L’Eclipse par le collectif Bajour, mise en scène de Leslie Bernard et Matthias Jacquin
L’Eclipse par le collectif Bajour, mise en scène de Leslie Bernard et Matthias Jacquin
Cela se passe en 98 à Baume-les-messieurs, un village du Jura. Ils ont entre seize et dix-neuf ans et vont entrer en terminale au lycée Jean Michel à Lons-le-Saunier. Dans une grande salle, une jeune fille doit aller passer un concours de chant. Très nerveuse, elle s’adresse au public et parle beaucoup. Puis sa bande de copains- la plupart de famille pas bien riches- arrive… Depuis, une vingtaine d’années s’est écoulée et ils sont tous là comme dans un passé proche qui s’éloigne à toute vitesse, à chahuter et à revivre leurs premières amours et leurs désirs sexuels. Ce ne sont pas encore les vieux messieurs et vieilles dames de La Classe morte de Tadeusz Kantor qui reviennent dans leur école mais ces anciens collégiens sentent bien qu’ils sont à la mi-temps de leur vie.
Ils aimaient faire de la danse ensemble pour préparer le spectacle de fin d’année mais la prof n’est plus là. Un nouveau professeur, ancien interprète de danse classique de ballet arrive et les dirigera avec fermeté mais aussi avec une tendresse parfois ambigüe. La petite bande promet de se retrouver dans vingt ans sous les tables de classe où ils ont écrit des fragments de leur vie… Une invitation faite au public à retrouver son adolescence, même si depuis, tout a bien changé réseaux sociaux, portables, circulation de la drogue un peu partout et aussi dans les lycées, agressions, voire assassinat d’enseignants…
Belle idée que ces aller et retours dans le temps mais la mettre en pratique est une autre histoire… Il y a une scénographie réussie de Léa Jézéquel qui a imaginé des murs de la salle en mauvais état, comme la verrière du toit. Et les metteurs en scène savent créer des images comme cette classe de danse en silence tout à fait remarquable ou cet échange de baisers entre ados derrière les vitres. L’image est un mode de représentation plus fusionnel que les paroles, et plait visiblement aux nombreux jeunes dans la salle.
Mais le texte n’est vraiment pas à la hauteur des ambitions du collectif Bajour: (…) » Nous avons quelques textes écrits en amont par le metteur en scène, des canevas, des thématiques. L’acteur amène le détail, la complexité de l’histoire grâce au travail de plateau, mais surtout s’approprie et invente le langage spécifique du spectacle. S’ensuit un aller-retour du plateau au texte qui se construit pas à pas. Au cours du travail et des représentations, l’acteur écrit ainsi en direct, traversé par le texte, le fruit des improvisations en répétitions mais avant tout par le présent de la situation. La pièce est ainsi construite par des textes et des canevas d’improvisation selon ce que demande chaque scène. (…) « C’est pourquoi; nous allons travailler sur l’écriture beaucoup plus en amont et de manière plus précise que sur nos précédents spectacles. L’écriture s’enrichit aussi des acteurs, du plateau et des improvisations. L’écriture collective reste le cœur de notre travail. » Vous avez dit: un poil prétentieux?
Ce sont trop souvent les mêmes arguments qu’on retrouve dans les notes d’intention rédigées sur un coin de table et les mots: texte, improvisations, écriture, plateau, répétés plusieurs fois, semblent être un obsession chez le collectif Bajour. Et c’est bien ici justement que le bât blesse et malgré quelques airs de Britney Spears, Daft Punk ou Louise attaque, la pièce est souvent confuse et ces deux heures, bien longuettes…
La faute aussi à une mise en scène où fleurissent les stéréotypes: pans de décor qui s’abattent, fumigènes à gogo, fréquents transports de table et chaises… et à une direction d’acteurs trop approximative: diction vraiment faible sauf chez l’acteur qui joue le prof de danse, jeu de trois quarts dos au public… Bref, ce qui voudrait être une chronique de la vie adolescente avec ses bonheurs et malheurs, sur l’identité au cours de la vie aurait mérité de véritables dialogues et une réalisation plus exigeante. Ces jeunes acteurs sont sympathiques mais cette Eclipse nous a laissé sur notre faim et on se demande bien pourquoi Pauline Bayle, directrice du Théâtre Populaire de Montreuil, l’a programmée.
Allez, pour se consoler, quelques mots de Jean-Pierre Vernant (1914-2007), grand historien et résistant, qui a écrit un beau livre sur l’individu, la mort et l’amour et dont on a donné le nom à la salle où se joue le spectacle: « Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans, et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre. Entre les rives du même et de l’autre, l’homme est un pont. »
Philippe du Vignal
Jusqu’au 20 décembre, Théâtre Public de Montreuil-Centre Dramatique National, 10 place Jean-Jaurès, 63 rue Victor Hugo, Montreuil (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 70 48 90.