On n’a pas pris le temps de se dire au revoir de et par Rachid Bouali
On n’a pas pris le temps de se dire au revoir, de et par Rachid Bouali
Cela se passe au théâtre de la Concorde, à l’ex-Espace Cardin où la Mairie de Paris avait relogé le Théâtre de la Ville, le temps (sept ans! à cause d’un désamiantage), que les travaux de réhabilitation soient faits… » Toutes nos activités sont participatives, interactives et engageantes, dit Elsa Boublil, sa directrice. « Je vois le théâtre de la Concorde comme un “nouveau” théâtre, très éditorialisé dont les spectacles sont les caisses de résonance des réflexions en cours… »
Et pour répondre à la volonté de faire de ce théâtre, une grande université populaire de la démocratie ouverte à tous, sont proposés des ateliers pour acquérir les compétences en matière de citoyenneté active : prise de parole en public, gestion de projet citoyen, conférences pour approfondir des sujets liés à la démocratie, formations sur les droits civiques, responsabilité citoyenne, compréhension des institutions démocratiques et événements thématiques autour de thèmes qui y sont liés : éducation civique, inclusion, justice sociale…
Mais il y a aussi des spectacles, comme celui-ci où Rachid Bouali, comédien, auteur et metteur expérimenté revient, dit-il » à ses sources ». Lui, le petit garçon a toujours vécu en France, d’abord à Lem dans le Nord mais ses parents étaient venus d’un village montagneux de Kabylie. Dans les années soixante, son père pour échapper à la misère et faire vivre sa famille, avait été recruté après une pseudo-visite médicale pour aller travailler en France. A l’époque, on recherchait de la main-d’œuvre dans les travaux publics, l’automobile, la construction… Sa femme et sa fille sont venues ensuite le rejoindre à Lem ( Nord) où d’autres enfants sont nés, dont Rachid Bouali.
Les collines de Kabylie que ses parents voyaient comme un paradis, étaient encore bien là mais son père en parlait rarement. Et ils essayaient le plus possible de coller au modèle français. La famille vivait dans un H.L.M mais put ensuite habiter dans une vraie maison avec un petit jardin et quatre chambres. » C’était Versailles, disait le père de Rachid Bouali.
Mais l’acteur évoque aussi le passé douloureux de l’Algérie qui, au fil des siècles a été souvent envahie, et la France dès 1830 sous Louis-Philippe, commença à coloniser le pays puis Napoléon III continua. L’administration française saccageant systématiquement les institutions locales, et fut mis en place un code de l’indigénat, les « Français de souche »ayant seuls le droit de vote…mais priés de participer aux deux guerres mondiales. Jusqu’aux révoltes de Sétif en 45, très sévèrement réprimées avec à la clé, des milliers de morts algériens et aux attentats de 54: « L’Algérie, c’est la France, disait François Mitterrand, alors ministre des Armées, qui déclenchera la répression: 100.000 soldats seront affectés dans les Aurès.
L’Algérie, un pays que Rachid Bouali, né en France, n’a pas connu tout de suite, même si sa mère rêvait d’y retourner. Et il voit bien les sacrifices et les renoncements que ses parents ont dû faire pour que leurs enfants aient une vie digne et puissent s’intégrer au pays devenu le leur. A la maison, on parlait berbère mais le père rappelait sans cesse qu’il ne fallait pas déranger les voisins… Et comme les Français à l’école primaire, ces enfants devaient parler mieux qu’Afarik, alias Frédéric, un prénom que sa mère n’arrivait pas à prononcer, et ils devaient réussir, aussi bien que leurs camarades. Mission accomplie: un de leurs petits-fils est devenu ingénieur en aéronautique.
Mais Rachid Bouala se demandait à dix-huit ans qui il était: un Kabyle, à la maison et un Français, au lycée? Un Arabe pour les Français et un Français pour les Algériens d’Algérie Et il s’avoue être porteur d’une double culture. Et il verra avec émotion raser la cité de transit où il vécut avec d’autres enfants émigrés portugais, algériens, tunisiens, marocains mais aussi polonais, italiens.
« Ça y est, les ordres sont donnés, l’e1acement de ma cité a commencé. Pelleteuses, chargeuses, tractopelles, bulldozers… Devant moi, la grande Armada ! Les premières maisons, bardées de parpaings et de barres de fer, se laissent pénétrer dans une tranquillité déconcertante. Ça déglingue de partout, ça dézingue à tout va, (Il se retourne vers son père). «Attendez, n’allez pas trop vite ! » (à l’infirmier) (Au public) Malheureux hasard, maudite coïncidence !
J’ai d’un côté ma cité d’enfance qui s’ensable et de l’autre, petit papa qui s’enruine lentement à l’hôpital. (Au public) Les médecins sont formels, ça n’est plus qu’une question de temps. De sale temps certes, mais de temps… Les organes vitaux sont vétustes, il faut voir l’état de délabrement, de décrépitude dans lequel la cité se trouve. Les poumons ventilaient mal, bronchite chronique à tous les étages, arythmie du côté du cœur, insuffisance rénale, dégénérescence du cerveau. ( Il regarde son père) Papa ça va ? »
Rachid Bouali connait le pouvoir magique des mots pour transmettre oralement une histoire, en l’occurrence son histoire, dans une langue maternelle qui n’est pas celle de ses parents, comme il le dit avec humour. D’un côté, après une guerre de dix ans, celle de l’indépendance du pays qui a vu naître ses père et mère et d’un autre côté, la sienne, celle d’une identité qu’il a sut acquérir à force de travail comme tous les acteurs…
Sur le plateau, aucun décor, quelques rectangles lumineux mais Rachid Bouala, avec une diction et une gestuelle parfaite, emmène le public où il veut, avec un récit très au point, souvent émouvant-quand son père est hospitalisé-et qui sonne toujours juste. En cette fin d’année plutôt avares en bons spectacles, un moment fort et salué debout par les spectateurs. Rares sont les monologues de cette force et de cette sensibilité, très loin heureusement, des plats solos de nombreux soi-disant humoristes qui fleurissent un peu partout…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 21 décembre, Théâtre de la Concorde, 2 avenue Gabriel, Paris (VIII ème).
Les 6 et février, Le Quai des Arts, Veynes ( Hautes-Alpes). Le 21 février, Théâtre Charcot, Marcq-en-Barœul (Nord).
Le 6 mars, L’Escapade, Hénin-Beaumont (Nord).
Le 13, 14 et 15 mai, Centre Dramatique National-La Manufacture, Nancy (Meurthe-et-Moselle)
Le 26 juin, Théâtre Traversière, Paris ( XII ème).
A partir du 4 juillet au festival off Avignon (Vaucluse).