Une vraie vie de poète de Marc Blanchet et Hélène François, mise en scène d’Hélène François

Une vraie vie de poète de Marc Blanchet et Hélène François, mise en scène d’Hélène François

Cela se passe sur le petit plateau du théâtre Quintaou à Anglet, un des quatre sites de la Scène Nationale du Sud-Aquitain à Bayonne en toute intimité avec cent spectateurs. et dans un merveilleux silence. Marc Blanchet écrit notamment des entretiens et présentations de spectacles pour le festival d’Avignon et les programmes de saison pour plusieurs Scènes nationales, Centres Dramatiques Nationaux…  Il est l’auteur de nombreuses chroniques sur la poésie et se revendique poète mais est aussi photographe. Avec Hélène François, il a écrit ce monologue où il évoque son enfance, raconte-un peu-sa vie de poète voyageur et ses rencontres souvent chaleureuses avec des écrivains étrangers.
Marc Blanchet dit que tout le monde aime la poésie mais surtout celle des siècles passés, et de loin: -Vous écrivez de la poésie ? C’est merveilleux. On en a bien besoin de nos jours. -Merci. Mais vous en lisez ? Non, pas du tout. » Cela ressemble à la fameuse phrase dans La Leçon d’Eugène Ionesco: « Pourtant; j’aimerais autant vivre autre part. A Paris, ou au moins, à Bordeaux. -Vous aimez Bordeaux? – Je ne sais pas. Je ne connais pas.

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*Les recueils actuels se vendent peu et sont ignorés ou presque des médias et des lecteurs. Quant à la rémunération, Marc Blanchet démontre vite sur un tableau en papier qu’on n’arrive  jamais à vivre de sa poésie… une fois rémunérés éditeur, imprimeur et libraire. Il nous parle  avec sensibilité et intelligence mais parfois un peu vite-de tous les poètes que ses profs de lycée lui ont fait découvrir ou qu’ensuite il a lus et relus.

Comme René Daumal, sans doute son préféré, avec son roman poétique Le Mont analogue : « Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle du mont Analogue (…) Il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l’invisible doit être visible. »êtres humains tel q
Il parle aussi magnifiquement des recueils de Franck Venaille, son ami récemment disparu. Ou encore d’Ovide ou Homère. Mais aussi de Sylvia Plath, cette immense poétesse américaine (1932-1963). Et de cet autre poète bengali Lokenath Bhattacharya (1927-2001) rencontré en Inde, devenu son ami et mort dans un accident de voiture. Il admirait beaucoup Arthur Rimbaud et Henri Michaux qui le publia chez Fata Morgana.
Marc Blanchet dit aimer aussi l’écriture poétique de Nimrod, un poète, romancier et essayiste tchadien de soixante-six ans. Mais il
cite juste une fois Yves Bonnefoy qui semble peu l’inspirer, comme Paul Eluard ou Aragon qu’il n’évoquera pas. Tiens, au fait, ils parlaient avec Drieu La Rochelle et Jacques Rigaut, au café de Madrid à Guéthary, qui ont séjourné dans ce petit village près de Bayonne. Un autre poète, lui mort en 1920, Paul-Jean Toulet, auteur de célèbres contre-rimes (des quatrains aux rimes A B B A, et croisés: 8-6-8-6) y vécut et y mourut. Vous avez dit bizarre? Marc Blanchet doit bien avoir une explication…poétique!

Ici sur deux tapis, une chaise, et une table d’école aux pieds tubulaires; dessus, les livres des poètes dont il va parler, sous une lumière douce qui variera légèrement. Marc Blanchet fait aussi en peu de mots et avec humour, le récit des nombreux petits boulots alimentaires auxquels ses employeurs mettaient vite fin… Et on sent bien qu’il a dû, pour ne pas faire de concessions, vivre de façon très modeste : la liberté de penser et d’écrire a un prix. Et mieux vaut ne pas trop compter sur l’aide d’une ou d’un mécène… « Quant aux médias, ils ont, dit-il, une idéologie : ils se méfient des poètes et ne vont pas vers eux. » Et les dictateurs les détestent cordialement: ils sont vus comme dangereux, puisqu’ils ont un  autre rapport au langage!
Mise en scène et direction d’acteur précise et rigoureuse signée Hélène François qui l’a « aidé à trouver le présent au plateau ». J’ai, dit-elle, une même conception du langage. » Marc Blanchet n’est pas un acteur « professionnel » et n’y prétend d’ailleurs pas mais avec un micro H.F., il a une très bonne diction et sait improviser. De cet équilibre, nait ce qui peut être assimilé à une performance avec, au centre, le langage poétique.
« Hélène François n’est pas de nature prométhéenne; la chose est là pour tout le monde et nous avons une expérience commune du langage.  Quand les poètes s’emparent du théâtre, dit Marc Blanchet, ils peuvent être plus didactiques qu’ils ne le voudraient. Et la fiction raconte des instants fondés sur une certaine vérité. On navigue entre les deux.  » Et la metteuse en scène partage avec lui, dit-elle, la saveur des noms propres: Octavio Paz, Pablo Neruda, Fernando Pessoa… une saveur que lui a transmise Jean-Louis Martin Barbaz, son professeur de théâtre .

Damien Godet, le directeur de la Scène Nationale de Bayonne, a visé juste, quand il a fait se rencontrer cette jeune metteuse en scène et un écrivain souvent proche du théâtre mais qui n’était jamais monté sur un plateau. Ici aucune prétention dans le jeu, aucun effet de mise en scène comme on en voit souvent.
Mais en une heure et quelque, une vie de poète évoquée avec intelligence, simplicité et générosité. Cette soirée de poésie réjouissante près de l’Adour fait le plus grand bien, loin, très loin des injures et vulgarités de Trump, gagnant son élection ce même soir de première… Il faudrait que ce spectacle puisse aussi être vu à Paris. Il le mérite amplement.

*Il y a déjà de la concurrence! Première édition de Créatine, le  24 novembre, de 12 h à 22 h 30, une journée de poésie contemporaine en présence d’éditeurs avec ateliers et lectures-performances au Ground Control,  81 rue du Charolais, Paris ( XII ème).

Philippe du Vignal

Spectacle créé du 5 au 9 novembre au Théâtre Quintaou d’Anglet-Scène nationale de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).

Le 18 et 19 mars, Le Grand R-Scène nationale de la Roche-sur-Yon (Vendée).

Le 22 mars, Cité internationale de la langue française, Château de Villers-Cotterêts (Aisne). 

Le 3 avril, Équinoxe-Scène nationale de Châteauroux, au Théâtre Maurice Sand, La Châtre (Indre).


Archive pour novembre, 2024

Si tu t’en vas, de Kelly Rivière, mise en scène de Philippe Baronnet

Si tu t’en vas, de Kelly Rivière, mise en scène de Philippe Baronnet

Ce n’est pas le titre d’un chanson sentimentale mais un tête-à-tête entre une professeure et son élève : d’elle ou lui, qui aura le dessus dans ce huis-clos tendu ? Après le succès du solo, An Irish Ssory, une histoire irlandaise, l’autrice a reçu commande du metteur en scène Philippe Baronnet, d’un texte court qui traiterait des relations conflictuelles entre parents et enfants, et du fossé qui se creuse entre les générations.

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©Victor Tonelli

Kelly Rivière choisit de parler de l’école et met en présence Nathan, dix-sept ans et Madame Ogier, sa professeure de terminale. Il lui annonce qu’il veut quitter le lycée et aller à Dubaï : il rêve de faire fortune avec la vente en ligne de baskets, un commerce qui lui rapporte déjà gros. Il ne voit pas son avenir dans la ferme familiale où endetté, son père déprime depuis que sa femme l’a quitté. L’enseignante va essayer de dissuader Nathan : pourquoi abandonner ses études sur un coup de tête pour un projet nébuleux ?
Il la traite de «tueuse de rêves» mais elle réplique qu’il peut envisager un autre avenir après avoir passé le baccalauréat. Mais lui ne croit pas à l’ascenseur social de l’école, ni à la valeur de ce qu’on lui enseigne et il se moque d’elle, la trouve vieux jeu, parce qu’elle ne connaît pas Instagram… Dans cette salle de classe vide et impersonnelle, le cours terminé, il faut beaucoup de persévérance à cette professeure-jouée avec talent par Kelly Rivière- pour ne pas sortir de ses gonds et trouver la bonne distance avec le jeune homme. Et comment défendre un système scolaire en panne ?

Inévitablement, l’enseignante et son élève (Pierre Bidard,) ont des échanges plus personnels, trouvant chacun de leurs arguments, dans leur vécu. Ils finiront par se confier l’un à l’autre mais sans que jamais naisse un vrai terrain d’entente. Et leur duo ressemble de plus en plus à une scène de ménage ou de famille mais à fleuret moucheté. L’autrice a su trouver les mots justes pour chaque personnage. Et la professeure a une bonne dose d’humour, même si, elle perd quelquefois les pédales ou trahit ses sentiments par des lapsus. Au final, une tendresse souterraine nait entre les protagonistes.

Des résidences en milieu scolaire ont permis à l’équipe artistique d’affiner le projet et filmer les témoignages d’élèves et professeurs. Certains visages sont projetés en ouverture du spectacle, histoire de nous mettre dans le climat de la confrontation qui va suivre. Ils traduisent brièvement les opinions contradictoires qu’ils ont les uns, des autres et les questions qu’ils se posent. Juste et bien interprétée, la pièce met le doigt sur un certain nombre de problèmes, alors que s’ouvre le procès Samuel Paty, quatre ans après son assassinat.
Il serait bon comme le propose Philippe Baronnet, que ce spectacle soit joué dans les classes. Les théâtres qui le programment, s’y emploient. «Je ne doute pas que le personnage de Nathan trouvera beaucoup de résonance chez les lycéens, dit Kelly Rivière, mais j’aime autant que les jeunes et moins jeunes, soient réunis pour partager la même représentation. » Si tu t’en vas est à voir en famille et espérons qu’un maximum de parents et enseignants iront le découvrir. Kelly Rivière est une autrice à suivre et donnera son prochain solo, La Vie rêvée aux Plateaux Sauvages en février.

Mireille Davidovici

Les 4, 11, 18 novembre et les 5, 19, 29 novembre puis les 3 et 17 décembre, Théâtre La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

Le 19 décembre, Théâtre Municipal # lycée C.F. Lebrun, Coutances (Manche).

Le 13 janvier, Scène Nationale de Dieppe (Seine-Maritime), lycée agricole Pays de Bray, Brémontier-Merval (Seine-Maritime) ; le 15 janvier Théâtre de la Ville, Saint-Lô #MFR de Percy (Manche).

Le 6 mars, Théâtre du Château, Eu (Seine-Maritime) e le 20 mars Athénée-Théâtre de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).

Et à partir du 1er avril, Théâtre de la Scala.

 

Les Créanciers d’August Strindberg, traduction d’Elsa Andrianou, mise en scène d’Aris Troupakis

Les Créanciers d’August Strindberg, traduction d’Elsa Andrianou, mise en scène d’Aris Troupakis 
Cette pièce tendue et ramassée commence sur le ton de la comédie et finit par un dénouement tragique inattendu mais fort bien amené. L’écrivain suédois y exprime toutes ses souffrances et ses conceptions radicales du couple, et de la femme.

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Dans le salon d’un hôtel en bord de mer, deux hommes se retrouvent : ils ont aimé la même femme et en parlent. Gustaf (Philippos Sofianos), un professeur âgé, a été le premier mari et le pygmalion  de Tekla (Dimitra Chatoupi). Adolf (Yorgos Stavrianos), plus jeune, a ensuite épousé Tekla et lui a apporté un autre enrichissement personnel et la fit socialement progresser. N’est-elle pas devenue une écrivaine à succès ?

 Mais Tekla a repris sa liberté. N’a-t-elle pas des dettes envers ces amants qui ont fait d’elle une personne aujourd’hui estimée et reconnue ? Comme le pensent ces hommes, Tekla a pris chez eux tout ce dont elle avait besoin, tel un vampire. Ainsi ne les a-t-elle pas volés, diminués, spoliés ? Ils sont ses « créanciers ».
Gustaf manipule Adolf pour qu’il prenne pleinement conscience du mal qui lui a été fait et qu’une vengeance soit ourdie. Mais il joue un double jeu et est sans pitié pour Adolf, diminué par des crises d’épilepsie et il veut reconquérir Tekla qui face à leur hostilité, dispose seulement de son intelligence et de sa passion pour la liberté. Décor minimal avec juste quelques accessoires nécessaires à ce huis-clos. La mise en scène est rythmée et chaque silence, significatif. Les excellents comédiens soulignent bien le jeu de manipulation et les rapports entre les deux sexes, lestés de créances et dettes mais sans reconnaissance ni remise. Un spectacle de  grande qualité dans un théâtre-bijou d’Athènes !

 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre EΛΕΡ, 10 rue Frynichou, Athènes. T. : 0030 211 7353 928
 
https://www.youtube.com/watch?v=T1ekey0TSys
 
 
   

Notre comédie humaine d’après Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes d’Honoré de Balzac par le Nouveau Théâtre Populaire

Notre comédie humaine : Les Belles illusions de la jeunesse et Illusions perdiue d’après Illusions perdues d’Honoré de Balzac par le Nouveau Théâtre Populaire

 Cette compagnie qui fait sa première apparition sur une scène parisienne, a ravi le public par son approche cohérente de l’œuvre, passant du kitsch d’époque à une fable tragique où les personnages ne sont plus que les fantômes d’un cauchemar. Née en 2009 dans un jardin l’été à Fontaine-Guérin, un village de mille habitants au cœur du Maine-et-Loire, elle y a construit un théâtre de plein air pour monter en peu de temps, des grands classiques de la littérature dramatique, en pratiquant un tarif unique, cinq € la place. Quinze ans et une soixantaine de créations plus tard, le N.T.P. compte vingt-et-un membres permanents et a un fonctionnement démocratique. Son manifeste stipule: « 1. Nous prenons les décisions collectivement : par consensus, vote à bulletin secret ou à main levée.2. Nous présentons toujours plusieurs pièces, mises en scène par différents membres de la troupe. (…) 4. Tous les membres de la troupe participent à plusieurs spectacles.»

© N.T.P.

© N.T.P.

Lucien, jeune provincial sans fortune, rêve de monter à Paris pour y atteindre la gloire littéraire. Honoré de Balzac raconte ses aventures dans ces romans-clés de la Comédie Humaine : Illusions perdues, publié entre 1837 et 1843, et Splendeurs Misères des courtisanes, entre 1838et 1847.  Le collectif Nouveau Théâtre Populaire le présente en triptyque, avec des mises en scène de style différent, dans une scénographie unique mais évolutive. Soit pour le spectacle vu en intégralité, six heures trente dont une d’intermèdes, et une autre d’entractes.

Le premier spectacle correspond au début d’Illusions Perdues : Les deux poètes et prend la forme légère d’une opérette ,Les Belles Illusions de la jeunesse. Le deuxième est une satire politico-médiatique, récit des tribulations de Lucien dans la jungle parisienne, tiré du second chapitre du roman, Un grand homme de province à Paris. Enfin, Splendeurs et Misères, adaptation de Splendeurs et misères des courtisanes, est un drame policier sur fond de spéculations financières. Il est peut-être préférable de voir cette trilogie dans sa continuité mais cette opérette, suivie d’une comédie, puis d’une tragédie fonctionne aussi séparément.

Les Belles illusions de la jeunesse, adaptation et mise en scène d’Émilien Diard-Detœuf

La troupe nous accueille en chanson devant le décor en carton-pâte d’un petit théâtre provincial: «Soyez les bienvenus dans nôtre co co co comédie humaine (…)  Le ciel est un théâtre et le monde une scène. Nous faisons des chansons des livres les plus longs… »Honoré de Balzac (Frédéric Jessua) vient situer l’action et les personnages de son roman. Nous sommes à Angoulême, en 1821, au temps de la Restauration. Perchée sur son rocher, la ville haute abrite la noblesse et le pouvoir et en bas, au bord de la Charente chez les roturiers, on fait du commerce et de l’argent.
En haut, la belle Madame de Bargeton (Elsa Grzeszczak) s’ennuie auprès de son vieux mari (Joseph Fourez), entourée de quelques courtisans : le fat et hypocrite Sixte du Châtelet (Flannan Obe) et des médisants (Francis du Hautoy, Kenza Laala et Morgane Nairaud). Entichée de littérature, elle cherche à jouer les muses. Lucien (Valentin Boraud) deviendra son protégé.

© N.T.P.

© N.T.P.

En bas, le poète en herbe, enrage de ne pouvoir percer dans le monde : il est pauvre et sa mère, née de Rubempré, a dû renoncer à sa particule, en épousant le pharmacien Chardon. Il trouve un soutien moral auprès de son ami David Séchard (Émilien Diard-Detœuf), imprimeur et inventeur, et de sa sœur Eve, une blanchisseuse (Morgane Nairaud). Accompagné par Sacha Todorovau piano, ces personnages vont nous faire vivre en chansons, une double idylle : Anaïs de Bargeton s’enfuit à Paris avec Lucien Chardon, en espérant avoir l’aide d’une cousine, la Marquise d’Espard. Et Eve épousera David Séchard
La musique de Gabriel Philippot met en valeur la finesse des paroles. Les arrangements puisent aux sources de l’opérette, de Jacques Offenbach, puis à George Gershwin. Le compositeur a aussi dirigé les chanteurs et le chœur des Angoumoisins friands du qu’en dira-t-on, leur ville étant, comme Paris par la suite, une composante de cette histoire. Le metteur en scène signe un livret habile et malicieux où Honoré de Balzac, sous une apparente légèreté, critique férocement une société désuète, engluée dans ses préjugés de classe.

 

Illusions perdues adaptation et mise en scène de Léo Cohen-Paperman

Débarrassé de son petit théâtre provincial, le plateau se résume à des gradins. En haut de la pyramide, trône la noblesse, en la personne de la marquise d’Espard (Kenza Laala), entourée de ses courtisans, entre autres Madame de Bargeton et Sixte du Châtelet. Honoré de Balzac prend ici l’habit d’un cuisinier de gargote et observe son héros dans l’arène du monde littéraire et médiatique. L’auteur de La Comédie humaine sait de quoi il parle, pour avoir fréquenté les milieux qu’il évoque de sa plume impitoyable : salons mondains, cénacles littéraires, cercles libéraux ou royalistes.
Ce Balzac cuisinier expose en quelques mots la situation politique sous Louis XVIII,où c’est le règne du «en même temps» : les Libéraux correspondraient pour nous à la Gauche et les Monarchistes, à la Droite. Autour de lui, s’agitent comme dans une fourmilière : éditeurs, écrivains, auteurs dramatiques, actrices… Le fils du pharmacien, pour défaut de particule, sera rejeté par la cousine de Madame de Bargeton et relégué dans une mansarde, en attendant qu’un décret du Roi lui rende le titre de noblesse de sa mère: de Rubempré. Sûr de son talent, Lucien va alors se battre et trouvera succès et fortune dans le journalisme. Le provincial idéaliste se déniaisera et apprendra vite les ficelles d’un métier corrompu: grâce à la toute puissance de la presse, on arrive à ses fins… à condition de n’avoir aucun scrupule. Il rencontrera le succès et l’amour de la belle Coralie qui triomphe au théâtre. Mais cela n’aura qu’un temps! «Les belles âmes, écrit Balzac, arrivent difficilement à croire au mal, à l’ingratitude, il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l’étendue de la corruption humaine.» Plus dure sera la chute et l’ambitieux qui a tout perdu, envisage de mettre fin à ses jours…

Par son esthétique, la pièce nous plonge dans le monde contemporain, avec ses couleurs criardes, son amour du fric, son culte de la jeunesse, ses lumières aveuglantes et ses musiques électroniques assourdissantes. Sous l’œil amusé et les commentaires cinglants d’un Honoré de Balzac vendeur de frites, le héros navigue entre plusieurs milieux : on reconnaît dans ses voisins d’infortune-qu’il finira par trahir!-les gauchistes d’aujourd’hui. Et la salle de rédaction pourrait être celle du journal Libération… Mais il n’atteindra jamais les hautes sphères de la société présidée par la Marquise d’Espard. Une juste et divertissante traduction de notre comédie contemporaine.
La suite au prochain spectacle qui débute, lui, sur la fin d’Illusions perdues où Herrera dissuade Lucien de se noyer.

Mireille Davidovici

Du 2 au 24 novembre Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette. T. : 01 43 28 36 36.
Intégrales samedi et dimanche)

Du 11 au 14 décembre, Le Quai, Angers (Maine-et-Loire).

Du 29 janvier au 1er février, Théâtre de Caen (Calvados).

 Le Ciel, la nuit et la fête: Le Tartuffe / Dom Juan / Psyché, du 15 au 18 janvier, Le Trident- Scène Nationale de Cherbourg (Cotentin) et du 22 au 25 janvier,Théâtre de Caen (Calvados).

Du 5 au 8 février, La Commune -C.D.N. d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).

 

 

 

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Je suis trop vert texte et mise en scène de David Lescot

 Je suis trop vert texte et mise en scène de David Lescot

 Nous retrouvons, avec le même plaisir Moi, élève de 6 ème D, en pleins préparatifs de classe verte. Dans J’ai trop peur, âgé de dix ans, il s’inquiétait de son entrée au collège et dans J’ai trop d’amis, il vivait ses premiers émois amoureux dans de pénibles embrouilles. (Voir Le Théâtre du Blog). Même dispositif scénique simple et astucieux que pour les spectacles précédents : une boîte à jouer en bois semée de trappes, conçue par François Gautier-Lafaye. Elle s’ouvre selon les besoins pour faire émerger le pupitre où Moi et son copain Basile discutent. Ou, pour que surgisse de sa chambre, la petite sœur, une vraie peste et, plus tard,on y entendra meugler les vaches et caqueter les poules, dans la ferme qui accueille les élèves…

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

David Lescot, en bon musicien, crée une série d’ambiances sonores pour figurer les différents lieux. Eclats de voix, mots épars, rires et cris : nous sommes dans la cour de récréation. Ronflement de moteur et nous voilà dans l’autobus roulant vers la campagne… « Le principe de la classe verte, dit Moi, c’est de nous envoyer dans la nature pour nous changer de la ville où on habite et nous familiariser avec la vie rurale ». Même s’il a peur de s’ennuyer, il se réjouit à cette perspective. Basile, lui, doit se faire prier pour accepter de partir. Balourd de la classe et  un peu décalé, il a peur de tout et il lui arrive des tas de mésaventures, plus ou moins drôles…

Après bien des embrouilles, voilà la classe partie pour une semaine à la ferme. Moi découvre que la campagne, ce n’est pas si calme et que la vie aux champs n’est pas de tout repos. Chargée d’instruire les enfants, Valérie, la fille de la famille, de peu son ainée, ne les ménage pas : lever aux aurores, taches harassantes, machines dangereuses, odeurs de fumier… Epuisant ! Le petit gars de la ville doit faire ses preuves devant une fille ! En récompense, elle lui apprendra à écouter et à comprendre la nature, et c’est avec un petit pincement au cœur, qu’il la quittera.

 Lyn Thibault, Elise Marie, Sarah Brannens, Lia Khizioua-Ibanez, Camille Bernon et Marion Verstraeten (en alternance), les mêmes que pour les première et seconde pièces du triptyque, interprètent tous les rôles, ce qui crée un grand nombre de combinaisons. Deux actrices jouent invariablement Basile et Moi. Et la troisième campe une multitude de personnages : un blouson, une capuche, une casquette, une perruque, ou des lunettes et moustaches et elle se transforme en garçon ou fille. Elle excelle dans l’interprétation de la petite sœur qui, sous la plume de David Lescot,  fait preuve de bon sens et aplomb, dans son langage de bébé irrésistible.

La pièce est riche en micro-évènements et facéties comiques mais l’auteur-metteur en scène ne cède pas à la facilité, aux clichés sur la jeunesse et ne dote pas ses personnages d’une feinte naïveté. Il aborde avec humour, les questions d’écologie et les vicissitudes de la condition paysanne. Pour se documenter, il est allé travailler dans l’exploitation agricole d’une amie. Nous ne sommes pas au vert paradis de l’enfance et David Lescot évoque avec tact et sensibilité, le vécu concret d’un garçon de cet âge avec ses questions sur la famille, l’avenir, le sort de la Planète…  « Je parle beaucoup avec les enfants de cet âge, dit-il, pour m’imprégner de la réalité de la sixième », dit l’auteur. Et cette classe de sixième nous apparaît pleine de vie, avec ses conflits, ses amitiés, joies et angoisses. Et nous l’accompagnons avec plaisir durant soixante minutes. La pièce destinée aux jeunes dès huit ans ravira aussi les grands.

 Mireille Davidovici

 Du 2 au 17 novembre, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier) Les 9,10 et 16 novembre, intégrale : J’ai trop peur / J’ai trop d’amis / Je suis trop vert : T. 01 42 74 22 77.

 Du 19 au 21 novembre, Scène nationale de Narbonne (Aude) ; 22 novembre Lattes, programmation du Crédit Agricole (Hérault) ; le 26 novembre, Nîmes, programmation du Crédit Agricole (Gard) ; le 28 novembre, Mende ( Lozère).

Du 9 au 18 décembre, T.N.G.-Centre Dramatique de Lyon ; du 13 au 15 janvier, Théâtre de l’Olivier, Istres-Scènes et cinés (Bouches-du-Rhône) ; du 30 janvier au 1er février, Théâtre des Sablons, Neuilly (Hauts-de-Seine).

Les 27 et 28 février, MCL, Gauchy (Aisne).

Les 12 et 13 mars, Théâtre André Malraux, Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).

Du 13 au 16 avril, Les Petits devant, les grands derrière, Poitiers (Vienne) ; les 28 et 29 avril, Théâtre du Champ du Roy, Guingamp (Côtes-d’Armor).

 

Le texte de la pièce est édité aux Solitaires Intempestifs.

 

 

La feuille d’automne de Jacques Livchine


La feuille d’automne de Jacques Livchine

Il y en a qui pensent parce qu’on est vieux, qu’on on est sage et qu’on a donc du savoir, et donc de l’expérience et des avis sur la politique, les sciences et les arts. Autrefois, les instituteurs et les curés avaient de l’instruction et donnaient leurs avis. Il y avait des utopies en marche, on essayait de les suivre. Mais maintenant à qui se fier ? A Pascal Praud? Alain Fikienlkraut? Serge July? Jérome Fourquet?  Sans arrêt, je suis sollicité: et toi tu en penses quoi ?
Donc je suis allé voir Anora de Sean Baker avec Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yura Borisov… Le film a eu la Palme d’or au dernier festival de Cannes. Une Palme d’or, franchement, je ne prenais pas trop de risques! Mais tout au long de ces deux heures, je m’interrogeais: c’est cela, le meilleur des films primé à Cannes? A la sortie, je vais lire les articles de ceux qui s’y connaissent: les critiques de Télérama, Le Monde, Libération Les Echos…. Je ne m’y retrouve pas. D’accord avec eux: ils saluent  tous la performance de Mickey Madison en prostituée, mais pour moi, rien n’est crédible. On a voulu récompenser une comédie légère. Je comprends… Un jury éminent visionne des dizaines de films à contenu sérieux, alors Anora, c’est une récréation avec du sexe, du bling-bling, l’inévitable panorama sur la mer et des courses-poursuites.  Bref, 12/20: ma note à moi.

©x Arthur Rimbaud, le récent spectacle du Théâtre de l'Unité

©x Une Saison en enfer d’Arthur Rimbaud, le récent spectacle itinérant du Théâtre de l’Unité


On me demande souvent mon avis en théâtre: là, je m’y connais sans doute mieux… J’ai monté avec Hervée de Lafond plus de quatre-vingt spectacles, j’ai suivi les cours de l’Institut d’études théâtrales à Paris, été étudiant à la Sorbonne en lettres modernes, et en cinquante-cinq ans de carrière, j’ai vu quelque deux mille spectacles !
Et là, divorce… j’ai un avis souvent très différent de celui du public.
Une anecdote : deux critiques sortent d’un spectacle et l’un dit à l’autre : le public seul  a aimé!

Quand il applaudit avec frénésie mais, c’est souvent le cas! -je reste froid. J’applaudis rarement, rien ne me plait vraiment. Alors on me demande : Tu as aimé ? Je réponds : je n’ai pas dormi, c’est déjà ça! car je quelquefois pris de narcolepsie. « Mais tu as aimé, ou pas aimé ? » Il n’y a pas de mots en français pour dire: j’ai aimé et pas aimé, tout à la fois…
Quand le metteur en scène me pose la question, je suis bien embarrassé. J’ai un proverbe qui traîne : si tu veux garder des amis, ne va pas voir leur spectacle. Rares sont ceux qui reçoivent la critique sereinement.  Donc, on enrobe le propos, on interroge: quelle était ton urgence? Ou on dit: » Je n’ai pas bien perçu le contenu… »

 Maintenant et c’est devenu notre vie,  nous visionnons dans notre salle des trois Oranges  à Audincourt, le travail des compagnies que nous accueillons en résidence et nous leur faisons des retours. Un rituel souvent un peu acide et tendu mais on nous remercie pour notre parole dite “cash”. Jamais facile pour un artiste de savoir où il en est! Il peut y avoir certes une marge d’erreur et aussi des nouvelles valeurs: notre logiciel mériterait d’être actualisé, par exemple, sur le wokisme, le genre… Nous avons des critères sévères: espoirs de  tournée, contenu de la fiche technique, évaluation de la jauge, thème du spectacle, notoriété de l’auteur, accessibilité familiale! Et un contenu trop politique peut vous mettre sur la touche!

 Jouer un spectacle quarante fois dans l’année devient un exploit! Diffusion: maintenant,  une chose cruciale quand on le crée! il faut plaire au public mais aussi à tous ceux qui dirigent les salles, les théâtres et les festivals. Actuellement, pour affronter les obstacles d’une création, mieux vaut avoir une sacrée dose de courage et  une foi bien accrochée…

Jacques Lichine, codirecteur avec Hervée de Lafond du Théâtre de l’Unité à Audincourt (Doubs).

 
 
 
 

L’Amante anglaise de Marguerite Duras, mise en scène de Jacques Osinski

L’Amante anglaise de Marguerite Duras, mise en scène de Jacques Osinski

Pourquoi Claire Lannes a-t-elle assassiné sa cousine? À partir d’un fait divers sordide,l’autrice explore l’insondable psyché d’une femme en perdition. En 1949, Amélie Rabilloud assassine son mari tyrannique avec un marteau. Pour se débarrasser du corps, elle le découpe en morceaux qu’elle jette sur les trains depuis un viaduc, non loin du village. Elle ne gardera que la tête, ne dira jamais ce qu’elle en a fait et n’expliquera pas son geste
Dans la pièce, le mari est bien vivant. C’est une cousine sourde et muette, Marie-Thérèse, domestique du couple, que Claire Lannes assassine sans raison. «Amélie Rabilloud a avoué dès qu’elle a été arrêtée, dit Marguerite Duras. Je les ai appelés les Lannes. Elle, Claire, Claire Lannes. Lui, Pierre, Pierre Lannes. J’ai changé aussi la victime du crime; elle est devenue Marie-Thérèse Bousquet… »
Dans une interview à Claude Sarraute pour Le Monde, la romancière explique son titre: «Il s’agit de la menthe anglaise, de la plante, ou, si vous préférez, de la chimie de la folie. Elle l’écrit avec l’apostrophe. Elle a tout désappris, y compris l’orthographe. »

© Pierre Grosb

© Pierre Grosb

Qui est cette femme et quelles sont ses raisons ? Pour faire le clair, Marguerite Duras invente un Interrogateur qui va soumettre les époux l’un après l’autre, à ses questions. A la fois inquisiteur, psychanalyste, confident et confesseur, il tente de remonter aux racines du crime. L’interrogatoire de Pierre Lannes fouille dans l’histoire d’un couple qui n’en est plus un. Sa version, pleine de zones d’ombre, présente un portrait en creux de la criminelle. Puis vient le tour de l’inculpée. Toute la pièce tient à la manière dont chez ces êtres, ce tiers personnage décèle des bribes de vérité. On reconnaît ici l’art de l’interview de l’autrice. Jacques Osinski, après Fin de partie et Cap au pire de Samuel Beckett, traite avec la même rigueur l’écriture tout aussi radicale de Marguerite Duras.


Dans ce théâtre à l’état pur, sans décor ni costumes, les acteurs sont entièrement concentrés sur leur texte, d’abord Grégoire Oestermann, le mari. Immobile sur une chaise devant le rideau de fer, il reste calme et résigné sous le feu des questions, lancées d’une voix neutre par Frédéric Leidgens, assis parmi les spectateurs. Le ton dépassionné de l’Interrogateur épouse le rythme inimitable de la prose durassienne et l’on croirait entendre l’écrivaine en personne. Triste sire, ce Pierre Lannes : il n’a rien vu, rien entendu, rien compris, il en sait plus qu’il ne le dit mais se révèle assez odieux pour mériter d’être assassiné.
La résolution de l’énigme Claire Lannes viendra-t-elle de l’intéressée elle-même ? Elle apparaît-seul effet de mise en scène- au lever du rideau de fer. Sandrine Bonnaire, frêle silhouette vêtue de noir, s’avance depuis le lointain du plateau nu. Immobile sur son siège, elle répond modestement à L’Interrogateur. Il la met en confiance, sans jamais la juger et il s’établit entre eux, une sorte de connivence, au point qu’il la rejoint sur scène. Ne cherche-t-elle pas, comme lui, les raisons de son acte ?
Il demande avec sollicitude : «On ne vous a jamais posé la bonne question sur ce crime ?» Elle répond : «Non. Si on me l’avait posée, j’aurais répondu.»  L’Interrogateur semble libérer la parole de la criminelle et parfois un joli sourire effleure les lèvres de Sandrine Bonnaire. « C’était ridicule cette vie. », avoue-t-elle. Elle évoque « le bonheur de Cahors, un bonheur pour toujours », avec un homme qu’elle a connu avant son mariage, puis « le gâchis Alfonso », un ouvrier portugais du village qu’elle aurait pu aimer. Elle explique qu’assise dans le jardin, à regarder pousser la menthe anglaise,elle avait pu parfois sortir du « mélange » et du « brouillement » de ses idées : «Vous savez, monsieur, sur ce banc, à force de rester immobile, j’avais des pensées intelligentes.» 

Elle rit en évoquant le physique bovin de sa cousine… Pendant plus d’une heure, les acteurs nous tiennent sous tension, dans un dialogue entre la salle d’où Frédéric Leidgens interroge avec ferveur ses partenaires sur la sellette à l’avant du plateau. Gros plan sur Sandrine Bonnaire, poignante d’humanité et nous sommes à l’affut d’une vérité et à l’écoute de cette femme en déréliction, au bord de la folie, au-delà de l’horreur : « Moi, à votre place, j’écouterais. Écoutez-moi… je vous en supplie… », dit-elle à la fin de la pièce.
Jacques Osinski s’inscrit, par sa sobriété, dans la lignée d’un Claude Régy : « Le metteur en scène, disait-il, est un parasite intelligent. Il n’est là que pour libérer certaines forces inconscientes. Les animateurs autoritaires cassent le texte, brisent le jeu… » Il fut le premier à monter la pièce dans sa première version, Les Viaducs de la Seine-et-Oise en 1960. Marguerite Duras reviendra sur cette histoire avec un roman, L’Amante anglaise en 67 et une pièce éponyme, mise en scène un an plus tard, au T.N.P., toujours par Claude Régy, avec Madeleine Renaud, Claude Dauphin et Michael Lonsdale. Les acteurs de cette nouvelle mise en scène n’ont rien à leur envier.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 31 décembre, Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, Paris (XVIII ème). T. : 01 46 06 49 24.

Du 9 au 11 janvier, Théâtre Montansier, Versailles (Yvelines). Le 14 janvier TAP avec les ATP, Poitiers (Vienne). Les 16 et 17 janvier, Châteauvallon-Liberté Scène Nationale, Toulon (Var).

Le 8 février, Les Franciscaines, Deauville (Calvados).

 Le texte est publié aux éditions Gallimard.

 

 

Les Sœurs Hilton, texte de Valérie Lesort, mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort

Les Sœurs Hilton, texte de Valérie Lesort, mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort

Vint-mille lieues sous les mers ( 2016) La Mouche, Le Voyage de Gulliver … des spectacles devenus culte à la fois par leur poésie, le jeu des acteurs, la scénographie, le texte à partir de Jules Verne, George Langelaan, Jonathan Swift…  autant de merveilleux spectacles imaginés avec intelligence et sensibilité par ce couple d’artistes (voir Le Théâtre du Blog).

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Valérie Lesort a écrit cette suite de courtes scènes en s’inspirant de l’histoire de Daisy et Violet , ces sœurs siamoises nées en 1908 mais attachées par quelques vertèbres soudées en bas de leur colonne vertébrale. Vite abandonnées par leur mère qui considérait cette naissance comme un châtiment divin! Les chirurgiens, à cause du trop grand risque de faire mourir l’une des deux, voire les deux, ont jugé préférable de de ne pas les séparer. Mary Hilton, la sage-femme qui les avait fait naître les adopta, non par charité mais pour, moyennant finance, les exhiber dans leur pays, en Allemagne, en Australie, aux États-Unis.
On leur avait aussi fait prendre des cours de chant et danse et elles seront quelques années de véritables  vedettes du music-hall. Puis après la mort de madame Hilton, un producteur Meyer Meyers les fit jouer dans des cirques aux Etats-Unis mais aussi à Broadway et dans le célèbre film 
Freaks. Puis la roue tourna mais cette fois-ci dans l’autre sens et elles survirent, en étant caissières dans une petite épicerie avant de quitter cette vallée de larmes en 69…

Une histoire émouvante… que Valérie Lesort n’a a pas réussi à traiter correctement. Les petites scènes défilent les unes après les autres sur une piste de cirque inspirée sans doute par celle de Freaks. Ici, tout est en rouges assez laids et manque d’harmonie, du décor au costume de Christian Hecq et Iann Frisch. Nous allons assister pendant deux heures-l’éternité c’est long surtout vers la fin- à la naissance de Daisy et Violet, à de petites anecdotes de leur vie comme les flatulences de l’une, suite aux oignons que l’autre aurait mangés, même si elles avaient chacune un système digestif. Vous avez dit : passionnant? 

Elles sont jouées par Valérie Lesort et Céline Milliat-Baumgartner qui n’arrivent jamais à imposer ce double personnage…On voit entre autres l’une faire l’amour derrière un rideau, pendant que l’autre sans arrêt bousculée par les ébat de sa sœur, lit un magazine. Ouaf ! Ouaf ! Ouaf ! Et enfin le spectacle se termine plutôt qu’il ne finit, par le décès de l’une… auquel assiste l’autre.!Mais rien ici qui permette une seule minute, de nous intéresser à la vie et de Daisy et Violet. Tous aux abris ! Aucune énergie véritable, aucune poésie… Et cela, malgré une réalisation technique au cordeau.

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Côté jeu Christian Hecq joue, entre autres, le rôle principal de la méchante sage-femme mais en fait des tonnes, ce qui est vite insupportable. L’excellent magicien Yann Frisch (voir Le Théâtre du Blog) dont on se demande ce qu’il fait là, n’a pas vraiment de personnage et fait quelques tours, comme celui de la corde coupée, avec la participation d’une spectatrice… Au, moins, à ces moments-là, on ne s’ennuie pas… Ici, tout se passe comme si Christian Hecq et Valérie Lesort essayaient de de remplir le temps. Mais rien à faire, l’éternité, c’est long surtout vers la fin… et même au début.
Que sauver de ce désastre? Quelques belles images, comme ce grand hublot hérité de
Vingt mille lieux sous les mers, les tours de Yann Frisch et un merveilleux prologue, quand leur fidèle petit chien vient dire au tout début quelques mots au micro. Reste à comprendre comment on en est arrivé là. Un cas d’école intéressant pour les élèves-acteurs et/ou metteurs en scène…
D’abord et surtout, une fausse bonne idée que cette adaptation des soixante ans de la vie de
Daisy et Violet qui n’a pas dû être si passionnante que cela… Si on ajoute un manque criant de dramaturgie, un dialogue très médiocre et sans aucun rythme, une auto-direction d’acteurs inexistante, une scénographie peu adaptée,  cela offre quelques pistes… Christian Hecq et Valérie Lesort se sont plantés. Dommage pour le public et la Comédie-Française: quelqu’un de cette grande Maison a-t-il lu le texte de ce projet?
Amis de province et de Belgique, vous aurez compris que vous pourrez vous épargner cet ennuyeux spectacle qui a été mollement applaudi…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 3 novembre, Comédie-Française, Théâtre du Vieux Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème).

Théâtre de Namur (Belgique), du 6 au 8 novembre.

Théâtre Edwige Feuillère-Scène conventionnée de Vesoul (Haute-Saône), les 19 et 20 novembre. Saint-Michel-sur-Orge (Essonne) les 23 et 24 novembre. Le Bateau-Feu, Scène nationale de Dunkerque (Nord), les 28 et 29 novembre.

Centre national de Création Orléans (Loiret), du 6 au 14 décembre.

Le Volcan-Scène nationale du Havre (Seine-Maritime) du 8 au 10 janvier. Le Grand R- Scène nationale de La Roche-sur-Yon (Charente-Maritime), les 13 et 14 janvier. Théâtre Auditorium de Poitiers-Scène nationale (Vienne), les 17 et 18 janvier. Les Salins-Scène nationale de Martigues ( Bouches-du-Rhône), les 31 janvier et 1er février.

Malraux-Scène nationale Chambéry-Savoie, les 11 et 12 février.

 

 

 

Jon Allen

Jon Allen


Comme beaucoup, cet artiste britannique a commencé à neuf ans, par lire un ouvrage: Little Black Book of Magic de Blackstone. Curieux, il voulait savoir comment les choses fonctionnaient et les tours lui semblaient donc être une bonne voie à explorer. Ses parents lui ont alors fait le cadeau d’un coffret de magie et il a ensuite acheté des tours pour s’entraîner.
Après l’Université, il a voyagé deux mois en été aux États-Unis et ailleurs. «Nous aimons tous faire des tours et beaucoup en ont les capacités mais ajouter une présentation et un style, cela relève d’une autre compétence ! A la dernière soirée à l’Université, j’étais allé au restaurant où il y avait, par hasard, un magicien. J’ai commencé à lui parler de son travail et cela m’a donné l’idée de transformer mon passe-temps en une source de revenus et j’ai pu obtenir un premier emploi dans un restaurant. Mon père, chauffeur de taxi, véhiculait un gérant de restaurant à Londres et lui a parlé de moi. Cet homme lui a donné son numéro pour que je l’appelle et, après quelques mois de travail chez lui,  j’y ai rencontré Marvin Berglas qui m’a invité à venir au Marvin’s Magic : sans doute la plus grande chance de ma vie… J’ai aussi travaillé dans un autre restaurant. » Des étapes importantes pour Jon Allen: il voit alors que la magie fonctionne dans le monde réel mais  qu’il faut arriver à se connecter aux profanes. 

© Sarah Larson

© Sarah Larson

Il n’a rencontré aucun obstacle pour être magicien à plein temps: ses parents voulaient qu’il ait un emploi traditionnel et un salaire fixe. Après que leur fils ait remporté le concours de close-up d’I.B.M. aux États-Unis, ils ont réalisé que c’était peut-être la voie à suivre et ils l’ont pleinement soutenu.
«Mais, dit-il, on doit avoir plusieurs compétences: techniques, psychologiques, créatives… Il y a de nombreux illusionnistes techniquement plus compétents que moi mais cet ensemble de compétences m’ont permis d’être celui que je suis. Il faut avoir aussi une capacité à analyser un effet et avoir une bonne présentation.
Pour moi, il est important que je me demande : « Pourquoi un public devrait-il se soucier de ce que je fais? » Cette question est liée à la capacité de «présenter» la magie, plutôt que la «montrer» et  être une personne intéressante. Il faut avoir une force de réaction rapide aux commentaires du public. Je prends note de ce qui se produit sur le moment et en posant des questions, suis heureux de créer des situations dont je ne connais pas la réponse.

Ainsi, les spectateurs savent qui je suis vraiment et je ne me contente pas de répéter un script mais j’interagis, et cela fait une énorme différence… Mais dans le domaine commercial, les professionnels sont là pour m’aider. » Il s’est surtout concentré sur la magie de proximité et le stand up. Au Royaume-Uni, il y a beaucoup plus de lieux et d’opportunités mais il y a eu chez lui au fil des ans, une transition vers la magie de salon et de scène La magie de proximité et celle de salon sont mes préférées et c’est pour cela qu’on m’engage. J’ai plus de mal avec les grandes illusions scéniques qui semblent être des énigmes à résoudre et  qui n’ont souvent aucun sens. »  Il participe aussi  à de nombreux événements d’entreprise ou privés.
Il a vu régulièrement à la télévision Paul Daniels, Wayne Dobson et David Copperfield mais aussi Daryl, Dan Harlan, Chad Long, Garrett Thomas, et surtout David Williamson qui a littéralement changé sa vie. «Sans lui, je ne serais pas l’artiste que je suis aujourd’hui et je ne pense pas être le seul à le dire. Son humour, ses talents de manipulateur et conteur sont admirables. Il est important que les illusionnistes s’inspirent d’artistes d’autres disciplines comme pour moi: Victor Borge, Bob Newhart, Eddie Izzard et Robin Williams.
David Williamson l’a touché comme personne. « Son style, m’a donné le feu vert pour apporter un sens de l’humour élargi à mes spectacles, comme Robin Williams qui lui aussi, a cassé les règles de ce que devrait être une performance. » Quel conseil donner à un débutant? A cela, il répond le plus souvent en quelques mots : « se demander toujours pourquoi réaliser un tour ? Pourquoi devrait-on se soucier de ce que je fais ?  Pourquoi je dis ça?». Ou à un niveau supérieur : pourquoi faire tel geste, ou utiliser tel accessoire ? Quand la réponse est fondée sur la méthode, elle est mauvaise par rapport à la question posée.
« Mais il faut aussi travailler sur qui on est et sur l’impression qu’on veut donner et pour qu’on ait un aperçu de vous en tant que personne et qu’on ne voit pas un artiste vide de sens… Si vous êtes beau et attirant, je vous déconseille le genre : regardez-moi! Cela vous rendrait «unidimensionnel! Le public s’intéresse à ceux auxquels il peut s’identifier, plutôt qu’à un artiste anonyme et égocentriste. Même avec un spectacle silencieux, on peut arriver à séduire grâce à la musique et à l’expression corporelle. »

Jon Allen a un regard mitigé sur l’état de son art et,, pour lui, « ceux qui révèlent en ligne ses secrets, n’ont pas leur place dans la fraternité de notre corporation et se contente d’exploiter le terrain…  Et celui qui leur donne un laissez-passer, est tout aussi mauvais. Dans l’ensemble, je pense que la magie actuelle est en bon état et beaucoup de confrères font des spectacles sur scène ou à la télévision. Penn et Teller présentent des magiciens incroyables à un public mondial. Même, dans des émissions comme Got Talent, ils s’en sortent incroyablement bien. Je ressens chez de nombreux amis, une dépendance à un accessoire et ils voudraient qu’il fasse tout ou presque. J’ai vu souvent cela, chez ceux qui ne prennent pas le temps d’apprendre. Quand on est trop dépendant d’un accessoire, les bases sont oubliées ! Nous devons faire en sorte que tout paraisse naturel, « invisible »… »

Subtilité, diversion, diversion temporelle, psychologie permettent de créer un effet sans gadget. La magie progresse toujours mais ceux qui qui en étudient les techniques et l’histoire, sont mieux équipés pour avancer. Depuis quelques années, avec les avancées technologiques, un nouveau type d’illusions est arrivé et il y a de nombreuses «applications ». Certaines incroyables mais les autres ressemblent simplement… à une application. Il y a une grande différence entre un spectateur s’étonnant d’un tour manuel et celui, impressionné par une technologie virtuelle. Bien fait, notre art pourra encore et toujours, rivaliser avec d’autres formes de divertissement.
La Culture joue un rôle important dans les répertoires mais, avec des approches spécifiques : l’Espagne est ainsi connue pour ses tours de cartes, l’Asie, pour ses numéros de manipulation, et le Royaume-Uni, pour ses magiciens comiques.» Le public est beaucoup plus susceptible de s’intéresser à un spectacle auquel il peut s’identifier mais il y a une différence dans l’humour visuel, les styles musicaux en Europe, et au Royaume-Uni. L’artiste peut être drôle, et le numéro étrange mais quand le style d’humour vise un public culturellement bien ciblé, vous serez mieux apprécié.
Côté loisirs, Jon Allen a commencé à aller dans une salle de sport mais adore aussi cuisiner avec deux friteuses à air. Il bricole, voit des films en tout genre et les actualités dont il s’inspire souvent et auxquelles il fait référence dans ses spectacles. « C’est beaucoup plus facile en close-up que sur scène, dit-il. Mon style est plus conversationnel, qu’entièrement scénarisé. Mais bien sûr, être avec ma famille est le meilleur des passe-temps! »

Sébastien Bazou

https://www.onlinemagicshop.co.uk/
Interview réalisée le 21 octobre à Dijon, (Côte d’Or).

 

Didon et Énée, chorégraphie de Bianca Li, musique d’Henry Purcell

Didon et Énée, chorégraphie de Bianca Li, musique d’Henry Purcell

 Pour en faire un ballet, Bianca Li a enregistré cet opéra créé par William Christie et son ensemble baroque Les Arts florissants, dont elle réalisa la chorégraphie. Ecrit par Henry Purcell en 1689, sur un livret du poète irlandais Nahum Tate et tiré de L’Énéide de Virgile cet opéra en trois actes raconte les amours maudites d’Énée, fuyant Troie après la guerre, et de Didon, reine de Carthage. La jeune veuve recueille le héros naufragé après une tempête mais leur idylle n’aura qu’un temps. Après un violent orage, mystifié par des sorcières et des esprits maléfiques, Énée reprendra la mer. Leurs adieux sont déchirants et la reine meurt de chagrin.

© Laurent Philipe

© Laurent Philipe

La chorégraphe, fidèle à la musique, se démarque du narratif de l’opéra : «Ce ballet, dit-elle, raconte moins l’histoire de Didon et Énée, que leurs émotions et la part d’indicible à chaque étape de leur amour. » Pour traduire les ressentis des personnages, elle invente un langage corporel fondé sur des mouvements partant du diaphragme. Les dix interprètes, traversés par le va-et-vient du souffle, se déploient amplement, corps souples et ondoyants comme les vagues.
C’est dans l’eau, répandue sur le plateau par eux, que se déroule le spectacle. Sur le sol mouillé, ils évoluent avec une incroyable légèreté, tantôt comme planant, tantôt se livrant à de réjouissantes glissades, se traînant avec force éclaboussures et simulant la nage ou le geste des rameurs. Il leur a fallu apprendre à freiner, sauter, ramper, virevolter, s’agripper, s’élancer sans craindre la chute… Un exploit pour Alizée Duvernois, Victor Virnot, Julien Marie-Anne, Meggie Isabet, Maeva Lassere, Coline Fayolle, Gaël Rougegrez, Martina Consoli, Gaetan Vermeulen et Quentin Picot. Chacun apporte son style à la pièce : du contemporain « classique », au hip hop et figures de salsa. Mais l’élégante finesse de la gestuelle n’enlève rien à la puissance de la danse, calquée sur la musique, les arias et les chœurs de l’opéra.

Bianca Li ne cherche pas à illustrer les épisodes de Didon et Enée mais plutôt à en traduire les climats grâce à des variations de lumière sur une grande toile tendue en fond de scène. Les costumes de Boris Pijetlovic soulignent les différentes ambiances : longues robes romantiques, courtes jupes ou maillots de bain…

Aux batifolages amoureux, successions de duos accompagnés de scènes chorales, succèdent de frénétiques solos, mouvements d’ensemble où s’insinue une sourde menace: les femmes agitent sauvagement leur chevelure, les lumières s’assombrissent… Le noir des costumes, du sol et de la toile de fond paraît manger les corps, de plus en plus dénudés. Et après un ultime duo, l’aria poignante de Didon est suivie par un Énée inconsolable qui s’en va… Danse, musique, scénographie : tout concourt à un Didon et Énée mémorable où l‘on reconnaît la rigueur et l’inventivité de Blanca Li
Formée à New York auprès de Martha Graham et d’Alvin Ailey, la chorégraphe espagnole s’est installée en France en 92. Elle dirige une des rares compagnies indépendantes. Aujourd’hui, elle crée ses nouvelles pièces dans ses studios à Romainville (Seine-Saint-Denis) et elle mène des recherches en réalité virtuelle et nouvelles technologies. Bianca Li a été nommée cette année, présidente de la Villette et dans la continuité des activités culturelles de ce Parc, aimerait y créer un festival de théâtre en plein air et «y organiser beaucoup de fêtes».

 Mireille Davidovici

Spectacle joué du 17 au 31 octobre à la grande halle de la Villette, Espace Chapiteaux, Paris (XIX ème).  T. : 01 40 03 75 75

Du 31 décembre au 2 janvier, Théâtre de Liège (Belgique).

Du 4 au 5 janvier, KVS Bruxelles (Belgique). Du 9 au 10 janvier, MC2,Grenoble (Isère).

Le 13 février Le Cube, Garges-lès-Gonesses (Val-d’Oise) 

Le 19 mars, Théâtre Alexandre Dumas, Saint-Germain en Laye (Yvelines).

 * La musique du spectacle des Arts Florissants -William Christie pour Didon et Enée et Celestial Music Did The Gods Inspire, Z322, a été enregistrée au Gran Teatre del liceu à Barcelone (Espagne).

 

 

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