Les Chroniques, d’après l’œuvre d’Emile Zola, adaptation et mise en scène d’Eric Charon (conseillé à partir de quinze ans)

Les Chroniques, d’après l’œuvre d’Emile Zola, adaptation et mise en scène d’Eric Charon (à partir de quinze ans)

Cet écrivain et journaliste (1840-1902) est sans doute, avec Honoré de Balzac et Victor Hugo, un des écrivains  français les plus populaires, et a été traduit dans le monde entier. Dans Les Rougon-Macquart, une fresque romanesque en vingt livres, il peint la société sous le second Empire, à travers plusieurs générations. Entre autres dans Le Ventre de Paris (1873), L’Assommoir (1877), Nana, 1880, Pot-Bouille (1882), Au Bonheur des dames (1883), Germinal (1885), La Terre (1887), La Bête humaine (1890), un roman magistralement filmé avec Jean Gabin, quarante-huit ans plus tard par Jean Renoir. Et Thérèse Raquin, qu’Emile Zola adapta lui-même pour le théâtre. Il écrivit aussi quelques pièces… mais jamais passées à la postérité.

Maître dans l’art de la fiction à base de naturalisme, il a une obsession de la vérité des personnages et situations. Et grâce à une solide documentation et aux recherches sur place, à un sens du détail et du narratif, le traitement  qu’il fait des thèmes sociaux et ses dialogues ciselés sonne juste.Des éléments pouvant aussi intéresser les metteurs en scène et cela ne date pas d’hier L’Assommoir, Germinal, Nana, Le Ventre de Paris, Pot-Bouille  et Thérèse Raquin, ont été adaptés de son vivant pour la scène, ce dernier même par lui…
Et La Terre qu’il avait écrit, quand le blé américain avait inondé le marché français, entraînant la chute des prix et des tragédies rurales, est d’une rare actualité! L’histoire bégaie avec l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur : Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay… Tiens, tiens comme c’est curieux et comme c’est bizarre, le premier de ces pays avait « importé » des  œuvres d’Emile Zola pour les monter au théâtre.
La Terre a été adaptée avec succès cette année (voir Le Théâtre du Blog) au Théâtre Gérard Philipe par Anne Barbot où se jouent ces Chroniques.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Membre du collectif In Vitro depuis 2009, Éric Charon dit avoir été séduit par la modernité et la puissance des thèmes sociaux et politiques que le grand romancier a traités dans Les Rougon-Macquart. Pour ces Chroniques, il a travaillé  dans L’Assommoir sur le personnage de Gervaise, vingt-deux ans qui vit misérablement avec Auguste Lantier, un ouvrier et leurs deux enfants, Claude et  Étienne. Mais Auguste l’abandonnera. Devenue blanchisseuse, elle est en couple avec  Coupeau. Tombé d’un toit un couvreur s’est cassé une jambe. Mais il a peur de ce travail, ne travaille plus et sombre dans l’alcool. Lantier revient et s’installera chez eux…

Après un prologue sans grand intérêt dans le hall et sur le parvis du théâtre où on voit Gervaise faire un semblant de lessive au son de l’accordéon, nous arrivons dans la petite salle. Scénographie bi-frontale avec des tables et chaises des années cinquante, et accrochées au mur du fond, quelques percussions et devant, un saxophoniste et un accordéoniste qui se déplaceront ensuite. Nous allons assister d’abord à une remarquable scène avec, en voix off, un juge, tirée de  La Bête humaine où l’on retrouve Jacques Lantier, le fils de Gervaise.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin


Roubaud, sous-chef de gare au Havre, a fait injustement l’objet d’une plainte. Il apprend que Séverine a été l’amante de Grandmorin, président de la compagnie des chemins de fer.
Fou de jalousie, il décidera alors de le tuer, avec Séverine, comme complice. Jacques Lantier, vingt-six ans, lui, mécanicien sur la ligne Paris-Le Havre, va souvent chez sa marraine Phasie Misard dans le logement de son mari, garde-barrière sur la même ligne.

Flore, leur fille de dix-huit ans, est amoureuse de Lantier qui croit avoir vu un meurtre dans son train. Misard lui dira ensuite que c’est bien le président Grandmorin qui a été tué. Roubaud et sa femme, ayant voyagé dans ce train, seront entendus comme témoins.  Lui dira qu’il l’a rencontré cet homme par hasard mais qu’il ne sait rien de plus, comme sa femme. Lantier affirme, lui, avoir été témoin mais n’a pu voir clairement l’assassin. Denizet, le juge d’instruction  soupçonne les Roubaud: ils ont une maison que leur a léguée Grandmorin. ..
« Ces deux opus imbriqués, dit Eric Charon, auscultent l’humain dans ce qu’il a de sublime et de plus pathétique, de plus fort et de plus faillible, reliant sans cesse histoire intime et grande histoire. Ces allers-retours confèrent à cette création plusieurs couleurs et plusieurs registres dramatiques, du rire aux larmes. »  Le metteur en scène a adapté et entremêlé ces histoires d’amour, violences et mort.  Emile Zola met le doigt là ou cela fait mal et pose habilement la question du déterminisme et de la justice sociale.

© Simon Goselin

© Simon Gosselin

Le présent ou plutôt un présent des années cinquante si on en croit le mobilier avec des acteurs, parfois conteurs, qu’accompagne la musique de Maxime Perrin. Brutalité dans les familles, extrême violence du patronat envers les ouvriers, jeu, alcoolisme et prostitution, criminalité, système judiciaire appartenant à la bourgeoisie, logements ouvriers sales et surpeuplés, accidents du travail fréquents et vus comme une fatalité, assemblée nationale réactionnaire, justice sociale en berne…
Et hérédité lourde à porter : Eric Charon sait dire tout cela avec efficacité et cite à juste titre Gilles Deleuze: « La fêlure est donc cette prédisposition héréditaire à cause de laquelle un personnage est dominé par ses pulsions, par son instinct. À travers elle, l’instinct cherche l’objet qui lui correspond dans les circonstances historiques et sociales de son genre de vie : le vin, l’argent, le pouvoir, la femme… »

Emile Zola revient souvent sur la question de l’hérédité criminelle-il y a chez Jacques Lantier, quelque chose chose de maudit- et sur la profonde injustice qui gangrène le monde puissant de la Justice. Il est aussi un des premiers romanciers à mettre en scène le train, les gares et le réseau ferroviaire… Ce sera le paysage d’innombrables films et, avec tous ses croisements de lignes, symbole de la vie humaine chez les riches, comme chez les prolétaires…
Côté dramaturgie, l’histoire, pas toujours facile à suivre et cette imbrication de scénarios ne sont peut-être pas l’idée du siècle, comme la musique trop fréquente sous le texte de Maxime Perrin, à l’accordéon et de Samuel Thézé,  à la clarinette. Et il y a souvent, dans la seconde partie, un manque de rythme, dû en partie à cet espace tout en longueur, pas facile à apprivoiser.
Mais la direction d’acteurs est de tout premier ordre et l’interprétation, exemplaire: Zoé Briau, Éric Charon, David Seigneur, Aleksandra de Cizancourt, Magaly Godenaire (mention spéciale)  et Olivier Faliez en voix off, tout de suite absolument crédibles dans de multiples rôles, savent donner au texte une belle saveur et même parfois une émotion, peu fréquente dans le théâtre contemporain… Les jeunes gens-majoritaires pour une fois-et le reste du public-les ont longuement, et avec raison, applaudi.

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 15 décembre, Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National, 59 boulevard Jules Guesde, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

 

 

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