Sept leçons et cinq contes moraux, d’après Elizabeth Costello, L’Homme ralenti, L’Abattoir de verre de John Maxwell Coetzee, mise en scène de Krzysztof Warlikowsk
Sept leçons et cinq contes moraux, d’après Elizabeth Costello, L’Homme ralenti, L’Abattoir de verre de John Maxwell Coetzee, mise en scène de Krzysztof Warlikowski (spectacle en polonais surtitré en français et en anglais)
La pièce créée en avril dernier au Nowy Teatr à Varsovie, n’avait pas convaincu le public du festival d’Avignon dont une bonne partie avait abandonné en cours de route (voir Le Théâtre du Blog). Jean Couturier regrettait une dramaturgie peu claire avec le plus souvent, deux à quatre personnages perdus sur l’immense scène de la Cour d’honneur… Nous avons voulu voir ce que cela pouvait donner sur le plateau de la Colline, nettement plus adapté.D’abord en guise de préambule de ce spectacle estouffadou-quatre heures avec un court entracte-un dessin animé style manga, où une adolescente, grands yeux vides et cheveux violets, dit: « Je n’ai pas de voix. » Un personnage à la voix un peu artificielle, tirée d‘Anywhere out of the world (2000) un film de Philippe Parreno.
Krzysztof Warlikowski qui avait déjà fait jouer le personnage de cette Elisabeth Costello imaginée par J. M. Coetzee,, romancier et professeur en littérature australien,prix Nobel 2003, dans plusieurs de ses spectacles dont Phèdre(s), va ensuite durant quatre heures-avec une bref entracte-nous offrir des moments de sa vie Ici interprétée par plusieurs actrices et un acteur.
Mais il entend bien faire évoluer son théâtre avec ce nouvel opus: “Je ne vois plus de sens à raconter des histoires ; je m’intéresse plutôt à montrer quelqu’un de libre et qui l’exprime à travers la parole. Je ne voulais pas trop la déterminer, d’où les différentes incarnations du personnage sur scène. » Il maîtrise de façon toujours aussi remarquable cette technique du récit par morceaux mais ici l’ensemble fonctionne beaucoup moins bien! Fiction et vérité, long questionnement sur le sens de la vie et surtout sur la fin de notre existence sont les sujets de réflexion qui préoccupent Elisabeth Costello, un personnage qui traverse plusieurs romans de John Maxwell Coetzee. Autrice importante invitée à faire des conférences sur son œuvre, sur sa théorie de la littérature et à participer à des colloques en Europe et dans le monde, elle discute aussi avec son fils qui l’accompagne. On passe d’une chambre d’hôtel à des sièges d’avion, puis à un restaurant. La première partie est d’une lenteur absolue et les monologues succèdent aux monologues logorrhéiques: c’est long comme un jour sans pain, disaient nos grand-mères…
Cette Elizabeth Costello, ici impeccablement jouée à plusieurs âges de sa vie, fascine depuis longtemps Krzysztof Warlikowski mais ici, on ne voit pas bien où il veut emmener les spectateurs! Un jeune couple près de nous dormait paisiblement et n’est pas revenu après l’entracte… comme de nombreux autres lassés par ce qui ressemble à une quête existentielle. Même si on ne se lasse pas de regarder cet immense espace vide ou presque- la marque de fabrique de Krzysztof Warlikowski- imaginé par Małgorzata Szczęśniak, sa remarquable scénographe qui a signé les costumes: côté jardin, des toilettes avec lavabo comme dans Damön, de temps en temps fermées par un long rideau, une chambre d’hôtel, un cabaret figuré par quelques tables. Côté jardin, une autre table pour dix convives alignés, de grandes images vidéo de glaciers avec un bateau, des forêts tropicales… Et côté cour, une espèce de couloir sur roulettes aux hautes vitres où peuvent se tenir plusieurs personnages et qu’on avait déjà vu où dans sa merveilleuse adaptation d’A la Recherche du temps perdu de Marcel Proust.
Des images de toute beauté, mais difficile de suivre à la fois le texte en surtitrage, placé beaucoup trop haut, et les acteurs sur scène aux voix rendues trop uniformes à cause des micros H.F., leurs visages projetés sur grand écran: on s’étonne que le grand metteur en scène polonais utilise encore ce genre de poncifs… Et rien à faire, la dramaturgie ne suit pas et mieux vaut avoir le mode d’emploi, si on n’a pas lu les romans de J.M. Cotzee: tout semble ici un peu superficiel et il n’y a guère d’ émotion! Ce gros avion n’arrivera pas à décoller, sauf à la fin, après trois heures: là enfin! on retrouve le grand Warlikowski. Mais pour le reste, tout se passe comme s’il avait surtout avoir voulu se faire plaisir à lui plutôt qu’au public .
Dans le second volet, Elisabeth Costello, devenue à la fin une grand-mère aux cheveux blancs, un peu diminuée et très angoissée- bien incarnée par Maja Komorowska (quatre-vingt sept ans)- pensant à sa fin de vie et à sa disparition qui lui semble proche. Elle parle aussi de la mort cruelle des animaux dans les abattoirs. C’est un des rares bons moments d’un spectacle trop » gentil », trop conforme à l’esthétique maintenant bien connue du metteur en scène polonais (grands espaces, éclairages parfois violents, vidéos… mais ici auto-académique et sans véritable force théâtrale!
Cette pièce ne nous a jamais surpris et nous sommes ressortis fatigués et déçus. Le spectacle, dans une salle à la fin à moitié vide, a été mollement applaudi et il y a juste eu deux rappels. Mariusz Bonaszewski, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dałkowska, Bartosz Gelner, Małgorzata Hajewska-Krzysztofik, Jadwiga Jankowska-Cieślak, Maja Komorowska, Hiroaki Murakami, Maja Ostaszewska, Ewelina Pankowska, Jacek Poniedziałek, Magdalena Popławska, tous impeccables, sauvent le spectacle…
Krzysztof Warlikowski, metteur en scène des plus expérimentés-il a signé des dizaines de spectacles- que nous avons connu mieux inspiré, pourrait se demander pourquoi à Avignon, comme au Théâtre de la Colline, le public sans aucun jeune, a boudé le récit de la vie de cette Elisabeth Costello. Sans doute en grande partie à cause d’une mauvaise balance entre un texte difficile à lire, parfois obscur, trop lourd et aux sur-titres retransmis sur grand écran, les visages des acteurs ou de paysages et des images redondantes comme, à la fin, ce troupeau de moutons quand Ellisabeth Costello parle de la mort d’un mouton… « L’écran, dit la philosophe Marie-José Mondzain, instaure un nouveau rapport entre la mimesis et la fiction. Faut-il redire cette chose triviale, d’évidence, que l’écran n’est pas une scène. «
Philippe du Vignal
Jusqu’au 16 février, La Colline-Théâtre National, 15 rue Malte Brun, Paris (XX ème). T. : 01 44 62 52 52.