Psychodrame, conception et mise en scène de Lisa Guez
Psychodrame, conception et mise en scène de Lisa Guez
Attention, le psychodrame n’est pas du théâtre mais un acte thérapeutique pratiqué dans les services hospitaliers de santé mentale. Bel euphémisme, dirons-nous en passant, puisqu’il s’agit d‘abord de maladie et de souffrance.Psychiatre, infirmière, éducatrice (la féminisation de la médecine rencontre ici celle du théâtre) construisent le protocole qu’elles vont partager avec leurs patientes – souvent peu armées… de patience, et c’est là leur douleur.
Avec des règles : on ne touche pas l’autre, on arrête le jeu dès que quelque chose « sort », un instant de vérité qui va permettre de tirer un fil de son mal-être, avec l’espoir de défaire quelques nœuds.
On ne joue pas un personnage, comme au théâtre, mais les soignantes endossent toutes les fonctions dont le psychodrame a besoin, à la demande de la patiente. Le risque assumé : avoir à jouer elle-même, la grand-mère, la femme-qui-rampe-derrière-le papier-peint, le papier peint lui-même, un arbre… On ne rit pas.
Et pourtant, si, en découvrant une réalité peu et mal connue. On rit parce que ça sonne vrai, sur fond de dégradation de l’hôpital public et de coupes budgétaires. Passons : on connaît ce poison. L’équipe des Femmes de Barbe-bleue menée par Lisa Guez se livre à une jubilatoire recomposition de quelques psychodrames, faisant défiler les « cas », avec leurs avancées et reculs. Et nous comprenons vite que l’on n’en restera pas là et que ces cas seront, au fil des scènes, autant de personnes qui surprennent, évoluent, changent, ou inquiètent quand elles semblent ne pas changer. Passant de l’agressivité aux effusions d’amour pour l’une, évoluant tout doucement vers la prise de pouvoir pour une autre, elles nous rappellent que les soignantes sont, elles aussi, fragiles, sujettes aux émotions et tempêtes affectives, et aussi aux petites superstitions-cela ne coûte rien et cela allège-avant chaque séance.
Avec tout cela, Lisa Guez et sa bande de filles font du théâtre. Décor : la salle d’activité qui, pour un théâtre sociologique, remplace le palais unique de la tragédie classique. Ici, c’était déjà le décor et le support de jeu pour La Vie secrète des vieux de Mohamed El Khatib, cet automne ( voir Le Théâtre du Blog). « Qu’en un temps, en un lieu, un seul acte accompli/ Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. ».
Pari gagné. Avec six chaises, une porte et une série de petites fenêtres fixes donnant sur un couloir, les entrées et sorties peuvent en dire beaucoup, en attendant la « séance » proprement dite qui se joue en peu de mots. Les filles ont travaillé ensemble en improvisation, tantôt patientes, tantôt soignantes et sont arrivées à un texte et à une mise en scène bien huilés, et mieux que cela : à une écriture de plateau réussie, où le texte n’est pas sacrifié à la mise en scène, ni l’inverse. Elles n’ont pas peur quelquefois de surjouer et personne ne leur en voudra, tant le spectacle garde de bout en bout la force de ses enjeux, et nous fait glisser du rire à l’émotion -et retour.
Tout le monde n’aimera peut-être pas les moments de fantasmes collectifs figurés sur le plateau, évocations d’un cauchemar et d’un vigoureux sabbat de sorcières. Moments de défoulement si l’on ose ce mots dans ce contexte ou d’explosion de vitalité ? Cela n’enlève rien de sa puissance à ce théâtre qui se permet un vrai propos, ancré dans la réalité du monde, en une forme populaire, directe, efficace sans être jamais simplificatrice. Merci donc à Fernanda Barth, Valentine Bellone, Sarah Doukhan, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour, Jordane Sourd qui plongent tous le soirs sur scène dans ce grand bain des âmes en souffrance, terriblement vivantes.
Christine Friedel
Jusqu’au 12 décembre, Théâtre de la Ville-Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 0142 74 22 77.