Château en Suède de Françoise Sagan, mise en scène d’Emmanuel Gaury et Véronique Viel
Château en Suède de Françoise Sagan, mise en scène d’Emmanuel Gaury et Véronique Viel
Bonjour Tristesse, le premier roman de cette autrice, paraît en 1954, il y donc soixante-dix ans! Tout de suite, un grand succès de librairie. Non, ce n’était pas au Moyen-Age mais la pilule n’existait pas encore en France et le livre qui sentait le souffre, fit vite scandale dans les familles bourgeoises, le clergé et les écrivains catholiques dont François Mauriac! Enfer et damnation… Imaginez un peu, Cécile le personnage principal, osait faire l’amour avec son copain, avant le mariage!
Bonjour Tristesse obtiendra pourtant, non le Goncourt mais le prix des Critiques avec entre autres, excusez du peu: Jean Paulhan, Georges Bataille, Roger Caillois, Gabriel Marcel, Maurice Blanchot, Dominique Aury…La jeune autrice, née Quoirez, avait seulement dix-huit ans! Sagan, ce pseudo lui avait été inspiré par le nom, chez Marcel Proust, de la princesse de Sagan. Et le titre d’un poème de Paul Eluard lui avait fourni celui de son livre. Il y a de moins bonnes fréquentations…
Château en Suède sera mis en scène par André Barsacq au Théâtre de l’Atelier, avec, entre autres, Philippe Noiret, alors débutant. Là aussi, un bon succès public. Et la pièce sera même reprise plusieurs fois et adaptée par Françoise Sagan elle-même, au cinéma. On y retrouve certains thèmes de ses romans : vie sans aucun problème financier dans des lieux merveilleux et clos, cocktail de cynisme, voitures de luxe-elle aura un très grave accident qui la marquera à vie-horreur de la solitude, besoin absolu d’opium, oisiveté permanente et jeux amoureux menés avec désinvolture… Ses personnages ressemblent à cette écrivaine ouvertement bisexuelle. Personnage du monde parisien, souvent flinguée par la critique, elle bénéficiait pourtant d’une rente de situation, comme l’avait méchamment écrit Angelo Rinaldi.
Grâce à la vente de ses romans-trop vite pondus- mais qui furent pourtant des succès commerciaux en France et à l’étranger, elle était riche. Abonnée à l’alcool et aux drogues, elle claquait son fric et était généreuse avec ses amis. Mais elle fut impliquée dans une affaire politico-financière: le fisc ne lui pardonnera pas et elle mourra ruinée… Elle avait écrit avec un certain humour, son épitaphe six ans avant: «Sagan, Françoise. Fit son apparition en 1954, avec un mince roman, Bonjour tristesse, qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale, que pour elle-même.»
Les jeunes générations ignorent jusqu’à son nom et quant à son œuvre, restent peut-être ce roman dont le parfum érotico-sulfureux s’est depuis longtemps évaporé et ce Château en Suède… dont se sont emparé curieusement ces jeunes metteurs en scène. C’était la première pièce (les autres sont déjà depuis longtemps oubliées!) de Françoise Sagan qui s’amuse visiblement à jouer avec les codes du théâtre de boulevard et qui, en grande lectrice cultivée, s’inspire des meilleurs dramaturges et romanciers…
La recette? Deux grandes louches de Marivaux, une autre d’Anton Tchekhov, encore une autre, de Laclos, un cuiller à café de Labiche et une pincée de Proust qu’elle admirait beaucoup, ajouter un soupçon de Shakespeare, de Sade et d’écrivains contemporains Georges Bataille et de la sulfureuse Histoire d’O de Pauline Réage (alias Dominique Aury) un roman publié comme Bonjour Tristesse en 54… Mélanger avec soin l’appareil, comme on dit en cuisine, en tirer de courtes scènes aux dialogues faciles mais parfois réussis. Ensuite faire cuire à feu doux pendant une heure et demi. Attendre : le début, assez cafouilleux, sent la première pièce à trente mètres! Cela se passe donc dans un grand château en Suède. Venu de Stockholm où il habite pour y séjourner chez ses cousins au début de l’hiver, le jeune Frédéric (Gaspard Cuillé) est ébloui par la belle et séduisante Eléonore (Odile Blanchet), épouse de Sébastien (Benjamin Romieux). Il veut la séduire, y arrive mais ne sait pas si le mari est complice de cette situation ou pas (la ficelle est un peu grosse). Et Elénore lui dit qu’elle reste attachée à son mari et qu’elle ne partira pas avec lui. De toute façon, le château est loin de tout et les chemins qui y vont couverts par une neige abondante. Il y a aussi dans ce huis-clos, de nombreux secrets. Et qui est au juste, cette Ophélie errant dans les couloirs?
Comme chaque hiver-cela arrange bien François Sagan- cette neige fermera au monde extérieur, la demeure où ces jeunes grands-bourgeois auront tout loisir de la voir tomber. Ils pourront aussi se livrer à des amours parfois aussi féroces, que savoureux. Mais la situation est sur le point de tourner au tragique, quand Sébastien arrive avec son fusil. Et la fin, bien conventionnelle que nous ne vous dévoilerons pas, n’est guère meilleure que le début. Françoise Sagan, la scandaleuse, est quand même embourbée dans son milieu grand-bourgeois et n’a pas osé clore de façon dramatique, ce vaudeville… d’après guerre.
Les six jeunes acteurs, pour la plupart anciens élèves de Jean-Laurent Cochet, ce très bon enseignant disparu il y a quatre ans, sont ici dirigés avec unité et avec la rigueur nécessaire sur cette petite scène. Bonne diction et belle présence: tous crédibles (mention spéciale à Odile Blanchet). Même si, au début, ils ont tendance à réciter et à bouler leur texte. Les metteurs en scène ont bien du mérite et s’en tirent mais ils auraient pu nous épargner quelques moments de criaillerie, les maladroites incursions dans la salle-un procédé usé jusqu’à la corde-et auraient dû laisser en coulisses cette vieille grand-mère silencieuse-un mannequin-en fauteuil roulant.
Et la scénographie, faite de bric et de broc, avec rideau de fils en fond de scène, n’est pas très réussie, sauf la maquette d’un petit château du Moyen-Age revu dix-neuvième siècle ,avec ses nombreuses tours. Une actrice y fera tomber à vue quelques flocons de neige, histoire de nous mettre dans le climat suédois. Comme dans la Russie imaginée par le Théâtre du Soleil pour Ici sont les Dragons (voir Le Théâtre du Blog)… Décidément, la neige dans le région parisienne, ne tombe plus que sur les scènes!
A cela près, ce Château en Suède se laisse voir, à une condition: n’être pas exigeant! Le texte ne vole pas bien haut et les petites scènes se succèdent laborieusement. Les élèves des écoles de théâtre auront une occasion pour dix euros d’avoir une idée du théâtre que leurs grands-parents allaient voir mis à part les pièces au T.N.P. Ils se demanderont sans doute bien pourquoi André Barsacq avait monté ce Château en Suède. A l’époque, le seul nom de Sagan attirait… Mais ce genre de théâtre, même correctement monté, reste bien léger… Et nous ne voyons aucune raison majeure de vous conseiller ce faux bijou qui n’a rien de passionnant. Enfin, vous pouvez y emmener votre vieille tata pour Noël. Mieux vaut aller savourer dans l’impeccable mise en scène d’Alain Françon, Les Fausses Confidences (1737) de Marivaux, une comédie plus jeune et plus juste, malgré son grand âge.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 9 février, Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse, Paris ( VI ème) . T. : 01 45 44 50 21.