Exploits de Rasmus Lindberg, traduction du du suédois de Marianne Ségol-Samoy, chansons de Bernard Cavanna, mise en scène de François Rancillac

Exploits de Rasmus Lindberg, traduction du suédois, de Marianne Ségol-Samoy, chansons de Bernard Cavanna, mise en scène de François Rancillac

Cet auteur et metteur en scène suédois de quarante-quatre ans a écrit Dan Då Dan Dog (Le Mardi où Morty est mort, une pièce publiée aux éditions Espaces 34 et créée en 2013 au Fracas-C.D.N. de Montluçon par François Rancillac. Publiée aussi aux éditions Espaces 34, Plus vite que la lumière, a été sélectionnée pour la Mousson d’été 2011. Depuis 2008, cet auteur et metteur en scènen associé au Norrbottensteater à Luleå, est aussi professeur de mise en scène au Conservatoire national supérieur de cette ville suédoise.
Dans cette courte pièce, on assiste au repas d’anniversaire- cinquante ans-de la maman de la jeune Josefine. Mais elle  lui dit ses quatre vérité et va quitter le restaurant grec. Enfin libre, prête à vivre sa vie mais toute à sa joie, imprudente, elle se  fera écraser par une voiture! Deux actrices, témoins de l’accident, incarnent  Josefine, adolescente attardée, Jonny, son frère ectoplasmique et sa copine Katja, Maman au bord de la crise de nerfs, Papa désabusé et May-Lott, la vieille tante sous prozac. Elles passent d’un personnage à l’autre et l’auteur voudrait nous faire  revivre cette folle soirée! Mais il faut arriver à suivre…

 

© Isabelle Girard

© Isabelle Girard

C’est du moins le scénario imaginé par l’auteur mais les dialogues sont inconsistants  et la dramaturgie sous des aspects contemporains, assez pauvrette… Et nous ne sommes pas arrivés à entrer dans cette piècette.  Les cinquante minutes arrivent à passer grâce à Léna Bokobza-Brunet et Christine Guênon, excellentes actrices, remarquablement dirigées par François Rancillac. Grâce aussi à la très intelligente et poétique scénographie de Raymond Sarti qui a imaginé ce restaurant grec en en dessinant à grands coups de feutre noir, ses meubles et accessoires accrochés aux murs.  C’est drôle et fou comme un bon dessin humoristique.
On ne se lasse pas d’en admirer les détails, entre autres, cette porte à axe central, ou les quatre gyrophares bleus sortant soudain des murs ou encore cette table dessinée avec ses assiettes et verres apparaissant du sol carrelé, prestement relevée par les actrices. Cerise sur le gâteau d’anniversaire, le décor a été construit par le lycée professionnel Jules Verne à Sartrouville (Yvelines). La conception du son la régie étant assurées sur le petit plateau par  Florian d’Arbaud.  Que demande le peuple?

Philippe du Vignal

Collège Henri Barbusse, Bagneux (Hauts-de-Seine), les 3 février à 14 h 30. Et le 4 février à 14 h 30,  lycée Maurice Genevoix, Montrouge (Hauts-de Seine). Le 18 février à 10 h et 14 h 30, lycée Simone Weill; le 19 février à 10 h et 20 h , M.J.C. Montchapet et le 20 février à 14 h 30 et 20 h, au Crédit Agricole, Dijon (Côte-d’Or).

Le 8 avril à 14 h 30 et 20 h 30, Théâtre du Casino d’Evian et le 19 avril à 20 h,  salle du stage de Perrignier; le 10 avril à 14 h 30 et 20 h, M.J.C. de Douvaine (Haute-Savoie).
Du 14 au 18 avril, en itinérance, avec le Théâtre de l’Union-C.D.N. de Limoges (Haute-Vienne).

Du 20 au 22 mai, collège Marie Curie, avec le Théâtre du Garde-Chasse, Les Lilas (Seine-Saint-Denis).

 

 


Archive pour janvier, 2025

La Peur de François Hien, mise en scène d’Arthur Fourcade et François Hien

La Peur de François Hien, mise en scène d’Arthur Fourcade et François Hien

Le texte a été lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques-Artcena et des journées des auteurs de Lyon 2021. Cela se passe dans le milieu de la prêtrise et de la hiérarchie catholiques. Le Père Guérin a subi des pressions pour ne pas témoigner contre l’évêque de son diocèse, suspecté d’avoir couvert les actes sexuels de plusieurs prêtres sur des enfants

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Terriblement seul, le père Guérin est pris dans des contradictions impossibles à résoudre. Avec, en toile de fond, la peur de toute puissante institution catholique dont on connait la faculté à mettre en place une redoutable omerta. Comme l’ont révélé plusieurs affaires récentes qui ont inspiré cette pièce, entre autres, l’attitude de l’évèque et cardinal Barbarin, qui n’avait pas signalé les abus sexuels de  Bernard Preynat un prêtre de son diocèse de Lyon. Condamné puis relaxé, il avait ensuite démissionné.
Ou encore au siècle passé en 58, la sordide histoire de Guy Desnoyers, curé d’Uruffe (Meurthe-et-Moselle) qui avait tué Régine Fays, une ouvrière de dix-neuf ans, enceinte de huit mois. Puis il avait récupéré le fœtus viable d’une petite fille, l’avait baptisé-on a des principes!- et l’avait aussi tué. Aux Assises, il avait sans doute échappé à la peine de mort grâce à l’intervention de René Coty, alors président du Conseil… Il écopa de vingt-deux ans de prison avant de bénéficier d’une liberté conditionnelle et d’être pris en charge par un couvent à Plouermel… La sainte église catholique française, a un lourd passé jamais vraiment reconnu mais bien réel… Jusqu’aux viols commis par l’abbé Pierre, connus de sa hiérarchie et du Vatican. ..

Dans cette pièce,François Hien  a repris des éléments  de Soutanes et des hommes du sociologue Josselin Tricou  et des écrits  de James Alison, un théologien anglais homo et des témoignages recueillis par l’association La Parole libérée après l’affaire  Barbarin. Ici, e père Guérin a conclu un accord avec le cardinal Millot. Il a été privé de paroisse, quand sa hiérarchie découvert qu’il avait une relation homosexuelle et devenu le confesseur des prêtres dont le père Grésieux qui avouera ses viols,attouchements….  Il dénoncera ces faits devant la Justice mais le cardinal Millot qui les avait cachés, lui proposera une nouvelle paroisse contre son silence. Et le père Guérin pourra à nouveau dire la messe comme avant .
Mais Morgan, une victime de Grésieux, se permet de parler devant tous, à la fin de chaque messe pour critiquer durement le père Guérin.. qui l’invitera pourtant le  dimanche à déjeuner. Ce qu’il accepte.  François Hien, loin de tout manichéisme, essaye de voir clair sur l’homosexualité que n’a jamais accepté l’Église, alors que nombre de ses membres étaient et sont, eux, homosexuels.
On voit aussi un jeune Marocain, amant d’un prêtre qui l’a emmené en France, en continuant à vivre plus ou moins avec lui et l’évèque de la région.Les viols et abus sexuels au sein de l’église catholique ne datent pas d’hier mais, pour François Hien qui ne veut pas tomber dans un quelconque manichéisme, chacun, fragile, a, au-delà de la croyance religieuse, surtout peur «de voir bouger le fragile édifice existentiel grâce auquel on tient debout.»

Un texte pas facile qui se balade entre passé et présent. La dramaturgie a parfois du mal à suivre et il y a quelques creux mais la mise en scène et la direction d’acteurs, toute en nuances, de François Hien et Arthur Fourcade, est exemplaire. Comme la scénographie très rigoureuse.: une longue table et quelques sièges.Tous les acteurs sont très crédibles et il n’y a aucune prétention ni criaillerie et parfois même, une certaine distance. Il y a vraiment dans cette Harmonie Communale, une belle intelligence de jeu chez Arthur Fourcade (le Prêtre), Pascal Cesari ( le Jeune), Estelle Clément-Bealem (la sœur du Prêtre),  Marc Jeancourt (l’Evèque) et Ryan Larras (le Jeune Marocain). Il ne fait pas très chaud, il pleut souvent mais ce travail de haut niveau mérite largement l’effort pour aller jusqu’à la Cartoucherie…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 16 février, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. route du Champ de manœuvre. Métro : Château de  Vincennes+navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.

Le texte est publié aux éditions Théâtrales.

 

 

 

PAR VINCENT BOUQUET

 

prêtre d’une paroisse, choisit de ne pas témoigner contre son évêque qui a été accusé de ne pas avoir dénoncé un crime de pédocriminalité. Il va subir les interpellations chaque dimanche chez lui de Morgan, un jeune homme en colère qui’i invite chque dimanche à déjeuner et qui lui dit avoir été victime d’abus sexuels par des prêtres ou religieux catholiques. Un dialogue ciselé autour d’une grande table de ferme.Il y a aussi évoqués ici d’autres personnages, comme la sœur du

Le Menteur de Pierre Corneille, adaptation et mise en scène de Marion Bierry

Le Menteur de Pierre Corneille, adaptation et mise en scène de Marion Bierry

C’est la reprise d’un spectacle créé il y a deux ans au Théâtre de Poche-Montparnaasse ( voir Le Théâtre du Blog). Cette dernière comédie (1644) du grand auteur est au programme du baccalauréat de Première, toutes options confondues.  Ce qui expliquait l’affluence lundi dernier, devant les portes du Théâtre de la Scala.  Sa grande salle (560 places) était pleine à craquer et l’impatience sensible. Mais une fois le rideau levé, le jeune public a été remarquablement attentif. Très joli décor, signé Nicolas Sire : deux façades symétriques pourvues d’ouvertures où apparaissent et disparaissent les têtes de personnages qui ne nous ont pas encore été présentés. Bel éclairage. En toile de fond aux tons pastel, un ciel changeant…

Chez Marion Bierry, metteuse en scène avignonnaise, le théâtre est affaire de famille. Elle est issue d’une lignée de metteurs en scène. Et la tradition se poursuit. Son fils Alexandre interprète ici Dorante, le rôle- titre,  son frère Stéphane joue Géronte, un des deux pères nobles. Thème de la pièce : le retour à Paris d’un jeune homme ravi d’avoir quitté sa province, Poitiers, où il poursuivait des études de droit. À peine arrivé dans la Capitale, au jardin des Tuileries, il entreprend de conquérir deux belles. Il leur tient, enfin surtout à l’une d’elles, des discours de pure imagination. «Vous extravaguez.», lui dit son Valet Cliton. Ivre de vantardise, Dorante provoque les pires quiproquos mais les demoiselles ne sont pas en reste. Un rival vient se mêler de l’affaire. Tandis que les jeunes badinent avec l’amour, les pères, préoccupés de leur descendance, tentent de  les marier…

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Le Menteur est une comédie mais les jeunes spectateurs ont fort peu ri: en cause: la langue du XVII ème, tellement éloignée de la leur, même si ce texte est étudié en classe.  Et la diction des acteurs, malheureusement peu nette, surtout pour une si grande salle. Seul, Alcippe, le malheureux rival de Dorante, articule bien. On attend en vain la musique de l’alexandrin, sa scansion. D’où une fâcheuse impression de monotonie, car la langue est l’arme qui permet au Menteur de se sortir de toutes les situations.
Il aurait fallu aussi, pour obtenir plus d’effets comiques, avoir recours à des gags visuels, marquant les rebondissements et les retournements de situation.
Marion Bierry a choisi un autre parti-pris:  moderniser la pièce tout en conservant les costumes du Grand Siècle (façonnés par Virginie Houdinière et Laura Chenea). D’une comédie sur l’homme baroque, soucieux de paraître, confondant imaginaire et réel, elle a voulu faire un divertissement musical qui ne dépayserait pas le public d’aujourd’hui. D’où des airs de Johann Strauss, de Jacques Offenbach, et des intermèdes chantés par les comédiens eux-mêmes. Las ! il aurait fallu quelques bons cours supplémentaires de chant, car les voix, maigrelettes, ne portent absolument pas. Néanmoins, l’astuce du verfremdungseffekt  (effet de distanciation) brechtien a pris: les lycéens battaient des mains à chaque rengaine, Y’a d’la joie l’emportant largement à l’applaudimètre.
Les comédiens chantent médiocrement mais bougent bien. Chacun « s’en tire avec grâce», comme le dit l’épilogue, glissant et se faufilant dans ce jeu de cache-cache avec soi-même. Un véritable ballet ! Quant à Alexandre Bierry, beau gosse et menteur en titre, quelle prestance !

 Nicole Gabriel

Jusqu’au 7 avril, Théâtre de la Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris ( X ème). T. : 01 40 03 44 30.

 

Adieu, Dimitris Kollatos

Adieu, Dimitris Kollatos

Décédé chez lui à Athènes avant-hier, il avait quatre-vingt sept ans. En 56, encore étudiant, il avait publié un recueil de poèmes.  Trois ans plus tard, il fonde le Théâtre expérimental de poche et met en scène La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, Fin de partie de Samuel Beckett et La Chambre d’Harold Pinter. En 1961, il met en scène Iphigénie en Taureau d’Euripide à Paris avec Marietta Rialdis. Cette réalisation reçoit d’excellentes critiques. L’Express la qualifiant de « printemps du théâtre français ». En France, il épouse l’actrice Arlette Baumann, avec qui il aura deux fils Alexandre et Alkis. Puis, il réalise un premier court-métrage, Athena Chi Psi Xi Xi, primé au festival de Thessalonique.

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En 66, son premier long métrage La Mort d’Alexandre, ne reçoit aucun prix officiel mais trois de la critique et est un succès commercial: pour Manos Hadjidakis, « Dimitris Kollatos est le premier dramaturge du cinéma grec.»Pendant la Junte des colonels, il s’installe en France où il fonde le Théâtre de l’Art et met en scène plus de vingt pièces, dont La Femme de Socrate, avec sa femme. En 72, il réalise le film Symposium, sur l’amour et l’homosexualité et en 77, il réalise un moyen métrage La France de Giscard, une critique acerbe de la politique menée à l’époque.

Après la chute de la junte, il revient en Grèce en 75 et crée des pièces audacieuses: entre autres, Sodome et Gomorrhe et Les Armateurs, qui font sensation. Son œuvre prend alors un caractère politique et militant et ses spectacles dénoncent la corruption politique et les inégalités sociales. Dimitris Kollatos s’est battu pour défendre les droits des enfants atteints d’autisme, comme son fils Alkis disparu il y a cinq ans. En 88, il avait réalisé un film autobiographique La Vie avec Alkis, avec Alexandre Kollatos qui a reçu une mention spéciale pour sa performance.
En 2014, il réalise Dionysos présenté au festival du film à Thessalonique, où il mettit l’accent sur la crise dans notre pays. Dimitris Kollatos a laissé une empreinte inoubliable sur le cinéma et le théâtre grecs. Son travail, dans le domaine artistique et social, l’a consacré comme un des artistes les plus intransigeants de sa génération.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Le Misanthrope de Molière, mise en scène de Georges Lavaudant

Le Misanthrope de Molière, mise en scène de Georges Lavaudant

Ce metteur en scène des plus expérimentés, a à son actif, de remarquables et nombreuses réalisations en tout genre-et a été aussi entre autres, directeur de l’Odéon. Nous avons encore en mémoire Palazzo Mentale de Pierre Bourgeade que nous avions vu à la Maison de la Culture de Grenoble en 77, et l’année suivante Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht, puis  en 90, Platonov d’Anton Tchekhov. Et combien d’autres… Plus récemment, Hôtel Feydeau, d’après Georges Feydeau  et L’Orestie d’Eschyle.

Il monte ici, sauf erreur,  pour la première fois une pièce en vers et en alexandrins et pour la première fois aussi, une de Molière. Sur le grand plateau de la salle Jean-Claude Carrière au Domaine d’Ô à Montpellier, plus de salon de Célimène mais un très beau châssis sur roulettes avec vingt-sept miroirs rectangulaires, en partie désargentés et une porte, au centre. Sur un sol noir parsemé de petits flocons blancs. On doit être en hiver à Paris: une scénographie de son fidèle Jean-Pierre Vergier. C’est une remarquable œuvre d’art contemporain: de nombreux artistes se sont intéressés au verre dont Bill Violla, Ernest Pignon-Ernest, Anish Kapoor…Et à ses débuts, Annette Messager.

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©Marie Clauzade

Ce châssis, parfois retourné, laissera voir, accrochée à des cintres, une trentaine de robes longues. Et rien ici qui puisse faire penser à un salon bourgeois: ni lustre, ni meuble ni siège-les acteurs restant toujours debout-sinon à un moment, assis sur des chaises tubulaires d’école passées au brou de noix et à la fin, une petite chaise rouge pour la seule Célimène.

Eric Elmosnino n’est pas le jeune Alceste qu’on connait. Cheveux poivre et sel, en smoking et nœud papillon un vrille, mais aussi coléreux, insupportable et fascinant, voire attachant amoureux de Célimène. Ici les autres acteur-moins les actrices-n’ont pas l’âge du rôle: sans doute un parti-pris de mise en scène chez Georges Lavaudant. René Loyon avait lui aussi monté un Misanthrope avec seulement des acteurs âgés (voir Le Théâtre du Blog), ce qui donnait une dimension intéressante à la pièce. De toute façon, Molière ne donne pas d’autre indication que: la scène est à Paris. On saura de Célimène seulement à la fin, qu’elle a vingt ans: Acaste et Clitandre, les petits marquis, ont, eux, sans doute entre vingt et trente ans comme Arsinoé une amie de Célimène ou Eliante, sa cousine, Alceste ou Philinte (François Marthouret) aux beaux cheveux blancs  (quatre-vingt un ans), grand acteur notamment chez Peter Brook ..

Et va commencer la scène de rupture entre Alceste très en colère-mais l’acteur agite trop et sans arrêt les bras- et son grand ami Philinte: «Je n’y puis plus tenir, j’enrage, et mon dessein/Est de rompre en visière à tout le genre humain. Se présente alors, un certain Oronte (Aurélien Recoing), assez pathétique: en complet noir avec une longue écharpe blanche, qui et après avoir essayé sans succès de flatter Alceste, va  lui réciter, très content de lui, un sonnet qu’il a écrit. Il veut aussi absolument avoir son avis sur ce que lui, pense être un chef-d’œuvre. Exaspéré, Alceste qui ne supporte plus la suffisance du bonhomme et lui dira, avec de moins en moins de précautions oratoires, que son sonnet est bon à mettre au cabinet. Quand arrive la jeune veuve Célimène (Mélodie Richard), avec laquelle Alceste, très jaloux ,entre autres de Clitandre, veut mettre les choses au point sur leur relation. Et elle  répondra avec élégance : « Le bonheur de savoir que vous êtes aimé. » à cet amoureux  qui lui a déclaré: « Mais moi, que vous blâmez de trop de jalousie,/Qu’ai-je de plus qu’eux tous, madame, je vous prie? « 

On retrouve cette suite de scènes à l’écriture magistrale et bien connues. Alceste, toujours aussi amoureux de Célimène mais exaspéré par elle, avouant simplement: « Morbleu, faut-il que je vous aime. » Cet Alceste a aussi un penchant pour la douce et belle Eliante (Anysia Mabe)… Bombes à confettis, musique de twist et Célimène va alors régler ses comptes en se moquant allègrement de personnes connues devant Acaste (Mathurin Voltz) et Clitandre (Luc-Antoine Diquéro), de petits marquis aussi ridicules que prétentieux la belle et intelligente Eliante, Basque  le serviteur de Célimène, (Bernard Vergne) et Philinte, toujours conciliant et plein de bonne volonté pour arranger les choses.
Et aura bientôt lieu la célèbre et remarquable scène où Arsinoé et sa cousine Célimène vont se livrer  à une guerre sans pitié… En victime expiatoire, assise sur une petite chaise au siège en velours rouge, elle sera confrontée par les petits marquis aux lettres cinglantes qu’elle envoie. La jeune Célimène humiliée mais lucide,  rappellera  à Alceste que « la solitude effraye une âme de vingt ans et qu’elle n’a pas du tout l’intention  de le suivre s’il s’en va seul, dans la campagne:  » Moi, renoncer au monde avant que de vieillir.  Et dans votre désert, aller m’ensevelir! »
Célimène estime avoir bien encore l’âge et le droit de s’amuser dans les salons parisiens  et de séduire  et/ou être séduite… Elle finira par rompre avec cet Alceste, toujours aussi coléreux et jaloux. Il n’a toujours pas compris qu’il avait commis une erreur grossière en étant toujours aussi exigeant, brusque et contrariant. Du coup, il aimerait bien récupérer la belle Eliante mais trop tard là aussi il avait déjà perdu: elle ira filer le parfait amour avec son ami Philinte avec lequel il s’est brouillé.

Un curieux Misanthrope tiré vers la noirceur jusque dans les costumes (à part la robe de Célimène dont le haut est en partie blanc) et vers une certaine « modernité » , par Georges Lavaudant. Avec, comme toujours, un  étonnant art de l’image scénique. Mais pourquoi avoir choisi des acteurs-hommes plus âgés que leur personnage? Pour introduire une certaine distance? Et ce grand plateau, avec ce châssis de verre sans doute trop imposant, convient mal à cette pièce qui demande plus d’intimité. Elle gagnera sans doute en force sur la scène de l’Athénée à Paris… où  Louis Jouvet ressuscita L’Ecole des Femmes de notre grand dramaturge. Et dont Christian Bérard réalisa la célèbre et double scénographie dont on peut encore voir la maquette dans le hall du théâtre.
En cette quatrième représentation, il y avait souvent des baisses de régime, entre autres chez Mélodie Richard qui semblait souvent ailleurs et peu à l’aise comme ses autres camarades, avec la diction de l’alexandrin; seuls  sont impeccables Anysia Mabe et Eric Elmosnino. Ce respect de l’alexandrin n’a visiblement n’a pas été le principal souci de Georges Lavaudant… Dommage, la langue avec ces vers à la rare élégance de Molière, Corneille ou Racine, plus de trois siècles après, reste encore actuelle, à quelques exceptions près mais …à une seule condition: que l’ensemble des acteurs la servent impeccablement. Comme, entre autres, chez Brigitte Jaques-Wajeman. Au moins, ici on entend très bien Eric Elsomino et son Alceste est d’une grande vérité. De là, à vous conseiller ce spectacle intéressant mais à la mise en scène et à l’interprétation trop inégale? Il faut espérer qu’il se bonifiera…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 28 janvier à la  Cité européenne du Théâtre, Domaine d’O, Montpellier (Hérault).

Du 12 au 30 mars, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, Paris (IX ème).

 
 
 
 
 

Nos âmes se reconnaîtront-elles ? texte et mise en scène de Simon Abkarian, accompagnement musical et voix de Ruşan Filiztek, et Eylül Nazlier

Nos âmes se reconnaîtront-elles? texte et mise en scène de Simon Abkarian, accompagnement musical et voix de Ruşan Filiztek et Eylül Nazlier

Comme on le sait avec Homère, les amours d’Hélène, la belle jeune femme grecque et Pâris, le Troyen, ont déclenché une guerre mythique. L’Iliade et l’Odyssée ont inspiré des centaines de pièces de théâtre- entre autres Jean Giraudoux , opéras, romans, films, bandes dessinées Les Grecs ont battu les Troyens, pillé la ville et le roi  Ménélas a massacré des dizaines d’hommes et Pâris, l’amant de son épouse Hélène.
« Détruite, elle se reconstruira dans la confrontation. Ivre de rage et de sang, Ménélas titube en lui-même. Lui se raconte par la perte d’un amour fantasmé. Un amour qu’il n’a su apprécier jusqu’à ce qu’il disparaisse.Jusqu’à ce que l’absence lui rende sa conscience.Jusqu’à ce qu’il trouve refuge dans les bras de la guerre.C’est sur un champ de ruines qu’il retrouvera Hélène. C’est face à elle, et grâce à elle, qu’il retrouvera le chemin de la parole. »

© antoine Agoudjian

© Antoine Agoudjian

Simon Abkarian, passionné par Homère et la Grèce antique, avait déjà écrit Ménélas rebétiko rapsodie et Hélène après la chute sur la guerre de Troie, des pièces récemment créées  (voir Le Théâtre du Blog)  avec les personnages essentiels de la mythologie grecque. Ici, se retrouvent les anciens amoureux grecs, la belle Hélène (Marie-Sophie Ferdane) et le roi Ménélas (Simon Abkarian). L’auteur et metteur en scène les fait se croiser dans la première partie dans Nos âmes se reconnaîtront-elles?

C’est un texte aux belles fulgurances mais souvent à la limite de la logorrhée, surtout dans la première partie où dans de longs monologues, Ménélas d’abord, puis Hélène qui se sentent seuls, s’expliquent sur ce qu’ils ont vécu. Lui, ne semble pas fier de la catastrophe qu’il a provoquée! il va la ficher sa petite épée sur le praticable en bois peint en rouge situé au centre du grand plateau blanc, noyé d’un léger  fumigène comme ailleurs…Pour figurer la brume marine?
Il essaye peut-être d’exorciser le sang des Troyens qu’il a tués avec cruauté: entre autres, le malheureux Pâris. Hélène, elle, dira nettement à Ménélas qu’elle se sentait abandonnée et qu’elle avait demandé à son amant  de l’emmener avec lui.

Mais le grand roi grec n’en peut plus de la guerre qu’il a menée si longtemps.  Il voudrait se rapprocher d’elle, dit qu’il l’aime et espère que cela pourrait être réciproque. Plus tard, ils se retrouveront. Lui, d’abord anonyme, les yeux bandés. Elle, jeune femme, libre et séductrice et pleine de sensualité. Ils arrivent quand même à se parler (sinon la pièce s’arrêterait là!). Ils sont grecs tous les deux, ont beaucoup de choses en commun mais on voit mal une possible réconciliation entre ce guerrier cruel, encore amoureux de son Hélène qu’il a récupérée comme un trésor de guerre. Mais Hélène, humiliée, reste profondément révoltée et accablée par la mort tragique  de son jeune amant. Et elle va le crier à Ménélas … Le temps du patriarcat a vécu et elle veut  rester libre. Là, le vainqueur de Troie a perdu la guerre

Et cela donne quoi? Un spectacle aux belles fulgurances, un peu bavard, voire même parfois laborieux… Simon Abkarian, au début, boule son texte, et on l’entend mal mais il danse bien. Dès qu’elle entre sur le petit plateau, Marie-Sophie Ferdane, simple et vraie,  magnifiquement juste et à l’impeccable diction, fascine le public. Autre atout, aussi efficace que discret: les luths et autres instruments à cordes, les magnifiques chansons des musiciens kurdes Ruşan Filiztek et Eylül Nazlie; comme à Marie-Sophie Ferdane, le spectacle leur doit beaucoup…

Philippe du Vignal

Le  spectacle a été joué au Théâtre Nanterre-Amandiers-Centre Dramatique National (Hauts-de Seine), du 16 janvier au 2 février.

Théâtre de Villefranche-sur-Saône (Saône), le 8 avril.

Théâtre Ducourneau, Agen (Lot-et-Garonne) le 6 mai.

Comédie de Picardie, en co-accueil avec la Maison de la Culture d’Amiens ( Somme)  du 21 au 23 mai.

 

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Johanny Bert

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Johanny Bert

  »L’année d’après‚ je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage‚ pour annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision -ce que je crois-lentement‚ calmement‚ d’une manière posée-et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours été un homme posé ?‚ pour annoncer‚dire‚ seulement dire‚ ma mort prochaine et irrémédiable‚. l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚ et paraître-peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le plus loin que j’ose me souvenir-et paraître pouvoir là encore décider. »
Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde, première scène)

C’est l’histoire d’un homme qui retourne au Pays lointain (ce sera le titre de cette œuvre retravaillée à partir de Juste la fin du monde) dans sa famille, chez les siens-la légitimité de ce possessif sera l’une des questions de la pièce-pour leur annoncer sa mort prochaine. Louis, l’aîné, était parti en ville pour devenir écrivain. Eux, la mère veuve, le fils cadet et la benjamine n’ont jamais quitté cette France « périphérique » moyenne, avec ses petites maisons entourées d’un jardin « bien », comme dit la jeune Suzanne mais qu’elle n’aime pas. Antoine,lui, se dépatouille avec le chômage, une femme et deux gosses venus peut-être trop tôt. Et ce jour-là, ces deux vies se rencontrent, avec comme catalyseur, cette mort prochaine et pas encore annoncée.
Ce jour-là, un grand jour : il s’agit du retour du fils. Louis, le prénom de son père, est aussi celui de son tout jeune neveu. Notre Louis, « transfuge de classe», ne transmettra pas le nom : tous savent qu’il n’aura pas d’enfants, façon discrète d’évoquer son homosexualité, choses intimes qu’on ne dit pas. Mais ce jour-là, enfin, on va se parler.

 

La parole, c’est la grande affaire. Un mot de trop ou de pas assez et l’un ou l’autre se sent atteint, blessé, mal aimé, ou pas aimé du tout. A l’exception de la mère qui essaye de réunir la famille, de l’envelopper de douceur. Tous sont à vif. Antoine, le cadet, en particulier : tout effleurement est une agression, toute parole, une attaque et il faut s’arranger avec le langage.
Le départ de l’aîné a creusé un fossé social infranchissable. D’où les efforts de chacun pour travailler la langue, la préciser, la nettoyer des termes qui ne seraient pas justes et qui pourraient blesser, et qui blessent, en effet, ou au moins laissent insatisfait. Avec les comédiens, Johanny Bert ne s’est pas laissé prendre aux filets de l’écriture : il ramène cette écriture si particulière, intimidante peut-être avec ses hésitations, reprises, repentirs, à sa source vivante, la parole nécessaire et embarrassée de ceux qui ne la maîtrisent pas forcément et pour qui, elle est vitale.

 

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Restituer ce dimanche qui ressemble à tous les autres et à aucun autre, est essentiel. Partir à la recherche du temps perdu aussi, et du vrai moyen de «faire famille».  Pour cela, Johanny Bert fait parler les objets : pendus aux cintres, les meubles viennent se poser au besoin, table de famille, buanderie, chaise longue…et s’envolent, comme des souvenirs, marquant les époques de leur design, de leurs matériaux, créant une véritable poésie du temps qui passe. Le metteur en scène ne s’est pas interdit de faire apparaître le fantôme du père, sous la forme d’un masque à demi-souriant, et pourtant inquiétant : est-ce une invitation à la mort?

La troupe, elle, est une invitation à la vie, avec ses tiraillements. Vincent Dedienne, sobre, élégant, est ce grand frère qui écoute intensément, prend en pleine face et en plein cœur, les rancunes de son frère et l’affection débordante et brutale de sa petite sœur-elle le connaît si peu. Mais c’est avec le public qu’il partage les inquiétudes et les pensées de Louis. Et si tout disparaissait avec moi? Pourquoi ce sentiment de n’avoir pas été aimé ?
Le frère n’a pas cet espace, ce n’est pas son histoire. Et pourtant, c’est tout autant sa propre histoire : se sentir mis de côté, pas assez aimé, lui non plus. Loïc Riewer garde tout au long de la pièce la rage d’Antoine, la colère peut-être de ne pas savoir dire exactement sa colère et la souffrance qu’il déballe durant un long monologue presque final (l’auteur a quand même laissé le dernier mot à Louis) avec un souffle saisissant.
Les comédiens forment une vraie famille, c’est à dire, un de ces bizarres attelages qui tirent un peu dans toutes les directions. Astrid Bayiha est Catherine, la belle-sœur, élément nouveau et légèrement de côté dans la famille, Céleste Brunquell, petite Suzanne passionnée, impatiente et exigeante, Christiane Millet, dans le rôle de mère enveloppante, quoi qu’il se passe entre ses enfants adultes, sont parfaites, justes, chacune jouant de sa propre nature, autant que de sa fonction.
Et la pièce est aussi leur histoire, à chacune d’elles. Parfois, sans le vouloir, elles électrisent le conflit (« Tu es brutal. » dit Catherine, ce qui fait bondir Antoine. «Je te dépose en passant.», dit le frère. «Je t’accompagne en voiture. » contredit la sœur et cela s’envenime… Cette famille, c’est la nôtre, avec le drame qui n’aura pas lieu, les moments de rire et la tragédie cachée.

 La tragédie, c’est toujours le jour où… Le jour où Titus, devenu empereur, n’a plus besoin de Bérénice, le jour où Phèdre parle et où Thésée revient trop tôt. Le jour où Louis vient revoir une dernière fois sa famille : la mort n’a pas sa place sur scène comme dans la tragédie classique. Et quoi, faut-il employer les grands mots pour une simple querelle familiale? La tragédie est là et trouve son point d’orgue dans la dernière parole de Louis : un immense cri de joie, même s’il dit n’avoir pas osé le lancer dans la nuit. Comment ne pas se sentir profondément touché par un spectacle qui laisse une telle place au public et à ce que, malgré lui et sans le savoir, il apporte à la pièce? Et où plane si fort, sereinement, le souvenir de l’auteur? On n’aura pas parlé de la partie autobiographique de la pièce. Vincent Dedienne a choisi de lui donner une place en adaptant une partie du Journal de Jean-Luc Lagarce sous le titre Il ne m’est jamais rien arrivé  aussi mis en scène par Johanny Bert. On en reparlera.

 Christine Friedel

Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, Paris (XVIII ème). T. : 01 46 06 49 24.

Juste la fin du monde, mercredi, jeudi, vendredi à 21h, samedi à 15 h et 21 h, dimanche à 16 h.

Il ne m’est jamais tien arrivé, jeudi, vendredi et samedi à 19 h.

 Les deux spectacles, les 25, 26 et 27 mars, Le Sémaphore, Cébazat (Puy-de-Dôme).

Juste la fin du monde, les 1er, 2, 3 ,4 et 5 avril, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon (Rhône). Les 8 et 9 avril, Théâtre de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Le 11 avril, Théâtre Odyssée, Périgueux (Dordogne).

 

Vie et destin de Vassili Grossman, adaptation pour la scène de René Fix d’après le roman de Vassili Grossman, univers musical de Yannick Deborne, adaptation de René Fix, mise en scène de Gerold Schumann

Avec ce roman achevé en 1962, mais censuré en URSS et publié seulement en 80 en Occident, le romancier russe (1905-1964) a écrit  une fresque de  son pays pendant la seconde guerre mondiale. Et la matière ne manquait pas, hélas: ghetto de Berditchev, mise en place d’un système totalitaire performant, bombardement de Stalingrad assiégée par les Allemands, laboratoire de physique nucléaire de Moscou, camps de concentration nazis, vie misérable-faim et froid-du peuple russe, guerre sur les fronts de l’Est, goulags en Sibérie, camp d’extermination de Treblinka en Pologne, Ukraine dévastée…
Il y a a ainsi  Victor Strum, un chercheur en physique  nucléaire  évacué à Kazan au début de la guerre et qui a regagné Moscou mais au risque de perdre son poste car il est juif, mais aussi Eichman!, un Juge, tous joués avec efficacité par François Clavier. La Soldate Irina, Sofia, Katia, Juge 1, La femme  (remarquable Maria Zachenska ). Un civil, Serioja, Chichakov, le soldat Stepan, Semionov,  un Juge,  un Homme (Vincent Bernard); la soldate Irina, Sofia, Katia, un Juge, une Femme (Thérésa Berger), lun  Conducteur de train,  le Soldat Sacha, Krymov, Liss, Ossipov (Thomas Segouin). Tous impeccables.

© Jennifer Herovic

© Jennifer Herovic

Sur le plateau, quelques cubes blancs et au fond sur grand écran pour des images vidéo en noir et blanc particulièrement fortes : camps avec barbelés, campagne enneigée… Et il y a souvent des dialogues très solides et bien menés: dans un camp de prisonniers russe: » Professeur Mostovskoï, compagnon de route de Lénine ! Je ne suis qu’un simple officier SS dit Liss, mais je souhaite discuter avec vous. et il lui répond: Moi, compagnon de route de Lénine, je ne souhaite pas discuter avec vous.Liss: « Je comprends parfaitement. Asseyez-vous.Je vous ai dérangé au milieu de la nuit, mais je voudrais vraiment ‘discuter avec vous. Mostovoskoi: « On m’a appelé pour un interrogatoire, pas pour faire la causette. » Pourquoi pas une causette ? (Il regarde son uniforme). Ah, mon uniforme… Je ne suis pas né avec : Vous savez, je me passionne pour l’histoire de la philosophie. Mais je suis membre du notre parti national-socialiste. Notre Führer ordonne, et nous marchons, nous, les soldats du parti. Chez vous, on aime les tortures à la prison de la Loubianka ? Si vos dirigeants, votre Comité central, vous demandait de dénoncer, de trahir vos proches, de travailler pour la Tcheka, vous pourriez refuser ? Il rit et lève ses mains. Mes mains, comme les vôtres, aiment le vrai travail, le grand œuvre. Elles ne craignent pas de se salir.(Il le regarde dans les yeux, puis quitte le regard de Mostovskoï) Quand nous nous regardons, nous ne voyons pas seulement un visage haïssable, mais nous regardons dans un miroir. C’est là, la tragédie de notre époque. Vous ne vous reconnaissez pas en nous ? Vous comprenez ? Si nous vainquons, nous, les vainqueurs, nous resterons sans vous, seuls face à un monde étranger qui nous hait. Ce sont les mêmes questions qui nous torturent, vous et moi ! Il approche sa tête, regards en parallèle. Notre victoire est votre victoire. Et si nous perdons la guerre, nous la gagnerons quand- même, nous continuerons à nous développer sous une autre forme, mais en conservant notre essence. »
Et il y a une scène bouleversante où Anna Semionovna Strum avec une lettre écrite à son fils, depuis le ghetto juif à Berditchev en Ukraine.

 

© Jennifer Herovic

© Jennifer Herovic

Mais il y a encore et toujours le même problème quand il s’agit d’adapter au théâtre un roman traditionnel ou contemporain, voire un roman-fresque de quelque mille pages comme celui-ci, inspiré du célèbre Guerre et paix de Léon Tolstoï… Comment réussir à en garder la substantifique moelle? Comment rendre vivants ces événements qui ont déjà plus quatre-vingt ans! Comment faire revivre en un temps théâtral, les très nombreux! personnages de ce passionnant mais touffu Vie et destin, en particulier les membres de la famille Chapochniko.  Et il y a des échos à la situation contemporaine, avec quelques conversations au portable… et des jets de fumigène que le metteur en scène aurait pu nous épargner.
L’auteur essaye de comprendre pourquoi il existe une forte ressemblance entre les systèmes nazi et communiste adoptés par des pays qui pourtant, se font une guerre impitoyable depuis des années. « Que chercher dans cette œuvre monumentale? L’adaptation théâtrale, dit  Gerold Schumann entend créer un lien entre la fable, l’histoire contemporaine et notre actualité bouleversée par la guerre en Ukraine. Nous allons utiliser la structure même du roman, une structure de fragment, pour créer notre fragment.
Dans une unité de temps, nous allons trouver la vie, partout, dans les décombres comme dans les situations inhumaines. Poursuivre le cheminement de l’Empire russe des Tsars, vers l’Empire soviétique, jusqu’aux tentatives de rétablissement des empires perdus de l’actuel président de la Russie. Constater les lots d’antisémitisme et de racisme qui sont les fidèles compagnons de tout Empire, en l’occurrence ici ceux de l’Allemagne de Hitler et de l’Union soviétique de Staline. Faire la différence entre les totalitarismes nazi et russe.  »

L’adaptateur et le metteur en scène ont fait un travail cohérent mais qui ne fonctionne pas bien: la dramaturgie n’est pas au rendez-vous et les petites scènes se succèdent sans véritable fil rouge. Le public a à peine le temps d’identifier les personnages qu’on passe à d’autres… joués par les mêmes acteurs, ce qui ne facilite en rien le suivi de l’action… répartie su plusieurs territoires, le tout sur plus d’une heure et demi. Bref, de quoi pousser les collégiens à un doux ensommeillement, ce dont ils ne se privaient pas. Les adultes peuvent tenter l’expérience s’ils veulent connaître Vassili Grossman. Malgré de très bonnes scènes, l’ensemble-décevant- et on a plutôt envie de relire, ou lire, ce roman devenu culte… Dommage.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 13 janvier (en séance scolaire) à la Grange aux Dîmes, Ecouen (Oise).

Et les  28, 29, 30, 31 janvier et  1 er février, ( séances scolaires et tout public), Théâtre Studio, Alfortville (Val-de-Marne).

Le 30  avril, Théâtre de l’Arlequin, Morsang-sur-Orge (Essonne).

Textes de Vassili Grossman, traduction d’Alexis Berelowitch et Anne Coldefy-Faucard, éditions Calmann Lévy.

 

 

 

 

I’m deranged, écriture, mise en scène, et interprétation de Mina Kavani

I’m deranged, écriture, mise en scène, et interprétation de Mina Kavani

Née dans un famille d’artistes, elle se forme à l’Ecole d’Art Dramatique de Téhéran puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique à Paris. Elle est réfugiée politique en France. “L’exil, dit-elle, commencé dans mon propre pays. L’exil a été imposé par la République islamique dès mon enfance; nous étions exilés dans notre maison, dans les rues de Téhéran. Nous étions des étrangers. J’étais déjà une étrangère dans mon pays, je rêvais d’ailleurs et cet exil a continué. »
Depuis sept ans elle n’a pas pu retourner en Iran.
Apparue nue dans Red Rose réalisé par Sepided Farsi, elle a été condamnée comme “actrice pornographique”!  Ce solo d’une heure est un long cri de douleur et paradoxalement aussi, un hymne à la vie. Ses souvenirs d’adolescence aux débuts de la République Islamique, correspondent à un vent de liberté. Tout en dansant,  dit-elle “J’ai construit le premier rêve de ma vie dans la brume des fumées d’opium… Tous nous étions libres et sauvages”.

©Laura Severi

©Laura Severi

Nous savons maintenant que cette liberté n’était qu’éphémère. Le danger guette toutes les démocraties occidentales, non pour des idéaux religieux quoi que! Mais pour une bascule du monde dans un ultra-libéralisme sauvage. Mina Kavani, à la présence hypnotique, nous emporte aisément dans toutes ces fractures qu’elle exprime dans un discours très intime: “Je voudrais juste trouver mon chemin maintenant que j’ai tout perdu … Tu appartiens à nulle part, tu appartiens à tes rêves et à tes fantasmes”.
L’actrice se dit prisonnière des ses rêves: le principal-et actuellement impossible-étant un retour dans sa terre natale pacifiée. Les mêmes fantasmes des personnages de 4.211 kms (voir Le Théâtre du Blog). Sur un plateau noir, Mina Kavani, aussi en costume noir, nous fait partager cette confession.
Comme chez Barbara sur scène, nous ressentons un fragilité et en même temps, une belle volonté de survie pour échapper à ce cauchemar. “Je crie, dit-elle, je danse, je ris”. ..

Jean Couturier

Jusquau 25 janvier, Théâtre de lAthénée-Louis Jouvet, 2-4 square de l’Opéra-Louis Jouvet, Paris (IX ème). T. :  01 53 05 19 19.

 

Ruination : The True Story of Medea, mise en scène et chorégraphie de Ben Duke direction musicale Yshani Perinpanayagam (en anglais surtitré en français)

Ruination : The true story of Medea, mise en scène et chorégraphie de Ben Duke direction musicale d’Yshani Perinpanayagam (en anglais, surtitré en français)

 Le mythe antique étant du domaine public et libre de droits, tout un chacun peut l’interpréter comme il l’entend. Et pour celui de Médée, nul ne s’en est privé ! Des écrivains : Euripide, Sénèque, Pierre et Thomas Corneille, Dario Fo, Léon Daudet, Catulle Mendès, Jean Anouilh, Yukio Mishima, Heiner Müller, Christa Wolf… Des compositeurs : Marc-Antoine Charpentier, Luigi Cherubini, Darius Milhaud, Iannis Xenakis, Gavin Bryars. Mais aussi des peintres: Rembrandt, Joseph Turner, Eugène Delacroix, Alfons Mucha, des cinéastes: Pier Paolo Pasolini, Lars von Trier… Et nombre de chorégraphes, chacun à leur façon: Jean-Georges Noverre, Auguste Vestris, Pierre Gardel, Martha Graham, Birgit Cullberg, Rosalia Chladek, John Neumeier, Angelin Preljocaj…

 © Camilla Greenwel

© Camilla Greenwel

Ben Duke, cofondateur et directeur artistique de Lost Dog et acteur versé dans la danse, influencé par un chorégraphe comme Lloyd Newson (DV8 Physical Theatre), nous livre sa version de la tragédie. Le texte fait allusion à Sarah Bernhardt, monstre sacré du théâtre français qui incarna Médée en 1898 au Théâtre de la Renaissance. Qui dit ruination dit : perte, destruction, dégradation, dévastation, mort dans le pire des cas, ruine tout simplement, ou ruine morale, si l’on préfère. Tous ces aspects évoqués ici dans une pièce qui prétend décrire la vraie histoire de l’héroïne. La destruction s’applique au mythe mais aussi à la manière de l’évoquer sous différents aspects. Le concept heideggerien d’abbau, que Jacques Derrida traduisit par déconstruction, s’applique donc à la forme que développe depuis quelques années, le metteur en scène et chorégraphe. Avec la danse-théâtre, expression hybride s’il en est, il applique à Médée, un traitement tragi-comique. Nullement à la belle franquette mais avec une haute exigence, une précision mathématique, des moyens de production réduits, du travail et du talent. La scénographie de Soutra Gilmour est efficiente, les éclairages de Jackie Shemesh, particulièrement soignés et la distribution exceptionnelle : Miguel Altunaga, Jean Daniel Broussé, Maya Carroll, Liam Francis, Anna-Kay Gayle, Hannah Shepherd et les musiciens : Sheree DuBois, Yshani Perinpanayagam et Keith Pun.Mots d’esprit, gags visuels et également sonores-les plus difficiles à mettre en œuvre- nous réjouissent, même si leur écoulement aurait pu être un brin plus bref…. Raquel Meseguer Zafe, la dramaturge, mène rondement la chose et rend l’intrigue limpide, ou presque. Deux chants bouleversants donnent de la profondeur à ce faux musical de West End.

La ruine peut être au singulier ou au pluriel, un peu comme enfer. Une pique est adressée à la danse académique dès l’entrée du public avec quatre moniteurs à tube cathodique, installés côté cour par Hayley Egan, diffusant en boucle un extrait du ballet Casse-noisette, au programme de Covent Garden, quand y a été créée Ruination. Le spectacle commence par une séquence infernale : un flashback, avec, d’emblée, un jugement. Sans autre forme de procès, si l’on peut dire. Comme dans quasiment tous les films hollywoodiens. Hadès (Jean-Daniel Broussé) est le Procureur, chargé d’accuser Médée. Le corps de Jason gït sur un brancard, emballé sous film plastique, corps christique sous son suaire et qui se réveillera, ou ressuscitera soudain. Perséphone (Anna-Kay Gayle) joue l’avocate du héros qu’un jury populaire (représenté par un spectateur pris au hasard) changera en anti-héros.

 Le parti-pris visant à blanchir Médée pour ses crimes n’est pas totalement nouveau. Celui de tirer du mythe, une œuvre à la fois graveet spirituelle ne fait aucun doute. Raphaël de Gubernatis qui nous a incité à découvrir cette pièce, y a noté « l’esprit d’Offenbach». Dont Orphée aux enfers fut créé au Théâtre de la Gaîté Lyrique en 1874.
On pourrait ajouter d’autres ingrédients : distanciation brechtienne, anachronisme assumé à la Hellzapoppin le film de H. C. Potter (1941), solos et duos par Hannah Shepherd (Médée) et Liam Francis (Jason), ou par ce dernier avec Maya Carroll (Glaucé) sous influence punk, bruts de décoffrage, façon Michael Clark.

La partition musicale de la pianiste et cheffe d’orchestre Yshani Perinpanayagam est sensationnelle, avec thèmes romantiques au piano, passages chantés par le haute-contre Keith Pun et, surtout, la chanteuse soul Sheree DuBois aux deux interventions magistrales, digne successeuse de Mahalia Jackson.

Nicolas Villodre

 Spectacle joué du 21 au 26 janvier au Théâtre des Abesses-Théâtre de la VIlle-Sarah Bernhardt, 31 rue des Abbesses, Paris ( XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77. 

 

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