Festival d’Automne Haribo Kimchi, de et par Jaha Koo

 Festival d’Automne

Haribo Kimchi, de et par Jaha Koo

Ce compositeur, performeur et metteur en scène de quarante ans,  a étudié le théâtre à l’Université des arts en Corée du Nord, puis à DasArts à Amsterdam.  Ses spectacles maintenant connus en France (voir Le Théâtre du Blog), associent musique, vidéos, texte, installation et performance, le tout  en lien  avec la politique, l’Histoire et sa vie d’artiste. Dans Trilogie Hamartia (2016), il voulait déjà montrer la manière dont le passé agit sur le présent de notre vie. Il explore le paysage politique, l’histoire coloniale et l’identité culturelle de son pays et a aussi écrit une autre trilogie Lolling and Rolling, dont le dernier volet, The History of Korean western theater, a été créé au Théâtre de la Bastille en  2020.  Selon Jaha Koo, une recette de cuisine peut incarner et transformer l’héritage d’une famille, les mythes d’une région, l’identité d’un pays. Depuis vingt ans, la Corée exporte sa culture à l’international, notamment sa cuisine, simplifiée et plus adaptée aux goûts occidentaux et donc affadie mais imposé aux Coréens eux-mêmes. Au centre de la scène, une pojangmacha, une de ces nombreuses petites tentes-boutiques nocturnes dans les rues de Séoul. Depuis longtemps, je réfléchis à la nourriture comme moyen d’expression artistique. Avec la vidéo, je sollicite le regard, et avec la musique, l’ouïe.  Je voulais aussi m’adresser à l’odorat et au goût.
Dans Cuckoo, avec un cuiseur à riz, le temps de la représentation était celui de la cuisson. Mais je n’avais pas encore trouvé une façon de construire toute une dramaturgie autour de la nourriture, en permettant au public d’expérimenter collectivement les dimensions esthétiques et politiques de la cuisine. Haribo
Kimchi s’est concrétisé quand j’ai eu l’idée de la scénographie, inspirée de ces pojangmachas. Je suis arrivé en Europe il y a treize ans  et, depuis , ma vie et mon sentiment d’appartenance culturelle ont changé. J’ai en partie adopté votre mode de vie et la nourriture est un medium puissant pour parler de l’entre-deux identitaire entre cultures. Mais ici, je voulais avec Haribo Kimchi laisser une plus grande place à la fiction, créer davantage de distance entre la représentation et mon histoire.

 

© Bea Rogers

© Bea Rogers

Jaha Koo invite un jeune couple de spectateurs et leur cuisine quelques plats, en nous parlant de sa vie à Berlin puis à Amsterdam. Au programme, amour d’une cuisine simple mais raffinée autour du kimschi, traditionnel coréen à base de piments et légumes lacto-fermentés et que préparait sa grand-mère,  nostalgie de son pays avec  nombreuses images de rues et de campagne, vie personnelle et découverte des métropoles européennes avec leurs diasporas: il a vu que le visage de ses compatriotes était différent, qu’ils ne parlaient plus coréen et avaient  un nouveau mode de vie mais que la nourriture traditionnelle, notamment le kimchi, servait de lien familial et social… Et il aime introduire sur le plateau des robots: dans Cuckoo, il y avait déjà un cuiseur à riz qui chantait et dans The History of Korean Western Theatre, une grenouille origami. Ici, une anguille lumineuse parcourt la scène au moment où sur les écrans de jeunes anguilles grouillent par centaines dans des élevages. « J’ai voulu, dit-il que l’anguille- robot soit à moitié transparente, dans un entre-deux, à l’image de ma propre identité diasporique. »
Tous selon lui peuvent ressentir un tel état, en allant vivre dans une autre ville, en vieillissant ou en subissant des évènements personnels.  Cet artiste sait faire les choses et jongle avec ses instruments de cuisine en s’adressant à la fois à des deux invités assis devant lui et au public.


De la belle ouvrage, vraiment, avec qu’il faut en matériels vidéo et informatique mais pourquoi ce maudit micro H.F, inutile dans cette petite salle et on aurait bien aimé sentir le parfum de ces plats mijotés avec amour. Pour se consoler, il y a, souvent projetées, des images vidéo  des rues de Séoul et de campagne verdoyante sur deux grands écrans, à gauche et à droite de la petite boutique. Mais ce court spectacle sympathique nous a laissé sur notre faim (sans jeu de mots). Enfin, en ces temps froids parisiens, un peu d’exotisme, cela ne peut pas faire de mal…

Philippe  du Vignal

Spectacle joué du 12 au 15 décembre au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème).   Puis aux Pays-Bas, au Portugal, en Belgique, Pologne et Espagne.


Archive pour 16 décembre, 2024

Ici sont les Dragons

Ici sont les Dragons, (première époque), une création collective du Théâtre du Soleil, en harmonie avec Hélène Cixous, dirigée par Ariane Mnouchkine, le point de vue de Jacques Livchine…

Si je te dis,  c’est une splendeur, si je te dis, j’ai trouvé cela plus encore que magnifique, je n’ai rien dit. Le théâtre a cette force-là, il ne se raconte pas, l’ionisation de l’air entre le public et la scène, cela ne se décrit pas. Le théâtre ne se filme pas non plus: le silence n’est pas photogénique, et puis il y a l’atmosphère très spéciale au Soleil. Il fait froid, et on entre dans une espèce de taverne, les lumières éclairent les petites tables, le bortsch est fumant. Derrière des voiles sous les gradins, les comédiens s’affairent. C’est unique et c’est ici.
Petite annonce, grâce à nos dons, le Théâtre du Soleil fait fabriquer des drones défensifs. Il y a des boîtes pour accueillir nos billets. Nous sommes fixés: ici, nous ne sommes pas dans une indifférence au monde. Si tu n’aimes pas le théâtre politique, le théâtre historique  des vraies histoires de 1917, avec les vrais mots prononcés, ce que je vais raconter, n’est pas pour toi.

© Lucile Cocito

© Lucile Cocito

Si tu n’aimes pas les grandes fresques, les mystères du Moyen-Age, le monumental, inutile de continuer. Il y a cette phrase d’Anton Tchekhov : « Il faut des formes nouvelles, si elles n’existent pas, il vaut mieux que rien n’existe. Et je suis inquiet: le Soleil a soixante ans et Ariane Mnouchkine, bientôt quatre-vingt six. Pouvait-on vraiment attendre du neuf ? J’ai en tête ce vieux proverbe chinois:  « Quand tu atteins le haut de la montagne, continue de monter. » Eh ! Bien j’ai encore été étonné et même époustouflé. Pourquoi ?  Le Soleil est inventif en diable.
Un de mes aphorismes préférés: »Invente ou je te dévore » signé Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806)  l’architecte utopiste des Salines d’Arc-et-Senans. J’ai vu un jour cette équipe de trente-deux personnes en phase de concoctage.  Ils ne se contentent pas de jouer, ils enquêtent, s’informent sur 1917, lisent quantité de bouquins et présentent à Ariane Mnouchkine des esquisses de scènes: deux-cent trente deux et elle n’en a gardé que vingt-trois. Une démarche aussi incroyable que titanesque.
Et puis, encore un étonnement,  les acteurs sont tous doublés par des comédiens russes, anglais, allemands, ukrainiens. Ils ont appris le texte par cœur et nous croyons que c’est eux, et pourtant, non:  ils ont des masques fabuleux et  on  reconnait facilement Churchill,  Lénine, Staline, Trotski  etc.  Ils sont des têtes plus grosses que la  normale. Une impression absolument  transcendante. Image de marque du Soleil, les changements de décor très rapides, et très fluides, sur roulettes.
Un spectacle encore plus magique que d’habitude! Hallucinante, l’arrivée du train  » plombé » de Lénine dans une délire de bruits et fumées, et son discours  galvanisant. On va donc vivre toute la révolution, la fondation de l’URSS et le dévoiement, et déjà l’écrasement de l’Ukraine. On nous raconte l’histoire du vingtième siècle  bien sûr cela à  voir avec aujourd’hui, puisqu’il y a la dissolution, les bolcheviques  minoritaires, la recherche de coalitions, etc.
Je sais, et depuis toujours, que le théâtre est un instrument infaillible du décryptage de la politique, et que l’on peut résumer un livre de cinq cents pages en une seule image. On retrouve ici le grand théâtre politique d’Erwin Piscator, le souffle épique d’Eisenstein. Un puissant livre d’images.  Dans la dernière scène, il y a une maquette, la metteuse en scène approche son smartphone et ce qu’elle filme, apparaît sur le grand rideau au fond. Nous voyons des dizaines de personnages qui s’empoignent, c’est l’assassinat de l’assemblée constituante. Fascination. C’est fini pour ce soir, on a envie que cela continue tout de suite, mais il faudra attendre l’an prochain. J’espère que mon enthousiasme excessif ne va pas refroidir ton désir de traverser le bois de Vincennes. Souvent, je m’interroge sur la nécessité de l’Art.  J’ai la réponse.

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervé de Lafond du Théâtre de l’Unité à Audincourt ( Doubs).

Ici sont les Dragons, première époque, une création collective du Théâtre du Soleil, en harmonie avec Hélène Cixous, dirigée par Ariane Mnouchkine


Ici sont les Dragons, (première époque), une création collective du Théâtre du Soleil, en harmonie avec Hélène Cixous, dirigée par Ariane Mnouchkine


Le Théâtre du Soleil fondé en 1964 par Ariane Mnouchkine, Philippe Léotard, Jean-Claude Penchenat, Roberto Moscoso, Françoise Tournafond, Claude Forget… est une société coopérative et participative. Il vient de fêter son anniversaire. Le premier spectacle que nous avions vu était Les Petits Bourgeois de Maxime Gorki. C’était en 65 au Théâtre de Sartrouville, à l’époque, une petite salle pas bien luxueuse au-dessus d’un marché couvert et où Patrice Chéreau avait aussi présenté Don Juan. Puis vint Le Capitaine Fracasse au théâtre Récamier à Paris,  La Cuisine d’Arnold Wesker, un remarquable spectacle créé dans une  salle de boxe à Montmartre. Et Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare dans ce qui était alors le cirque Médrano, maintenant un supermarché !
Quelques acteurs du Soleil dont Jean-Claude Penchenat, Georges BonnaudGérard Hardy, Sophie et Roberto Moscoso, Philippe Hottier… après une tentative ratée, en compagnie de… Michel Foucault, le 1er janvier à cause d’une forte présence policière devant la prison de la Santé-nous  y étions!-jouèrent enfin Qui vole un œuf va en prison, qui vole un bœuf va au Palais-Bourbon, un court mais efficace spectacle d’agit-prop (répété toutes les cinq minutes, avec comme personnages: deux flics, un juge, deux accusés pauvres, et un bourgeois député) que nous avons pu enfin voir le 19 de ce même mois  à l’entrée des usines Renault à Boulogne-Billancourt.
Le même Georges Bonnaud, un petit-cousin d’Antonin Artaud, monta en 80, Des Moutons, pas de dragons (tiens, curieuse coïncidence de titre !)  dans la rue à Rodez, en réaction au projet imbécile de Michel Debré, ministre des Armées d’étendre le camp militaire de 3.000 à 17.000 hectares! sur le proche Larzac (Aveyron). François Mitterrand, élu président en 81, annulera ce projet aussi sot que grenu-désavoué par Jean Ménard, évèque de Rodez avant sa mort en 73-et qui pénalisait gravement les éleveurs d’une région pauvre. La pensée politique est dans les gênes du Soleil depuis longtemps…

Puis la compagnie émigra à la Cartoucherie de Vincennes, dans les anciens halls d’usine situés sur des terrains pavés mais boueux et mal éclairés la nuit; depuis, luxueusement arborés. S’y succédèrent nombre de spectacles, souvent socialement et politiquement engagés comme leurs acteurs et techniciens percevant tous le même salaire.  En 95, Ariane Mnouchkine avait fait une grève de la faim contre les massacres en Bosnie-Herzégovine et,  à la tête d’un collectif d’artistes en faveur des Africains sans papiers l’année suivante, elle les accueillera à la Cartoucherie. Depuis, le Théâtre du Soleil s’est toujours engagé politiquement et il y a deux ans, avec des comédiens du Soleil, Ariane Mnouchkine, à plus de quatre-vingt ans, n’a pas hésité, a trouvé les fonds et est allée à Kiev donner un stage aux acteurs ukrainiens. Il n’y a guère d’acteurs ou metteurs en scène qui l’auraient fait… Chapeau.
Quand le Soleil inaugura son lieu avec 1789, un spectacle devenu culte, l’immense nef était chauffée par des engins soufflants, éteints avant le représentation
car trop bruyants. Ensuite il ne faisait pas bien chaud… Dehors les grands espaces nus étaient boueux et sans lumière ou presque, la nuit. Qu’importe! Le public était  nombreux et le Théâtre du Soleil-déjà mythique- est déjà invité à l’étranger: 1789 a été créé à Milan en 70.
Puis la Cartoucherie, bien aménagée avec arbres, pelouses et stationnements par la Ville de Paris qui en est propriétaire, devint, avec Le Théâtre du Soleil, le Théâtre de la Tempête de Jean-Marie Serreau, père de Coline la cinéaste, et qui a été dirigé ensuite par Philippe Adrien, puis avec le Théâtre de l’Aquarium créé par Jacques Nichet et Didier Bezace, tous deux disparus, enfin le Théâtre de l’Epée de Bois, dirigé par Antonio Díaz-Florián, l’Atelier de Paris-Carolyn Carlson, devint un grand un lieu de création… Et maintenant connu dans l’Europe entière.

Ariane Mnouchkine, quelles que soient les difficultés rencontrées, s’est toujours battue et a cru aux vertus d’un théâtre fabriqué collectivement sur plusieurs mois, à la fois artisanal mais d’une haute exigence artistique, en particulier en ce qui concerne le jeu, les costumes et les éléments de décor das la lignée du grand metteur en scène allemand Erwin Piscator: d’abord pour 1789, avec les belles toiles peintes de Roberto Moscoso, puis avec les scénographies de Guy-Claude François dès 1793…  Et elle a toujours voulu ouvrir le théâtre français, en recréant des lieux et en s’inspirant, entre autres, du théâtre de rue en France, de récits légendaires mais aussi du kabuki, du nô et du bunraku japonais… du théâtre indien quand elle a mis en scène les belles séries de Shakespeare et d’Eschyle….
Bien des membres du Soleil ont disparu ou ne sont plus en état de jouer ou travailler. Mais plus de cinquante ans ans après, le lieu est devenu mythique, avec ses grande salles où le public peut manger une bonne soupe pas chère, et de nombreux locaux? Ariane Mnouchkine, un peu voûtée mais l’œil toujours vif, regarde si toujours si  cela va bien, accueille le public avec une grande gentillesse, déchire les tickets à l’entrée… Dans un rituel cent fois répété et comme destiné à faire reculer l’inexorable temps. Bref, pour le public, cela fait partie du voyage en Cartoucherie… Ariane Mnouchkine et ses très nombreux collaborateurs peuvent en être fiers.

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Ici sont les Dragons Première époque: 1917, La victoire était entre nos mains est, dit la feuille de salle « Un grand spectacle populaire inspiré par de faits réels ». Il y a des drapeaux ukrainiens sur les murs du hall d’accueil. Dans une fosse à l’avant-scène, en combinaison de travail bleue, Hélène Cinque joue une bibliothécaire-archiviste, si l’on en croit les tiroirs en bois pour fiches avant l’ère informatique et les livres entassés placés devant elle. Mais elle endosse aussi de temps à autre le personnage d’une metteuse en scène n’hésitant pas à monter sur le plateau. Avant le spectacle, elle demande instamment au public « de mettre les portables hors d’état de nuire et de ne prendre aucune photo, sauf après le spectacle » et signale qu’il y a des boîtes dans la salle destinées à recueillir l’argent pour acheter des drones « non pour tuer mais pour protéger les civils ukrainiens. »
Une autre actrice fait secouer, à vue, l’appareil à faire tomber doucement la neige des cintres. Ainsi commence un cours d’histoire sur la révolution russe en 1917 et ses suites. Aussitôt, le visage grand format de Vladimir Poutine apparaît sur un immense rideau en fond de scène, puis Hélène Cinque ira frapper cette toile qui ondulera et ce visage très dur, maintenant célèbre, sera encore plus impitoyable. Une belle idée de mise en scène .Ici, Ariane Mnouchkine veut mettre les choses au point et montrer  la révolte populaire en 1917 des femmes de Petrograd qui réclamaient du pain, le droit de vote pour tous, le départ de Nicolas II et la fin de la première guerre mondiale. Au cours d’un hiver très rude avec, à la clé, une famine permanente.
Mais cette révolution avait été confisquée par ses dirigeants politiques qui voulaient ériger une dictature du pays pour le plus grand bienfait du peuple. Ariane Mnouchkine et ses collaborateurs disent, si on a bien compris, que ces événements, survenus il y a un siècle, sont les germes de l’arrivée de Poutine au pouvoir avec à la clé, l’invasion de l’Ukraine, pays indépendant.
Ici les Dragons essayent de raconter aussi de quelle façon, une fois le tsar débarqué, est né un gouvernement provisoire avec les soviets, des assemblées composées d’ouvriers, paysans, soldats de toute arme… qui n’arriveront pas à mettre fin à la guerre.  L’Allemagne voyait favorablement le retour en Russie d’agitateurs pour désorganiser le pays et autorisa l’exilé Lénine à revenir en train depuis la Suisse. Lui veut atteindre son objectif révolutionnaire et ce sera la fameuse Révolution d’Octobre avec les bolchéviques; menée par Lénine, Trotski et Staline. Soit le commencement d’une dictature qui ne dit pas son nom, même si  à terme, est annoncée la perspective d’une assemblée constituante…

Après un court entracte, la démonstration reprend sur le comment et le pourquoi- longuets-de la naissance de l’U.R.S.S. On peut ainsi voir Lénine, Léon Trotski, Joseph Staline, Winston Churchill et… Adolph Hitler dans une tranchée que refusera de tuer un soldat anglais. Histoire de dire que l’Histoire tient parfois à une balle de fusil non tirée. Il y aussi Joseph Goebbels lisant sur un banc Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse de Vicente Blasco Ibáñez.
Ils jouent avec des masques -tous remarquables d’Erhard Stiefel- légèrement plus grands que leur tête et ont sans doute appris le texte, pour faire semblant de parler mais ils sont doublés en russe, allemand, anglais… Traduction simultanée garantie pour les francophones en sur-titrages sur le grand rideau fermant le fond de scène. Le type même de fausse bonne idée-sans doute pour faire plus vrai-mais qui ne fonctionne pas: on passe son temps à les lire… Le tout, assaisonné de couches régulières de fumigène, comme partout dans le théâtre actuel!- pour montrer le brouillard, la fumée des explosions… Et accompagné par une musique, avec fréquentes percussions, et bande-son très bien réalisée. Les acteurs du Soleil ont fait de nombreuses recherches et le texte est en partie écrit à partir de vrais discours politiques et des événements  historiques qui ont donné naissance à l’U.R.S.S. Mais bon, la dictature stalinienne n’est pas née de la politique menée par Lénine en 1917! Et c’est bien long, didactique et souvent  ennuyeux. En tout cas, jamais digne d’Ariane Mnouchkine… qui n’a pas mis en scène mais a « dirigé ce spectacle en harmonie avec Hélène Cixous « (sic).   L’ensemble, n’a rien, en tout cas, de vraiment convaincant.

L’attention du spectateur est happée par les allers et retours-visuellement parasites-d’éléments de décor sur  roulettes,  la lecture des sur-titrages des dialogues, le jeu des acteurs, les nombreux et beaux paysages dessinés par Elena Ant et projetés, la voix d’Hélène Cinque qui, elle, parle normalement français, et celle des acteurs qui doublent les personnages (parfois les mêmes, qui donne une certaine uniformité dont le spectacle n’a pas besoin), les indications de quelque vingt dates et lieux, la musique jouée en direct et la bande-son omniprésentes… Et il y aussi un  train miniature éclairé et dont la locomotive crache de la fumée-une citation souvent faite-celui de la fabuleuse Cerisaie mise en scène par Giorgio Strehler- et où voyage Lénine qui, à son retour, prononcera un discours.
Cette communication visuelle et orale, à la fois interne et externe, fonctionne bien mal. Accumuler ainsi des outils sémiologiques sans dramaturgie véritable, n’est pas efficace et on tombe vite dans la caricature… Ici, tout se passe comme si les auteurs de cette création, dite collective, avaient hésité entre un théâtre d’agit-prop en voulant relier l’Histoire à la récente actualité, et un spectacle historique accessible à tous- »populaire » selon le titre-comme ceux autrefois de Robert Hossein. Non, désolé, ce spectacle, assez ennuyeux, n’est pas vraiment  populaire et s’adresse à un public plutôt déjà au courant. On le sait bien, un ensemble d’informations est d’autant mieux ressenti au théâtre,  au cinéma ou à une conférence, qu’il est clair.

Les historiens Galia Ackerman, Stéphane Courtois ( Le livre noir du communisme Lénine, 1917) ,Nicolas Richoux, Dominique Trinquand ont conseillé  les acteurs-auteurs et Ariane Mnouchkine mais l’ensemble manque justement de clarté-et c’est un euphémisme-et surtout d’unité. Même si on nous indique régulièrement et de façon didactique, les date et lieu de chacun des vingt épisodes!
Bref, il y a ici une réelle beauté des images, une singulière maîtrise de la direction d’acteurs et de tout le spectacle… Mais cette accumulation scénique frise le simplisme et c’est une illusion de croire que cela peut fonctionner. Aujourd’hui, éliminer les personnages ou du moins, leur accorder une moindre valeur, est très tendance! Mais faire surjouer gestuellement des acteurs souvent masqués et les traiter comme des pantins, n’est sans doute pas une bonne solution. Et Ariane Mnouchkine qu’on a connue mieux inspirée, s’est trompée de logiciel.
Le public, surtout les jeunes, ne connait que de nom, ces dirigeants russes, allemands, anglais… Il sait que, boulevard Lénine à Bobigny, se trouve la MC 93 mais qui était-il? Quant à Léon Trostski, Lavrenti Beria, Grigori Zinoviev, voire même Joseph Staline?  Là-dessus, Ariane Mnouchkine semble rouler pour elle et le spectacle n’est pas très explicite. Alors que  la communication au théâtre peut aussi être d’une efficacité redoutable et cela, quel que soit le type d’œuvre, ancienne, moderne ou contemporaine, en salle ou à l’extérieur. Nous l’avons encore bien vu récemment quand des bandes de jeunes ont applaudi debout Les Fausses Confidences de Marivaux dans la sublime mise en scène d’Alain Françon (voir Le Théâtre du Blog).
Ici, ce qui se voudrait être une grande fresque historique, est très décevant. Malgré une maîtrise technique remarquable et encore une fois la beauté de certaines images comme à la fin où la bibliothécaire-metteuse en scène filme avec son portable la maquette de l’assemblée constituante, avec des personnages finement sculptés-une œuvre d’art en soi. Et cette image projetée en grand, est magnifique! Mais ce spectacle fatigant, dont le texte, assez médiocre, sent l’écriture de plateau à trente mètres, n’a pas été salué chaleureusement…Cela se comprend.

Reste le lieu toujours aussi beau et accueillant, où on se rend comme à un pèlerinage artistique. Et les grands-parents, fanas comme nous tous, du Théâtre du Soleil et qui ont adoré les longs mais formidables spectacles que furent 1789 (qu’on peut aussi voir ou revoir en film, puis 1793, la série des Shakespeare et des tragédies d’Eschyle et Euripide… y emmènent leurs petits-enfants… Comme autrefois, à la Comédie-Française. Le Théâtre du Soleil a été la référence exemplaire d’une autre façon de penser artistiquement le théâtre et il n’y a aucun autre lieu en France qui soit comparable à ce qui est devenu une institution, largement soutenue par le ministère de la Culture, la Région Ile-de France et la Mairie de Paris. Mais que deviendra-telle après Ariane?
Quant à ce spectacle-assez lourd: une trentaine d’interprètes et de nombreux techniciens- peut-il se bonifier? La réponse est non… A vous de juger,  s’il vaut le déplacement.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 27 avril, Théâtre du Soleil, La Cartoucherie,  2 route du Champ de manœuvre, Vincennes. Métro Château de Vincennes+ navette gratuite. T. : 01 43 74 24 08.

 

 

 

 

 

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