Festival Les Singuliers Partout le feu, texte d’Hélène Laurain, mise en scène et scénographie d’Hubert Colas

Festival Les Singuliers

Partout le feu, texte d’Hélène Laurain, mise en scène et scénographie d’Hubert Colas

Jusqu’au 15 février, le Cent-Quatre offre ses vastes espaces, salles, studios, patios à la neuvième édition de ce festival. Avec plus de vingt spectacles:  théâtre, musique, danse, performance, formes légères, souvent-mais pas obligatoirement-au féminin avec des «seules en scène», mais surtout « indisciplinaires ».

©x

©x

Parmi ces Singulières, Partout le feu. Comme pour une conférence, une jeune femme (Stéphanie Aflalo) est à son bureau avec dessus, quelques objets qui joueront plus tard. Elle nous regarde, sereine, attendant la mise en place du public. Elle n’est pas seule et derrière elle, sur un grand écran, une galerie de visages, comme des portraits de famille immobiles mais vivants: un frisson des lèvres, un clignement de paupières…
C’est dans une région déjà ravagée par l’industrie et ensuite par la destruction de la dite industrie, l’histoire d’une révolte, d’un scandale et d’une colère contre l’utilisation de ces ruines pour enfouir des déchets nucléaires éternels. A la suite d’un éblouissant feu d‘artifice contre l’un de ces sites, voilà cette jeune femme mise en garde à vue, accusée avec son amoureux et sa bande d’amis, d’association de malfaiteurs. Elle sera condamnée à porter un bracelet électronique-il y a mieux, comme bijou d’amour-avec interdiction absolue de rencontrer l’autre, le dénommé « fauteur ».

Déguisement, vol de la robe de mariée de sa sœur, cascade d’événements rocambolesques comme dans un récit d’aventures. Quand on est entraîné à la clandestinité…Le charme du spectacle tient à l’entrelacement des talents, à une singularité partagée entre l’autrice et l’interprète (qui elle-même écrit) et à la mise en scène et à la scénographie d’Hubert Colas (lui aussi auteur). Il invente un rapport unique entre écran et proscénium, la comédienne franchissant la frontière (la moindre des choses pour une militante de la transgression !) en direct ou apparaissant en ombre, jouant avec l’image projetée, le tout dans une belle économie et avec une parfaite fluidité. Inutile d’en dire plus, le public est touché par les élans de (juste) colère et d’amour sans mièvrerie de ce récit mis en scène avec une telle exactitude et une telle tendresse, et non dénué d’humour.

Gildaa, chant-performance de Camille Constantin Da Silva

©x

©x


Elle nous emmène dans un autre monde, celui du music-hall, avec ses surprises, son envers, sa pauvreté clinquante ou sa richesse à deux sous, ses performances ou ratages, et palais de carton…
Camille Constantin Da Silva a inventé une diva, rendant hommage (ou femminage ?) au célèbre gant de Rita Hayworth qui déshabillait son bras en un jeu torride dans Gilda, un film aujourd’hui oublié de Charles Vidor (1946).

Cette Gildaa peut tout faire : s’empêtrer dans son boa de plumes, renvoyer son guitariste en pleine action (Antonin Fresson), maltraiter sa camériste qui est aussi son habilleuse et percussionniste (Jouhara Ismaili). Gildaa peut aussi être en peignoir « de luxe » ou presque nue en simple chemise mais à paillettes, drôle, dramatique… La chanteuse a une voix et un registre qui lui permettent de briller dans tous les styles musicaux: de Madame Butterfly au jazz, à la samba… C’est parfait et c’est là le (moindre) défaut du spectacle : tout ce désordre est contrôlé au millimètre et la diva tient trop fermement la bride au spectateur. Ah ! Vous riez ! Je vous emmène vers le drame. Ah ! vous êtes émus ?
Stop !Madame, laissez trois secondes à nos émotions. Et promis, juré, nous vous suivrons partout. Il y a dans ce festival bien des choses à voir, à voir et à z-entendre, dirait Boris Vian. A suivre, une quinzaine de spectacles, tous évidemment singuliers<;;;;

 Christine Friedel

Jusqu’au 15 février,  Festival Les Singuliers, Le Cent-Quatre, 5 rue Curial (Paris XIX ème) . T. : 01 53 35 50 50.


Archive pour 24 janvier, 2025

Les Pères ont toujours raison /Die Väter haben immer Recht de Bernard Bloch, Heiner Müller et Pascal Schumacher

Les Pères ont toujours raison /Die Väter haben immer Recht de Bernard Bloch, Heiner Müller et Pascal Schumacher

©x

©x

 Nous entrons dans un modeste et précaire, musée Heiner Müller, poète et dramaturge allemand (1929-1995) en Allemagne de l’Est, sans avoir jamais accepté de passer à l‘Ouest, comme le lui proposaient ceux qui avaient fait son succès de ce côté-ci du rideau de fer. Mais on comprendra que le succès n’a ni sens ni intérêt pour lui. Il doit vivre dans son pays, en faire grincer les articulations, démonter les évidences et pointer les contradictions. En prologue, il nous aura accueilli avec sa réponse à ses confrères de l’Union des écrivains qui venaient de l’exclure pour sa pièce La Déplacée. Rude adresse et compliments bien sonnés : « Je vous ai tendu un miroir. Vous l’avez fracassé sur mon crâne, parce que votre nez ne vous plaisait pas. À présent, il ne reste plus personne pour vous montrer votre visage ».

Côté cour, on entre dans un chez lui, reconstitué par Raffaëlle Bloch. Peu de photos de lui:  son visage barré par ses  lunettes  sévères laissent quand même filtrer une étincelle d’ironie. Nous sommes dans l’appartement standard et fonctionnel de cet «ossi » (citoyen de la République Démocratique Allemande) tandis qu’un tapis rouge se déploie à l’opposé jusqu’à un distributeur de boissons rutilant et quelque peu rétif (Ah ! Consommer !).
À face, la pianiste Chiahu Lee qui rythme, arrête, discute ou dialogue avec le comédien (compositions de Pascal Schumacher. « Vous connaissez Heiner Müller ? Oui ? Non ? Un peu ? »  L’auteur et acteur Bernard Bloch entre dans le vif du sujet. C’est vrai, le théâtre de la fin du vingtième siècle l’aura connu, grâce avant tout, aux traductions et mises en scène de Jean Jourdheuil. Mais aujourd’hui? Quelle transmission? La réflexion politique du dramaturge et poète n’aurait-t-elle plus aucune urgence dans un monde qui penche dangereusement vers l’extrême droite?
A la question : quel sera l’effet de la réunification de l’Allemagne? « Ils reviendront.», répond le père. On entend le pire. Ce qui n’ôte pas son sourire lucide au poète. Ni sa gravité, au père exilé. Les pères ont (toujours) raison. En allemand aussi. Nous recevons avec bonheur ce spectacle à deux côtés égaux : francophone et germanophone : on entend le son même de la poésie d’Heiner Müller. Et le jeu de l’acteur Marc Baum-plus jeune que Bernard Bloch et d’une autre école de théâtre, plus à distance, puisqu’il n’est pas l’auteur de cet hommage aux pères-renouvelle le spectacle.
On reçoit autrement le texte (sur-titré) qu’on aura déjà entendu et dont on connaît le cheminement. Et puis, ce qui se produit pour la compagne du narrateur dans le récit : écouter et entendre une langue qu’on ne connaît pas, ou mal, nous permet d’être pleinement à ce que l’on ressent : la richesse du langage corporel, la musique des mots, l’expression qu’on ne saisit pas toujours, quand on est pris par le sens. Et c’est un autre bonheur. Il faut écouter dans sa langue et dans la nôtre, cet homme capable de donner pour titre: Erreurs choisies à l’un de ses livres. Et qui peut aussi écrire ce poème dédié aux suicidées : « Je suis Ophélie. Que la rivière n’a pas gardée. La femme à la corde, la femme aux veines ouvertes, la femme à l’overdose sur les lèvres de la neige, la femme à la tête dans la cuisinière à gaz. Hier, j’ai cessé de me tuer. J’ouvre grand les portes, que le vent puisse pénétrer, et le cri du monde. ”
Il faudra guetter les prochaines dates de représentation-non encore connues-et ne pas manquer cette double rencontre.

Christine Friedel


Le spectacle a été joué du 8 au 11 janvier à l’Echangeur, Bagnolet (Seine-Saint-Denis). 

 

Article 353 du Code pénal de Tanguy Viel, adaptation et mise en scène d’Emmanuel Noblet

Article 353 du Code pénal de Tanguy Viel, adaptation et mise en scène d’Emmanuel Noblet

A l’origine, une fois de plus, l’adaptation d’un roman, celui éponyme de Tanguy Viel (2017) qui prolonge en contrepoint Paris-Brest paru en 2009. Le titre fait référence à l’article 353 du Code pénal. En fait, le Code de procédure pénale, applicable dans les années quatre-vingt dix. Un juge d’instruction va auditionner Martial Kermeur. Avant que la Cour d’assises (trois juges professionnels (un président, deux assesseurs) et six  jurés ( citoyens inscrits et tirés au sort sur les listes électorales) se retire pour délibérer sur la culpabilité et la peine infligée, le président donne lecture de l’instruction qui est aussi affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la salle de délibérations :  » Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs :  » Avez-vous une intime conviction ? « 

©x

©x

Les pièces de théâtre sur les procès avec jugement sur la culpabilité ou l’innocence d’un prévenu, ne se comptent plus. Mais plus rares sont celles qui portent sur l’intime conviction d’un juge d’instruction, face à ses doutes devant un coupable qui a avoué. Le juge d’instruction  est saisi par le procureur de la République quand il s’agit d’un crime. Emmanuel Noblet qui a signé l’adaptation et la mise en scène, interprète aussi le Juge : « C’est tout le principe du théâtre, traiter de l’intime et de nos convictions. » Il avait déjà adapté avec succès pour la scène (voir Le Théâtre du Blog) Réparer les vivants, un roman de Maylis de Kerangal. Le Juge va écouter le long récit de toute une vie, celle de Martial Kermeur, la cinquantaine, un chômeur divorcé et père d’Erwan, onze ans au moment des faits.
Il l’a convoqué à la suite de la mort d’Antoine Lazenec, un promoteur immobilier aux belles paroles séduisantes mais véreux et sans aucun scrupule. Il avait fait miroiter à Martial Kermeur et à quelque trente autres habitants-dont le maire d’un bourg dans la presqu’île de Crozon face à Brest- de beaux appartements sur plans dans une résidence à construire. Les papiers ont été signés devant notaire mais elle ne sera même jamais commencée. Martial Kermeur, licencié avec beaucoup d’autres, de l’arsenal de Brest et chômeur démuni, recevra une prime. Le maire du village lui avait trouvé, contre un gardiennage, un logement dans une annexe du « château », une belle demeure. Il espère, avec cette prime de licenciement (510.000 francs soit environ  540.000 €actuels) s’acheter une petite maison où il pourrait vivre avec Erwan son fils, dont il a la garde. Lazenec, promoteur immobilier, lui,  veut s’enrichir sur « un tas d’or recouvert de choux-fleurs » comme il dit élégamment et  y construire une belle résidence qu’il vendra sans difficulté.
Martial Kermeur avait investi la totalité de ses économies dans cette opération et la transaction s’était effectuée devant notaire. Mais Lazenec a dilapidé la somme nécessaire aux travaux de construction et a mené grand train de vie : il se balade dans le village en Porsche dernier modèle, offre à un coup à boire à ses nombreuses victimes, s’achète un bateau…Le maire qui avait vendu un terrain de la commune à Lazenec pour cette opération est accablé et se suicidera d’un coup de revolver… Erwan qui a maintenant dix-neuf ans, voudra venger son père et commettra un acte gratuit… qui lui coûtera cher : il détache les amarres d’une trentaine de voiliers et sera condamné à deux ans de prison. Bref, un beau gâchis…
Martial Kermeur, lui,  est en colère et exaspéré par le mépris et la suffisance de Lazenec qui lui propose de l’emmener à la pêche sur le bateau qu’il vient d’acheter et qui osera même lui dire : «Je ne suis pas rancunier. » Là, c’en est trop et Kermeur finit par balancer dans la mer cet escroc depuis son bateau et le laisser se noyer. Il aurait pu le poursuivre mais reconnaîtra avoir voulu se faire justice lui-même. Ce qui, bien entendu, est interdit par la Loi. Et que deviendra-t-il après cette vie brisée?  Une fin-presque-heureuse, comme disent nos amis anglais: le juge lui évitera un procès et donc une probable condamnation. Le spectacle finira sur un Martial Kermeur regardant la mer depuis sa cuisine.
Pour sauver cet homme qui a reconnu sa culpabilité, le jeune juge sait qu’il y a eu meurtre mais n’applique pas la loi: « Ça pourrait aussi être un accident. » Mais n’importe quel étudiant en droit sait qu’on ne peut invoquer l’intime conviction, au seul stade de l’instruction. Et ildifficile de croire qu’après sept ans sans le moindre début de chantier, aucune des victimes de cette redoutable escroquerie- « le futur Saint-Tropez du Finistère  » promis par Antoine Lazenec- n’ait jamais osé porté plainte… Malgré ces approximations juridiques et une dramaturgie minimale où on aurait aimé que le Juge s’exprime un peu plus, ce quasi-monologue fonctionne bien et après tout, nous sommes dans une récit fictionnel… Ici, seulement des hommes d’âge différent, et en filigrane, Erwan, le fils de Martial qui mettra la lutte des classes à son programme: ce que son père n’avait pas su, ou pas voulu faire. Quant au personnage de la mère d’Erwan et ex-épouse de Martial, vaguement évoquée, n’offre  guère d’intérêt.
Sur le plateau, une découpe dans un terrain herbeux, là où devait s’élever la magnifique résidence et le fauteuil du Juge qui va écouter Martial Kermeur. En fond de scène, quelques belles images vidéo de la côte et d’une mer agitée. Emmanuel Noblet (le Juge), en costume strict et chaussures bien cirées, parfois assis mais le plus souvent debout, donne quelques répliques à Vincent Garanger (Martial  Kermeur).  Pantalon trop grand, chandail et tennis fatigués, le dos un peu affaissé, cet immense acteur est parfaitement crédible dès son entrée en scène et jusqu’au bout: diction impeccable, aucune criaillerie, aucun surjeu. Il « incarne » au meilleur sens du terme et avec une grande vérité, cet ouvrier moralement épuisé par tout ce qu’il a vécu. On le connait depuis longtemps:  Pièces de guerre d’Edward Bond, mise en scène d’Alain Françon,  La Musica Deuxième de Marguerite Duras… Il a été aussi un merveilleux Georges Dandin, dirigé par Jean-Pierre Vincent…Et il a aussi récemment joué chez Julie Deliquet dans Welfare.
Sur une heure et demi, cette performance de Vincent Garanger est exceptionnelle. Emmanuel Noblet et lui s’emparent avec une rare maîtrise de ce texte sur l’escroquerie dans l’immobilier avec ravages à la clé: plusieurs milliers d’euros à virer sur un compte bancaire douteux,
prix de vente alléchant pour piéger les acheteurs… ou encore graves malfaçons se révélant quelques mois après l’achat, comme dans certains logements construits pour les J.O. C’est aussi une des raisons du succès de ce spectacle très applaudi: personne ne peut être insensible à cette fable contemporaine où l’auteur démonte le mécanisme de l’escroquerie avec ses  ravages sur la société. Petite, moyenne ou énorme, qui, de nous, n’en a jamais subi? Et l’auteur nous invite à réfléchir sur la dignité de cette victime. Là, chapeau, le théâtre, même tiré d’un roman, fait vraiment sens. Nous souhaitons longue vie à ce spectacle.

Philippe du Vignal

Jusqu’au  12 février,  Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris ( VIIIème). T. : 01 44 95 98 00.

Le roman est paru aux éditions de Minuit.

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...