Dialogues de bêtes de Colette, mise en scène d’Elisabeth Chailloux, d’après une idée de Lara Suyeux

Dialogues de bêtes de Colette, mise en scène d’Elisabeth Chailloux, d’après une idée de Lara Suyeux

 Le livre original avec douze dialogues a été publié en 1904 avec quatre d’entre eux (SentimentalitésLe VoyageLe Dîner est en retardLe Premier Feu) et l’année suivante  avec en plus, Elle est maladeL’Orage et Une visite), et enfin en 1930, avec cinq autres dialogues (Music-hallToby-Chien parleLa ChienneCelle qui en revient et Les Bêtes et la Tortue). Les protagonistes sont ici un bull bringué, Toby-Chien et Kiki la doucette mais aussi “Lui” et “Elle”, les maîtres de ces animaux domestiques.  Derrière ce  masque, Colette et son mari Willy qu’elle épousa très jeune et qui la poussa à écrire mais dont il publia les premiers romans… sous son nom…

C’est écrit avec tout l’humour et la finesse habituelle, l’amour profond que cette féministe convaincue, indépendante et bisexuelle (1873-1954) avait pour la campagne et les bêtes: « Elle me saisit par la peau du dos, comme une petite valise carrée, et de froides injures tombèrent sur ma tête innocente, dit Toby-Chien, «Mal élevé. Chien hystérique. Saucisson larmoyeur. Crapaud à cœur de veau. Phoque obtus…» Tu sais le reste. Tu as entendu la porte, le tisonnier qu’elle a jeté dans la corbeille à papier, et le seau à charbon qui a roulé béant, et tout… »

Nadège Le Lezec

© Nadège Le Lezec

Et Kiki-la-doucette lui répond avec lucidité et un certain cynisme: « J’ai entendu. J’ai même entendu, ô Chien, ce qui n’est pas parvenu à ton entendement de bull simplet. Elle et moi, nous dédaignons le plus souvent de nous expliquer. »  Et Kiki-la-doucette ne mâche pas ses mots: ‘Le Chat est un hôte, et non un jouet. Les Deux-Pattes, Lui et Elle, ont-ils seuls le droit de s’attrister, de se réjouir, de gronder, de promener par la maison une humeur capricieuse? J’ai, moi aussi, mes caprices, ma tristesse, mes heures de retraite rêveuse où je me sépare du monde… »
Et dans le troisième volet, dans un salon à la campagne en  fin de journée l’été, Kiki-la-Doucette, et Toby-Chien s’endorment presque, puis font les fous et cassent beaucoup de choses quand Elle entre, chapeau de paille sur la tête avec un panier de mirabelles et constate les dégâts.

Puis dans un cinquième épisode, on est à Paris et Toby raconte les mésaventures de sa maîtresse, sans acun doute une Colette exaspérée et révoltée contre le Paris mondain que Willy son mari lui imposait: «Alors, voilà ! je veux faire ce que je veux. Je ne porterai pas de manches courtes en hiver, ni de cols hauts en été. Je ne mettrai pas mes chapeaux sens devant derrière et je n’irai plus prendre le thé. Et je n’irai plus aux vernissages. Et le monotone public des premières ne verra plus mon visage abattu, mes yeux qui se creusent de la longueur des entractes et de l’effort qu’il faut pour empêcher mon visage de vieillir, effort reflété par cent visages féminins, raidis de fatigue et d’orgueil défensif. (…) Je n’irai plus aux premières, sinon de l’autre côté de la rampe. Car je danserai encore sur la scène, je danserai nue ou habillée, pour le seul plaisir de danser. (…)
Le poète Francis Jammes (1868-1938) qui avait écrit la préface du recueil, parlait de Colette comme d’«une dame qui chante, avec la voix d’un pur ruisseau français, la triste tendresse qui fait battre si vite le cœur des bêtes.»  Ici sont mis en scène entre autres avec précision et une grande poésie par Elisabeth Chailloux, Sentimentalités, Le Voyage, Le Dîner est en retard, dont les  titres sont écrits au fur et à mesure sur une petite table côté jardin par  Cyrille Meyer. Il dessine aussi à l’encre et avec un peu de couleur, les paysages et le train où se passe l’action. Le tout projeté directement sur grand écran en fond de scène.

Lara Suyeux dit, très bien dirigée par Elisabeth Chailloux, avec une grande intelligence de mime et une diction parfaite, ces étonnants dialogues de bêtes. Il y a quelques petites longueurs mais cette heure dix passe très vite. L’occasion et le bonheur de retrouver Colette que l’on a parfois vue comme une autrice mineure. Cent-vingt ans après sa publication, le texte ciselé de cette femme exceptionnelle a gardé la même force poétique. Alors que bien des auteurs masculins de son époque ont été oubliés. Lit-on encore  Anatole France, Romain Rolland, Saint-Pol Roux, Sully Prudhomme? « Colette, dit Elisabeth Chailloux parle tout haut par la bouche des animaux et écrit dans L’Entrave : « Être libre !… Je parle tout haut pour que ce beau mot décoloré reprenne sa vie, son vol, son vert reflet d’aile sauvage ».

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 15 novembre, au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 57 34.

Le spectacle est repris les dimanches à 17h et les lundis à 19h, du 16 mars au 19 mai 2025 au Poche-Montparnasse, Paris ( VI ème).

 

 

 

 


Archive pour novembre, 2024

En colère contre nos institutions culturelles

En colère contre nos institutions culturelles


Décolonisez les institutions culturelles!  La solution finale a été enclenchée à Gaza mais nous savons bien qu’elle sera appliquée en Cisjordanie d’abord, et au Liban ensuite.  Je n’ai toujours pas de réponse à la question que j’avais posée le 23 octobre 2023, à l’adresse des « piliers culturels français » que je trouvais trop silencieux (l’Histoire a montré qu’elle pouvait être posée à la majorité des acteurs culturels à New York, Berlin, Dubaï.  Alors je pose de nouvelles questions: 
ces réunions sur la décolonisation de la pensée, l’art et la culture auxquelles il m’est arrivée d’être conviée, c’était seulement pour se triturer la nouille, en se donnant bonne conscience ?

©x Ibrahim Amro AFP  Le 27 septembre à Beyrouth

©x Ibrahim Amro AFP
Le 27 septembre à Beyrouth


Il n’y a pas de passage de la théorie à la pratique ? Ou ce n’est pas le bon moment, puisque nous ne sommes pas encore complètement morts ? 
N’avez-vous jamais remarqué que vos narratifs: « A bas Bachar, Poutine, les femmes en Iran (qui n’ont rien demandé), etc. », qui se disaient disruptifs au nom des droits humains, n’étaient en réalité que le prolongement de la rhétorique politique étatique de vos pays ?
Sinon, vous vous seriez penchés sur le Kivu, le Soudan ou la Lybie…
Mais cela n’aurait pas arrangé les intérêts économiques des rhétoriques susmentionnées.


Je vous vois comme des vautours qui attendent que nos cadavres finissent de se putréfier, avant de nous observer comme sujets d’étude. Et vous « créerez » des spectacles, performances et autres œuvres, à partir de nos corps meurtris dont vous avez montré qu’ils ne vous concernaient pas, tant qu’ils étaient en souffrance mais que vous vampiriserez au bon moment pour laver votre conscience. Et la complexité de votre esthétique sera inversement proportionnelle à la profondeur de votre humanité…  Regardez-vous bien dans le miroir, les cocos : vous êtes à l’image du système qui vous a construits, et c’est un système de prédation. Libérez-vous, de grâce, libérez-vous ! Vous valez mieux que ça.

Hala Moughanie, écrivaine libanaise

Entretien avec Oleksii Potiomkin, danseur principal de l’Ukrainian Classical Ballet

Entretien avec Oleksii Potiomkin, danseur principal de l’Ukrainian Classical Ballet

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Composée de 90 % de danseurs ukrainiens, les autres venant d’Italie, Australie, Angleterre et Lituanie, l’Ukrainian Classical Ballet joue dans toute l’Europe un répertoire classique et contemporain.
Au Casino de Paris, à l’initiative du directeur artistique Ivan Zhuravlov, il a présenté, le 5 novembre, The Great Gatsby d’après le Roman de F.Scott Fitzgerald dans une chorégraphie de Dwight Rodin.

-Dans un pays en guerre contre l’envahisseur russe comment est-il possible de poursuivre une activité artistique professionnelle de haut niveau ?

-Cette compagnie a dix ans d’existence. Au début de la guerre, la compagnie a créé de nouveaux emplois pour les danseurs ukrainiens. Les artistes vivent pour la plupart à Cracovie ou un peu partout en Europe. Ils sont free-lance et nous répétons à Cracovie dans une salle que nous louons. Ensuite, il y a eu des troupes comportant des interprètes russes qui se sont présentées comme ukrainiennes pour poursuivre la diffusion du répertoire classique en Europe, (généralement, sur l’affiche, ils ne précisent ni les noms des solistes ni celui de l’orchestre). L’Ukrainian Classical Ballet a eu à son répertoire, Casse-Noisette, et Le Lac des Cygnes, et actuellement danse Giselle, et The Great Gasby, une pièce jouée depuis deux ans. Depuis la guerre, les pièces de Tchaikovsky ne sont plus dansées en Ukraine. Des collègues du Ballet national d’Ukraine vont présenter La Reine des Neige pour la période des fêtes à Paris, au théâtre des Champs Elysées.

-Quel est votre parcours personnel de danseur ?

-A Kiev j’ai été à l’académie Serge Lifar, ensuite, j’ai travaillé à l’Opéra de Lviv, puis au Royal Winnipeg Ballet et à l’Opéra National de Kiev. Quand la guerre a commencé La Bayadère que nous répétitions, a été définitivement interrompue. Aujourd’hui, le ballet de Kiev poursuit les représentations, entrecoupées d’alertes aériennes : les artistes et spectateurs se mettent à l’abri. La guerre continue aussi mais la vie aussi !
Danseur principal de l’Ukranian Classical Ballet depuis un an, j’ai été engagé pendant quelques mois  comme «hospitalier », dans un bataillon paramédical qui s’occupe de l’évacuation des soldats blessés en première ligne. Mais de nombreux artistes des opéras ukrainiens se sont fait tuer après s’être engagés dans l’armée. J’ai eu la chance de m’en sortir indemne!  Pour le moment, je vais continuer à danser The Great Gatsby dans toute l’Europe.

Jean Couturier


gatsby-ballet.com

Un jour on ira à la mer, de et par Eugène Durif, musique de Jean-Christophe Cornier

Un Jour on ira à la mer, de et par Eugène Durif, musique de Jean-Christophe Cornier

Qu’est-ce qu’un auteur de théâtre, un dramaturge ? Peut-être quelqu’un comme Eugène Durif, qui a commencé par écrire des textes, poétiques, politiques, publiés par les bonnes maisons d’éditions spécialisées dans le théâtre. Et puis, à force d’écrire, lui qui a commencé comme poète et débordé vers le roman, il est revenu au théâtre, sous une forme très simple : un auteur, c’est quelqu’un qui lit lui-même à haute voix –enfin, plus ou moins, et maintenant les voix sont amplifiées – ce qu’il a écrit. Voilà pour l’évolution, qui s’est faite assez vite, de notre auteur de bureau vers l’engagement physique que demande le théâtre. Entendons-nous bien : pas d’acrobaties, cela, il le réserve à Denis Lavant et Nikolaus Holz, par exemple, dans son récent Mister Tambourine Man (festival d’Avignon 2023). Non, juste l’essentiel, le vrai, être là, occuper pleinement sa place, parler aux gens avec sa vérité.

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Cette vérité, c’est celle des gens modestes de la périphérie de Lyon, au siècle dernier, qui rêvent d’aller voir la mer. Le fils ira, où le père n’a pas pu aller. En stop, avec une fille dont il n’est même pas vraiment amoureux, encore que…, sous la pluie et avec un creux au ventre. Pas de sous, pas grand-chose. Nous, le public, on l’écoute, on sourit, parce que l’humour se faufile sans cesse dans la trame du souvenir, parce que l’imaginaire, le rêve – moi et mes parents au bord de la mer-, se superpose à une mémoire qui s’invente et s’écrit avec la parole.

Laquelle n’est pas seule sur scène : les mots d’Eugène dialoguent avec la guitare de Jean-Christophe Cornier, sur tous les modes : accompagnement, digressions, contradiction, soutien… À eux deux, les voilà lancés dans un karaoké populaire, Cœur à l’envers, Cœur à l’endroit. Car la chanson, c’est vraiment le cœur du peuple : celle de Colette Magny sur les crimes et impostures de la Rhodiaceta ruinant ses ouvriers, interdite à la radio ; celle que chantait Damia, Sombre Dimanche, également interdite à la radio, parce qu’elle était réputée inciter au suicide, déjà qu’il y avait eu la guerre… Et une apparition, une irruption dans le duo : Jeanne, jolie danseuse qui se lance dans une chanson timide et maladroite…

Ce que nous voyons est l’inverse d’une « performance » technique : c’est un exercice rigoureux, exigeant, de vérité et de tendresse. Se faire entendre, d’une voix amplifiée par nécessité (et non par conformisme), dire ce qu’on a à dire ou à jouer au plus près, au plus juste, au plus vrai : c’est tout, c’est beaucoup, et c’est unique. Peut-on parler de spectacle ? Disons plutôt une rencontre, intime, proche, souriante sans une goutte d’eau de rose. La vie, quoi, la même que celle de tout un chacun, unique, singulière et semblable : le partage, l’amitié fonctionnent avec le public. Et si on ressent quelques « trous » dans la deuxième partie, c’est encore une fois comme dans la vraie vie, toujours en brouillon, en fragments, en évolution. Ici, elle est rendue à sa poésie cachée, éclairée par le théâtre.
Cela  se passe au 100, établissement culturel et solidaire. Galerie d’expositions, modeste salle de spectacles –vue la configuration des lieux -, le 100 est aussi, et c’est essentiel, un lieu de répétitions, d’ateliers ou de formations. Quelque chose d’une utopie réalisée : le mouvement se prouve en marchant.

Christine Friedel

Jusqu’au 16 novembre à 20 h au Cent, 100 rue de Charenton, Paris (XII ème). T. :01 46 28 80 94.

Du 26 au 30 novembre, Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier Paris (XIVème) : Moins que rien, mise en scène de Karelle Prugnault

La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Stéphane Braunschweig

La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Stéphane Braunschweig

Le directeur de l’Odéon avait déjà monté cette pièce en 2001 au Théâtre National de Strasbourg. C’est l’une des plus jouées du grand dramaturge russe et nous en avons sans doute vu une bonne douzaine de versions. Celle en 55 d’André Barsacq, au Théâtre de l’Atelier mais c’est trop loin pour en avoir un vrai souvenir… Puis, entre autres, celle en 75 de Lucian Pintilie et cinq ans plus tard, celle  d’Otomar Krejčca à  Comédie-Française et, en 84, celle d’Antoine Vitez, à Chaillot, une des plus lumineuses.
Celle en 2008 de Philippe Adrien et il y a déjà treize ans, une réalisation radicale de Christian Benedetti puis celle de Brigitte Jaques. Et en 2021, la réalisation de Cyril Teste selon une esthétique vidéo, très précise mais pas vraiment convaincante. Et celle enfin, l’année dernière au Printemps des Comédiens à Montpellier, très remarquable et d’une rare sensibilité, la mise en scène autour d’une table, du metteur en scène argentin Guillermo Cacace.

La pièce (1896) créée en France par Georges Pitoeff en 1922  est des plus fortes d’Anton Tchekhov, avec un tissage de plusieurs thèmes. D’abord l’amour : Medviedenko, l’instituteur pauvre aime Macha mais elle, aime Treplev qui, lui est amoureux fou de la jeune Nina. Mais très vite, celle-ci va aimer Trigorine, un écrivain célèbre qui vit avec Arkadina, une actrice dont Dorn est amoureuse. Lui-même est aimé par Paulina, mariée avec l’intendant du domaine. Mais depuis longtemps, ils ont peut-être une liaison.
Il y a aussi un autre thème qui revient en boucle: l’art du  théâtre sur lequel le jeune auteur débutant Treplev a de grandes idées. Comme eux mais plus attachés aux formes traditionnelles: Trigorine, un célèbre écrivain et Arkadina, sa compagne, une actrice qui n’aime pas la pièce de son fils. Que Nina, elle, très jeune va jouer: elle rêve d’être comédienne mais sans bien savoir pourquoi. Et le théâtre dans le théâtre : des moments de la pièce de Treplev sont joués trois fois.
Mais la mort n’est jamais loin ici comme toujours chez Anton Tchekhov: Trigorine tue la mouette d’un coup de fusil. L’enfant de Nina-dont le père est Trigorine qui l’abandonnée- est mort. Mais même si elle a du mal à trouver des rôles, elle aura assez de force pour survivre. Treplev, lui, fait des chantages au suicide, essaye en vain de se tuer mais la seconde fois sera la bonne.  Dans La Cerisaie, le vieux Firs abandonné par la famille et resté seul, ne tardera pas à s’éteindre. Et la femme de Verchinine a une relation avec Macha, une des trois sœurs dans la pièce éponyme et n’arrête pas de faire des tentatives de suicide. Irina, elle, qui a accepté de se marier avec Touzenbach, apprend qu’il a été tué en duel…  Pour des pièces revendiquées comme des comédies par leur auteur, cela fait quand même beaucoup de morts…

Et la petite pièce écrite et montée par Treplev que joue Nina, tout en blanc est une fabuleuse préfiguration de l’extinction de la vie sur notre planète, victime de la folie des hommes qui ont dévasté les forêts : « Voici, dit-elle, des milliers de siècles que la Terre ne porte pas plus un seul être vivant. (…) Le corps des êtres vivants ne sont plus que poussière. » Une formidable intuition écologique  d’Anton Tchekhov quant à la disparition des espèces et à terme, du genre humain, à cause de son avidité et de son manque de prévoyance.  Mais la fable du jeune Konstantin Treplev laisse indifférente sa mère Arkadina qui n’y comprend rien.
Et c’est de là, qu’est parti Stéphane Braunschweig et on peut comprendre que cette dystopie imaginée par le grand dramaturge russe, il y a déjà un siècle et demi, ait pu le fasciner : « Au lieu de jouer la petite pièce de Treplev au sein de la grande pièce de Tchekhov, je me suis dit qu’on pourrait jouer la pièce de Tchekhov dans le décor imaginé par Treplev-pour qu’au lieu d’être oubliée ou refoulée- cette vision de Treplev reste présente en rémanence. » Et sur le plateau d’abord fermé par le rideau de fer devant lequel quelques scènes seront jouées, puis il s’ouvrira et nous verrons un sol de sable blanc et des gros cailloux… en résine ( vous avez dit écologie?°. Mais aussi quelques tables et chaises de jardin, la carcasse d’une vieille barque, le lit d’Arkadina et de Trigorine et leurs valises, quand ils partiront pour Moscou. le tout arrosé par moments de fumigène…

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Malheureusement sur ce grand plateau, cette scénographie conçue par Stéphane Branuschweig, ne fonctionne pas et il a le plus grand mal à imposer les personnages de La Mouette, sans doute en grande partie à cause d’une distribution qui manque d’unité. Ses acteurs font le boulot mais sont, sauf à de rares moments, peu crédibles. Chloé Réjon qui a pourtant une grande expérience du métier, n’est pas vraiment cette actrice sur le retour. Et comment croire un instant que  Denis Eyriiey est Trigorine…
Et  mieux vaut oublier le jeu d’Eve Perreur (Nina) dont le personnage n’évolue en rien alors qu’il s’est écoulé plusieurs années quand elle revient, affublée d’une combinaison de travail qui ne l’avantage pas…

Jules Sagot (Treplev) s’en tire, lui, assez bien. L’excellent Sharif Andoura essaye d’imposer le personnage de Dorn, le médecin. Mais comment faire quand on leur demande de parler souvent à plusieurs mètres de leurs interlocuteurs? Lamya Regragui Muzio (Paulina) a, comme toujours, une belle présence mais là aussi, comment faire, quand les scènes d’intimité se passent dans un désert et à la fin, en fond de scène autour d’une table.  Là, désolé, nous ne comprenons pas très bien ce que Stéphane Braunschweig a voulu faire! Les micros H.F. n’arrangent rien et il y a une monotonie vocale exaspérante. Et, plus ennuyeux, l’ensemble, précis mais sec, ne dégage aucune émotion!
Côté mise en scène, pourquoi sans arrêt ces allers et retour dans la salle, un vieux truc usé? Pourquoi grâce à un harnais, Nina est-elle emportée dans les airs! Comme à la toute fin,Treplev quand il va se suicider! On entendra un coup de feu et on verra en haut son corps se casser en deux! Pourquoi aussi cette vingtaine de mouettes qui tombent des cintres quand il essaye de se tuer la première fois?
Stéphane Braunschweig dont le Ministère n’a pas renouvelé son mandat, a été prié d’assurer l’intérim jusqu’en juin dernier pour préparer la nouvelle saison quand devait être nommé son successeur. Ce sera  finalement Julien Gosselin. Ici, tout se passe comme si le metteur en scène avait mis une certain dose de provoc dans cette réalisation. Du genre: comme c’est ma dernière,  je  me permets de faire ce qu’il me plait avec La Mouette... Mieux vaut penser qu’il y a eu au départ, une vision dramaturgique erronée.
Dommage pour Tchekhov mais surtout pour le public qui, visiblement, s’ennuyait:  il y a même eu quelques désertions. Bref, cette relecture du chef-d’œuvre n’a rien de convaincant!  Stéphane Braunschweig est bien plus à l’aise quand il monte de auteurs contemporains comme Arne Lygre avec  cinq pièces (voir Le Théâtre du Blog). Il en mettra en scène deux nouvelles: l’une en français, au Théâtre National de Bretagne à Rennes  et l’autre, en norvégien, au festival de Bergen, des créations dont nous vous reparlerons.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 décembre, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris ( VI ème). T. : 01 44 85 40 40.

Yoroboshi: The Weakling, texte et mise en scène de Satoko Ichihara

Yoroboshi: The Weakling, texte et mise en scène de Satoko Ichihara 

Une lecture contemporaine du bunraku, théâtre de marionnettes né il a bien des siècles et  qu’on a souvent vu en France dans les années quatre-vingt.  Ici, revu et corrigé, avec une narratrice (Sachiko Hara,) une joueuse de biwa (Kakushin Nishihara), un manipulateur (Terunobu Osaki) et trois manipulatrices (Seira Nakanishi, Ryota Hatanaka et Tomarimaimai), en collant chair et non en costume noir comme dans le bunraku traditionnel.
L’autrice reprend le mythe ancien de Shuntoku Maru, l’histoire tragique d’un jeune garçon, abandonné par son père, devenu aveugle de tristesse et renommé Yoroboshi : «le faible ». Il y a ici un père qui travaille sans relâche comme surveillant dans les chantiers de construction, sa femme qui va mourir, et leur jeune fils qu’ils ont du mal à avoir et qui grandira très vite.
La nouvelle épouse du père aura vite des relation sexuelles avec ce garçon… ce que découvre le père rentrant du travail. Dégoûté, il ira faire l’amour dans des salons de massage. Son fils lui fera une fellation puis l’éventrera (vidéo en gros plan d’organes qui font plus penser à du foie de veau) et, à la fin, on pourra voir la tête du jeune garçon décapité sur un socle.

© Jörg Baumann

© Jörg Baumann

«Dans ce monde trouble où poupées et humains cohabitent étrangement, dit la note d’intention, un père, son fils et sa nouvelle épouse sont confrontés à la violence de leur destin, inexorable et funeste. Par un dispositif scénique singulier dans lequel la distanciation fait loi, se pose la question de la responsabilité. Qui agit vraiment ? Les pantins inanimés, aux traits faussement humains? Dans cette mise en abyme déroutante, Satoko Ichiara interroge les dynamiques de domination intime et sociale ».
Mais les dialogues que prend en charge la narratrice Sachiko Hara en modulant le texte à la manière traditionnelle, sont peu convaincants, les poupée en résine à taille presque humaine ne sont pas belles, les marionnettistes ont un costume genre collant chair vraiment laid et nous n’avons pas vraiment envie de les regarder comme acteurs. Quant à la distanciation annoncée, il faudra repasser et nous n’avons jamais ressenti «la place des non-vivants à l’effigie d’humains. »

Dans un décor peint assez tristounet comme l’éclairage, le spectacle qui a du mal à décoller, est vite ennuyeux. Que sauver? Peut-être à la fin,  un court ballet de poupées-jeunes femmes en tenue érotique, filmées dans un «salon de massage», qu’on devine derrière un tulle et qu’on voit sur écran. Comme cette bouche maquillée, elle, aussi filmée en très gros plan devant un sexe en érection- «obscène» au sens étymologique du terme et qui va simuler une fellation, le tout sur fond de musique électronique infernal.
Désolé, mais nous préférons, à cette version de bunraku, l’originale avec ses traditionnelles et formidables marionnettes (environ un mètre cinquante) en riches costumes avec trois manipulateurs par personnage.

Philippe du Vignal

Spectacle présenté du 9 au 11 novembre, au T2 G-Centre Dramatique Nationaln 41 avenue des Grésillons, Gennevilliers ( Seine-Saint-Denis).

Six pieds sous ciel texte et mise en scène de Jacques Rebotier

Six pieds sous ciel texte et mise en scène de Jacques Rebotier

 Ce poète, compositeur et homme de théâtre s’est amusé à capter les rumeurs du monde environnant et les restitue ici dans une partition pour trois « musiciennes parlantes ». Elles apparaissent coiffées de cerveaux protubérants, corps imbriqués les uns dans les autres, monstre à six pieds et trois têtes au babil de nourrisson affamé. Une boite vocale, en guise de maman, leur propose biberon et câlin : à condition d’appuyer sur le bonne touche. Cette étrange figure se défait laissant apparaître un trio clownesque aux habits colorés : on distingue la bleue, la jaune et la verte, mais c’est d’une seule voix qu’elles enchainent des bribes de phrases.

© Tuong-Vi Nguyen

© Tuong-Vi Nguyen


A ce «langage cuit», selon l’expression de Robert Desnos, composé de paroles banales glanées au hasard des cafés, des trottoirs, du métro, des réseaux sociaux ou sur une plage de Normandie, se superpose une bande-son : extraits d’émissions télévisées et reportages sportifs, hauts-parleurs de gare, annonces du métro, slogans publicitaires, jingles d’ordinateur et sons de téléphones mobiles.
Entre les séquences, organisées autour de diverses thématiques, les interprètes circulent sur le plateau avec des valises à roulettes.

Leurs déplacements erratiques, parfois un peu longs, apportent des respirations dans ce trop-plein sonore. Jacques Rebotier est parti à la «chasse aux phrases », les a montées et moulinées à l’aune d’une musique sortant d’une seule et multiple bouche. Il a transcrit en notes et rythmes ces interpellations ruminations, bribes de dialogues ou pensées intérieures. « Y’a d’la viande, dans le poisson », « J’aime bien la musique mais j’aime pas l’écouter »  « Et le bien-être animal des chiens qui s’ennuient ? » « Offre soumise à condition… » « Validez votre panier. » « Tournez à gauche puis tournez à gauche. » (…) Vous avez atteint votre destination. »

Dans ce cadavre exquis d’idiotismes, générés par les I.A. ou les humains, la langue de bois des politiques trouve sa place. Les déclarations d’Emmanuel Macron, Gabriel Attal, Bruno Le Maire ou de Rachida Dati nous paraissent dérisoires, mises sur le même plan que réclames, commentaires sportifs, instructions de boites vocales, de GPS… Dans un bruit de vaisselle brisée, on entend : «La France est un magasin de porcelaine, il faut la protéger… »  Plus loin : «J’ai sauvé l’économie française,  j’ai sauvé les usines, j’ai sauvé les restaurateurs, j’ai sauvé les hôteliers, … J’ai sauvé Renault, j’ai sauvé Air France …» Ou encore, il est question des naufragés en Méditerranée : « Les gardes-côtes tunisiens, si ce sont des noirs, ils ne se déplacent pas… »

Parmi ces voix multiples, proférées à l’unisson par les interprètes ou enregistrées, au milieu de ces machines parlantes, nous parviennent d’abord faiblement, puis de plus en plus fort, les bruits de la nature, et les rumeurs animales : chants d’oiseau, feulement, grognement… L’humain n’est-t-il pas qu’une espèce parmi les autres ? Et les trois interprètes trouveront enfin au repos, couchées sous les nuages, à l’écoute de toutes ces bêtes.
On se souvient que, dans
 Contre les bêtes, Jacques Rebotier dénonçait avec humour l’hypocrisie devant l’effondrement de la biodiversité et prenait la défense de la cause animale. Un spectacle qui, depuis sacréation en 2004 à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon n’a cessé d’être présenté au public Voir le Théâtre du blog). Dans Six pieds sous ciel ce n’est plus le sujet central : il s’en prend ici à notre environnement artificiel et aux machines qui ont envahi nos vies jusqu’à nous décerveler. Tels des robots, Anne Gouraud, Aurélia Labayle, Émilie Launay Bobillot, toutes musiciennes, débitent une langue morte. Elle sont toujours parfaitement synchrones, drôles et touchantes. En chef d’orchestre, l’auteur les a

Dirigé ce chœur au métronome, en portant attention au grain de la langue, aux intonations, jusqu’à l’échelle des syllabes et des phonèmes. Dans cette étrange symphonie parlée d’une heure et quart, on retrouve la verve et la fantaisie de cet amoureux de la langue, Grand Prix de la poésie SACEM en 2009. Après des études de composition musicale au Conservatoire national à Paris, il se consacre à la création et fonde en 92 la compagnie voQue, « ensemble de musique et compagnie verbale ». Il a depuis signé de nombreux spectacles, au théâtre et à l’opéra et publié une trentaine de livres dont Litaniques et Le Dos de la langue (Gallimard), Description de l’omme (éditions Verticales).. Il met aussi en lumière d’autres poètes : on se souvient encore d’Ode à la ligne 29 de Jacques Roubaud, au Théâtre des Bouffes du nord (Le Théâtre du Blog).

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 24 novembre, Théâtre de la Colline 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème). T. : 01 44 62 52 52.  

 Du 22 au 24 janvier, Châteauvallon-Liberté – Scène nationale de Toulon (Var).

Le théâtre de Jacques Rebotier: Réponse à la question précédente, Vengeance tardive, Le Désordre des langages… est édité aux Solitaires intempestifs.

Pessoa. Since I’ve been, mise en scène de Robert Wilson et Charles Chemin

Pessoa. Since I’ve been, mise en scène de Robert Wilson et Charles Chemin

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© C.C.   La première image avant  le début du spectacle 

Créé au Teatro della Pergola, à Florence en mai dernier, le spectacle est une suite de tableaux conçus par  Bob Wilson et son dramaturge Darryl Pinckney, avec des extraits de l’œuvre du grand poète. Dits au micro H.F. et en voix off, par sept acteurs-mimes, d’abord en anglais, mais aussi en portugais, français, italien. Le plus souvent devant une mince rampe fluo blanche (photo-ci contre) et avec de très beaux éclairages,  plus  tranchants que ces derniers temps où Bob Wilson usait et abusait  des lumières arc-en-ciel en fond de scène.

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Il y a ici comme toujours chez lui, une esthétique fondée sur un graphisme exigeant avec des costumes aussi stricts et un jeu nombreux de plages lumineuses correspondant à une gestuelle millimétrée, une de ses obsessions artistiques: « Si vous savez éclairer, vous pouvez faire ressembler la merde, à de l’or. Je peins, je construis, je compose avec la lumière. La lumière est une baguette magique. »

Nous le revoyons encore à l’Opéra de Lyon, mettant en scène il y a déjà quarante ans, Médée de Marc-Antoine Charpentier. Il avait prié la cantatrice de lever la main gauche à une hauteur précise et surtout de ne pas en bouger pour rester dans l’axe lumineux qu’il exigeait. Mais rien à faire! Il nous avait demandé notre avis et nous lui avions humblement  dit qu’à la représentation, ce serait très difficile. Il avait insisté, puis avait abandonné…

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Ici, comme toujours Bob Wilson, des lumières en découpe, notamment d’un rouge éclatant sur sept tables carrées.  Rappelant ce merveilleux I was sitting in my patio qu’il avait mis en scène avec Lucinda Childs. Avec la même exigence mais loin du Regard du Sourd, le premier de ses spectacles d’inspiration surréaliste que nous avions vu à sa création en soixante-dix, au festival de Nancy et qui avait révolutionné la dramaturgie et la mise en scène théâtrales.

Et plus près d’Einstein on the beach, son mythique opéra, chef-d’œuvre absolu sur la musique de Phil Glass. Bob Wilson a gardé ce même sens fabuleux de l’image mais aussi de la répétition orale et gestuelle. Un travail d’orfèvre avec de nombreux cuts, en accord parfait avec un univers musical électronique à un niveau sonore élevé.
Gestuelle fascinante et très précise des interprètes, tous virtuoses en costume noir, dont l’un en Groucho Marx et les sept personnages le représentant, lui et les nombreux hétéronymes, à travers lesquels Fernando Pessoa a créé toute son œuvre dont une grande partie fut retrouvée dans une grosse malle après son décès.

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Des disques rouges (des lunes?) apparaissent sur un ciel bleu, des cyprès noirs, des personnages inconnus mais fascinants évoluant souvent en groupe  et  un grand héron, un  gros hérisson. Bob Wilson (quatre-vingt trois ans) a toujours eu un attachement-déjà dans Le Regard du Sourd-pour les animaux. Pour illustrer l’œuvre magnifique de Fernando Pessoa (1888- 1935), sept acteurs portugais comme Maria de Medeiros qui a beaucoup joué en France, chez, entre autres, Jérôme Savary. Ils sont aussi de nationalité anglaise, française, italienne, albanaise et parlent en portugais, français, anglais et italien. Ils disent des extraits du Livre de l’intranquillité publié en 82 seulement, du Gardeur de troupeaux, de Faust et aussi une lettre de rupture.
Tous d’une merveilleuse écriture poétique mais ici sans doute trop vite dits et sur-titrés quand ils sont pas en français, sur deux écrans à jardin et à cour et sur un autre plus grand, au dessus-du cadre de scène mais non visible aux dix premiers rangs.
Bob Wilson a toujours aimé montrer visuellement les mots pour que le public dit-il, regarde le « langage lui-même ». Mais ici, non! Et nous n’avions pas envie de choisir dans cet ensemble. Un surtitrage, même avec une bonne traduction, reste un surtitrage et oblige à aller sans cesse du texte, à l’image, sauf aux moments en français.
C’est le seul point faible de ce beau spectacle qui manque un peu d’unité: il faut suivre le déroulé de ce flot poétique qui, même s’il est souvent répété, va trop vite et on aimerait avoir le temps de mieux l’apprécier. Mais comme on a aussi  envie de voir ces magnifiques images en couleur ou en noir et blanc, au style parfois cabaret burlesque, avec ombres chinoises! Une belle réussite, malgré un fin un peu brouillonne, comme si Bob Wilson avait eu du mal à conclure: dans un nuage épais de fumigène, les acteurs reprennent les mots de Fernando Pessoa conseillant à ses lecteurs de ne pas chercher un sens logique à sa parole poétique.

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La mise en scène, réalisée avec Charles Chemin, est d’une rare précision et Bob Wilson a toujours choisi ses interprètes d’après leur capacité de mouvement, essentielle chez lui. Comme ici Maria de Medeiros, impeccable en travesti en costume et chapeau noir, superbement maquillée rappelant le jeune Fernando Pessoa, ou Sofia Menci, très impressionnante sur ses cothurnes, en longue robe crème, Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Gianfranco Poddighe, Janaína Suaudeau: une distribution de haut niveau.
Pourtant, malgré ses grandes qualités, le spectacle ne fonctionne pas tout à fait. Comment faire passer les écrits de Fernando Pessoa sur un plateau? Mission presque impossible et il y a ici comme une dichotomie entre images et texte.


Malgré ces réserves, nous avons perçu, aux meilleurs moments, la dimension unique des textes de cet écrivain mort à seulement quarante-sept ans, il y a presque un siècle et qui a si bien exprimé dans des textes parfois ésotériques, la fuite du temps et le côté dérisoire de notre existence: « Aimez votre solitude, supportez-en la peine :que la plainte qui vous en vient soit belle. Vous dites que vos proches vous sont lointains; c’est qu’il se fait un espace autour de vous. Si tout ce qui est proche vous semble loin, c’est que cet espace touche les étoiles, qu’il est déjà très étendu. Réjouissez-vous de votre marche en avant; personne ne peut vous y suivre. Soyez envers ceux qui restent en arrière, sûr de vous et tranquille en face d’eux. Ne les tourmentez pas de vos doutes. »
« 
La beauté est le nom de quelque chose qui n’existe pas, écrivait-il, dans Le Gardeur de troupeaux, et que je donne aux choses en échange du plaisir qu’elles me donnent. » Elle peut aussi être un antidote à la bêtise: ce dimanche, neuf cent spectateurs écoutaient dans un silence absolu, ces textes de Fernando Pessoa, tout en voyant de fabuleuses images. En ces temps difficiles, une raison d’espérer…

Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville, souhaite au public, citant Fernando Pessoa, de «tout sentir de toutes les manières». Le spectacle affiche complet-mais vous pouvez essayer de trouver une place au dernier moment et vous ne le regretterez pas-et il sera sans doute repris.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 16 novembre, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (III ème)

Teatro Sociale, Trento (Italie) du 6 au 9 février. Teatro Politeama Rossetti, Trieste (Italie) du 13 au 16 février.

 Les Théâtres de la Ville de Luxembourg à la saison 25-26.

Notre Comédie humaine par le Nouveau Théâtre Populaire (suite): Splendeurs et Misères, adaptation et mise en scène de Lazare Herson-Macarel

Notre Comédie humaine par le Nouveau Théâtre Populaire (suite) : Splendeurs et Misères, adaptation et mise en scène de Lazare Herson-Macarel

Ce troisième volet commence par la fin d’Illusions perdues. Chez Honoré de Balzac, Lucien, après des manœuvres frauduleuses, est incapable de payer une dette et accablé de remords, veut se suicider en se noyant. Quand il rencontre Carlos Herrera, un soi-disant prêtre espagnol qui va le convaincre d’y renoncer. Il lui offre même beaucoup d’argent, une vie luxueuse et une vengeance possible mais il doit, pacte faustien, lui obéir aveuglément. Lucien accepte et  envoie à David et Ève (des personnages du tome précédent) la somme nécessaire à l’apurement des dettes et s’en va à Paris avec le prêtre.
Dans l’adaptation de
ce roman, Lucien va vite tomber amoureux d’Esther, une très belle prostituée rencontrée à un bal masqué. Carlos Herrera qui cherche à tout prix, de l’argent pour Lucien, va la persuader, d’être la maîtresse du richissime baron de Nucingen et de lui en soutirer le maximum. Dans un Paris autour du Louvre décrit par le grand romancier comme sale, et infecté de prostitution (ce qui était exact) les sbires de Carlos Herrera et ceux de Nucingen vont se bagarrer pour s’emparer du trésor.
Esther a accepté de faire l’amour avec le baron mais Lucien veut se marier avec une jeune fille dont la famille provinciale est riche. Et quand Esther apprend que l’homme avec qui elle vit depuis des années, va donc la quitter, elle n’hésitera pas à s’empoisonner. Lucien de Rubempré et Carlos Herrera, accusés de vol et assassinat, seront arrêtés. Lucien se pendra aux barreaux de sa cellule mais son complice réussira à s’enfuir.

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Qui dit adaptation dit réduction, comme l’avait fait Pauline Payle dans son remarquable spectacle Illusions perdues que nous avions vu à sa création il y a quatre ans (voir Le Théâtre du Blog) et qui n’a cessé d’être joué. Lazare Herson-Macarel, lui, a choisi de mettre en scène les seuls protagonistes de cette histoire compliquée aux très nombreux personnages secondaires, voire anecdotiques où Honoré de Balzac sait dire le Paris d’alors avec une fascination pour le sexe, le pouvoir et le fric.

Ici, un plateau avec des gradins en bois, faiblement éclairés par des projecteurs latéraux ( un stéréotype des mis en scène actuelles. Lazare Herson-Macarel comme dans son beau Cyrano que nous avions vu il y a une dizaine d’années, privilégie ici les images. Entre autres, une quinzaine de personnages inquiétants descendent les gradins face public dans la pénombre. Déjà vu, mais cela marche… Ou quand Esther Gobseck (très crédible Kenza Laala) et Lucien de Rubempré (Valentin Boraud) s’embrassent érotiquement à plusieurs reprises. Ou encore le moment où Lucien rencontre Carlos  Herrera (Philippe Canales) et celui où le baron de Nucingen (remarquable Clovis Fouin) se fait déposer chez lui Esther par ses sbires qui l’ont retrouvée dans Paris. Tous ces acteurs sont justes et vrais.

Mais comment ne pas être partagé? Là où cela va nettement moins bien : les récits dits les acteurs pour situer l’action dans le hall avant le spectacle mais noyés dans la musique et donc inaudibles, la suite de courtes scènes aux dialogues trop brefs et sans rythme, la pénombre en permanence (pour dire les rues très mal éclairées au XIXème siècle?), le noir du décor et des costumes (pour signifier le tragique?) sauf à la fin, le vert cru de la robe longue d’Esther, les cavalcades et inutiles petites danses de groupe…
Et le metteur en scène aurait pu aussi nous épargner ces clichés comme le recours systématique aux fumigènes, les sons de batterie électronique pour rythmer l’action ( en vain), les nombreuses trappes où disparaissent les protagonistes et, à la fin, une vidéo en fond de scène,où Lucien se maquille le visage en blanc…. Lazare Herson-Macarel sait diriger les acteurs de ce collectif installé dans le Maine-et Loire; malheureusement, ici tout est un peu terne et, malgré quelques répliques cinglantes, cette mise en scène de l’ascension de Lucien dans la haute société puis sa descente aux enfers, n’est guère
convaincante et les spectateurs-sans aucune jeune ou presque-ont applaudi mollement.

Philippe du Vignal

Du 2 au 24 novembre, le vendredi. Les Belles Illusions de la jeunesse (opérette), le mercredi, et Illusions perdues le jeudi  (intégrales les samedi et dimanche). Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.

Du 11 au 14 décembre, Le Quai, Angers (Maine-et-Loire).

Du 29 janvier au 1er février, Théâtre de Caen (Calvados).

Du 5 au 8 février, La Commune-Centre Dramatique national d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Le Ciel, la nuit et la fête: Le Tartuffe /Dom Juan /Psyché, du 15 au 18 janvier, Le Trident- Scène Nationale de Cherbourg (Cotentin) et du 22 au 25 janvier, Théâtre de Caen (Calvados).

 

Ombres portées, mise en scène et chorégraphie de Raphaëlle Boitel

 Ombres portées, mise en scène et chorégraphie de Raphaëlle Boitel

 Les arts du cirque sont toujours en renouveau et cette artiste participe à son effervescence avec ce qu’elle qualifie de «cirque théâtre chorégraphique». Nous avions découvert avec bonheur 5es Hurlants, créé avec les jeunes diplômés de l’Académie Fratellini où elle a été formée et Le Cycle de l’absurdespectacle de sortie du Centre National des Arts du Cirque promotion 2020, où elle a recruté par la suite nombre de ses artistes (Voir Le Théâtre du Blog). La Chute des anges nous avait particulièrement séduit : Ombres portées s’inscrit dans la même veine chorégraphique avec une scénographie d’ombres et lumières, mais avec une narration plus affirmée.

Première image saisissante : de l’obscurité, comme tombée du ciel, une jeune artiste (Vassiliki Rossillion) se balance sur une corde volante, s’y love, fait plusieurs figures acrobatiques, tout en se remémorant des rêves de son enfance. Puis, elle s’envolera de plus en plus haut,  et s’effacera dans le noir, au lointain. « J’ai rêvé Ombres portées comme un spectacle total où se mêlent performance physique, théâtre, danse, septième art, rires, larmes… le tout au service d’une histoire forte, avec des personnages attachants dans un univers graphique participant à la narration…», écrit Raphaëlle Boitel. Elle raconte ici, en paroles, images et mouvements, l’histoire d’une famille «décomposée» par la rage d’une jeune femme contre le père… Trois sœurs et un frère muet gravitent en virevoltant, courent, se chamaillent avec force acrobaties autour de ce vieil homme massif, (Alain Anglaret), bientôt infirme.

© Pierre Planchenault

© Pierre Planchenault

Une noce se prépare et chacun s’affaire. Tia Balacey, la petite sœur, bondit et cabriole. Légère comme une plume, elle sculpte dans l’espace de jolies figures d’acrodanse. La mariée (Alba Faivre) attend son fiancé mais sa fougue amoureuse sera bientôt, éteinte par l’infidélité de celui qui est devenu son époux. Nous la verrons plus tard grimper désespérément à la corde lisse, se dépouillant de sa robe blanche : un beau moment poétique.
Le fiancé arrive enfin (Nicolas Lourdelle), raide et emprunté parmi tous ces corps acrobatiques, aussi drôle que dans les spectacles de Baro d’Evel, la compagnie qu’il a co-fondée (voir Le Théâtre du Blog). Il se livrera à quelques gags, comme le petit gars de la famille, un rôle muet pour Mohamed Rarhib avec acrobaties au sol, mâtinées de hip hop et art du mime. Vassiliki Rossillion, descendue de sa corde volante, incarne K, la sœur rebelleet danse sa rage contre un père indifférent… Que lui a-t-il fait ? Chacun pourra deviner. Raphaëlle Boitel a voulu « sonder la question du “non-dit”.
De tableau en tableau, la figure tutélaire de père haï ou chouchouté selon les membres de la fratrie, est en proie à une déchéance mais cela rassemble à nouveau la famille. Réglés par une subtile chorégraphie, entre horizontalité et verticalité, les corps se croisent, s’acoquinent en un duo sensuel, ou s’agglutinent, tribu brouillonne. Raphaëlle Boitel joua douze ans chez James Thierrée- notamment dans La Symphonie du Hanneton et La Veillée des Abysses- et elle en a gardé un goût pour les images poétiques et  écrit ses pièces sur la scène: «C’est ma feuille blanche, dit-elle, et les interprètes, la musique et la lumière en sont la palette.  »

Les solos des circassiens se fondent dans le ballet des corps et objets, noyés dans les vapeurs des lumières et accompagnés par la musique d’Arthur Bison. Les clairs-obscurs, orchestrés par Tristan Baudoin, sont ici essentiels. Ce passionné d’arts plastiques a rejoint la compagnie 111 d’Aurélien Bory et depuis 2011, il accompagne les créations de Raphaëlle Boitel. Il sculpte la lumière en magicien, cloisonne l’espace avec lampes et projecteurs, enfermant dans leurs faisceaux les interprètes tels des insectes pris au piège. Des effets stroboscopiques les font apparaître et disparaître. 

« Aujourd’hui, dit Raphaëlle Boitel, j’espère que l’histoire de « K », cette jeune femme qui veut s’extraire du silence, touchera chaque spectateur. Son parcours est celui de beaucoup de femmes. Notre rôle est de provoquer la parole. » Mais était-il besoin d’en dire autant ? Ici, la chorégraphie et l’expression des corps suffisent à dénoncer les violences intrafamiliales. Les paroles se perdent souvent dans le feu de l’action : tant mieux, car elles ne sont pas essentielles à la compréhension de ce qui se trame entre les personnages. Reste un spectacle d’une grande beauté plastique, servi par une mise en scène et des interprètes exceptionnels et qui, malgré la gravité du thème, ne manque pas d’humour. À recommander, comme le diptyque La Bête noire et La Petite Reine, Un contre un, La Chute des Anges, actuellement en tournée.

 Mireille Davidovici

 Du 5 au 23 novembre, Théâtre Silvia Monfort,106 rue Brancion, Paris (XV ème). T. : 01 56 08 33 88.

Le 5 décembre, La Faïencerie, Scène conventionnée de Creil (Oise).

Le 23 et 24 janvier, La Passerelle, Scène nationale de Gap (Hautes-Alpes) ; les 28 et 29 janvier, Théâtre Durance, Scène nationale Château Arnoux-Saint-Auban (Alpes de Haute-Provence).

Les 6 et 7 février, Le ZEF, Scène nationale de Marseille (Bouches-du-Rhône) et les 19 au 23 mars, Théâtre des Célestins, Lyon (Ier).

 

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