Encore une journée divine, adaptation du roman de Denis Michelis, mise en scène d’Emmanuel Noblet

Encore une journée divine, adaptation du roman de Denis Michelis et mise en scène d’Emmanuel Noblet

En 99, François Cluzet jouait avec Valérie Bonneton, Jacques et Mylène de Gabor Rassov, une parodie de boulevard mise en scène de façon délirante et jouissive par Pierre Pradinas. Ici, il est seul en scène mais la folie n’a pas quitté son nouveau personnage, même si elle est beaucoup plus destructrice.
Il incarne avec talent et conviction, un thérapeute mais aussi romancier reconnu, interné à l’hôpital psychiatrique Sainte-Marthe. Un lieu qui rappelle fortement l’hôpital Sainte-Anne où a été interné Antonin Artaud de 37 à  38, avant de l’être à Rodez. Transféré en 46 au centre psychiatrique d’Ivry-sur-Seine, il y est mort deux ans plus tard.

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©Jean-Louis Fernandez

Encore une journée divine a été programmée par Jean Robert-Charrier, nouveau directeur des Bouffes-Parisiens. François Cluzet en un peu plus de vingt ans, est devenu un acteur marquant du cinéma français mais  a gardé son affinité avec le théâtre et occupe très bien le plateau. Jusqu’à nous emporter doucement dans une paranoïa colorée de mythomanie…. Tout au long de la pièce, il dialogue avec le médecin et l’infirmière qui le voient chaque jour, mais en réalité ici, avec le public… «Vous avez encore refusé que je sorte! dit il. Certains dominants n’ont honte de rien. »
Au cours de ces entretiens, on apprend qu’il a un frère Honoré, récemment disparu,  et qu’il est en secret amoureux de son épouse Wendy. Il vient aussi de publier Changer le monde, un best-seller (mondial, du moins selon lui !). «On ne peut plus supporter ce monde, alors il faut agir, littéralement dire tout haut ce que les autres pensent tout bas.» Il essaye de se contrôler mais nous observons sa chute progressive et il nous révèle les vrais motifs de son enfermement. Allant même jusqu’à appliquer sa philosophie de vie particulière à ses patients et voisins de chambre.
François Cluzet est très convaincant et sa fragilité semble bien réelle. Il a une certaine empathie pour ce personnage mais est en fait un grand manipulateur. Une belle soirée applaudie aussi ce soir-là par le président de la République, assis au premier rang de la corbeille…

Jean Couturier

Jusqu’au 18 avril, Théâtre des Bouffes-Parisiens, 4 rue Monsigny, Paris (II ème). T. : 01 86 47 72 43.

 


Archive pour 2 février, 2025

Adieu Richard Foreman

Adieu, Richard Foreman

Mort le mois dernier à New York, à quatre-vingt huit ans, il avait  créé après avoir obtenu une maîtrise en écriture dramatique à la Yale School of Drama en 1962, le Théâtre ontologique et hystérique. Il  mettra en scène une cinquantaine de ses pièces à New York mais aussi à Paris. Mais Angelface (1968) et Ida-Eyed (1969) passèrent alors inaperçues.

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A partir des années soxainte-dix, il  fut plus reconnu avec, entre autres, Sophia = (Wisdom) Part 3: The Cliffs (1972). Invité par Michel Guy, directeur du Festival d’automne, il créa Le Livre des Splendeurs (1976), Café Amérique (1981). Il réalisa la même année un film  Strong Medicine où jouaient son épouse Kate Manheim et David Warrilow, ce fantastique acteur anglais qui interpréta plusieurs pièces de Samuel Beckett.
Très  influencé par l’œuvre de Gertrud Stein qui voulait instaurer une rupture consciente avec le passé,  Richard Foreman,  nous avait-il dit quand nous l’avons connu  au début des années soixante-dix, cherchait à créer un théâtre visuel et proche de arts plastiques et surtout un autre mode de perception, pas loin d’une quête spirituelle. Pour Richard Foreman, Gertrude Stein « faisait évidemment toutes sortes de choses que nous n’avons pas encore rattrapées. «   Comme elle, Richard Foreman
a beaucoup travaillé sur la déconstruction et un certain minimalisme mais aussi sur la répétition dans le langage scénique. Comme le faisaient en sculpture et en peinture, Don Judd, Robert Morris, Carl Andre, Dan Flavin, Andy Warhol…  La répétition étant chez Richard Foreman à la base d’une sorte de quête spirituelle, à l’image d’Arthur Schopenhauer : »Voilà les hommes: des horloges ; une fois monté, cela marche sans savoir pourquoi ; à chaque conception, à chaque engendrement, c’est l’horloge de la vie humaine qui se remonte, pour reprendre sa petite ritournelle, déjà répétée une infinité de fois, phrase par phrase, mesure par mesure, avec des variations insignifiantes. »

Il voulait, dans la lignée d’Antonin Artaud, « nettoyer » l’expression théâtrale et créer une tension des relations dans l’espace. Richard  Foreman était  assis sur le devant de la scène et dos au public, régisseur bien visible de ses créations: Classical Therapy ou A Week under the Influence... Le Théâtre  ontologique et hystérique qu’il avait fondé, a sans aucun doute aussi été influencé par le cinéma expérimental et très jeune, il avait été proche du réalisateur d’avant-garde  George Maciunas.
Il avait une position ambigüe sur le texte au théâtre qu’il voyait la fois comme accessoire mais parfois répété par un ou plusieurs interprètes sur un ton neutre. Leurs  mouvements étaient d’une grande précision et ils opéraient eux-même, les
déplacements de praticables pour modifier le plateau, en profondeur ou en hauteur.
Les changements d’éclairage chez Richard Foreman étaient lents ou parfois violents
. Et les enregistrements sonores, pour la plupart, ceux de bruits urbains: klaxons, sirènes, sifflets et  de courts extraits musicaux, entre autres de jazz et des phrases sans lien, ce qui ne veut pas dire sans importance. Pas loin de John Cage, lui aussi influencé par Gertrud Stein, créant sonorités et répétitions, manipulant les mots de la vie quotidienne et considérant  les bruits comme une possible musique. Inédit à l’époque et courant aujourd’hui, comme toute véritable avant-garde…
Richard Foreman aura participé au renouvellement  de la perception visuelle et de la notion de temps sur une scène. Ensuite, loin d’être marginal, il recevra trois Obie Awards pour la meilleure pièce de l’année et quatre autres Obies pour la réalisation  et de nombreux autres prix…
Il est aussi théoricien de son propre théâtre et d
ans ses Manifestes hystériques ontologiques 2 et 3, il dit vouloir: «Atteindre le pré-conscient: écarter la personnalité. Faire que les actes de la pièce ne soient pas l’objet d’une visée, mais qu’ils soient isomorphes avec le pré-conscient et sa richesse.En d’autres mots, des actes qui à chaque occasion évoquent la source-plutôt que des actes (comme dans la vie quotidienne) qui choisissent un objet au désir et qui, en isolant cet objet de tout champ constituant, sont les vrais moyens par lesquels nous nous coupons de la source. »
Ses pièces étaient sans doute inégales mais Richard Foreman était un vrai chercheur et même si son nom ne dit déjà plus rien aux jeunes metteurs en scène actuels, il aura apporté au théâtre contemporain, en particulier  français, un élargissement considérable des moyens d’expression et un audace qui n’était pas un luxe ! Bien des spectacles aujourd’hui, même si leurs créateurs comme le public ne le savent pas, ont été influencés par son travail réalisé à une époque où le théâtre américain d’avant-garde, souvent proche des arts plastiques et de le performance, connaissait un âge d’or… mais surtout en Europe.
Avec, entre autres, les travaux des créateurs que nous avons connus: ceux silencieux ou presque de Bob Wilson à ses débuts, Meredith Monk et ses spectacles musicaux dehors ou dans le salles, le Living Theater de Judith Malina et Julian Beck, Peter Schumann, fondateur du Bread and Puppet Theatre qui jouait dans les rues de New York avec de grandes marionnettes devenues célèbres et qui avait un but politique mais aussi
le Wooster Group de Richard Schechner, le Ridiculous Theater de John Vaccaro et ses pièces musicales avec travestis qui ont beaucoup inspiré, entre  autres, des metteurs en scène comme Jérôme Savary. Et encore des artistes comme  Stuart Sherman et ses interventions-en solo et volontairement anodines- dans les rues de New York. Richard Foreman  était sans doute un créateur à part mais faisait aussi partie de cette grande famille artistique.
Merci, Richard.

Philippe du Vignal

Richard Foreman (abécédaire) d’Anne Bérélowitch, préface de Bernard Sobel, metteur en scène et ancien directeur du Centre dramatique national de Gennevilliers, est édité chez  Actes Sud-Papiers.

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