Les Prix d’Art Explora à l’Académie des Beaux-Arts

Les Prix d’Art Explora à l’Académie des Beaux-Arts

Pour favoriser le partage de la Culture avec le plus grand nombre, cette fondation  veut renouveler le dialogue entre les arts et les publics à l’échelle locale, nationale et internationale. Convaincue que la mobilité et le numérique permettent de repousser les limites de l’imagination, la fondation Art Explora encourage de nouvelles formes d’accès et d’engagement. « Avec les artistes, organisations culturelles et acteurs de terrain, il s’agit pour  Art Explora d’explorer la création contemporaine sous toutes ses formes. » Créée par le mécène Frédéric Jousset, cette fondation réunit de nombreux partenaires et plus de 1.600 bénévoles : « Convaincue que la mobilité et le numérique permettent de repousser les limites de l’imagination. Avec les artistes, les organisations culturelles et les acteurs de terrain, nous explorons la création contemporaine sous toutes ses formes. »
Le jury de l’édition 2024, était composé de Cora Cohen Azria, professeur à l’Université de Lille,  Tiffany Fukuma, experte culture et coopération internationale, Frédéric Jousset, président d’Art Explora,  Pepa Octavio De Toledo, responsable du programme d’art citoyen à la Fondation Daniel et Nina Carasso,  Hervé Di Rosa, Laurent Petitgirard, compositeur, , Angelin Preljocaj, chorégraphe, danseur, membres de l’Académie des Beaux-arts et  Pierre Thys, directeur général et artistique du Théâtre National Wallonie-Bruxelles.
Hervé di Rosa est avec François Boisrond, Rémi Blanchard et Robert Combas, un des peintres du mouvement, dit de la figuration libre, empruntant souvent à la B.D. et au pop-art Il a introduit cette séance avec humour et générosité et a dit combien ces prix étant bien dotés financièrement, pouvaient aider avec efficacité des projets innovants, souvent en direction de populations  au statut précaire, voire marginales. Sous la magnifique coupole, a d’abord eu lieu une performance dansée par vingt très jeunes gens.

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 Les prix ont été attribués à: Udruga Skribonauti, Croatie pour Go on with the story: à partir de nouvelles écrites par les détenues du seul centre pénitencier pour femmes de Croatie, écrivains, artistes et musiciens réalisent des court-métrages accessibles au grand public.
Autre prix décerné à la  Trafó House of Contemporary Arts​, Hongrie avec le Perfowith Studio Alta de Prague. Pour la création d’un bus itinérant destiné à favoriser les rencontres artistiques et faciliter l’accès à l’art contemporain en Hongrie.

Autre prix décerné au Centre national de la danse​​ (France)  pour 1 km de danse : le projet étant de faire danser le plus grand nombre de personnes sur 1 km, en organisant un événement annuel, en collaboration avec les associations des villes impliquées. Et le Prix du public, a été attribué au Museum of Cycladic art​​​, (Grèce) pour Tell me your story: A digital repository of Cycladic heritage: soit une mobilisation des communautés locales pour créer une plate-forme numérique destinée à préserver le patrimoine culturel immatériel de trois îles: Anafi, Sikinos et Kea. Enfin le Prix spécial du jury a été accordé à Palau Vincles, un programme musical et artistique annuel pour 950 jeunes en situation de vulnérabilité, à Barcelone.
« La vérité que cherche l’oeuvre d’art, disait le poète Michel Deguy, c’est la vérité universelle de ce qui est singulier » et si des prix comme ceux-ci peuvent y aider, pourquoi pas?  Et l’Académie des Beaux-Arts, en accueillant cette manifestation, y aura contribué… 
 
 Philippe du Vignal 

La remise des prix a eu lieu le 11 décembre sous la coupole de l’Institut de France, 23 quai Conti, Paris ( VI ème). T. : 01 44 41 43 20.

Art Explora France : 9 place de la Madeleine, 75 008 Paris et au Royaume-Uni, Somerset House Strand, London WC2R 1LA


Archive pour décembre, 2024

Livres et revues La Gloire de la bêtise Régression et superficialité dans les arts depuis la fin des années 1980 de Morgan Labar

Livres et revues

La Gloire de la bêtise Régression et superficialité dans les arts depuis la fin des années 1980 de Morgan Labar

Un gros volume (quatre cent pages), issu d’une  thèse de doctorat. Historien et critique d’art,  normalien, diplômé en philosophie et docteur en histoire de l’art (2018), Morgan Labar s’intéresse à la manière dont les catégories esthétiques, canons et discours hégémoniques sont construits au sein des mondes de l’art contemporain. Il a enseigné à l’École du Louvre, dans les départements Arts de l’E.N.S. où il anime avec Daria de Beauvais, le séminaire Autochtonie, hybridité, anthropophagie depuis 2020. Il a été nommé directeur de l’École supérieure d’art d’Avignon il y a trois ans et il est maintenant à la tête de celle de Lyon.

©x Morgan Labar et Raphaëlle Mancini administratrice de l'Ecole des Beaux-Arts d'Avignon

©x Morgan Labar et Raphaëlle Mancini, administratrice de l’Ecole des Beaux-Arts d’Avignon

Les relations entre arts plastiques et arts du spectacle ont toujours été fréquentes. Auguste et Louis Lumière dont le père était peintre, empruntent leurs thèmes à Claude Monet, Camille Pissaro: paysage, gares… avec L’Arrivée du train en gare de la Ciotat (1895) ou Les Rochers de la Vierge à Biarritz. Puis les arts plastiques ont, dès les années soixante, influencé les créateurs de théâtre, notamment américains: entre autres, John Vaccaro, Richard Foreman, Meredith Monk, Stuart Sherman, Robert Wilson qui, à ses débuts, s’est inspiré du surréalisme, puis du minimalisme…
En Europe, Tadeusz Kantor, a été proche du futurisme et du dadaïsme. Lui-même avait été  élève scénographe à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie, et le metteur en scène Roméo Castelluci est, lui, diplômé en scénographie et en peinture de l’École des Beaux-arts à Bologne…
Et le théâtre a aussi fourni nombre d’éléments au  happening (le premier dès 52,  associait le peintre Robert Rauschenberg, le compositeur John Cage et le danseur Merce Cunningham… Une intervention artistique gratuite devant un public limité. Puis il y aura aussi cette forme hybride qu’est la performance, notamment en Europe, avec le mouvement Fluxus fondé en Allemagne, entre autres par George Maciunas. En France, dans les années soixante George Brecht, Robert Filliou, Serge Oldenbourg, Ben Vautier et son Théâtre total, Gina Pane, Michel Journiac.. réalisèrent nombre de performances. Certaines sont depuis entrées dans les Centres d’art contemporain. En novembre dernier, au Palais de Tokyo, une trentaine d’œuvres ont été ainsi exposées par Pierre Bal-Blanc…

Morgan Lebar, lui, montre un autre volet de cet échange permanent entre arts plastiques, et arts du spectacle, et comment des artistes se sont inspiré entre autres, du film à grand succès Dumb and Dumber (La Cloche et l’Idiot) des réalisateurs américains Peter et Bobby Farrelly. Leurs protagonistes Harry et Lloyd (sans aucun doute un hommage à Harold Lloyd, le grand acteur/auteur du cinéma muet), privilégient les blagues scatologiques ou idiotes. « L’objet de  cette étude est la gloire de la bêtise, dit Morgan Labar avec des pratiques jusque-là considérées comme infantiles, régressifs et populaires. » Soit pourrait-on dire une bêtise assumée comme telle et hissé au rang de valeur picturale ou sculpturale ou de performance comme chez Mike Kelley, il y a déjà une vingtaine d’années  : « La triade de l’altérité moderne, que représentaient le fou, l’enfant et le primitif, est alors supplantée par la figure de l’adolescent bête. » (…) Le succès de la bêtise compulsive est éclatant. »

Morgan Labar consacre ainsi plusieurs pages au collectif Présence Panchounette… un groupe d’artistes bordelais qui voulait dynamiter  les postures de l’avant-garde: art minimal, art conceptuel, peinture abstraite des mouvements qui « confortaient le goût bourgeois pour une esthétique de l’épure ». En 72, Présence Panchounette exposa au Studio F 4 à Bordeaux, un puits en pneus, de la toile cirée, des jerrycans à mazout. Et ce collectif s’en était pris au groupe Supports/Surfaces qu’il trouvait bourgeois. Cinq ans plus tard pour leur première exposition à la galerie Éric Fabre à Paris, les membres de Présence Panchounette la couvrirent entièrement de papier peint aux motif op’art. «Ce qui est intolérable dans le vulgaire, disaient-ils, c’est son innocence.» Le F.R.A.C. Midi-Pyrénées l’invitera en 86 à mettre en scène des pièces de sa collection, enter autres, celles de Claude Viallat, Philippe Starck, Hervé Di Rosa,  que Présence Panchounette installera dans du mobilier Knoll. Lesquels artistes protesteront… Mission accomplie pour ce collectif qui avait bien atteint son but et quand, il commencera à être respecté, logique avec lui-même, ferma boutique.

L’auteur analyse aussi très finement l’œuvre de l’artiste américain Jeff Koons et son incursion dans le domaine du kitsch, un mot qu’il refuse. Il fera entrer la banalité avec des reproductions à l’identique mais souvent avec « un matériau lisse et froid comme l’acier inoxydable, créant un contraste et un sentiment d’étrangeté ». (…) « Les œuvres de Jeff Koons sont bêtes dans leur refus obstiné de distinction. »
Morgan Labar a raison de  parler d’une question de hiérarchies de valeurs: « Jeff Koons joue donc d’une part le goût prolétarien, d’autre part le travail de l’artisan contre l’art de l’élite culturelle et intellectuelle. (…) Tout en valorisant le goût supposément populaire pour le « bien fait » comme pour le simple et le naïf ». Arriver à brouiller les lignes et à tout faire pour être reconnu: le système a été mis au point par cet artiste qui est aussi un habile homme d’affaires. Quitte à plagier… ce pourquoi, il a été condamné plusieurs fois… mais il a fait fabriquer par des équipes d’ouvriers spécialisés, des œuvres qui sont entrées comme par une porte dérobée, mais avec efficacité, dans les institutions muséales et sur le grand marché de l’art, dans les collections  de riches amateurs..

Suit un chapitre où Morgan Laban analyse l’idéologie de l’économie capitaliste en matière d’art et l’idéologie et les stratégies contre-productivistes employées par les artistes: l’inefficacité, la revendication de l’échec comme Présence Panchounette avant leur auto-dissolution. L’auteur consacre aussi des pages très intéressantes sur Gelitin, un collectif autrichien moins connu du grand public qui occupe pourtant le devant de la scène depuis une vingtaine d’années avec des œuvres et performances aux thèmes scato-urologiques. Comme le travail de l’artiste belge Wim Delvoye avec Cloaca, présentée en 2000 au musée Mukha d’Anvers. Cette machine à caca reproduit la digestion humaine avec  des aliments introduits qu’on retrouve transformés en excréments à l’autre bout de lachaîne. Mais il s’agit ici non plus de bêtise mais d’une mise en abyme d’un phénomène physiologique.
Ainsi dans la Chocolate Factory de Mac Carthy qu’on avait pu voir à l’Hôtel de la Monnaie à Paris, une production des Pères Noël et des sapins… et plugs anaux en chocolat. Cette œuvre qui, un temps, fit scandale, était en décalage entre l’esthétique précieuse du lieu, avec lustres, peintures au plafond, vitrines… Une équipe de performeuses, en tenue rouge et perruque blonde, y moulaient les figurines en chocolat. Soit une attaque contre le mode de production capitaliste. On pouvait voir aussi l
es machines de fabrication et une centrifugeuse, clin d’œil à La Broyeuse de chocolat (1914)  de Marcel Duchamp.

On ne peut tout citer de ce gros ouvrage qui apporte sa pierre de façon magistrale, à l’histoire de quelques tendances de l’art contemporain le plus récent. Mais il y aussi un chapitre sur François Pinault, richissime industriel et financier, et par ailleurs grand collectionneur, qui racheta le Palazzo Grassi à Venise en 2006 et le fit réhabiliter par l’architecte japonais Tadao Ando et l’année suivante un ancien bâtiment des Douanes vénitiennes, pour les transformer en musées d’art contemporain. Il y a réuni des œuvres du sculpteur américain Carl Andre et Donald Judd, des peintures de Mark Rothko mais aussi de Jeff Koons, Damien Hirst…
Puis il imagina un nouveau musée dans l’ancienne Bourse de commerce à Paris il y a trois ans. Avec l’ambition, remarque lucidement Morgan Labar, d’imposer sa vision de l’art actuel, en concurrence avec les grandes institutions culturelles. François Pinault  inaugura aussi il y a neuf ans une résidence d’artistes à Lens ( Nord), à proximité du musée du Louvre-Lens. Un exemple sans doute unique dans l’histoire de l’art moderne et contemporain?  Bien que ce ne  soit pas le thème de ce livre, cette aventure personnelle aurait sans doute mérité une analyse plus complète des relations pour le moins ambigües qu’entretiennent les conservateurs de musées et les directeurs de galerie, avec le monde politique français comme européen…

« Une histoire complète de la bêtise devrait inclure une protohistoire du déballage du refoulé à l’aube des années soixante-dix, écrit Morgan Labar, comme les débuts de Christian Boltanski, quand nous l’avions connu, habitant encore un rez-de-chaussée dans le VII ème arrondissement de Paris, le travail d’Annette Messager brodant des phrases, les sculptures vivantes de Gilbert et George… Des artistes se révoltant d’une façon ou d’une autre contre les spéculations et le marché de l’art. Mais qui tous les trois sont aussi entrés dans l’histoire de l’art contemporain.
Il faut lire ce livre  important. Parfois touffu, il est bien écrit-ce n’est pas incompatible- et très solidement documenté avec de nombreuses photos et passionnant pour toux ceux qui s’intéressent à la vie artistique actuelle. Morgan Labar souligne qu’en Californie, est né une forme de populisme esthétique légitime avec une effacement entre haute culture (moderniste) et culture commerciale. En France, même si la performance a depuis une trentaine d’années, été le fait d’artistes sortis des Écoles d’art, les pratiques en art de la bêtise, ou du moins, de la bêtise assumée, ne sont plus une évidence et ont perdu leur caractère subversif. Reste à savoir quelle sera la prochaine subversion… 
L’auteur indique que » l’âge d’or de l’art bête semble toucher à sa fin » et  quatre ans après qu’il ait soutenu sa thèse, « le caractère hégémonique de ces pratiques n’est plus aussi manifeste en 2024″. Mais en tout cas, ce mouvement et/ou phénomène inédit, avec un succès réel. D’abord au cinéma-très peu dans le domaine du spectacle vivant- mais surtout en peinture, vidéo, sculpture, performance…  Quel que soit son avenir, il a déjà un riche passé et est entré, qu’on le veuille ou non, dans l’histoire de l’art contemporain. Ce que montre avec intelligence et sensibilité, Morgan Labar.

Philippe du Vignal

Les Presses du réel. 28 €.

 

La Clepsydre de Wojciech Has

La Clepsydre de Wojciech Has

Très jeune, le cinéaste polonais (1925-2000) découvre la prose poétique de son compatriote Bruno Schulz (1892-1942) mais n’envisage d’en faire une adaptation, qu’une fois terminé son magnum opus, Le Manuscrit trouvé à Saragosse (1965). Après La Poupée (1968), il présente des scénarios qui sont refusés mais, en 71, Josef Tejchma, un ministre de la Culture plus libéral, voit avec un œil favorable le projet de Wojciech Has et lui donne le feu vert… Ce film obtiendra un budget important, jamais accordé dans le cinéma polonais. La réalisation à Cracovie des décors, très coûteuse, sera plus  longue que prévu. Tourné à partir de 1972, La Clepsydre avait nécessité une longue recherche documentaire à l’étranger pour recréer l’atmosphère des petites villes de Galicie, avec la ferveur hassidique et ses traditions de commerce et d’artisanat dont sont familiers, les lecteurs de Joseph Roth.

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Principe retenu pour le scénario : un parcours à travers les nouvelles de Bruno Schulz comme Sanatorium pod Klepsydre (1937) titre du recueil éponyme, traduit d’abord : Le Sanatorium sous le signe de la clepsydre, puis  Le Sanatorium au croque-morts. La nouvelle sert de cadre à des scènes tirées d’autres récits : en particulier, Le Printemps, très riche pour tout ce qui concerne l’enfance, Le Livre, ou La Dernière fuite de mon père. Avec des personnages pouvant avoir été rencontrés dans le cycle Les Boutiques de cannelle, paru trois ans plus tôt.
Le film commence dans un train. Un trentenaire, Josef, rend visite à son vieux père Jakob dans un sanatorium. L’étrange contrôleur aux yeux délavés, une figure de passeur, lui indique où descendre. Josef traverse un cimetière juif pour accéder au sanatorium. Un lieu-délabré, fascinant, où l’on se perd dans les couloirs et les recoins, encombré de plantes vertes couvertes de poussière, de tout un bric-à-brac digne d’un marché aux puces : oiseaux exotiques empaillés, guéridons, bustes de plâtre aux yeux de verre…

L’endroit est désert, jusqu’à ce que le protagoniste découvre une infirmière gironde, manifestement nue sous son uniforme. Elle le mènera plus tard chez le docteur Gotard (Gott ?), occupé à une opération. En attendant, elle veille à l’application du règlement : « Dormir, il n’y a rien d’autre à faire ici. » Son père, dont il doit partager le lit, est pitoyable comme celui du géniteur de Georg Bendemann, protagoniste du Verdict, une nouvelle de Franz Kafka, (1913). Mais Jakob, lui, reste serein et bienveillant à l’égard de son propre fils. 

À Josef, inquiet de savoir si son père est mort ou vivant, le docteur Gotard, expose ses méthodes :  »Nous retardons le temps d’une certaine durée impossible à déterminer. Cela se ramène à une simple question de relativité ».La science manipule le temps. Josef a, de son côté, un rapport érotique et poétique, au temps. Quasiment, celui d’un voyeur, une énigme explicitée dans le récit où Josef confie, sans détour, avoir commandé un objet chez son fournisseur de pornographie et avoir reçu, à sa surprise, une clepsydre : un télescope qui se transforme en chenille. À travers la lentille, il vise le sanatorium et l’infirmière, de dos, qui se dandine. Elle se retourne et lui sourit.

 

Dans ce film, l’espace est aussi instable que le temps. Josef a-t-il des souvenirs d’enfance, quand ses parents tenaient un commerce? Ou bien le vieux Jakob, son énergie retrouvée, quitte-t-il le sanatorium en catimini pour vaquer à ses affaires? Il explique à son fils qu’il a acheté une boutique au village.  On le voit fringant, vendant des tissus mités et il y a une foule de chalands. Soudain, l’échoppe se transforme en synagogue où de vieux juifs hassidiques chantent et dansent. Apparaissent des personnages féminins comme Adèle, une serveuse et prostituée occasionnelle, volontiers dévêtue, très entreprenante avec Josef. Dans la digression mexicaine, (justifiée par la malheureuse entreprise de l’archiduc Maximilien, jeté dans un piège par son frère aîné l’Empereur d’Autriche), on aperçoit, on ne sait pourquoi, un éléphant.
La mère de Josef survient fréquemment  toujours dans son cadre habituel et  se plaint des absences de son mari et reproche à son fils de ne pas « surveiller les commis qui nous volent ».

Josef regarde à plusieurs reprises par la vitre brisée d’une fenêtre du sanatorium. Il voit deux chiens noirs, pas très rassurants et Rodolphe, un de ses camarades de classe en costume marin. Celui-là même qui lui a transmis, avec sa collection de timbres, la passion des lointains au point d’en faire le prétexte à une incantation magique: Guatemala, Nicaragua, Abracadabra… Comme dans le rêve, le souvenir d’enfance est déplacé: Bianca, la sage petite fille en robe immaculée que Josef apercevait au parc, flanquée de sa gouvernante, telle la Gilberte de Proust, est devenue une jeune femme joyeuse que Rodolphe, toujours garçonnet, accompagne désormais. 

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L’épisode des mannequins de cire, motif essentiel chez Bruno Schulz qui puise aux mêmes sources qu’Hoffmann et Nicolas Gogol et auquel dans Les Boutiques de cannelle, il consacre quatre nouvelles (ou «traités »). Dans Le Printempsun cirque présente une spectaculaire galerie de figures de cire. Wojciech Has, lui, filme au sanatorium même, à côté d’horloges, lampes, miroirs, on voit, exposés comme s’ils étaient vivants, les puissants de l’Europe du XIX ème siècle et les personnages emblématiques de la double monarchie, l’assassin de Sissi, François-Josef qui perd un œil, ridicule automate dont les saccades reproduisent sans relâche le salut militaire.
Nous assistons à une double décadence, à une double décrépitude: celle de la monarchie austro-hongroise et la fin annoncée du monde hassidique. Commence alors l’émigration, Adèle, la plus hardie et la plus entreprenante, s’embarque pour les Etats-Unis. Mais on vient d’apprendre que son bateau a fait naufrage avec tous les passagers.

A propos de ce film, critiques et commentateurs ont usé et abusé du mot: surréaliste. Est-ce justifié, cinquante ans après sa sortie? Avec son aspect polyphonique, dramatique, populaire et teinté de nostalgie-accompagné d’un bon poids d’absurde et d’érotisme-l’œuvre participe du carnavalesque, ce qui la situe bel et bien dans le monde slave.
E on peut l’analyser grâce à la psychanalyse : le fantastique y dépasse celui de Bruno Schulz, où les épisodes du texte sont à la fois reliés et indépendants. Chez  Wojciech Has, une logique a-logique triomphe. Le spectateur, médusé, évolue dans 
La Clepsydre comme dans un rêve ou un cauchemar, le metteur en scène utilisant les mécanismes du rêve selon Sigmund Freud: condensation du matériau, déplacement et remaniement au sens d’un traitement visuel…  Un film à voir  dès que possible.

Nicole Gabriel

La Clepsydre ressort le 8 janvier au Reflet Médicis, 3 rue Champollion, Paris (V ème).

 

 

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Un piano dans la rue

  Un piano dans la rue

Au loin, près du jardin des Halles, vous entendez des notes de piano. Vous écoutez : non, cela ne vient pas d’une fenêtre, ni d’une chaîne hi-fi, ni d’un clavier électrique. Ce sont es vraies notes d’un vrai piano en cet ultime dimanche de l’année. On reconnaît un des Nocturnes de Chopin. Plus tard, un second interprète prendra le relais et jouera carrément la Grande valse brillante, et aussi Mistral gagnant, la chanson la plus populaire de Renaud.

© Christine Friedel

© Christine Friedel

Le piano est brillant, ramage et plumage. Il sonne bien, infiniment mieux traité que les humbles et courageux claviers des gares. Nous questionnons le jeune interprète : « Oui, nous amenons (un piano, cela ne s’apporte pas) l’instrument, avec la camionnette garée là. Et ils jouent. L’un avec une remarquable énergie, l’autre avec une grande délicatesse, devant un public étonné mais peu patient, si l’on ne compte pas les clients, à la terrasse du café voisin. Quelques fans les suivent, regrettant qu’on ne les entende pas plus souvent et d’autres, comme votre servante, les découvrent, émus et enchantés.

Ont-ils le droit d’occuper ainsi l’espace public ? Non, mais la Police ne vient les déloger que si un riverain  l’appelle pour « tapage » (sic !), et les policiers, sensibles, n’agissent alors qu’à regret, semble-t-il. Leurs noms ? Ils les gardent pour eux. Ils voient plus grand : rien moins que La Scène Française, un «collectif de pianistes urbains, performances de rue, répertoire classique et populaire français ».
S’ils jouent dans votre quartier, vous ne pourrez pas les manquer : de loin, vous entendrez les notes du piano, vous écouterez… Non, cela ne vient pas d’une fenêtre: da capo.

Christine Friedel

lascenefr@gmail.com, T. : 0617 78 98 08, et sur Youtube et Instagram  (Lascenefr)

 

Pour en revenir à La Mouette d’Anton Tchekhov, le point de vue de Jean-François Rabain, psychiatre et psychanalyste

Pour en revenir à La Mouette d’Anton Tchekhov, le point de vue de Jean-François Rabain, psychiatre et psychanalyste

«Attchevo ? (Pourquoi ?) : premier mot de la pièce. « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ? », demande Medviedenko à Macha. « Je suis en deuil de ma vie. Je ne connais pas le bonheur », répond la jeune fille. « Attchevo » renvoie au suicide de Treplev qui clôt la pièce. Le suicide est une énigme… Anton Tchekhov a choisi: «attchevo», plutôt que «patchemou», un mot plus courant pour dire : Pourquoi? Les traducteurs français précisent que, dans « attchevo », il y a une interrogation qui touche au passé, à l’origine, à la cause, d’où la version française : «D’où vient que vous soyez toujours en noir? » Cette formule interroge le passé, et non le présent, comme patchemou. « Attchevo » porte le poids d’un passé noir, mort, en deuil.

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©x  Anton Tchekhov

Dans La Mouette Constantin Treplev, un jeune homme de vingt-cinq ans, par bien des traits encore adolescent, qui s’adresse à une mère froide et narcissique, Arkadina, une grande actrice. Il veut attirer l’attention de cette femme ambivalente, en écrivant une pièce, alors qu’elle ne l’a peut-être jamais ni regardé ni écouté. Par ailleurs, Treplev aime une jeune fille, Nina, qui veut aussi devenir comédienne et qui apparait ici comme le double de sa mère dont il n’a jamais pu et ne pourra jamais se faire aimer. Treplev erre entre ces femmes. Lui aussi est en deuil de la vie Il ne connait pas le bonheur…
« Sous l’apparent tissu de la banalité quotidienne, s’agitent de grandes figures mythiques, cachées », écrivait Antoine Vitez, l’un des meilleurs metteurs en scène français de La Mouette, il y a déjà quarante ans au Théâtre National de Chaillot. Sous le registre parodique du mélodrame et de la comédie, des thèmes tragiques appartiennent au mythe, avec des paraboles énigmatiques : la mouette, le lac… Les références à Hamlet de Shakespeare et à Oedipe Roi de Sophocle sont ici très claires. L’écrivain de vingt-deux ans, fasciné par la pièceavait écrit un vaudeville Hamlet, prince danois, dont il ne reste plus aujourd’hui que le titre.

©Ina Hamlet mise en scène d'Antoine Vitez

©Ina Hamlet mise en scène d’Antoine Vitez (1983)

Comme Hamlet face à sa mère Gertrude et son oncle Claudius, Treplev affronte sa mère Arkadina et veut tuer en duel son amant Trigorine, un auteur à succès. Le fils et la mère s’adressent la parole en jouant ensemble le rôle d’Hamlet et de sa mère Gertrude. « Mon fils ! Tu m’as fait voir jusqu’au fond de mon âme et j’y ai vu de si sanglants ulcères, de si mortels, qu’il n’est point de salut ». Et Treplev lui répond, suivant Hamlet : «Et pourquoi donc t’être livrée au vice, cherchant l’amour dans le gouffre du crime.» Le ton est parodique dans la pièce de Tchekhov mais tout aussi cruel. «Pourquoi a-t-il fallu que cet homme se dresse entre toi et moi ? », demande le jeune homme à sa mère. « Notre intimité, ça va de soi, tu ne peux pas t’en réjouir, lui répond Arkadina, mais j’ai le droit d’exiger que tu respectes ma liberté ».  

©x Oedipe et le Sphinx vers 450 avant J.C.

©x Oedipe et le Sphinx vers 450 avant J.C.

Ernest Jones a montré dans Hamlet et Œdipe que la tragédie de Shakespeare était proche, de par sa structure, d‘Œdipe-Roi de Sophocle. Tuer son oncle Claudius, l’amant de sa mère Gertrud, équivaut pour Hamlet, au meurtre de Laïos par Œdipe. La référence à la tragédie de Sophocle est explicite dans la pièce de Tchekhov qui fait directement allusion à Oedipe devant la Sphinge. Et Medvedenko, l’instituteur, proposera la célèbre devinette : « Qu’est-ce qui est, le matin, sur quatre pattes, à midi sur deux et le soir sur trois. » On connait la réponse d’Oedipe : « C’est l’homme ». Œdipe et Hamlet sont deux figures universelles de l’homme tragique.
Le premier symbolise l’universel de l’inconscient déguisé en destin
et  Hamlet, héros moderne, renvoie à la naissance d’une subjectivité coupable. Tragédie du dévoilement d’un côté, drame du refoulement de l’autre. Le freudisme repose sur ce double modèle : la tragédie inconsciente de l’inceste et du crime se répète dans le drame de la conscience coupable.
Il revient à Freud d’avoir fait du personnage de Sophocle, un modèle universel du fonctionnement mental. En décrivant le complexe d’Oedipe, il montrait les désirs refoulés d’inceste et de parricide, contenus dans deux tabous propres à la civilisation : interdit de l’inceste et interdit de tuer le père-totem. Il apportait ainsi à l’anthropologie, les notions de loi morale et de culpabilité.

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Après Freud, Mélanie Klein a mis l’accent sur la relation archaïque avec la mère. La psychanalyse des enfants permit de mieux étudier l’organisation des psychoses qui relèvent en général, d’une fusion destructrice avec le corps maternel, vécu comme objet persécuteur. Au modèle œdipien classique, les kleiniens ont opposé ainsi un modèle « pré-œdipien » renvoyant à l’univers angoissant d’une symbiose avec la mère, un « monde sauvage, inaccessible à la Loi, livré non plus au despotisme paternel mais à la cruauté du chaos maternel », comme l’écrit Elisabeth Roudinesco. Dans cette perspective, on pourrait interpréter différemment les troubles dont souffre Treplev. Celui-ci éprouve une grande difficulté à faire le deuil de l’objet maternel, d’où sa dépression, son inhibition et sa difficulté à écrire. Le matricide, le meurtre imaginaire de la mère est une condition de la pensée et de la créativité.

©x mise en scène de Stéphane Braunschweig ( 2024)

©x mise en scène de Stéphane Braunschweig ( 2024)

D’autres éléments nous renvoient à la tragédie de Shakespeare. On peut rapprocher Nina, d’Ophélie. Elle est «comme une mouette blanche, heureuse et libre, près d’un lac, et va bientôt être détruite par un homme qui survient » dira Trigorine. L’allusion au lac et à la blanche Ophélie est claire. « Sur l’onde calme et noire où flottent les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lys. » est un poème célèbre de Rimbaud.
Cet espace idyllique appartient à l’enfance, au rêve, ou encore à l’utopie.

Treplev aime Nina mais la rejette sans explication, comme Hamlet rejette Ophélie. Bien des traits de caractère rapprochent Treplev d’Hamlet : incertitude, doute, indécision, aspect velléitaire, mais aussi attachement à Nina et à Ophélie puis brusque rejet. Il dit de lui :« J’erre toujours dans le chaos des songes et des images ». « Qui suis-je ? Que suis-je ?» s’interroge-t-il, faisant écho au célèbre: « To be or not to be » d’Hamlet.
Dans une même scène, il offre à Nina une mouette blanche qu’il a tué et lui dit « qu’il va se tuer lui-même». «Vous parlez de façon incompréhensible avec des symboles… Cette mouette est visiblement un symbole. » lui dit Nina. Un symbole, sans doute, mais de quoi ? Une figure allégorique de l’artiste, de l’art? Le symbole, une fois la mouette empaillée, d’une éternité périssable, comme le crâne de Yorrick? Un symbole des vœux matricides de Treplev qui s’éloigne de Nina voulant devenir actrice comme Arkadina, sa mère ? «Je suis une mouette… Non, ce n’est pas ça. Je suis une actrice. » dit Nina. Un symbole de l’inconscient, de l’impensé de la jeune fille ?  De Treplev lui-même ?
«La métaphore de la mouette, cet oiseau libre et tué sans raison, désigne soit directement Nina ou Treplev, soit la pièce elle-même dans sa recherche de signification. Le symbole n’est pas ici directement explicité
, appliqué à un seul personnage ou réduit à un seul sens. «Je suis attirée par ce lac comme une mouette. », dit Nina et «Treplev a eu la bassesse de tuer cette mouette aujourd’hui. » Chacun des personnages peut s’identifier à cet oiseau mort. L’oiseau est symbole de la vie passionnée de Nina et de l’obsession morbide de Treplev qui va se suicider et qui y voit la préfiguration d’un destin inexorable et Nina, la métaphore de sa vie errante et douloureuse, victime de Trigorine qui « par désœuvrement, la fait périr». Cette mouette ne se limite donc pas à un seul personnage. Symbole/titre de la pièce, elle est « la métaphore vive d’une quête de sens, de la recherche incessante du sens ».

Mais « tchaïka », la mouette, en russe, c’est aussi « tchaïat », espérer. Espérer, sentir notre existence accompagnée de nos espoirs, de nos désirs et de nos rêves, de nos illusions et désillusions, qui nous façonnent et nous construisent. On retrouve tous ces thèmes chers à Anton Tchekhov, dans Les Trois Sœurs, La Cerisaie, Oncle Vania, des pièces régulièrement jouées à Paris et en France, en particulier dans les belles mises en scène de Lev Dodine.

©x La Cerisaie, mise en scène de Lev Dodine

©x La Cerisaie, mise en scène de Lev Dodine (1994)


Treplev souffre de ne pas être reconnu par sa mère : « Elle m’aime, elle ne m’aime pas », dit-il. Tchekhov insiste sur l’ambivalence et l’incohérence d’Arkadina, incapable de s’intéresser aux écrits de son fils. Treplev écrit pour séduire sa mère, pour la réanimer, la revitaliser. Mais celle-ci reste insensible : elle n’a pas d’argent, pas d’amour pour lui. Quand il sera reconnu comme écrivain, elle avouera n’avoir jamais lu une seule ligne de ce qu’il écrit. « Je ne l’ai toujours pas lu, figurez-vous. Jamais eu le temps ».
A cette mère narcissique, froide et distante qui ne s’inquiète pas de la tentative de suicide de son fils, Treplev oppose le narcissisme de son adolescence. Il veut imposer sa valeur et réinventer le théâtre en rompant avec les formes de l’art existant. Il fait jouer par Nina, sa propre pièce au début de 
La Mouette : « Toutes les vies, toutes les vies, leur triste cycle accompli, se sont éteintes… Voici déjà des milliers de siècles que la Terre ne porte plus un seul être vivant et cette pauvre lune allume en vain son fanal… Le froid, le froid, le froid. Le vide, le vide, le vide. La peur, la peur, la peur »Plus tard, Treplev reprochera à Nina, tout ce qu’il reproche à sa mère. « Vous êtes devenue d’une froideur effrayante, comme si je voyais ce lac tout d’un coup à sec ou disparu sous terre… ». Il écrit pour être vu, pour exister. Mais exister sans mère, est difficile. Au début de la pièce, comme Hamlet vaincu par l’inhibition, il ne peut plus écrire, ni tuer son père, comme le héros de Shakespare. « J’ai tout perdu. Elle (Nina/Arkadina) ne m’aime pas, je ne peux plus écrire. Tous mes espoirs sont brisés ». Hamlet, lui aussi, souffre d’inhibition et ne peut passer à l’acte. On connait cette réflexion célèbre : « La conscience (la réflexion) fait de nous des lâches ».

Pour résoudre son inhibition et représenter sa pensée, Treplev organise, comme Hamlet lui-même, une pièce dans la pièce, une sorte de psychodrame ayant pour but de représenter, de se représenter.  Hamlet, pour dénouer le drame, fait venir des acteurs qui vont jouer La Mort de Gonzague, une parodie du meurtre de son père. Treplev organise lui aussi une représentation théâtrale, censée confondre les faux artistes comme Trigorine, dans l’espoir de regagner l’amour de sa mère. « La souricière », cependant, prend le jeune auteur à son propre piège. Le Roi/Trigorine ne réagit pas et la Reine-Mère/Arkadina n’y voit qu’une plaisanterie sans conséquences. Le jeune homme se fâche et la tragédie de la vengeance se transforme en farce. Plus de duel ni de meurtre et, à la place, le suicide manqué de Treplev. En attendant le vrai suicide réussi de la dernière scène…

©x mis en scène d'Arthur Nauziciel ( 2012)

©x mise en scène d’Arthur Nauziciel ( 2012)

Dans sa mise en scène pour le festival d’Avignon 2012, Arthur Nauzyciel ouvrait la représentation par le suicide de Treplev. On n’entendait pas le coup de feu mais un homme s’avançait et tombait lentement sur le sol. Venait alors Arkadina toute en noir, portant un masque de mouette qu’elle enlèvera pour dire : «Je suis une mouette. Non, ce n’est pas ça. Je suis une actrice. »Cette réplique n’est pas la sienne mais celle de Nina, la jeune fille qui veut devenir comédienne. L’entendre dire par Arkadina, la mère de Treplev, induit un sentiment d’inquiétante étrangeté, d »unheimlich ». Les deux femmes n’ont-elles pas échangé leurs rôles, comme dans le psychodrame, lorsque l’on inverse le rôle des acteurs? Chacune ici pourrait être l’autre. La dimension du temps réel alors s’efface et c’est un autre temps qui apparait. Le temps du rêve, celui du hors-temps de l’inconscient. Le visage de la mère apparait à la place de celui de Nina. Treplev le déclare au début : «Il ne faut pas peindre la vie telle qu’elle est, mais telle qu’elle se représente en rêve.» « Nous dormons»dit Arkadina. Le monde de La Mouette est entre veille et sommeil. On comprend la passion d’Anton Tchekhov pour Shakespeare… 

Jean-François Rabain

Artus, One man show, d’Artus et Frédéric Hazan, mise en scène d’Artus

Artus One man show d’Artus et Frédéric Hazan, mise en scène d’Artus

Depuis l’ouverture de la billetterie, le spectacle affiche complet partout en France. Le premier film d’Artus, Un petit truc en plus, sorti en mai 2024, a dépassé toutes les espérances de fréquentation avec onze millions d’entrées ! Un phénomène inattendu, quand on sait qu’il traite du handicap… avec un humour caustique. Les acteurs ont eu les honneurs du tapis rouge au festival de Cannes mais tout n’avait pas été prévu pour les accueillir  et le metteur en scène a dû prendre dans ses bras Sofiane, l’un d’eux, pour lui faire monter les marches.

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Paradoxe de notre société qui se glorifie de l’organisation des Jeux paralympiques 2024! Mais le Gouvernement oublie de nommer un ministre au handicap! Et le livre-souvenir officiel de Paris 2024 n’intègre pas les Jeux paralympiques! En digne héritier de Coluche et de Pierre Desproges, Artus pratique un humour violent et salutaire où personne n’est épargné. Ce solo est réduit à «un sommet de vulgarité» par la même presse qui estimait Coluche vulgaire…

Sans doute un gage de qualité ! En quelques mois, devenu un porte-parole du handicap, il dérange une société bien-pensante qui n’apprécie pas la démesure, même pour une noble cause. Il évoque la sexualité et le handicap, problème ignoré par les institutions de l’hexagone. Alors qu’aux Pays-Bas, l’assistance sexuelle par des prostituées, de personnes handicapées, est reconnue comme soin et remboursée par les assurances sociales des collectivités.
Pour aider son ami Sofiane à réaliser son rêve, avant que sa maladie ne l’emporte, Artus a donc été obligé de l’emmener à Amsterdam… Mais chez nous, certains condamnés à perpétuité pour meurtre, sont autorisés à avoir des relations sexuelles en prison et peuvent ainsi devenir père. Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France !

Transmettre un message de tolérance sur la différence est le credo d’Artus, il utilise tous les moyens dignes de «l’humour Charlie Hebdo»: prendre un accent étranger, ce qui semble offensant aujourd’hui, faire des jeux de mots parfois mal perçus par certains, évoquer des images bouleversantes de la Shoah avec, pour en adoucir la perception, un accent brésilien mélodieux. Artus évoque une de ses passions : le rugby et son langage peu poétique. Il se moque aussi de son surpoids, ce qui l’amène avec sa femme à faire en Allemagne un jeûne sévère. Et le mot clystère cher à Molière, et ses conséquences, est ici longuement évoqué…
Dans un final délirant, il incarne un Président de la République handicapé, en costume à paillettes bleu-blanc-rouge, prenant des décisions absurdes, comme souvent aujourd’hui, nos politiques de tout bord ! Il finit en paraphrasant à nouveau Pierre Desproges: «On peut rire de tout, et en rire avec tout le monde.”Un solo bien utile dans une période vérolée par les hypocrisies.

Jean Couturier 

Jusqu’au 31 décembre,Théâtre Edouard VII, 10 place Edouard VlI, Paris (IX ème). T. : 01 47 42 59 92.  Puis en tournée dans toute la France.

 

Un appel des professionnels réunis au festival Théâtre à tout âge à Quimper

Un appel des professionnels réunis au festival Théâtre à tout âge à Quimper

Le vote du budget de la Région des Pays de la Loire, présidée par Christelle Morançais devrait être voté ces  jours-ci avec, à la clé, 82 millions d’euros d’économie! Dans les secteurs de la Culture, de la vie associative, du sport. Christelle Morançais est vice-présidente du parti Horizons présidé par Edouard Philippe. L’ex-Premier ministre ne s’est pas encore exprimé sur ce sujet brûlant
Le 18 décembre, la compagnie Loba d’Annabelle Sergent, soutenue par le Ministère de la culture D.R.A.C. , le conseil régional des Pays de la Loire, le département de Maine-et-Loire et la Ville d’Angers  et d’autre part les artistes et professionnels de la création pour l’enfance et la jeunesse, réunis à l’occasion de ce festival, ont lancé cet appel avec le soutien affirmé de la ville de Quimper, aux acteurs de la Culture, aux élus de tous les territoires, aux journalistes, aux citoyens.

 

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« Nous refusons le projet de destruction des services publics, des politiques sociales, environnementales, éducatives, et culturelles qui toutes jouent un rôle fondamental dans l’avenir de la jeunesse. Suite à la Loi de Finances portée par le gouvernement, les collectivités voient leurs budgets amputés. Certains élus, notamment en Région Pays de la Loire, profitent ouvertement de ce contexte économique pour affirmer des choix idéologiques d’une violence et d’une irresponsabilité inouïes.Le plan social qui s’annonce met en péril des milliers d’emplois.La Culture n’est pas une compétence mais un droit fondamental.

Ces politiques le retirent à nos enfants et adolescents. Nous refusons ce modèle de société qui enterre nos droits et nos services publics.  Nous prenons fermement position auprès de toute la profession, des familles, élus, associations qui seront affectés par ces mesures arbitraires.
Nous rejoignons toutes les luttes en cours dans les secteurs de la jeunesse, de l’éducation, du social, du sport et de tout ce qui fait lien dans notre société. Il est plus que jamais nécessaire de prendre soin de la jeunesse. C’est notre projet fondamental. Nous lançons cet appel comme une étincelle, pour qu’elle en allume beaucoup d’autres partout sur les territoires. A nous toutes et tous, de nous en saisir, de rester mobilisés et solidaires. »
Dans Le Monde.fr, l’acteur Philippe Torreton met le doigt où cela fait mal avec juste raison:  »
Cette personne insinue en un élan populiste, que ne bouderait pas Donald Trump, que le monde de la Culture ne serait qu’une niche de gens gâtés qu’il serait grand temps de confronter au réel, afin, dixit, qu’ils se réinventent. Alors que le précédent gouvernement lui a suggéré une économie de quarante millions d’euros et, le doigt sur la couture du pantalon, elle répond qu’elle poussera jusqu’à 82 millions dès 2025,  et de cent millions à l’horizon 2028. Oui, 100 millions d’euros ! C’est-à-dire une amputation à vif de 73 % du budget de la Région consacré à la culture, 75 % de celui réservé au sport et  90 % de celui à l’égalité femmes-hommes. » Tout est dit, et bien dit.

 

Compagnie Loba/Annabelle Sergent
3 boulevard Daviers, 49100 Angers. T. : 02 41 27 36 00.

Un Personnage sans histoire, écriture, marionnettes et mise en scène de Gilles Debenat (à partir de huit ans)

Un Personnage sans histoire, écriture, marionnettes et mise en scène de Gilles Debenat (à partir de huit ans)

Gilles Debenat a suivi le cursus des Beaux-Arts d’Angoulême puis a été élève de l’École supérieure nationale des arts de la marionnette à Charleville-Mézières. Avec la compagnie Drolatic Industry, qu’il a fondée avec Maud Gérard et qui est installée à Redon (Ille-et-Vilaine), il travaille aussi avec d’autres compagnies comme interprète, metteur en scène ou facteur de marionnettes.

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Dans Un Personnage sans histoire (2024), il s’agit d’une « marionnette désespérée qui cherche le rôle de sa vie». Le visage pas du tout avenant voire même inquiétant, cette créature va rencontrer le metteur en scène Gilles Debenat présent sur scène, pour obtenir un rôle dans sa prochaine création, c’est à dire se mettre réellement à exister.
Soit une variation marionnettique sur le théâtre dans le théâtre, un thème dont les plus grands auteurs (Corneille, Molière, Shakespeare, Marivaux, Tchekhov, Pirandello…) se sont emparé.
Et les metteurs en scène encore au XXI ème siècle, continuent à exploiter le filon, ou du moins ce qu’il en reste. Gilles Debenat a su créer des marionnettes à la fois fantastiques et crédibles…Mais il semble moins à l’aise, quand il lui faut écrire des dialogues qui tiendraient la route sur une petite heure.

Une fois, la situation mise en place, les choses patinent et les enfants n’étaient pas très attentifs, même si Gilles Debenat dans son rôle de créateur, sait faire monter la pression entre lui et cette créature qui voudrait absolument faire partie du spectacle.
La faute à quoi? Sans doute, en partie à cause d’un manque de véritable fil rouge qui unirait vraiment cette série de petites scènes morcelées. La mise en abyme ne fonctionne pas et n’est sûrement pas évidente pour des enfants du primaire.
Gilles Debenat sait concevoir des marionnettes et, avec Antoine Malfettes son partenaire, leur donner vie avec, à la fois une technique remarquable, humour et tendresse… Mais nous n’y avons pas trouvé notre compte. Allez, pour se consoler, la dernière phrase extraite de la Leçon inaugurale au Collège de France en  2010 de Jacques Nichet, le grand metteur en scène disparu qui aimait tant les marionnettes japonaises bunraku: « Permettez-moi d’arrêter mon vagabondage en vous racontant une dernière histoire-vous l’avez compris, c’est mon métier et mon plaisir. Un jour, un homme vint trouver le directeur d’un cirque et lui demanda si par hasard, il n’avait pas besoin d’un imitateur d’oiseau. « Non », répondit le directeur du cirque. Alors l’homme s’envola à tire d’aile par la fenêtre. »

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 18 décembre au Mouffetard-Centre National de la Marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris (V ème).

Le Canal Théâtre, du 7 au 9 janvier, Redon (Ile-et-Vilaine).

Festival avec ou sans fil: en option, les 3 et 9 février, Rochecorbon (Indre-et-Loire). Centre culturel Juliette Drouet, du 24 au 26 février, Fougères (Ile-et-Vilaine).

Festival Méliscènes, du 8 au 23 mars, Auray (Morbihan).

Maison de la Culture, du 22 au 25 avril, Bourges (Cher).

L’Avant-scène, le 15 mai, Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine).

Economie, une causerie conçue et animée par l’économiste Jean-Marc Daniel

Economie, à quoi faut-il s’attendre?  Une causerie conçue et animée par l’économiste  Jean-Marc Daniel

 Né à Bordeaux il y a soixante-dix ans, cet économiste en a gardé une pointe d’accent. Ancien élève de Polytechnique, de l’E.N.S.A.E. et de l’Institut d’études politiques de Paris, il a été administrateur à l’I.N.S.E.E. et a fait partie de cabinets au ministère de la Culture et à celui des Affaires étrangères. Il a enseigné à l’École des Mines, à Paris X  et à  la Business School. Chroniqueur au Monde et depuis neuf ans, aux Échos, il intervient aussi sur B F M. Dans Le Gâchis français, quarante ans de mensonges économiques (2015),  il a analysé la politique dont les échecs sont dus, selon lui à une mauvaise lecture de l’économiste Keynes. L’argent magique est un leurre, dit-il avec raison, pour répondre à l’angoisse des populations.

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Ici, des chansons de Bob Dylan avant cette causerie proche d’un monologue théâtral. Puis, introduit par Stéphanie Tesson, la directrice du Théâtre de Poche, cet économiste au gros ventre s’assied à une petite table ronde nappée de noir. Puis il restera debout, écharpe bleue nouée sur une chemise qui dépasse de son pantalon. Pas très classe… comme un message? Du genre: je suis assez compétent pour m’habiller comme je veux et, sans aucune note avec moi, je vous expliquerai pendant une heure vingt les malheurs actuels de l’économie française… Cela dit, Jean-Marc Daniel est très à l’aise, sans micro, et a une bonne diction.

Côté cour, un châssis noir où s’afficheront en blanc les textes d’économistes réputés, une erreur flagrante de mise en scène: une moitié de la salle n’arrive pas à les lire… En tout cas, Jean-Marc Daniel semble sûr de lui. Il va nous dire pourquoi l’économie va  si mal chez vous. Et aussi comment on peut assez vite, mais avec des mesures drastiques, relever son niveau…  D’abord, il fait un état des lieux clair et net: « On a maintenu artificiellement la croissance et l’économie avec des dettes, sans résoudre les problèmes structurels (…) « On ne travaille pas assez, donc on ne produit pas assez et du coup, on n’exporte pas assez. Et comme on n’épargne pas assez, on consomme aussi trop, donc on importe  trop de produits. Le déficit commercial n’arrête pas alors de se creuser.” Et pour lui, sauver l’économie d’un pays en accumulant la dette publique autorisée par les banques centrales est une erreur qui va nous mener à la catastrophe. C’est assez bien vu.

Il préconise surtout de ne pas laisser filer le déficit de l’État. Il épingle aussi, et à juste titre, le Bayrou de service qui confond dette nationale et déficit! Ce qui, en effet, n’est pas la même chose, et pas digne d’un Premier Ministre. Au passage, il tacle aussi Mathilde Panot, députée très impliquée dans la lutte contre le dérèglement climatique  : « Elle ne sait même pas qui est Léon Blum, elle est ignare mais aussi menteuse ».  Vous avez dit, élégant?
Mais aussi Martine Aubry et sa réforme, dite des trente-cinq heures…  Mais sans parler de son volet: annualisation du temps de travail, baisse des cotisations sociales pour les entreprises, de la réorganisation de la production. Ce qui n’est pas d’une grande honnêteté intellectuelle. Il oublie aussi de dire que la droite libérale n’a pas supprimé ces mesures… Et il s’en prend à Sandrine Rousseau « d’être allée pêcher ses idées dans Le Droit à la paresse du socialiste Paul Lafargue… Tiens, trois femmes dans son collimateur. Mais pas Marine Tondelier, secrétaire générale des Verts qui lie justice sociale et écologie. Elle avait cloué le bec de Jean-Marc Daniel qui, lors d’une émission à  France-Inter, prônait les vertus du libéralisme!

En résumé, pour lui, la force de travail et les entreprises en concurrence sont essentielles et non l’État. Bref, vive toujours et encore, le libéralisme. Chiche, si on essayait? Et si cela ne marchait pas, que dirait-il? Sans doute qu’il avait vu juste mais qu’on n’avait pas travaillé selon les bonnes stratégies… Il y a souvent chez les économistes un côté prophète du passé assez agaçant.
Jean-Marc Daniel pose bien les problèmes, mais quant aux solutions préconisées…  Selon lui, aux grand maux, les grand remèdes: il faudrait mettre fin au statut de la fonction publique, éliminer certains jours fériés, augmenter réellement le temps de travail annuel et non avec des mesurettes genre: trente minutes par semaine. Et, pour être plus compétitif, réduire l’impôt sur les sociétés et appliquer une augmentation fiscale des ménages.  Que du bonheur…

Aller vers une économie de marché mondialisée ne lui fait pas peur, au contraire.  Et il parle des producteurs de cognac très favorables à un accord de libre-échange comme  le Mercosur, entre l’Union européenne et l’Amérique du Sud, ce qui leur permettrait d’accéder à de nouveaux marchés ».  Un peu facile! Jean-Marc Daniel se fait l’apologie du libre échange, mais se garde bien de parler des millions de tonnes de poulets produits industriellement au Brésil. Les éleveurs français, eux, sont soumis une réglementation stricte en matière d’environnement et bien-être animal. Ce libre-échange déstabiliserait ainsi le marché, le prix au kilo du poulet européen  étant trois fois plus élevé. Bonjour le chômage avec la fermeture des exploitations avicoles!
Idem pour la viande, au Brésil, six kgs de pesticides à l’hectare et fermes-usines avec vaches confinées! Avec, pour les consommateurs, maladies et cancers à la clé! ne  respectant les normes européennes.
Le libre-échange est mieux que le protectionnisme selon lui et la plupart des économistes, et c’est au consommateur de décider. Un peu facile, non? Mais, avec quels outils efficaces, quand il va au super-marché ou dans une supérette? Rappelons à Jean-Marc Daniel que la très grande majorité des Français, jeunes ou moins jeunes, ne sortent ni de Polytechnique ni de Sciences Po, ni même d’une université ou d’un lycée.
Quant aux récents dégâts sur l’environnement causés à la planète par l’énorme dépense énergétique des immenses groupes agro-industriels… Jean-Marc Daniel dit bien qu’il y a urgence en matière climatique et que l’humanité n’a jamais brûlé autant de charbon. Mais tout se passe comme si il faisait confiance au libéralisme et à la concurrence entre les entreprises… Quand le cheptel français dégage du méthane, cela a un prix, réplique-t-il. Si le Mercosur est appliqué tel quel, quelles en seront les conséquences alimentaires donc physiologiques,  et donc socio-politiques?

Autre solution-miracle de cet économiste distingué : privatiser la Sécurité sociale et créer un système d’assurances privées: ainsi les médecins prescriraient moins d’actes et médicaments inutiles, et il y aurait moins d’abus. Elémentaire, mais un peu naïf, non ? Ceux qui ne pourront pas, faute d’argent, se soigner de maladies infectieuses, contamineront les autres? Cela coûterait finalement très cher en soins et médicaments, en heures de travail perdues, donc serait nuisible à l’économie. Là-dessus, silence radio: Jean-Marc Daniel se garde bien de fournir le moindre avis des grands patrons des hôpitaux… qui le remettraient sans doute vite d’équerre.
Les effets, souvent catastrophiques quand la santé dépend uniquement ou presque de la rentabilité, n’affolent guère cet ex-Polytechnicien qui semble avoir la mémoire courte. Qu’il relise l’excellent Les Fossoyeurs de Victor Castanet sur le scandale Orpea où dans les E.P.A.D.H. privés, le but était de réaliser économies partout… Tout cela au grand profit des actionnaires. Serait-il si bien soigné et quel serait le prix à payer? Jean-Marc Daniel, en surpoids évident, quand il aura des pépins de santé comme tout le monde, ne semble pas vouloir se poser la question… En attendant, il peut réfléchir au témoignage de ce professeur de musique français, ayant longtemps vécu en Angleterre : «Nous avions déjà vu ce que cela donnait avec le ferroviaire privatisé par Margaret Thatcher mais, si tu veux savoir ce que sera le système hospitalier en France dans dix ans, va voir ce qui se passe dans les hôpitaux anglais, tu ne seras pas déçu du voyage! »
Sans doute les populations vivent-elles plus longtemps : c’est un fait incontestable… et cela exige soins, examens et médicaments. La Suède et les pays nordiques, eux, ont mis au point des système de soins plus rationnel et malgré des imperfections, cela tient financièrement la route. Et à l’hôpital de Bergen (Norvège),  il y a  un lit pour l’un des parents, dans la chambre où est opéré ou soigné leur enfant. Peut-être Jean-Marc Daniel trouverait-il cela trop cher?
Mais si on veut suivre ses arguments, mieux vaut  avoir de solides connaissances en matière d’économie! Une « causerie » bien menée et parfois drôle… mais qui n’est pas vraiment une causerie, le public n’étant pas invité pas à poser des questions.  Dommage. Enfin si cela vous tente, il y a encore des séances en janvier. Les places sont à 28  €  quand même.

Philippe du Vignal

 Causerie vue le 18 janvier  au Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21.

Les 24, 25 et 31 janvier.

 

Château en Suède de Françoise Sagan, mise en scène d’Emmanuel Gaury et Véronique Viel


Château en Suède
 de Françoise Sagan, mise en scène d’Emmanuel Gaury et Véronique Viel

Bonjour Tristesse, le premier roman de cette autrice, paraît en 1954, il y donc soixante-dix ans! Tout de suite, un grand succès de librairie. Non, ce n’était pas au Moyen-Age mais la pilule n’existait pas encore en France et le livre qui sentait le souffre, fit vite scandale dans les familles bourgeoises, le clergé et les écrivains catholiques dont François Mauriac! Enfer et damnation… Imaginez un peu, Cécile le personnage principal, osait faire l’amour avec son copain, avant le mariage! 
Bonjour Tristesse obtiendra pourtant, non le Goncourt mais le prix des Critiques avec entre autres, excusez du peu: Jean PaulhanGeorges BatailleRoger CailloisGabriel MarcelMaurice BlanchotDominique Aury…La jeune autrice, née Quoirez, avait seulement dix-huit ans! Sagan, ce pseudo lui avait été inspiré par le nom, chez Marcel Proust, de la princesse de Sagan. Et le titre d’un poème de Paul Eluard lui avait fourni celui de son livre. Il y a de moins bonnes fréquentations… 

Château en Suède sera mis en scène par André Barsacq au Théâtre de l’Atelier, avec, entre autres, Philippe Noiret, alors débutant. Là aussi, un bon succès public. Et la pièce sera même reprise plusieurs fois et adaptée par Françoise Sagan elle-même, au cinéma. On y retrouve certains thèmes de ses romans : vie sans aucun problème financier dans des lieux merveilleux et clos, cocktail de cynisme, voitures de luxe-elle aura un très grave accident qui la marquera à vie-horreur de la solitude, besoin absolu d’opium, oisiveté permanente et jeux amoureux menés avec désinvolture… Ses personnages ressemblent à cette écrivaine ouvertement bisexuelle. Personnage du monde parisien, souvent flinguée par la critique, elle bénéficiait pourtant d’une rente de situation, comme l’avait méchamment écrit Angelo Rinaldi.
Grâce à la vente de ses romans-trop vite pondus- mais qui furent pourtant des succès commerciaux en France et à l’étranger, elle était riche. Abonnée à l’alcool et aux drogues, elle claquait son fric et était généreuse avec ses amis. Mais elle fut impliquée dans une affaire politico-financière: le fisc ne lui pardonnera pas et elle mourra ruinée… Elle avait écrit avec un certain humour, son épitaphe six ans avant: «Sagan, Françoise. Fit son apparition en 1954, avec un mince roman, Bonjour tristesse, qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale, que pour elle-même.»
Les jeunes générations ignorent jusqu’à son nom et quant à son œuvre, restent peut-être ce roman dont le parfum érotico-sulfureux s’est depuis longtemps évaporé et ce Château en Suède… dont se sont emparé curieusement ces jeunes metteurs en scène. C’était la première pièce (les autres sont déjà depuis longtemps oubliées!) de Françoise Sagan qui s’amuse visiblement à jouer avec les codes du théâtre de boulevard et qui, en grande lectrice cultivée, s’inspire des meilleurs dramaturges et romanciers…

© Studio Vanssay-

© Studio Vanssay

La recette? Deux grandes louches de Marivaux, une autre d’Anton Tchekhov, encore une autre, de Laclos, un cuiller à café de Labiche et une pincée de Proust qu’elle admirait beaucoup, ajouter un soupçon de Shakespeare, de Sade et  d’écrivains contemporains Georges Bataille et de la sulfureuse Histoire d’O de Pauline Réage (alias Dominique Aury) un roman publié comme Bonjour Tristesse en 54… Mélanger avec soin l’appareil, comme on dit en cuisine, en tirer de courtes scènes aux dialogues faciles mais parfois réussis. Ensuite faire cuire à feu doux pendant une heure et demi. Attendre : le début, assez cafouilleux, sent la première pièce à trente mètres! Cela se passe donc dans un grand château en Suède. Venu de Stockholm où il habite pour y séjourner chez  ses cousins au début de l’hiver, le jeune Frédéric (Gaspard Cuillé) est ébloui par la belle et séduisante Eléonore (Odile Blanchet), épouse de Sébastien (Benjamin Romieux). Il veut la séduire, y arrive mais ne sait pas si le mari est complice de cette situation ou pas (la ficelle est un peu grosse). Et Elénore lui dit qu’elle reste attachée à son mari et qu’elle ne partira pas avec lui. De toute façon, le château est loin de tout et les chemins qui y vont couverts par une neige abondante.  Il y a aussi dans ce huis-clos, de nombreux secrets. Et qui est au juste, cette Ophélie errant dans les couloirs?

Comme chaque hiver-cela arrange bien François Sagan- cette neige fermera au monde extérieur, la demeure où ces jeunes grands-bourgeois auront tout loisir de la voir tomber. Ils pourront aussi se livrer à des amours parfois aussi féroces, que savoureux. Mais la situation est sur le point de tourner au tragique, quand Sébastien arrive avec son fusil. Et la fin, bien conventionnelle que nous ne vous dévoilerons pas, n’est guère meilleure que le début. Françoise Sagan, la scandaleuse, est quand même embourbée dans son milieu grand-bourgeois et  n’a pas osé clore de façon dramatique, ce vaudeville… d’après guerre.
Les six jeunes acteurs, pour la plupart anciens élèves de Jean-Laurent Cochet, ce très bon enseignant disparu il y a quatre ans, sont ici dirigés avec unité et avec la rigueur nécessaire sur cette petite scène. Bonne diction et belle présence: tous crédibles (mention spéciale à Odile Blanchet). Même si, au début, ils ont tendance à réciter et à bouler leur texte. Les metteurs en scène ont bien du mérite et s’en tirent mais ils auraient pu nous épargner quelques moments de criaillerie, les maladroites incursions dans la salle-un procédé usé jusqu’à la corde-et auraient dû laisser en coulisses cette vieille grand-mère silencieuse-un mannequin-en fauteuil roulant.
Et la scénographie, faite de bric et de broc, avec rideau de fils en fond de scène, n’est pas très réussie, sauf la maquette d’un petit château du Moyen-Age revu dix-neuvième siècle ,avec ses nombreuses tours. Une actrice  y fera tomber à vue quelques flocons de neige, histoire de nous mettre dans le climat suédois. Comme dans la Russie imaginée par le Théâtre du Soleil pour Ici sont les Dragons (voir Le Théâtre du Blog)… Décidément, la neige dans le région parisienne, ne tombe plus que sur les scènes!

A cela près, ce Château en Suède se laisse voir, à une condition: n’être pas exigeant! Le texte ne vole pas bien haut et les petites scènes se succèdent laborieusement. Les élèves des écoles de théâtre auront une occasion pour dix euros d’avoir une idée du théâtre que leurs grands-parents allaient voir mis à part les pièces au T.N.P.  Ils se demanderont sans doute bien pourquoi André Barsacq avait monté ce Château en Suède. A l’époque, le seul nom de Sagan attirait… Mais ce genre de théâtre, même correctement monté, reste bien léger… Et nous ne voyons aucune raison majeure de vous conseiller ce  faux bijou  qui n’a rien de passionnant. Enfin, vous pouvez y emmener votre vieille tata pour Noël. Mieux vaut aller savourer dans l’impeccable mise en scène d’Alain Françon, Les Fausses Confidences (1737) de Marivaux, une comédie plus jeune et plus juste, malgré son grand âge.

Philippe du Vignal 


Jusqu’au 9 février, Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse, Paris ( VI ème) . T. : 01 45 44 50 21.

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