Grand-peur et misère du Troisième Reich de Bertolt Brecht, mise en scène de Julie Duclos

Grand-peur et misère du III ème Reich de Bertolt Brecht, traduction de Pierre Vesperini, mise en scène de Julie Duclos

Adolf Hitler prit le pouvoir en 33: avec 43,94 % des suffrages, il remporte les élections et devient chancelier. Le grand dramaturge (1898-1956) avec sa femme l’actrice Helene Weigel est très mal vu  et préfère  s’exiler en Finlande, au Danemark, en Suisse puis aux Etats-Unis… Mais entre 35 et 38, il  écrit en collaboration avec  Margarete Steffin, actrice,  écrivaine mais aussi maîtresse de Brecht qui suivit le couple en exil, une chronique de la vie quotidienne dans son pays jusqu’à l’Anschluss qui précède la guerre de quarante. Lieu et date de chaque scène sont précisément indiqués: Berlin, 1933, Augsbourg, 1934, Berlin 1934, Göttingen 1935, Francfort 1935, Essen 1934…

©x

©x

A partir de témoignages et coupures de journaux, Bertolt Brecht, lucide sur les événements, montre que ses concitoyens, quelle que soit leur classe sociale, vont être emportés par le Troisième Reich dans cette folie qui appartient désormais à l’Histoire mondiale. Nous nous souvenons de la passion pour ce texte qu’avait un de ses  premiers traducteurs, le Suisse André Steiger  qui nous en parlait quand il avait créé en France La bonne Ame de Se-Tchouan au T.N.P. alors encore à Paris.
Grand-peur et misère du III ème Reich est une suite de courtes ou longues scènes connue depuis longtemps en France mais peu montée. Helene Weigel en joua neuf à Paris (1938). L’année suivante, Pierre Abraham qui fut ensuite directeur de Chaillot, avant d’être viré par les Allemands, traduit et mit en scène quelques-unes avec les Comédiens d’Anjou. Puis la pièce fut aussi créée à New York en 41 en allemand et en 45 en anglais. Il faudra attendre 56 pour que Roger Planchon la mit en scène à la Comédie de Lyon. Mais si Mère Courage et ses enfants  a souvent été jouée,  Grand’Peur et misère du III ème Reich semble faire peur aux metteurs en scène et la pièce n’a jamais été créée à la Comédie-Francaise, ni à l’Odéon.  Ici, des vingt-cinq scènes de Grand peur et misère du Troisième Reich, Julie Duclos a gardé la moitié.

Dans un espace vide fermé côté jardin par une grande verrière assez sale d’usine, une grande table nappée de blanc où il y a encore des verres à pied, deux chandeliers,  assiettes et couverts  sales. Deux jeunes filles vont les enlever. Un soldat en uniforme beige, croix gammée rouge vif sur un brassard entre et mange des spaghettis, tout en leur parlant. La tension est visible dans cette scène qui ouvre le spectacle, comme la peur qui s’abat en permanence sur la vie des Allemands, toute classes sociales confondues: juges, bourgeoisie,  médecins, ouvriers… Aux questions des jeunes filles, le soldat, fier d’appartenir à l’armée d’Hitler et de ses belles bottes, répond sèchement:  » Personne ne saura rien de moi. «  
Et il y a aussi une belle séquence dans le bureau d’un Juge (remarquable Philippe Duclos, père de la metteuse  en scène), peu à l’aise quand il s’agit de prendre une décision. Bref, la peur a envahi toute la société: des domestiques, aux hauts fonctionnaires et le plus proche voisin est loin d’être fiable…
Personne n’est épargné et la méfiance envahit même les familles. Un couple croit que leur petit garçon est allé à dénoncer à la Gestapo son père qui a osé critiquer le nouveau régime… Des éleveurs de porc demandent à leurs enfants de faire le guet:  les nazis  pourraient les voir en train de nourrir leur bétail… Et à la fin du spectacle, un  boucher désobéissant qui avait refusé de présenter, faute de vraie  viande, de la fausse pour faire croire  qu’il n’y avait aucune pénurie, sera  retrouvé pendu devant sa boutique  avec, écrit sur son tablier: « J’ai voté Hitler. » Et une jeune femme juive (excellente Rosa-Victoire Boutterin) va faire ses valises et s’en ira à Amsterdam pour que son mari médecin puisse continuer à exercer.

©x

©x

L’Histoire bégaie quelquefois et surtout, en ce moment, cette piqûre de rappel  n’est pas un luxe et le public y a été sensible. Et-on l’oublie souvent- Bertolt Brecht a passé en exil le quart de sa vie! Ici il a touché juste: quand la machine à  fasciser commence à fonctionner, rien ne semble  l’arrêter: peur de l’autre, intolérance, suspicion et chantage dans les familles et les entreprises, délation après quelques mots ambigus ou un doute personnel sur un aspect du régime en place, décrets en rafale réduisant les libertés, puis mise en place de camps pour museler les opposants, le tout sur fond de mauvaise nourriture, voire de disette.
Cela dit, la mise en scène, manque de véritable fil rouge, la distribution est trop inégale, et Julie Duclos aurait pu nous épargner les nombreux déménagements de meubles pour des scènes trop courtes et ces déplacements du décor qui ne font pas sens, comme ces vidéos stéréotypées de personnages filmés de dos, sortant  dans un couloir…  Tout ici est bien propre et le public est content…
Mais plus grave: rares sont les moments où on sent le climat de violence qui est permanent dans le text Bertolt Brecht.  Ce spectacle, un peu esthétisant avec de belles  images est trop long et malgré quelques scènes intéressantes, finalement décevant. Peut-il progresser?

Philippe du Vignal

Jusqu’au 7 févier, Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris ( VI ème). T. : 01 44 85 40 40.

 


Archive pour 17 janvier, 2025

Grand-peur et misère du Troisième Reich de Bertolt Brecht, mise en scène de Julie Duclos

Grand-peur et misère du III ème Reich de Bertolt Brecht, traduction de Pierre Vesperini, mise en scène de Julie Duclos

Adolf Hitler prit le pouvoir en 33: avec 43,94 % des suffrages, il remporte les élections et devient chancelier. Le grand dramaturge (1898-1956) avec sa femme l’actrice Helene Weigel est très mal vu  et préfère  s’exiler en Finlande, au Danemark, en Suisse puis aux Etats-Unis… Mais entre 35 et 38, il  écrit en collaboration avec  Margarete Steffin, actrice,  écrivaine mais aussi maîtresse de Brecht qui suivit le couple en exil, une chronique de la vie quotidienne dans son pays jusqu’à l’Anschluss qui précède la guerre de quarante. Lieu et date de chaque scène sont précisément indiqués: Berlin, 1933, Augsbourg, 1934, Berlin 1934, Göttingen 1935, Francfort 1935, Essen 1934…

©x

©x

A partir de témoignages et coupures de journaux, Bertolt Brecht, lucide sur les événements, montre que ses concitoyens, quelle que soit leur classe sociale, vont être emportés par le Troisième Reich dans cette folie qui appartient désormais à l’Histoire mondiale. Nous nous souvenons de la passion pour ce texte qu’avait un de ses  premiers traducteurs, le Suisse André Steiger  qui nous en parlait quand il avait créé en France La bonne Ame de Se-Tchouan au T.N.P. alors encore à Paris.
Grand-peur et misère du III ème Reich est une suite de courtes ou longues scènes connue depuis longtemps en France mais peu montée. Helene Weigel en joua neuf à Paris (1938). L’année suivante, Pierre Abraham qui fut ensuite directeur de Chaillot, avant d’être viré par les Allemands, traduit et mit en scène quelques-unes avec les Comédiens d’Anjou. Puis la pièce fut aussi créée à New York en 41 en allemand et en 45 en anglais. Il faudra attendre 56 pour que Roger Planchon la mit en scène à la Comédie de Lyon. Mais si Mère Courage et ses enfants  a souvent été jouée,  Grand’Peur et misère du III ème Reich semble faire peur aux metteurs en scène et la pièce n’a jamais été créée à la Comédie-Francaise, ni à l’Odéon.  Ici, des vingt-cinq scènes de Grand peur et misère du Troisième Reich, Julie Duclos a gardé la moitié.

Dans un espace vide fermé côté jardin par une grande verrière assez sale d’usine, une grande table nappée de blanc où il y a encore des verres à pied, deux chandeliers,  assiettes et couverts  sales. Deux jeunes filles vont les enlever. Un soldat en uniforme beige, croix gammée rouge vif sur un brassard entre et mange des spaghettis, tout en leur parlant. La tension est visible dans cette scène qui ouvre le spectacle, comme la peur qui s’abat en permanence sur la vie des Allemands, toute classes sociales confondues: juges, bourgeoisie,  médecins, ouvriers… Aux questions des jeunes filles, le soldat, fier d’appartenir à l’armée d’Hitler et de ses belles bottes, répond sèchement:  » Personne ne saura rien de moi. «  
Et il y a aussi une belle séquence dans le bureau d’un Juge (remarquable Philippe Duclos, père de la metteuse  en scène), peu à l’aise quand il s’agit de prendre une décision. Bref, la peur a envahi toute la société: des domestiques, aux hauts fonctionnaires et le plus proche voisin est loin d’être fiable…
Personne n’est épargné et la méfiance envahit même les familles. Un couple croit que leur petit garçon est allé à dénoncer à la Gestapo son père qui a osé critiquer le nouveau régime… Des éleveurs de porc demandent à leurs enfants de faire le guet:  les nazis  pourraient les voir en train de nourrir leur bétail… Et à la fin du spectacle, un  boucher désobéissant qui avait refusé de présenter, faute de vraie  viande, de la fausse pour faire croire  qu’il n’y avait aucune pénurie, sera  retrouvé pendu devant sa boutique  avec, écrit sur son tablier: « J’ai voté Hitler. » Et une jeune femme juive (excellente Rosa-Victoire Boutterin) va faire ses valises et s’en ira à Amsterdam pour que son mari médecin puisse continuer à exercer.

©x

©x

L’Histoire bégaie quelquefois et surtout, en ce moment, cette piqûre de rappel  n’est pas un luxe et le public y a été sensible. Et-on l’oublie souvent- Bertolt Brecht a passé en exil le quart de sa vie! Ici il a touché juste: quand la machine à  fasciser commence à fonctionner, rien ne semble  l’arrêter: peur de l’autre, intolérance, suspicion et chantage dans les familles et les entreprises, délation après quelques mots ambigus ou un doute personnel sur un aspect du régime en place, décrets en rafale réduisant les libertés, puis mise en place de camps pour museler les opposants, le tout sur fond de mauvaise nourriture, voire de disette.
Cela dit, la mise en scène, manque de véritable fil rouge, la distribution est trop inégale, et Julie Duclos aurait pu nous épargner les nombreux déménagements de meubles pour des scènes trop courtes et ces déplacements du décor qui ne font pas sens, comme ces vidéos stéréotypées de personnages filmés de dos, sortant  dans un couloir…  Tout ici est bien propre et le public est content…
Mais plus grave: rares sont les moments où on sent le climat de violence qui est permanent dans le text Bertolt Brecht.  Ce spectacle, un peu esthétisant avec de belles  images est trop long et malgré quelques scènes intéressantes, finalement décevant. Peut-il progresser?

Philippe du Vignal

Jusqu’au 7 févier, Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris ( VI ème). T. : 01 44 85 40 40.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...