Dégringolade ou l’art de rester debout d’Ashley Chen et Pierre Le Bourgeois
Dégringolade ou l’art de rester debout de et par Ashley Chen et Pierre Le Bourgeois
Le titre évoque dégingandé, déglingué, dégradé, débridé et rime avec rigolade. Un danseur et pas n’importe lequel- il a travaillé avec Merce Cunningham, Murray Louis, Trisha Brown, Philippe Decouflé… et un musicien, violoncelliste de musique classique, fana de rock et free-jazz, cela a quelque chose de clownesque.
Pour la musique, on songe aux performances de Steve Lacy ou de Joëlle Léandre avec les chorégraphes les plus novateurs mais aussi aux couples avant-gardistes comme Charlotte Goodman et Nam June Paik, Bernard Lubat avec Michel Portal aux prestations savoureuses et savantes dans L’Art du duo (2015). Pour la danse, on pense au numéro burlesque, version hip-hop, de Farid Berki et Christophe Jean dans Oud ! (2005).
Ici, ni auguste, ni clown blanc. Ashley Chen et Pierre Le Bourgeois incarnent tour à tour ces figures en principe antagonistes, créées au XIX ème siècle, transmises par le cinéma burlesque : Fatty et Buster Keaton, Charlie Chaplin et Eric Campbell, Laurel et Hardy… Le titre de cette rencontre artistique : Dégringolade ou l’art de rester debout est, comme il se doit, paradoxal.
Un peu comme celui du film-culte d’Aldo Maccione, Tais-toi quand tu parles (1981). Cela n’empêche pas les confidences de l’un et de l’autre, les éléments autobiographiques : rapport à une mère pianiste pour le futur musicien professionnel, débuts dans le rôle du cochon dans une version d’Alice au pays des merveilles pour son complice, souvenir de nombreux solos interprétés pour d’autres chorégraphes, qui restituent un bon échantillonnage de la danse contemporaine des années quatre-vingt dix.
Ashley Chen évoque ainsi le regretté Fabrice Dugied, artiste associé à la programmation du Regard du cygne depuis sa fondation en 84 par Amy Swanson et Alain Salmon, Vannina et François Guibert.
Devenu chorégraphe en 2012 avec Rush, Unisson et Distances, puis Chance, Space and Time (2016), Unisson (2018), Distances (2021) et We came to live in this world (2023), Ashley Chen reste fidèle à ses idées et ses pièces exigent une dépense physique des interprètes qu’il pousse à leurs limites mais il cherche aussi à montrer leur fragilité. Les retours sur sa carrière ne sont pas chronologiques et obéissent à l’association libre, au coq-à-l’âne…
Côté musique, le non-sens est aussi de mise : Pierre Le Bourgeois passe allègrement d’une Suite de Jean-Sébastien Bach, à une improvisation bruitiste, au sens que lui donnaient Luigi Russolo, John Cage et les tenants de la musique, dite concrète: La distance assumée avec les disciplines artistiques, loin de créer comme l’écrivait le poète peintre et cinéaste Isidore Isou (1925-2007) qui avait fondé le mouvement du lettrisme en 45, discordance, dissonance, «discrépance» qui est la base même de la rencontre, de la coalition, de l’union entre le musicien et le danseur. Et, on le sait, l’union fait la force….
Exagérations gestuelles, stylisation frôlant la caricature, couacs bien ajustés, gags visuels et sonores n’ont pas pour but de moquer ou pasticher les artistes modèles mais de leur rendre hommage, en leur clignant de l’œil. Et ils rythment bien l’écoulement du temps.
Nicolas Villodre
Spectacle vu le 13 décembre dans le cadre de Signes d’automne, au Regard du Cygne, 210 rue de Belleville, Paris (XX ème). T. : 01 43 58 55 93.
Danse dans tous les sens, Festival du Centre Chorégraphique National Chorège à Falaise (Calvados) avec la coopérative Le Sépulcre, en mai.
Tours d’Horizon, Festival du Centre Chorégraphique National de Tours ( Indre-et-Loire), le 4 juin.
Et Cabaret des Signes/Ciné-Danse, le 21 décembre à 18 h et Cabaret des Signes/Showtime, le 21 décembre à 20 h 20, au Regard du Cygne.