Le Soulier de satin de Paul Claudel mise en scène, version scénique d’Éric Ruf

Le Soulier de satin de Paul Claudel, mise en scène, version scénique d’Éric Ruf                                 

L’histoire du théâtre est marquée par des moments magiques qu’on ne peut prévoir. Entre autres souvenirs, la découverte des spectacles de Bob Wilson, Tadeusz Kantor, Pina Bausch et Antoine Vitez avec cette fameuse intégrale en onze heures du Soulier de Satin dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, au festival d’Avignon 87. Un spectateur attentif, Denis Lavant, était comme nous tous, fasciné par ce qui se déroulait dans ce lieu unique !
Mais il faut se laver de toute cette mémoire et penser aux spectateurs d’une époque encore plus lointaine, celle de la création à la Comédie-Française par Jean-Louis Barrault en 1943… Le texte avait été réduit à cinq heures de représentation, en accord avec l’auteur. Le metteur en scène jouait alors Don Rodrigue et Marie Bell, Doña Prouhèze. « Le sujet du Soulier de satin, écrivait Paul Claudel, c’est en somme celui de la légende chinoise, les deux amants stellaires qui chaque année après de longues pérégrinations arrivent à s’affronter, sans jamais pouvoir se rejoindre, d’un côté et de l’autre de la Voie lactée. »

 

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Sami Frey et Geneviève Page reprirent ces rôles à l’Odéon-Théâtre de France en 63. Jean-Louis Barrault remontera la pièce en version intégrale en 80 au théâtre d’Orsay.  Pour Denis Podalydès : « Dans Le Soulier de satin-pectacle qui, lui, m’enchanta- Jean-Louis Barrault se promenait dans les couloirs du théâtre, deux minutes à peine avant le début de la représentation! Je n’en croyais pas mes yeux. Toujours en complet noir, et avec une chemise noire à petits pois blancs, et hop, il montait sur le plateau : “Fixez, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de l’océan Atlantique, qui est à mi-chemin entre les deux mondes.” Et c’était parti. Cette liberté bonhomme, cette audace dénuée d’affectation, cette façon d’empoigner Claudel par le col me transportaient, me donnaient une gaieté toute fraîche. » 

Il faut venir ici avec un regard neuf dans cette salle Richelieu, pour assister à ce très long monument théâtral dont Sacha Guitry aurait dit en sortant de la première du Soulier de satin qui avait duré sept heures:«Heureusement qu’il n’y avait pas la paire!»  «Quand la chose semble impossible, dit Éric Ruf, on se sent plus libre quand elle est probable.» Il embarque ses dix-huit comédiens pour une longue traversée et e a signé la scénographie. Comme dans la mise en scène d’Antoine Vitez, il y a ici une double performance, celle des artistes et celle du public. «Parfois, dit aussi Éric Ruf, les spectateurs se demandent pourquoi ils sont venus et, à la fin, ils s’applaudissent autant que le spectacle lui-même. » Il y faut de la patience : huit heures trente! Avec deux entractes et une longue pause, pour aller au bout du voyage…Cette épopée se déroulant sur une trentaine d’années au temps des conquistadors et dans plusieurs parties du globe. 

Chacun des costumes de Christian Lacroix, d’une richesse exceptionnelle,est une œuvre d’art et travaillé comme ceux d’opéra. Sur un plateau nu, avec seulement quelques toiles peintes, le metteur en scène a suivi les indications de Paul Claudel dans sa préface: «Comme après tout, il n’y a pas impossibilité complète que la pièce soit jouée un jour ou l’autre, d’ici dix ou vingt ans, totalement ou en partie, autant commencer par ces quelques directions scéniques. Il est essentiel que les tableaux se suivent sans la moindre interruption. Dans le fond la toile la plus négligemment barbouillée, ou aucune, suffit. »

La lisibilité de cette histoire presque impossible à résumer, est peu facile pour les néophytes. La pièce nécessite un jeu d’acteurs convaincant et une belle cohésion de la troupe, ici parfaitement assurés. Il faut se laisser porter par l’intrigue initiale. Doña Prouhèze (exceptionnelle Marina Hands), aime Don Rodrigue (belle composition de Baptiste Chabauty). Mariée à Don Pélage, un vieux juge du roi d’Espagne (formidable Didier Sandre) qui la confie à Don Balthazar (cocasse et imprévisible Laurent Stocker). Il a pour mission de l’éloigner de Don Rodrigue, mais aussi de son machiavélique cousin Don Camille (talentueux Christophe Montenez).
Tous sont crédibles et s’engagent pleinement, tout en jouant plusieurs rôles. Les deux premières Journées sont montées avec bouffonnerie et distanciation, les deux autres, de façon plus profonde et dramatique.La part politique et théologique du texte est moins visible dans ce travail qui glorifie avant tout le théâtre. Cette dernière mise en scène d’Eric Ruf comme administrateur puisqu’il est arrivé au terme de son mandat, est une pure déclaration d’amour au théâtre et à tout ce que représente la Comédie-Française à ses yeux.  Et il en a aussi signé la scénographie.Tous les corps de métiers de cette institution ont participé à cette renaissance du Soulier de Satin.
Le plus émouvant est cette fête du théâtre auquel participent vraiment les spectateurs grâce au dispositif scénique: une passerelle traverse le parterre comme dans la mise en scène de Thomas Ostermeier pour La Nuit des rois de William Shakespeare. Les comédiens s’adressent parfois au public et le font participer aux cérémonies royales et l’invite à mettre des fraises en papier dessinées par Éric Ruf. Doña Musique (Edith Proust) arrive même à faire chanter les spectateurs… Vincent Leterme au piano, Merel Junge au violon et Ingrid Schoenlaub au violoncelle, du début à la fin, sont aussi de cette fête et accompagnent le chœur final de toute la troupe qui nous souhaite une bonne nuit après cette longue journée… Ainsi s’achève avec beaucoup d’émotion, la  représentation de la plus shakespearienne des pièces claudéliennes.

Jean Couturier                                                  

Jusqu’au 13 avril (en alternance), Comédie-Française, place Colette, Paris (Ier). T. : 01 44 58  15 15.

 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...