Le Misanthrope de Molière, mise en scène de Georges Lavaudant
Le Misanthrope de Molière, mise en scène de Georges Lavaudant
Ce metteur en scène des plus expérimentés, a à son actif, de remarquables et nombreuses réalisations en tout genre-et a été aussi entre autres, directeur de l’Odéon. Nous avons encore en mémoire Palazzo Mentale de Pierre Bourgeade que nous avions vu à la Maison de la Culture de Grenoble en 77, et l’année suivante Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht, puis en 90, Platonov d’Anton Tchekhov. Et combien d’autres… Plus récemment, Hôtel Feydeau, d’après Georges Feydeau et L’Orestie d’Eschyle.
Il monte ici, sauf erreur, pour la première fois une pièce en vers et en alexandrins et pour la première fois aussi, une de Molière. Sur le grand plateau de la salle Jean-Claude Carrière au Domaine d’Ô à Montpellier, plus de salon de Célimène mais un très beau châssis sur roulettes avec vingt-sept miroirs rectangulaires, en partie désargentés et une porte, au centre. Sur un sol noir parsemé de petits flocons blancs. On doit être en hiver à Paris: une scénographie de son fidèle Jean-Pierre Vergier. C’est une remarquable œuvre d’art contemporain: de nombreux artistes se sont intéressés au verre dont Bill Violla, Ernest Pignon-Ernest, Anish Kapoor…Et à ses débuts, Annette Messager.
Ce châssis, parfois retourné, laissera voir, accrochée à des cintres, une trentaine de robes longues. Et rien ici qui puisse faire penser à un salon bourgeois: ni lustre, ni meuble ni siège-les acteurs restant toujours debout-sinon à un moment, assis sur des chaises tubulaires d’école passées au brou de noix et à la fin, une petite chaise rouge pour la seule Célimène.
Eric Elmosnino n’est pas le jeune Alceste qu’on connait. Cheveux poivre et sel, en smoking et nœud papillon un vrille, mais aussi coléreux, insupportable et fascinant, voire attachant amoureux de Célimène. Ici les autres acteur-moins les actrices-n’ont pas l’âge du rôle: sans doute un parti-pris de mise en scène chez Georges Lavaudant. René Loyon avait lui aussi monté un Misanthrope avec seulement des acteurs âgés (voir Le Théâtre du Blog), ce qui donnait une dimension intéressante à la pièce. De toute façon, Molière ne donne pas d’autre indication que: la scène est à Paris. On saura de Célimène seulement à la fin, qu’elle a vingt ans: Acaste et Clitandre, les petits marquis, ont, eux, sans doute entre vingt et trente ans comme Arsinoé une amie de Célimène ou Eliante, sa cousine, Alceste ou Philinte (François Marthouret) aux beaux cheveux blancs (quatre-vingt un ans), grand acteur notamment chez Peter Brook ..
Et va commencer la scène de rupture entre Alceste très en colère-mais l’acteur agite trop et sans arrêt les bras- et son grand ami Philinte: «Je n’y puis plus tenir, j’enrage, et mon dessein/Est de rompre en visière à tout le genre humain. Se présente alors, un certain Oronte (Aurélien Recoing), assez pathétique: en complet noir avec une longue écharpe blanche, qui et après avoir essayé sans succès de flatter Alceste, va lui réciter, très content de lui, un sonnet qu’il a écrit. Il veut aussi absolument avoir son avis sur ce que lui, pense être un chef-d’œuvre. Exaspéré, Alceste qui ne supporte plus la suffisance du bonhomme et lui dira, avec de moins en moins de précautions oratoires, que son sonnet est bon à mettre au cabinet. Quand arrive la jeune veuve Célimène (Mélodie Richard), avec laquelle Alceste, très jaloux ,entre autres de Clitandre, veut mettre les choses au point sur leur relation. Et elle répondra avec élégance : « Le bonheur de savoir que vous êtes aimé. » à cet amoureux qui lui a déclaré: « Mais moi, que vous blâmez de trop de jalousie,/Qu’ai-je de plus qu’eux tous, madame, je vous prie? «
On retrouve cette suite de scènes à l’écriture magistrale et bien connues. Alceste, toujours aussi amoureux de Célimène mais exaspéré par elle, avouant simplement: « Morbleu, faut-il que je vous aime. » Cet Alceste a aussi un penchant pour la douce et belle Eliante (Anysia Mabe)… Bombes à confettis, musique de twist et Célimène va alors régler ses comptes en se moquant allègrement de personnes connues devant Acaste (Mathurin Voltz) et Clitandre (Luc-Antoine Diquéro), de petits marquis aussi ridicules que prétentieux la belle et intelligente Eliante, Basque le serviteur de Célimène, (Bernard Vergne) et Philinte, toujours conciliant et plein de bonne volonté pour arranger les choses.
Et aura bientôt lieu la célèbre et remarquable scène où Arsinoé et sa cousine Célimène vont se livrer à une guerre sans pitié… En victime expiatoire, assise sur une petite chaise au siège en velours rouge, elle sera confrontée par les petits marquis aux lettres cinglantes qu’elle envoie. La jeune Célimène humiliée mais lucide, rappellera à Alceste que « la solitude effraye une âme de vingt ans et qu’elle n’a pas du tout l’intention de le suivre s’il s’en va seul, dans la campagne: » Moi, renoncer au monde avant que de vieillir. Et dans votre désert, aller m’ensevelir! »
Célimène estime avoir bien encore l’âge et le droit de s’amuser dans les salons parisiens et de séduire et/ou être séduite… Elle finira par rompre avec cet Alceste, toujours aussi coléreux et jaloux. Il n’a toujours pas compris qu’il avait commis une erreur grossière en étant toujours aussi exigeant, brusque et contrariant. Du coup, il aimerait bien récupérer la belle Eliante mais trop tard là aussi il avait déjà perdu: elle ira filer le parfait amour avec son ami Philinte avec lequel il s’est brouillé.
Un curieux Misanthrope tiré vers la noirceur jusque dans les costumes (à part la robe de Célimène dont le haut est en partie blanc) et vers une certaine « modernité » , par Georges Lavaudant. Avec, comme toujours, un étonnant art de l’image scénique. Mais pourquoi avoir choisi des acteurs-hommes plus âgés que leur personnage? Pour introduire une certaine distance? Et ce grand plateau, avec ce châssis de verre sans doute trop imposant, convient mal à cette pièce qui demande plus d’intimité. Elle gagnera sans doute en force sur la scène de l’Athénée à Paris… où Louis Jouvet ressuscita L’Ecole des Femmes de notre grand dramaturge. Et dont Christian Bérard réalisa la célèbre et double scénographie dont on peut encore voir la maquette dans le hall du théâtre.
En cette quatrième représentation, il y avait souvent des baisses de régime, entre autres chez Mélodie Richard qui semblait souvent ailleurs et peu à l’aise comme ses autres camarades, avec la diction de l’alexandrin; seuls sont impeccables Anysia Mabe et Eric Elmosnino. Ce respect de l’alexandrin n’a visiblement n’a pas été le principal souci de Georges Lavaudant… Dommage, la langue avec ces vers à la rare élégance de Molière, Corneille ou Racine, plus de trois siècles après, reste encore actuelle, à quelques exceptions près mais …à une seule condition: que l’ensemble des acteurs la servent impeccablement. Comme, entre autres, chez Brigitte Jaques-Wajeman. Au moins, ici on entend très bien Eric Elsomino et son Alceste est d’une grande vérité. De là, à vous conseiller ce spectacle intéressant mais à la mise en scène et à l’interprétation trop inégale? Il faut espérer qu’il se bonifiera…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 28 janvier à la Cité européenne du Théâtre, Domaine d’O, Montpellier (Hérault).
Du 12 au 30 mars, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, Paris (IX ème).