Moins que rien d’Eugène Durif d’après Woyzeck de Georg Büchner, mise en scène Karelle Prugnaud

Moins que rien d’Eugène Durif d’après Woyzeck de Georg Büchner, mise en scène de Karelle Prugnaud

Il faut toujours du courage pour mettre en scène un texte, lui donner une forme concrète et sensible. Avec Woyzeck, une œuvre inachevée de Georg Büchner (1836), la responsabilité est plus pressante encore : comment, et de quel droit « finir » un  texte ? En même temps, la dernière pièce de ce génie mort à vingt-quatre ans, auteur de La Mort de Danton, Lenz, Léonce et Léna, sans compter ses textes révolutionnaires et son travail scientifique, est d’une telle force, qu’elle soutient ceux qui décident de la monter. Eugène Durif, avec Karelle Prugnaud, a choisi (aussi par nécessité) de réunir ces fragments en un monologue, celui du «moins que rien», un Woyzeck, marionnette et cobaye traversé par les voix de ses oppresseurs: le capitaine et le médecin expérimentateur.

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Troufion, Woyzeck est soumis aux brimades de ses congénères dotés d’un tout petit pouvoir de commandement. « Porc », « ombre d’un porc », traîné au sol dans la crasse, malmené, injurié… Comme si cela ne suffisait pas, il arrondit sa solde en vendant son corps à la science  mais interdiction de se soulager contre un mur, toutes ses « humeurs » appartiennent au docteur, pour études.
Au fond du fond, il perd ce qu’il croyait à lui, le seul être sur lequel il lui restait un peu de pouvoir : il assassine sa fiancée parce qu’elle s’est laissée regarder (et offrir des boucles d’oreilles) par d’autres. Animal de laboratoire ? Allons plus loin, expérimentons sur cet être «immoral » la torture punitive. Il faut tester les effets de la « question ».
Dans la première partie du spectacle, est exposée , une chorégraphie des brimades militaires. Vient ensuite l’expérience de la torture sonore, en utilisant des fréquences supposées de plus en plus intolérables à l’oreille et au cerveau. Le spectateur, impressionné par la distribution de bouchons d’oreilles à l’entrée, est presque déçu de ne pas percevoir grand-chose de ces stridences lancées fictivement (on le voit en vidéo) par le véritable responsable de la création musicale du spectacle, Kerwin Rolland, et répercutées par la gestuelle de l’acteur.

La tension monte ensuite. Enfermé dans une sorte de vivarium vertical à l’allure de cabine téléphonique, le « moins que rien » y est soumis peu à peu à l’inexorable montée de l’eau, bientôt teintée de sang. Et, même s’il lui arrive de s’évader par le sommet de la cabine, il y retombe jusqu’à la noyade. Des silhouettes militaires entourent la cabine, trop tard et en vain, plus besoin de surveillance : tout se passe entre l’homme, l’eau, et sa prison.
L’homme ? Comment l’appeler : le patient, le prisonnier ? Presque nu, il lutte contre ce qui l’enferme et en même temps, contre sa propre histoire, telle qu’il l’entend et telle que les voix des autres la lui martèlent en tête. D’aucuns trouveront Bertrand de Roffignac trop beau, trop habile et agile pour le rôle… Mais faut-il enlever à celui qui représente les basses classes écrasées par la classe dominante le droit à la beauté ?
Le choix de l’acteur, créateur du spectacle, à égalité avec l’auteur et la metteuse en scène, transcende la dimension sociale de la pièce pour arriver à une réflexion sur l’Homme, celui qui commet le crime et celui-ou plutôt l’institution-qui le punit, tout en l’ayant conduit, aussi inexorablement que l’eau qui monte, au geste criminel.

Avant de venir au Théâtre 14, le spectacle a été créé en plein air, dans un espace et une ampleur difficiles à imaginer : l’acteur était hissé par une grue pour être plongé dans l’aquarium ! Un modeste bémol : les grandes affiches de Tarik Noui dénonçant le féminicide, fonctionnaient sans doute mieux dans un espace ouvert que sur une scène : trop proches des spectateurs.
Karelle Prugnaud et Eugène Durif font régulièrement équipe depuis près de vingt ans, elle, avec son expérience de la performance et des arts de la rue, lui, avec son écriture sur le vif. Avec le plasticien Tarik Noui et le scénographe Gérard Groult (performeurs sur scène en soldats) et Kerwin Rolland, ils ont créé ensemble un objet théâtral puissant et troublant. Il faut ajouter : beau, grâce à la présence de Bertrand de Roffignac, Arlequin mémorable-et l’on sait qu’Arlequin est le plus pauvre des pauvres paysans, d’où son habit fait de morceaux-Woyzeck superbe et vaincu, dont la vie, malgré tout, n’aura pas été pour rien. À voir d’urgence.

Christine Friedel

Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, Paris (XIVème). On peut encore voir ce spectacle créé en dernier au festival Les Invité à Villeurbanne ( Rhône)  les jeudi 5 à 19h, vendredi 6 à 20 h et samedi 7 à 16 h . T. : 01 45 45 49 77.

 

 


Archive pour 5 décembre, 2024

Résistance féminine en déportation, une rencontre avec Alya Aglan, professeure d’histoire contemporaine à l’université Panthéon-Sorbonne, Christiane Page, professeure en études théâtrales à l’université Rennes II-Haute-Bretagne et Danièle Lebrun, conduite par la journaliste Leïla Kaddour-Boudadi

Résistance féminine en déportation, une rencontre avec Alya Aglan, professeure d’histoire contemporaine à l’Université Panthéon-Sorbonne, Christiane Page, professeure en études théâtrales à l’Université Rennes II-Haute-Bretagne et Danièle Lebrun,

Cette rencontre a été conduite par la journaliste Leïla Kaddour-Boudadi. Dans Les Héroïnes oubliées de la libération,Mélina Gazsi écrit: «Le 20 février 2014, quand le président François Hollande remet à l’Elysée, la médaille de Grand officier de la Légion d’honneur à Cécile Rol-Tanguy, 95 ans, elle s’en étonne encore : “Cela m’émeut de voir qu’on a beaucoup oublié les femmes. Dix ans plus tôt, quand elle avait été promue Officier de la Légion d’honneur par Jacques Chirac, elle avait dit : « J’ai considéré que je représentais toutes les femmes qui n’avaient rien eu. Ces oubliées sont toutes celles qui ont participé, chacune à leur manière, à libérer Paris de l’occupation nazie et dont personne ne se souvient. Quelques-unes, comme elle, engagées dans la Résistance et la libération de la capitale, sont passées à la postérité. Comme Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillon qui  reposent aujourd’hui au Panthéon. Mélinée Manouchian vient de les y rejoindre.»

© Jean Couturier

© Jean Couturier

D’autres, elles, déportées, ont aussi fait acte de résistance et sont mises à l’honneur ce soir. Dans ces textes lus par Danièle Lebrun, Alya Aglan précise qu’elles venaient de milieux socio-professionnels très différents et ne correspondaient pas à la description habituelle de « terroristes ». Elles participaient aux renseignements, premier maillon de la Résistance, aidaient aux évasions et aux sauvetages, soignaient les blessés. Pourtant, sur les 1.038 compagnons de la Libération, six femmes seulement ! Christiane Page, elle, a parlé de Charlotte Delbo qui rencontra Louis Jouvet à l’occasion d’une interview et qui l’engagea comme assistante. De 37 à 40, elle prendra en note ses cours au Conservatoire National d’Art Dramatique. En 41, elle participe à la résistance auprès de son mari mais arrêtée en 42, sera déportée à Auschwitz-Birkenau de janvier 43 à janvier 44 puis à Ravensbrück jusqu’en avril 45. Son mari, lui, avait été exécuté.

Daniel Lebrun lit un extrait d’Une Connaissance inutile, trilogie, Auschwitz et après (1970): «On ne rêvait pas, on délirait, parler restait la seule évasion. (…) Nous allons monter une pièce ». Avec un amie, elle va écrire de mémoire, Le Malade imaginaire! La pièce sera jouée devant des Polonaises qui comprenaient le français. «Pendant deux heures nous y avons cru, plus qu’à notre improbable liberté future. »
Et une œuvre artistique marqua leur existence là-bas: Une Opérette à Ravensbrück de Germaine Tillion, qui, elle, arrêtée en 42, avait été déportée dans ce camp en octobre 43. Elle y parle sous une forme légère de leur vie, mêlant dialogues, danses, airs connus d’œuvres classiques ou de chansons populaires. Avec ce spectacle, elles pouvaient s’offrir une minuscule parcelle de liberté. La pièce, adaptée et mise en scène par Claudine Van Beneden, a été jouée avec succès il y a deux ans  au Théâtre du chien qui fume dans le Off d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog).
Résister et survivre là-bas passait aussi par l’art. Le jeu était une forme de résistance et ont ensuite apporté leur témoignage, toutes ces femmes anonymes ou pas. «Témoigner, dit Alya Aglan, c’est encore enlever quelque chose à la barbarie.» Et « 
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Jean Couturier.

Le 2 décembre, au Vieux-Colombier- Comédie-Française, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème).
T. : 01 44 58 15 15.

Diffusion le 19 décembre à 20 h 30 sur comédie-française.fr

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