Economie, une causerie conçue et animée par l’économiste Jean-Marc Daniel
Economie, à quoi faut-il s’attendre? Une causerie conçue et animée par l’économiste Jean-Marc Daniel
Né à Bordeaux il y a soixante-dix ans, cet économiste en a gardé une pointe d’accent. Ancien élève de Polytechnique, de l’E.N.S.A.E. et de l’Institut d’études politiques de Paris, il a été administrateur à l’I.N.S.E.E. et a fait partie de cabinets au ministère de la Culture et à celui des Affaires étrangères. Il a enseigné à l’École des Mines, à Paris X et à la Business School. Chroniqueur au Monde et depuis neuf ans, aux Échos, il intervient aussi sur B F M. Dans Le Gâchis français, quarante ans de mensonges économiques (2015), il a analysé la politique dont les échecs sont dus, selon lui à une mauvaise lecture de l’économiste Keynes. L’argent magique est un leurre, dit-il avec raison, pour répondre à l’angoisse des populations.
Ici, des chansons de Bob Dylan avant cette causerie proche d’un monologue théâtral. Puis, introduit par Stéphanie Tesson, la directrice du Théâtre de Poche, cet économiste au gros ventre s’assied à une petite table ronde nappée de noir. Puis il restera debout, écharpe bleue nouée sur une chemise qui dépasse de son pantalon. Pas très classe… comme un message? Du genre: je suis assez compétent pour m’habiller comme je veux et, sans aucune note avec moi, je vous expliquerai pendant une heure vingt les malheurs actuels de l’économie française… Cela dit, Jean-Marc Daniel est très à l’aise, sans micro, et a une bonne diction.
Côté cour, un châssis noir où s’afficheront en blanc les textes d’économistes réputés, une erreur flagrante de mise en scène: une moitié de la salle n’arrive pas à les lire… En tout cas, Jean-Marc Daniel semble sûr de lui. Il va nous dire pourquoi l’économie va si mal chez vous. Et aussi comment on peut assez vite, mais avec des mesures drastiques, relever son niveau… D’abord, il fait un état des lieux clair et net: « On a maintenu artificiellement la croissance et l’économie avec des dettes, sans résoudre les problèmes structurels (…) « On ne travaille pas assez, donc on ne produit pas assez et du coup, on n’exporte pas assez. Et comme on n’épargne pas assez, on consomme aussi trop, donc on importe trop de produits. Le déficit commercial n’arrête pas alors de se creuser.” Et pour lui, sauver l’économie d’un pays en accumulant la dette publique autorisée par les banques centrales est une erreur qui va nous mener à la catastrophe. C’est assez bien vu.
Il préconise surtout de ne pas laisser filer le déficit de l’État. Il épingle aussi, et à juste titre, le Bayrou de service qui confond dette nationale et déficit! Ce qui, en effet, n’est pas la même chose, et pas digne d’un Premier Ministre. Au passage, il tacle aussi Mathilde Panot, députée très impliquée dans la lutte contre le dérèglement climatique : « Elle ne sait même pas qui est Léon Blum, elle est ignare mais aussi menteuse ». Vous avez dit, élégant?
Mais aussi Martine Aubry et sa réforme, dite des trente-cinq heures… Mais sans parler de son volet: annualisation du temps de travail, baisse des cotisations sociales pour les entreprises, de la réorganisation de la production. Ce qui n’est pas d’une grande honnêteté intellectuelle. Il oublie aussi de dire que la droite libérale n’a pas supprimé ces mesures… Et il s’en prend à Sandrine Rousseau « d’être allée pêcher ses idées dans Le Droit à la paresse du socialiste Paul Lafargue… Tiens, trois femmes dans son collimateur. Mais pas Marine Tondelier, secrétaire générale des Verts qui lie justice sociale et écologie. Elle avait cloué le bec de Jean-Marc Daniel qui, lors d’une émission à France-Inter, prônait les vertus du libéralisme!
En résumé, pour lui, la force de travail et les entreprises en concurrence sont essentielles et non l’État. Bref, vive toujours et encore, le libéralisme. Chiche, si on essayait? Et si cela ne marchait pas, que dirait-il? Sans doute qu’il avait vu juste mais qu’on n’avait pas travaillé selon les bonnes stratégies… Il y a souvent chez les économistes un côté prophète du passé assez agaçant.
Jean-Marc Daniel pose bien les problèmes, mais quant aux solutions préconisées… Selon lui, aux grand maux, les grand remèdes: il faudrait mettre fin au statut de la fonction publique, éliminer certains jours fériés, augmenter réellement le temps de travail annuel et non avec des mesurettes genre: trente minutes par semaine. Et, pour être plus compétitif, réduire l’impôt sur les sociétés et appliquer une augmentation fiscale des ménages. Que du bonheur…
Aller vers une économie de marché mondialisée ne lui fait pas peur, au contraire. Et il parle des producteurs de cognac très favorables à un accord de libre-échange comme le Mercosur, entre l’Union européenne et l’Amérique du Sud, ce qui leur permettrait d’accéder à de nouveaux marchés ». Un peu facile! Jean-Marc Daniel se fait l’apologie du libre échange, mais se garde bien de parler des millions de tonnes de poulets produits industriellement au Brésil. Les éleveurs français, eux, sont soumis une réglementation stricte en matière d’environnement et bien-être animal. Ce libre-échange déstabiliserait ainsi le marché, le prix au kilo du poulet européen étant trois fois plus élevé. Bonjour le chômage avec la fermeture des exploitations avicoles!
Idem pour la viande, au Brésil, six kgs de pesticides à l’hectare et fermes-usines avec vaches confinées! Avec, pour les consommateurs, maladies et cancers à la clé! ne respectant les normes européennes.
Le libre-échange est mieux que le protectionnisme selon lui et la plupart des économistes, et c’est au consommateur de décider. Un peu facile, non? Mais, avec quels outils efficaces, quand il va au super-marché ou dans une supérette? Rappelons à Jean-Marc Daniel que la très grande majorité des Français, jeunes ou moins jeunes, ne sortent ni de Polytechnique ni de Sciences Po, ni même d’une université ou d’un lycée.
Quant aux récents dégâts sur l’environnement causés à la planète par l’énorme dépense énergétique des immenses groupes agro-industriels… Jean-Marc Daniel dit bien qu’il y a urgence en matière climatique et que l’humanité n’a jamais brûlé autant de charbon. Mais tout se passe comme si il faisait confiance au libéralisme et à la concurrence entre les entreprises… Quand le cheptel français dégage du méthane, cela a un prix, réplique-t-il. Si le Mercosur est appliqué tel quel, quelles en seront les conséquences alimentaires donc physiologiques, et donc socio-politiques?
Autre solution-miracle de cet économiste distingué : privatiser la Sécurité sociale et créer un système d’assurances privées: ainsi les médecins prescriraient moins d’actes et médicaments inutiles, et il y aurait moins d’abus. Elémentaire, mais un peu naïf, non ? Ceux qui ne pourront pas, faute d’argent, se soigner de maladies infectieuses, contamineront les autres? Cela coûterait finalement très cher en soins et médicaments, en heures de travail perdues, donc serait nuisible à l’économie. Là-dessus, silence radio: Jean-Marc Daniel se garde bien de fournir le moindre avis des grands patrons des hôpitaux… qui le remettraient sans doute vite d’équerre.
Les effets, souvent catastrophiques quand la santé dépend uniquement ou presque de la rentabilité, n’affolent guère cet ex-Polytechnicien qui semble avoir la mémoire courte. Qu’il relise l’excellent Les Fossoyeurs de Victor Castanet sur le scandale Orpea où dans les E.P.A.D.H. privés, le but était de réaliser économies partout… Tout cela au grand profit des actionnaires. Serait-il si bien soigné et quel serait le prix à payer? Jean-Marc Daniel, en surpoids évident, quand il aura des pépins de santé comme tout le monde, ne semble pas vouloir se poser la question… En attendant, il peut réfléchir au témoignage de ce professeur de musique français, ayant longtemps vécu en Angleterre : «Nous avions déjà vu ce que cela donnait avec le ferroviaire privatisé par Margaret Thatcher mais, si tu veux savoir ce que sera le système hospitalier en France dans dix ans, va voir ce qui se passe dans les hôpitaux anglais, tu ne seras pas déçu du voyage! »
Sans doute les populations vivent-elles plus longtemps : c’est un fait incontestable… et cela exige soins, examens et médicaments. La Suède et les pays nordiques, eux, ont mis au point des système de soins plus rationnel et malgré des imperfections, cela tient financièrement la route. Et à l’hôpital de Bergen (Norvège), il y a un lit pour l’un des parents, dans la chambre où est opéré ou soigné leur enfant. Peut-être Jean-Marc Daniel trouverait-il cela trop cher?
Mais si on veut suivre ses arguments, mieux vaut avoir de solides connaissances en matière d’économie! Une « causerie » bien menée et parfois drôle… mais qui n’est pas vraiment une causerie, le public n’étant pas invité pas à poser des questions. Dommage. Enfin si cela vous tente, il y a encore des séances en janvier. Les places sont à 28 € quand même.
Philippe du Vignal
Causerie vue le 18 janvier au Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21.
Les 24, 25 et 31 janvier.