako dejima, puis Shingo Ôta, joue une performance plus virile, Yakko-san, un moment bouleversant les codes traditionnels et qui fait basculer le spectacle vers une représentation plus iconoclaste.

La comédienne veut édicter de nouvelles règles pour la geisha: entre autres, s’assoir un peu durant la cérémonie et manger les restes du banquet pour éviter le gaspillage alimentaire. Ces artistes se lancent aussi dans une danse illustrant deux moments emblématiques de la victoire japonaise aux Jeux Olympiques de Tokyo ! La musique du guitariste Kazuhisa Uschihashi qui les accompagne, s’inspire de l’ambiance sonore des banquets traditionnels.

On retient de cette pièce, un touchant travail de mémoire sur le monde perdu de l’ancien Japon. Comme le dit justement Shingo Ôta, dans un beau monologue: « On dit que nous mourons deux fois. La première, quand notre corps s’éteint. La seconde, quand notre existence disparaît de la mémoire de celles et ceux qui sont restés. » ( …) «Grâce au travail de transmission de mes prédécesseurs, les codes de la danse traditionnelle sont parvenus jusqu’à nous. Je les remercie de nous faire revivre, par leur savoir, les paysages et les coutumes des anciens. »

 Jean Couturier

 Spectacle joué du 15 au 19 novembre, Maison de la Culture du Japon, 101 bis quai Jacques Chirac, Paris (XV ème). T: 01 44 37 95 95.

 

 

 

Requiem pour les vivants, texte et mise en scène de Delphine Hecquet


Requiem pour les vivants, texte et mise en scène de Delphine Hecquet

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Ainsi est faite la vie théâtrale en cette fin d’année, ce spectacle créé à Bayonne est le second des cinq derniers que nous avons vus en une semaine. Après celui de Maëlle Puelchoutres à Mantes-la-Jolie, puis de Cécile Feuillet à Paris, avant ceux de Marion Pélissier à Marseille et d’Aurélie Namur à Montpellier dont nous vous parlerons très vite. Point commun : ces pièces ont toutes été écrites et mis en scène par des autrices, et c’est tant mieux. Malgré les rigueurs budgétaires actuelles, quelque chose  bouge enfin dans le théâtre contemporain…

Corniche Kennedy à Marseille, l’été: des jeunes filles et garçons gens vont se baigner et plonger dans la mer du haut des rochers. La grande excitation: disparaître pour mieux revenir quelques secondes après à la surface et se sentir encore plus fort, plus vivant. Le plaisir aussi de vivre collectivement une expérience dangereuse, en oubliant les règles émises par les autorités et parents.« Moi j’ai besoin de ça, dit Marthe, j’ai besoin d’avoir des points de côté. Quelque chose qui me rappelle que je suis fragile. Si tu restes là, au bord, t’auras jamais de point de côté, alors peut- être que ça te rassure, mais moi c’est tout le contraire. J’ai compris ça très tôt, qu’il fallait que je me souvienne que je suis fragile et que quelque chose d’extérieur me le rappelle. »

Mais Jonas qui avait mal anticipé son plongeon, se tuera sur un roc. Fin de la récré… Fin de l’adolescence? Choc, puis sentiment de colère devant qui est vu comme une injustice,  perte irréparable, longue tristesse absolue, puis acceptation de cette mort accidentelle avec, toujours devant soi malgré les années qui passent, l’ombre de ce jeune disparu. Cela nous a fait penser à une tragédie des années cinquante:  au fronton de Guéthary, un village proche de Bayonne, un adolescent avait été foudroyé par une pelote basque qu’il avait reçue sur la nuque. Envoyée par la chistéra de son meilleur ami avec lequel il jouait paisiblement, un soir de printemps…
Là aussi, intense douleur de leur bande: la mort brutale d’un jeune est toujours considérée comme profondément injuste. Ici, les amis de Jonas vont devoir aller l’annoncer  à Hélène, sa mère… vite désemparée et en pleurs. Une scène de toute beauté malgré ces effroyables circonstances.  Delphine Hecquet a pris soin de ne pas tomber dans le pathos et fait habilement répéter plusieurs phrases en boucle, comme pour mieux exorciser verbalement  les choses

 

 Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Sur le grand plateau au sol noir, l’appartement de cette famille, avec au-dessus, un plateau de jeu sans garde-fou mais très bien conçu par Matthieu Sampeur et où les acteurs joueront aussi et sauteront derrière dans le vide. Une belle évocation du danger… On tremble pour les acteurs! Côté cour, un gros rocher. Et en fond de scène, un grand écran où se succèderont les titres des épisodes, jusqu’au Requiem final et surtout les  images de baignades en groupe de ces jeunes et un corps flottant les bras étendus sur l’eau bleu émeraude comme si le nageur faisait la planche.Magnifique symbole du thème du spectacle: un aller et retour permanent entre la vie et la mort…

Au début, peu de paroles mais surtout des danses impeccablement chorégraphiées par Angel Martinez Hernandez et Vito Giotta, de la compagnie La Horde. Ces jeunes gens, comme hélas souvent! après un accident de la route d’un copain voire de plusieurs, sont accablés mais devront apprendre à faire leur deuil et essayeront de survivre en s’entraidant : pas d’autre choix. Pour eux, est brutalement arrivée l’obligation de voir la vie autrement qu’elle n’était jusque là… Et cela, l’autrice le dit très bien. La mère elle-même, montera là-haut avec eux pour vaincre ses peurs. Ils bâtissent alors ensemble une façon de transformer cette absence en présence.

Corniche Kennedy, un  roman de Maylis de Kerangal, a aussi ce même point de départ mais ici, pas d’histoire de drogue, simplement un plongeon mal anticipé et c’est la tragédie… Cet apprentissage de la mort arrive à un moment de la vie où on s’allonge sur les plages ensoleillées et où on plonge dans la mer. La mort obsède Delphine Hecquet: « Je ne suis ni croyante, ni une scientifique confrontée en tant que médecin. J’éprouve beaucoup d’absurdité et de violence dans le fait que nous construisions toute notre vie des choses, et que la mort y mette un point final. L’écriture est une manière d’y répondre, puisqu’on laisse des traces. (…) Nous essayons de montrer comment les vivants se débrouillent-pas si mal que ça finalement ! J’aimerais être croyante pour obtenir des réponses d’un dieu mais j’en trouve beaucoup par l’écriture et la recherche avec les interprètes. D’où l’importance du corps dans ce spectacle. »

Et en effet, ici la gestuelle des personnages, seuls ou en groupe, est primordiale. Et il y a  un engagement physique permanent avec ces sauts dans le vide, un leitmotiv rappelant celui, mortel de Jonas dans la Méditerranée. Comme l’avaient fait Hervée de Lafond et Jacques Livchine pour la fin de Noces et Banquet à Blaye (Gironde) : les jeunes acteurs issus de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot sautaient depuis le haut de la forteresse de Vauban. Le public savait bien qu’il y avait un trucage mais.. comment ne pas être impressionné! Comme ici….

Delphine Hecquet a écrit et mis en scène Les Évaporés (voir Le Théâtre du Blog) et Nos solitudes. Elle crée Parloir il y a deux ans à la Scène nationale du Sud-Aquitain dont elle est cette saison artiste-compagnonne. Cette mise en scène est, comme toujours chez elle, d’une grande rigueur: danses et dialogues s’enchaînent sans à-coup et cette sorte de poème à la fois oral et très physique est remarquablement mis en scène et chorégraphié et elle dirige très bien Damoh Ikheteah, Claire Lamothe, Léo-Antonin Lutinier, Angel Martinez Hernandez, Julien Ramade, Hugo Thabaret, Mathilde Viseux. Ils montent du sol avec facilité déconcertante à l’espace au-dessus-deux mondes «celui des vivants, et celui des morts» dit-elle… Marie Bunel, actrice expérimentée,  qu’on a souvent vue au cinéma mais aussi au théâtre, entre autres dans Rêve d’Automne, une pièce de Jon Fosse mise en scène par Patrice Chéreau joue la Mère. discrète mais émouvante, avec une belle présence. Et le chant collectif final est de toute beauté.
Il y a parfois quelques trous d’air dans le texte issu d’une écriture de plateau, c’est à dire d’improvisations, et on n’entend pas toujours très bien les acteurs malgré les micros H.F quand il sont au fond de ce -trop- grand plateau nu. A ces quelques réserves près, le spectacle, encore un peu brut de décoffrage, va se solidifier très vite et mérite vraiment d’être vu.

 Philippe du Vignal

Le spectacle a été créé les 20 et 21 novembre à la Scène Nationale du Sud-Aquitain, Théâtre Quintaou, 1 allée de Quintaou, Anglet (Pyrénées-Atlantiques).

Le 25 novembre, Le Parvis-Scène nationale de Tarbes (Hautes-Pyrénées). Le 27 novembre, Théâtre de Gascogne, Mont-de-Marsan (Landes).

Les 3 et 4 décembre,  L’Empreinte, Scène nationale de  Brive-Tulle (Corrèze). Le 10 décembre, Odyssées, Périgueux (Dordogne) Les 12 et 13 décembre, Théâtre d’Angoulême (Charente). Le 17 décembre, Gallia-Théâtre, Saintes (Charente-Maritime)

Le 28 janvier, Salins-Scène nationale de Martigues ( Bouches-du-Rhône).

Les 20 et 21 mars, Théâtre Liberté, Toulon (Var). Les 31 mars et le 1er avril, Le Méta-Centre Dramatique National de Poitiers  (Vienne).

Le 8 avril,  Scène nationale d’Albi (Tarn).

 

Le Banquet des merveilles chorégraphie et scénographie de Sylvain Groud

Le Banquet des merveilles, chorégraphie et scénographie de Sylvain Groud

Sylvain Groud, directeur du Ballet du Nord, Centre chorégraphique national souhaite, par ces temps ténébreux, « réenchanter » le public. Il imagine une pièce contrastée, où se disputent l’ombre et la lumière, afin de « provoquer le beau à l’endroit du pire, transposer poétiquement le chaos ». Le banquet des merveilles n’est pas un repas, mais une manière de partager la danse avec les spectateurs. La soirée se déroule en trois temps : un ballet réunit sur le plateau danseurs et musiciens, pour la traversée mouvementée de zones de turbulence, puis, franchissant le quatrième mur, les interprètes prennent la parole et se joignent au public. Enfin, la troupe entraîne les spectateurs dans le hall du théâtre pour un grand bal, où ils se mêlent allègrement aux danseurs.

© Frédéric  Iovino

© Frédéric Iovino

Le rideau de scène s’ouvre lentement sur des corps recroquevillés, tels des naufragés, sous un grand drap, occupant tout le plateau. Dans la pénombre, tirés de ce no man’s land par l’arrivée d’une fanfare, les danseurs se rassemblent et rejoignent les musiciens, formant avec eux une procession. Les tableaux s’enchaînent et, puisant dans un tas de hardes amoncelées sur le plateau, les interprètes se mettent en tenues de fête pour une séquence en discothèque, en habits noirs pour une cérémonie funèbre, etc.Un dialogue constant s’établit entre les danseurs et les musiciens de la compagnie lilloise Tire-Laine, comme ce duo où une danseuse s’enfuit en trébuchant, poursuivie par les variations menaçantes d’un saxophone. Cet ensemble, dirigé par Yann Deneque, se fond dans la chorégraphie, jouant du jazz à l’électro en passant par des rythmes africains ou sud-américains.

Sylvain Groud crée des images saisissantes et, sous les lumières de Michaël Dez, il fait alterner des scènes de liesse et des tableaux plus noirs, rappelant la misère et les conflits du monde. Sa scénographie utilise le grand drap déployé sur le plateau : levé ou rabattu, il devient, selon les éclairages, dais d’une boite de nuit, mer houleuse, suaire avalant les corps.Alors que nous sommes happés par cette belle chorégraphie, la prise de parole soudaine des artistes a de quoi nous surprendre. Ils racontent quelques anecdotes émouvantes, objets d’émerveillement. En changeant de registre, le chorégraphe entend faire tomber les masques du théâtre et mettre en évidence le décalage entre l’univers de la scène et « les préoccupations qui traversent le monde contemporain : mouvements de populations liées à des persécutions ou à la précarité, réchauffement climatique, catastrophes écologiques… ».

Cette pièce est l’aboutissement d’un travail de longue haleine avec les cinq danseurs et cinq musiciens, et s’inscrit dans le projet CCN & Vous, que Sylvain Groud a mis en place dès son arrivée au Ballet du Nord, en 2018. En lien avec le tissu associatif roubaisien, il a mené, avec les interprètes, des ateliers dans les hôpitaux, en prison, dans les centres de premiers secours, auprès de populations âgées, isolées, exilées, déclassées…Le Banquet des merveilles a été nourri de ces rencontres et de danses venues d’Afrique, du Maroc ou transmis par des réfugiés afghans, érythréens, iraniens, côtoyés dans des squats : le coupé-décalé, l’ahwach, le dabke.

« J’ai constaté, dit Sylvain Groud, qu’il y a en tout être une extraordinaire capacité de recréer de l’harmonie en réaction à l’injustice, à la souffrance et à la peur. Cette résilience des vulnérables et des victimes du rejet, je voudrais, à travers cette pièce, la faire éprouver aux spectateurs. »Au-delà de l’artistique, le chorégraphe entend poser un geste politique fort. Il estime que, en tant que service public, le théâtre doit être à l’écoute des gens et, en ce qui le concerne, inventer d’autres modèles pour les familiariser avec la danse contemporaine, souvent considérée comme hors de portée.
Le banquet, ce fut aussi, pendant le bal populaire qui clôturait la soirée, une distribution de thé à la menthe et de soupe de légumes, préparés par une association, partie prenante du projet. Là où se jouera le Banquet des merveilles, il y aura, en amont, comme à Roubaix, des rencontres entre les artistes et des associations locales.

 Mireille Davidovici

Spectacle créé le 14 novembre, au Colisée, 33 Rue de l’Epeule, Roubaix (Nord) T: .03 20 24 66 66

5 avril, Le Beffroi, Montrouge (Hauts-de-Seine) ; 6 mai, La Filature Scène nationale de Mulhouse (Haut-Rhin) ; 17 mai, Théâtre Le Forum, Fréjus (Var) ; 24 mai,Théâtre des Salins, Scène nationale de Martigues (Bouches-du-Rhône)

 Le 3 décembre, à l’occasion des quarante ans des Centres chorégraphiques nationaux, Sylvain Groud organise un Bal chorégraphique à Chaillot, Paris XVIe

 

Le Dîner,d’après le roman d’Herman Koch, traduction d’Isabelle Rosselin, adaptation de Jean-Benoît Patricot

Le Dîner, d’après Herman Koch, traduction d’Isabelle Rosselin, adaptation de Jean-Benoît Patricot, mise en scène de Catherine Schaub

Le roman de cet écrivain et acteur néerlandais a été un succès fulgurant et a été adapté au cinéma. Ont rendez-vous dans un restaurant luxueux à Amsterdam, Paul, sa femme Claire,  et Serge, le frère de Paul et son épouse. Admiré et populaire, il pourrait être nommé assez rapidement Premier ministre des Pays-Bas. C’est lui qui a choisi le jour, l’heure et le restaurant.

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Motif de ce dîner entre parents ? On ne le sait pas encore mais il y aura, sinon des règlements de compte et, au moins, des explications en famille. Serge dit tout de suite qu’ils vont parler tous les quatre de leurs enfants. Une vidéo très compromettante passe en boucle sur les réseaux sociaux. Les parents peuvent sans erreur, y reconnaître leurs fils commettre en bande organisée plusieurs actes très graves : bastonnade d’un SDF, mise à feu avec du gaz-oil du couchage où dormait une femme dans l’espace- tirette d’une banque.

Bruno Solo, acteur de cinéma bien connu, est aux manettes de cette lecture-spectacle. Il a la brochure en mains et sur un pupitre, mais la regarde très peu. Du vrai travail de pro. Au milieu de la scène, une table trapézoïdale sans nappe (curieux pour un restaurant aussi chic?) avec quatre assiettes et grands verres à pied. Côté jardin, Laurent Guillet, entre deux airs de guitare, annonce les plats sophistiqués et très coûteux qui vont être servis. L’acteur avec le solide métier qu’on lui connait mais avec un micro H.F. (indispensable dans ce petit théâtre?) va nous raconter cette histoire sordide et jouer aussi Paul, le père de qu’il faut bien appeler un criminel qui fera tout, pour que son fils et son cousin ne soient pas mis en cause. Bref, un personnage pas très recommandable.
Mais en arrière-plan, la question qui taraude les spectateurs:  s
i vos enfants avaient commis de tels actes, que feriez-vous ? Les protéger à tout prix mais cela suppose des compromissions! Ou les mettre en face de leurs responsabilités et leur dire d’aller tout avouer à la police, avec les conséquences sociales et familiales  envisageables? Ne répondez pas tous à la fois ! De toute façon, nous sentons vite que pères et mères ne sortiront pas indemnes de ce dilemme. Paul est de plus en plus accablé et Serge refusera le poste si convoité de Premier Ministre, vu le très probable scandale que cette affaire soulèverait.

Bruno Solo en un peu plus d’une heure, bien dirigé par Catherine Schaub, réussit un pari difficile et on ne s’ennuie pas une second. Mais cette histoire aurait eu plus de force, si elle avait été réellement jouée par quatre interprètes. Les spectateurs assez âgés, comme d’hab, sans aucun doute venus pour Bruno Solo l’ont longuement applaudi. Mais ce Dîner ne passionnerait guère les jeunes gens qui, de toute façon, vu le prix des places, n’iront sûrement pas le voir… Charles Dullin, dont le portrait est accroché au dessus du contrôle, nous a salué une fois de plus, avec un beau sourire. Nous avons aussi pensé à Martin Lartigue, le p’tit Gibus, acteur dans le film La Guerre des Boutons  et que nous avons connu à cette époque et qui  habitait au fond de l’impasse sur le côté du théâtre.

Philippe du Vignal

Jusqu’au décembre, Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, Paris (XVIII ème). T. : 01 46 06 49 24.

Het Diner est publié aux éditions Ambo Anthos Uitgever.

Le Beau Temps ou Chroniques ostréicoles, texte et mise en scène de Cécile Feuillet


Le Beau Temps ou  Chroniques ostréicoles, conception et mise en scène de Cécile Feuillet

Cette comédienne et metteuse en scène a participé au Théâtre Olympia, Centre Dramatique National de Tours, à la création de Grammaire des mammifères de William Pellier, mise en scène de Jacques Vincey et, il y a deux ans, elle réalise son premier spectacle Et puisque départir nous fault, (voir Le Théâtre du Blog) pour ces deux  pièces.
Celle-ci, sur une thématique ostréicole a été créée au Théâtre Romain Rolland-Scène Conventionnée de Villejuif et réunit Logann Antuofermo, Émilie Baba, Jade Labeste, Charlie Nelson (en père âgé très étonnant), Alice Rahimi et Mathilde Weil. Cela se passe au bord de la mer. Les ostréiculteurs y font un travail dur, usant, en répétant les mêmes gestes: il faut quatre ans pour faire grossir ce délice.
Les naissains placés dans des poches de grillage sur des cadres sont élevés dans des parcs. Un monde ici évoqué par une grande bâche inondée (remarquable scénographie non illustrative mais suffisamment évocatrice de Diane Mottis et Julien Puginier où il y a des kgs d’huîtres (enfin de coquilles…) et dans l’eau, marchent en bottes ces femmes et ces hommes en ciré jaune et bonnet qui travaillent lentement dans la pénombre et la brume. Peu de paroles, juste ce qu’il faut pour se comprendre. Il y a une femme qu’on nomme La Sourdine qui, elle, parle beaucoup plus que les autres.

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Cécile Feuillet sait diriger ses acteurs et sans doute  inspirée par tout un théâtre surtout visuel entre autres par celui de l’immense Polonais Tadeusz Kantor (1915-1990) et par Bob Wilson, fabrique des scènes d’une impressionnante beauté avec la complicité de Claire Eloy, sa créatrice lumière et de Marion Cros, sa créatrice-son. Comme ces quatre personnages au visage très curieux nez, assis sur un banc et qui regardent en silence le public. Une image assez étonnante….

La mise en scène, très picturale (inspirée d’artistes comme entre autres, James Ensor, Vincent Van Gogh) est d’une extrême précision. Il y a parfois des visages reproduits sur un écran rond placé en hauteur, (comme les fameux tondos de la Renaissance italienne)  et une formidable petite scène surréaliste où trois huîtres dialoguent sur une planche en ouvrant leur coquille comme une bouche humaine.

Mais l’ensemble peine à convaincre: texte manquant d’unité et allant un peu dans tous les sens, rythme trop lent, longueurs, abus de la pénombre… Et la metteuse en scène a du mal à boucler ce spectacle qui se termine… sans vraiment finir. Cela fait quand même beaucoup trop d’erreurs. Et on s’ennuie un peu.

Créé sur une plus petite scène, il va ici sans doute se bonifier et monter en puissance quand les acteurs auront mieux pris leurs marques mais ce Beau Temps ou  Chroniques ostréicoles, malgré de réelles qualités, est décevant. Cela dit, Cécile Feuillet a toutes les capacités pour créer un autre opus. Donc à suivre…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 28 novembre, Théâtre de la Cité internationale, 17  boulevard Jourdan, Paris (XIV ème). T. : 01 85 53 53 85.

 

Ballet de Lorraine-C.C.N. Saison 2024-25 : programme 2

 Ballet de Lorraine-C.C.N. Saison 2024-25 : programme 2

 

© Mireille Davidovici

© Mireille Davidovici

Avant de confier les rênes du Centre chorégraphique national de Lorraine à Maud Le Pladec, Petter Jacobsson et Thomas Caley présentent, en ce début de saison, leurs deux derniers programmes. En 2011, ce tandem de chorégraphes prenait la suite de Didier Deschamps, aujourd’hui directeur artistique du Festival de Danse de Cannes. Pendant leur mandat, ils ont créé ensemble Untitled Partner #3, Performing Performing, Relâche, Armide, Discofoot, L’Envers, Record of ancient Things, Happening Birthday, For four Walls, Air-Condition, Mesdames & Messieurs et, dernièrement, Instantly forever (Voir Le Théâtre du blog).

En invitant des artistes de tous horizons, ils ont parié sur une programmation diversifiée et résolument contemporaine. « Ils nous ont appris à apprécier la danse contemporaine sans nous ennuyer. Ils nous ont ouvert les yeux sur des formes nouvelles», confie l’une des fidèles spectatrices venue leur faire ses adieux.

Au menu, trois courtes pièces, dont une recréation d’un ballet de Merce Cunningham dans lequel Thomas Caley avait dansé, et la reprise de deux titres du programme Pas assez suédois (2022) un hommage au Ballet Suédois de Rolf de Maré et Jean Börlin, qui de 1920 à 1925 défraya la chronique parisienne au Théâtre des Champs Elysée (Voir Le Théâtre du blog).

CRWDSPCR Chorégraphie de Merce Cunnigham, remontée par Thomas Caley et Jeannie Steele

Treize artistes sont en piste pour vingt-sept minutes et dansent sans discontinuer sur une musique composée par John King : Blues ’99. Une suite de sons électroniques joués glissando sur une guitare. Électrons libres évoluant dans des mouvements d’ensemble géométriques, ils se distinguent les uns des autres, par les couleurs des carreaux de leurs combinaisons académiques, divisant leurs corps en quatorze sections (création de Mark Lancaster).

© Ronan Muller

© Ronan Muller


CRWDSPCR,
condensé de Crowdspacer, est, en1993, la première pièce de Merce Cunningham conçue à l’aide du logiciel LifeForms, qui produit des mouvements aléatoires, transposés ensuite au plateau.
D’où le titre, signifiant que «la technologie informatique change notre langage, en condensant les mots».
Cette œuvre étrange marque un tournant dans l’œuvre de Merce Cunningham (1919 -2009), auteur de plus de cent cinquante chorégraphies.


L’esprit glisse sur ces corps disparates, passant sporadiquement de mouvements de groupe à des duos, trios, quintettes, se croisant, s’effleurant à peine, à l’exception de quelques rares portés. « Tout ce qui est vu trouve sa signification à l’instant même. Le sujet de la danse, c’est la danse elle-même. », disait le maître américain, précurseur dans l’utilisation des nouvelles technologies dans l’art. Par ses agencements mathématiques qui effacent toute narration ou affect en laissant le mouvement parler de lui-même, cette pièce brillamment prise en charge par le Ballet nous ramène aux origines de la danse dite « contemporaine ».

Fugitives Archives, chorégraphie de Latifa Laâbissi

Huit danseuses et danseurs, en costume à damiers, jouent avec leurs ombres et les réminiscences du Marchand d’oiseau, chorégraphié en 1923 par Jean Börlin sur un livret d’Hélène Perdriat et une musique de Germaine Tailleferre. En plongeant dans les archives, Latifa Laâbissi et sa scénographe et costumière Nadia Lauro ont été séduites par les ombres étranges découpées sur le décor et les petits personnages à la périphérie de l’argument du ballet : des écolières turbulentes en costume à carreaux. «C’est une rencontre entre une image d’archives et mon inconscient, dit la chorégraphe, l’idée est de se plonger dans ces années vingt: leur liberté, nous ont autorisées cette impertinence.»

© Laurent Philippe

© Laurent Philippe

En arrière-plan, un rideau de papier blanc plissé sur lequel se découpent la silhouette noire d’une sorcière griffue et des branches dénudées. Les interprètes, masques blancs et robes déployées en larges corolles, évoluent dans des postures incongrues, courbées ou tordues. Tels des insectes, ils s’éloignent en petits piétinements sonores, reviennent au pas de l’oie ou s’installent dans des positions indécentes, avec force grimaces. La construction aléatoire de Fugitives Archives où dominent le noir et blanc et quelques carrés rouges, est ponctuée par des bribes musicales élaborées par Manuel Coursin.
Une pièce-mémoire de vingt-cinq minutes d’une beauté formelle dans la lignée de Pourvu qu’on ait l’ivresse (2016) la dernière création de Latifa Laâbissi, avec des paysages imaginaires où se côtoient le beau et le grotesque. On retrouve aussi le dépouillement du butô japonais avec des mouvements de mains et bras d’une extrême précision. Une performance des interprètes…

 Mesdames et Messieurs, chorégraphie de Petter Jacobsson et Thomas Caley

 En vingt minutes, treize interprètes se lancent en groupes ou en solos dans une série de numéros clownesques, inspirés de l’univers du cinéma muet de Charlie Chaplin, Buster Keaton. La joyeuse bande émerge d’un amas de plaques en plexiglass, rappelant les pellicules d’antan. Les chorégraphes convoquent des personnages d’époque en costumes hétéroclites, comme sortis des malles de cabarets ou cafés-concerts, pour un grand carnaval grotesque multicolore dans l’esprit du  Cinésketch de Francis Picabia (1924).

© Laurent Philippe

© Laurent Philippe

Il y a le comique troupier, le travelo, la danseuse à frou-frou et d’autres figures fantasques dansant sur des chansons en vogue. «Le shimmy, je veux danser le shimmy », clame Mistinguett, au son aigrelet d’un phonographe hors-d’âge. « Nous avons travaillé sur une “ playlist “ d’airs populaires de l’époque », dit Petter Jacobsson.  Et cette revue festive se construit sur ces morceaux ressurgis du passé. Sur un rythme accéléré rappelant les vingt-quatre images par seconde des films muets, les danseurs, pour la plupart masculins, transcendent les genres, dans les costumes extravagants de Birgit Neppl et sur un fond vert pour incrustations d’un studio de cinéma ou télévision. Un clin d’oeil à notre modernité…

 Mireille Davidovici

 Vu le 10 novembre à l’Opéra de Nancy CCN – Ballet de Lorraine, 3 rue Henri Bazin Nancy (Meurte-et-Moselle). T. 03 83 85 69 08

Existences de Léo Brière, Maxime Schucht et Sylvain Vip,mise en scène de Kevin Muller

 Existences de Léo Brière, Maxime Schucht et Sylvain Vip, mise en scène de Kevin Muller

Mentalisme: Jean-Eugène Robert-Houdin (1805-1871), père de la prestidigitation, a inventé de nombreux tours fondés sur la force mentale ou du moins son apparence, avec souvent une aptitude exceptionnelle à deviner les choses les plus intimes des spectateurs. Et quand nous étions enfants, Myr et Myroska, vedettes internationales du music-hall, nous fascinaient. Lui écrivait âge, prénom, numéro de carte d’identité d’un spectateur. Elle, les yeux bandés, les disait avec exactitude par une soi-disant transmission de pensée. Sans doute, un système de code ultra-sophistiqué.
Léo Brière, trente ans, a été, lui, champion de France de magie en 2019, puis a reçu le Mandrake d’or en 2021. Il fut d’abord à dix-neuf ans le plus jeune Monsieur Loyal, notamment chez Pinder. En 2014, il fonde son cirque où il se produit avec ses grandes illusions. Et il y a quatre ans, il crée L’Expérience interdite : il arrivait à deviner le prénom ou le métier d’un inconnu, ou  le contenu du portefeuille d’un spectateur…

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En 2023, il monte Existences avec des tours impressionnants: il va dire un nom de vedette choisi par une spectatrice- ce soir-là, Michael Jackson dont le nom se trouve (miraculeusement!) dans une grande enveloppe suspendue-donc sans aucun moyen d’y accéder- un numéro classique fondé sur une excellent trucage… Il fait aussi raconter un événement marquant par une femme et un homme invité à monter sur scène qui lui raconte, comment gamin, il est arrivé à rouler en vélo pour la première fois. Et ce micro-événement est évoqué ( du moins le mot vélo) dans la page choisie d’un livre aussi choisi dans la bibliothèque. Là aussi classique, mais brillant… Il y a aussi des spectateurs qu’il appelle, après avoir juste cité leur prénom. Truqué là aussi et gros comme une maison mais cela fonctionne. Puis Léo Brière demande à une spectatrice de lui prêter un billet de dix euros Et il donne de grandes cartes numérotées à deux chiffres à cinq spectateurs qui seront invités à venir sur scène. Puis il donne quelques indications et demande de trouver ce numéro avec la calculette sur les smartphones.

Le numéro du billet s’affiche alors sur scène et sur les smartphones! Sans doute là aussi un excellent numéro qui clôt cette représentation, grâce à une imparable formule mathématique. Auparavant, il a fait vérifier qu’il n’a pas d’oreillette et précise que le mentalisme est surtout fondé sur la suggestion, la psychologie avec une grande attention au ton, et au langage corporel, la programmation linguistique, les maths, une peu d’hypnose mais aussi sur une mémoire très exercée. Mais, à aucun moment, il ne parle jamais de trucs ni de ses indispensables assistants… Ni tout aussi indispensables, des fumigènes à gogo.
La mise en scène-souvent assez bling-bling-rappelle celle des grands spectacles à l’américaine: fumigènes à gogo, lumières tournantes sur le plateau, et éblouissantes sur le public, gros plans en vidéo de l’artiste et du public, nombreux appels à des spectateurs à venir le rejoindre sur scène avec, à chaque fois: » on l’applaudit bien fort », décors vidéo souvent très réussis comme ces rayonnages de livres  aussi «vrais», que le seul, bien réel. Il enveloppe habilement le tout, en racontant parfois sa vie, avec une diction et une gestuelle irréprochables.

Un spectacle « populaire » auquel assistent de nombreux enfants et qui n’a rien à voir, bien sûr, avec le théâtre-théâtre, même si nombre de techniques lui ont été empruntées depuis des siècles. Ce solo-pour nous, le quatrième de la semaine!-est interprété par un remarquable magicien qui a une grande maîtrise technique et une présence indéniable.  C’est un peu cher, mais cela vaut le coup. Et ces tours de « magie »  nous offrent aussi l’occasion de réfléchir sur la nature même de la réalité et sur la perception que nous avons, des choses les plus proches, la psychologie des masses, la suggestion à laquelle nous sommes tous sensibles, le travail qu’on peut réaliser sur nos certitudes, voire notre subconscient. Cela peut faire aussi froid dans le dos… Mais, comme le disaient Myr et Myroska, à la fin de leur spectacle: « S’il n’y a pas de truc, c’est formidable, mais s’il y en a un, reconnaissez que c’est encore plus fort. »

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 16 novembre au Théâtre du Gymnase-Marie Bell, 38 boulevard de Bonne-Nouvelle, Paris
(X ème). T. : 01 42 46 79 79. 

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