Festival Faits d’hiver: Love Chapter 2 de Sharon Eyal et Gai Behar

 Festival Faits d’hiver

Love Chapter 2 de Sharon Eyal et Gai Behar

Cette pièce créée en 2017 à Montpellier danse faisait suite à O C D Love, premier chapitre ou volet d’un triptyque. Empruntant à la technique Gaga-laquelle n’a pas de rapport avec Dada-développée par son mentor Ohad Naharin qui a mis au goût du jour l’expression corporelle des années baba cool, Sharon Eyal  arrive à épater un public de plus en plus large, allant des danseurs professionnels comme Dominique Rebaud, aux amateurs de néo-classique et contemporain. Près d’une heure durant, sept samouraïs de la danse, la majorité penchant d’une unité en faveur de ces dames, ne cessent de s’exprimer, s’escrimer, s’agiter au bon sens du terme. Sans intermède ni interruption. Sans se dérober en coulisse, sans reprendre haleine. Naturellement, l’immobilité, le surplace, l’alenti du début est de courte durée, illustré phoniquement par un métronome au son augmenté. Suit une composition aux petits oignons d’Ori Lichtik. Électro et, par endroits, également acoustique, avec ajouts de percussions en chair et en os et staccati dissonants.

© @ André Le Corre

© André Le Corre

On ne retrouve plus dans le titre la notion d’O.C.D (désordre compulsif obsessionnel, autrement dit, de tic ou de T.O.C.), mais la forme ou la formule mise au point par Eyal et Behar, use de mouvements en apparence désordonnés. En apparence, du moins, en réalité sous contrôle. Pour preuve: la coordination gestuelle toujours juste de la petite troupe et qui n’est pas synonyme d’unisson : les effets de décalages, variations sur un même thème, échappées libres dans des solos de haute volée sont constants et viennent contrebalancer le travail d’ensemble.
Les justaucorps, confectionnés par Odelia Arnold, Rebecca Hytting et Gon Biran, remplacent joliment les académiques de la modern dance. Les tenues sont sexy et unisexe mais, au lieu de deux bretelles comme leurs consœurs, les trois garçons se contentent d’une, comme les Hercule de foire. De même, le style de chevelure est strict. Les unes ont le chignon des ballerines d’antan, les autres arborent une coupe courte. Tous ou presque, gominés. L’accessoire étant banni, le jeu atmosphérique et métrique des lumières d’Alon Cohen permet de se passer de décor et il faut le signaler, de fumigènes !


Nous devons nommer les extraordinaires interprètes distribués pour l’occasion : Darren Devaney, Heloise Jocqueviel, Juan Gil, Alice Godfrey, Johnny McMillan, Keren Lurie Pardes et Nitzan. La technique exigée par Sharon Eyal ne leur fait pas peur mais les galvanise. Ne les rebute pas l’abstraction géométrique, tempérée, certes, par des velléités sentimentales, regards en coin et petits cris de soulagement ou d’encouragement.
La contrainte étant d’ordre poétique, la mathématique leur permet de s’exprimer pleinement. Le final est empreint de lyrisme, « bauschien »,  rehaussé d’une magnifique milonga pampeana Quimey Neuquen de José Larralde (1967) dédiée aux Indiens Mapuche et à la nature. Au ciel, au soleil, à la pluie.

Nicolas Villodre

Spectacle vu à l’Espace 1789,  2 rue Alexandre Bachelet, Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). T. : 01 40 11 70 72

 


Archive pour 9 février, 2025

Il ne m’est jamais rien arrivé de Vincent Dedienne, mise en scène de Johanny Bert

Il ne m’est jamais rien arrivé textes de Jean-Luc Lagarce choisis et dits par Vincent Dedienne, mise en scène de Johanny Bert

Un spectacle joué en parallèle, au théâtre de l’Atelier de Juste la fin du monde avec Vincent Dedienne dans le rôle de Louis ( voir Le Théâtre du Blog).  Qui était Jean-Luc Lagarce? Mal connu de son vivant, il est un des auteurs contemporains les plus joués en France et ses pièces, traduites en vingt-cinq langues, ont été jouées dans de nombreux pays. Mais il est aussi l’auteur d’un Journal de huit cent pages absolument formidable tenu jusqu’à sa mort. Il aurait aujourd’hui soixante-dix sept ans. Vincent Dedienne part comme en exploration dans les Carnets de celui qui a eu une vie souvent solitaire entre Paris et Besançon dans les années soixante-dix à quatre-vingt.

© Jeans-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Le souvenir que nous gardons de lui est un Jean-Luc Lagarce terriblement amaigri par le sida, venu gentiment nous apporter lui-même une photo pour un article sur La Cantatrice chauve qu’il avait remontée. Nous avons un peu parlé puis nous lui avons offert un café mais il n’avait pas trop le temps. Il est parti et nous ne l’avons jamais revu: mort peu après, à seulement trente-huit ans en 95 ! Il demande dans ce Journal que rien ne rappelle son existence: aucn nom, et aucune date sur sa tombe. Qu’importe son théâtre est joué partout et
Vincent Dedienne voulait évoquer la vie de l’auteur: « J’ai toujours voulu faire quelque chose avec le Journal de Lagarce. La proposition de Johanny de me confier le beau rôle silencieux de Louis dans Juste la fin du monde, a été le déclencheur : tout ce que sa famille voudrait que Louis dise, et tout ce qu’il tait, je le dirai moi, au public, dans ce seul-en-scène ! »
Il a choisi des extraits  de ses Journaux: vingt-trois cahiers  de 1977-il avait juste vingt ans -jusqu’en 95, trois jours avant sa mort, des suites du sida. Et de Trois Récits :  Le Voyage à La Haye, et Le Bain. « La proposition de Johanny Bert de monter Juste la fin du Monde et de me confier le beau rôle de Louis, le fils taiseux, a été le déclencheur : tout ce que sa famille attend qu’il dise, qu’il dise enfin (c’est-à-dire « voilà qui je suis ») et tout ce que Louis ne leur dira pas, je l’imagine et je le dirai au public, dans ce seul en scène tiré des Journaux. « Il ne m’est jamais rien arrivé…. juste la fin du monde». Voilà ce que Jean-Luc pourrait « hurler une bonne fois (…) seul dans la nuit, à égale distance du ciel et de la Terre. »
Vincent Dedienne nous fait revivre avec une impeccable diction, le jeune homme fou de théâtre qui, à Besançon, crée sa compagnie le Théâtre de la Roulotte, aujourd’hui occupé parr Stéphanie Ruffier, spécialiste du théâtre de rue. Cela aurait bien plu à Jean-Luc Lagarce… Le comédien nous raconte les rapports difficiles  du dramaturge avec ses parents qui ne comprennent pas qui il est, comme son frère et sa sœur.  Sa mère gouvernant son père et voulant diriger son fils. Il note assez drôlement: avec cela comment ne pas devenir homosexuel!
Mais ce solo est aussi l’occasion de raconter aussi une vie déchirée entre Besançon et Paris, ses histoire de sexe et d’amour avec des garçons le plus souvent rencontrés aux Tuileries à Paris, dans une rue de Lyon, la découverte de sa séropositivité, ses innombrables rendez-vous avec des spécialistes à l’hôpital où une infirmière dit qu’ils sont heureux d’avoir un metteur en scène comme patient! Et les dizaines d’analyses de sang, d’urine mais aussi d’excréments à envoyer par la Poste .. Jean-Luc Lagarce ne nous épargne rien mais il semble malgré tout assoiffé de vivre et de braver la mort: il parle de son émerveillement pour Peer Gynt mis en scène par Patrice Chéreau qu’il a vu au T.N.P. à Villeurbanne, les textes d’Hervé Guibert…
Jean-Luc Lagarce sait qu’il va mourir comme un de ses amants préférés qu’il voit décliner à chque fois qu’il le voit mais dans son Journal, il note aussi soigneusement comme pour exorciser les choses le nom des artistes qu’il a connus et qui se sont envolés: Coluche, Delphine Seyrig, Jacqueline Maillan, Michel Serrault, Patrick Dewaere, Roland Barthes et tous ceux emportés par le sida : Bernard-Marie Koltès, Copi, Michel Foucault, Hervé Guibert, Jacques Demy… Cela fait quand même beaucoup! On sait moins qu’il y eu aussi des hommes politiques comme Michel Guy, ancien ministre de la Culture qui avait créé le festival d’automne. Et les jeunes générations qui n’ont pas connu celles qui ont vécu cette sale période, doivent avoir du mal à réaliser à quel point cette épidémie a été ravageuse…
Johanny Bert, dans une mise en scène très dépouillée mais singulièrement efficace nous fait revivre Jean-Luc Lagarce  comme si on le voyait: déjà bien malade. Et à la fin, le médecin diagnostique la perte d’un d’un œil puis sans doute de l’autre. Pourtant il se racorche à la vie et refuse d’être hospotalisé ete déclare aux médecins qu’il a beaucoup de trop de choses à faire en priorité pour sa compagnie! Et il sera très heureux de la réussite de La Cagnotte d’Eugène Labiche jouée en tournée. Ce spectacle pourrait être triste mais non, on se dit qu’après tout, il aura eu une vie riche, même s’il est mort quand ses textes commençaient à être seulement connus.

Sur le plateau noir, à cour,  Irène Vignaud fait sur une tablette, des croquis  en blanc, projetés sur un rideau de fils noirs: la terrasse du Père Tranquille aux Halles, les visages de Coluche, etc.  Et elle note quelques dates rayées au fur à mesure: celles d’une vie qui s’en va inexorablement vers sa disparition! Cetta artiste apporte avec discrétion beaucoup au spectacle.
Johanny Bert dirige avec sensibilité et précision Vincent Dedienne. Habillé tout en noir, il évoque avec humour et tendresse cette vie qui s’est éteinte il y a déjà trente ans. A un moment, il joue avec une marionnette à taille humaine d’un blanc immaculé, celui symbolique des hommes avec qui le dramaturge a fait l’amour. A la fin, il y a cette phrase à la fois douloureuse et pleine d’espoir: «Je disparais, mais tout va bien. »  Comment ne pas être bouleversé  par cette impeccable évocation scénique de ce dramaturge à la si courte vie. Allez absolument voir ce court mais magnifique solo que nous n’oublierons pas et qui fera date. Il reste peu de jours à l’Atelier mais sera sans doute  repris.


Philippe du Vignal

 Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, Paris (XVIII ème). T . :  01 46 06 19 89.

Le Sémaphore, Cébazat (Puy-de Dôme), du 25 au 27 mars et La Halle aux Grains, Blois (Loir-et-Cher), le 29 mars.

L’ensemble de l’œuvre de Jean-Luc Lagarce est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs qu’il a fondées en 1992 avec François Berreur.

 

 

C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule, écriture et mise en scène de Johana Giacardi

C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule, écriture et mise en scène de Johana Giacardi

Le titre vous chatouille la mémoire, pour peu que vous ayez vécu au siècle dernier. C’est une phrase due à Michel Audiard, le roi (plutôt anarchiste) du dialogue dans les grands films populaires à la française.  reprise pour le titre de celui de Jacques Besnard sorti en 1975, avec, entre autres, Christian Clavier, Gérard Jugnot et Thierry Lhermitte à leur période café-théâtre. Ce qui ne nous rajeunit pas…
Mais ce n’est pas le propos de Johana Giacardi. Elle s’intéresse à une autre idole du temps passé et non du cinéma mais de la radio: Macha Béranger. Allo, Macha ? La nuit, c’était l’heure des confidences et des émotions dans le noir. Elle écoutait et répondait avec sa voix grave, brisée et tendre. L’idée : il faudrait écouter les gens ordinaires, «normaux» ou non, et pas seulement les « experts » détachés par contrat, de toute affectivité et de tout mal-être ou besoin de consolation.

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© Fanny de Chaillé

 

Cela donne un spectacle assez éloigné de la radio, dans un jeu astucieux de tricotage entre improvisation, construction, récits et mots lancés comme des balles, d’un côté à l’autre de la piste circulaire, image de possible table ronde. Entre vérité et fiction- qui n’est pas mensonge mais déguisement-on voit se révéler des Super-Z-héros dans leur costume rituel, on assiste à l’éclosion de confidences joliment mises en scène, sur fond de culture commune (le clown, Roméo et Juliette)… Avec cinq jeunes comédiennes vives, drôles, pleines d’énergie et même, par instants, émouvantes. D’autant qu’elle payent de leur personne en donnant la matière des récits. Les spectateurs, sollicités à participer, acceptent joyeusement de devenir « confidents ».
Au passage, la matrice café-théâtre des années soixante refait surface, quoique la meneuse de jeu la refuse (ou fasse semblant ?). Casser en douceur le mur qui sépare le théâtre, du café, le spectateur passif, des acteurs actifs (pléonasme) et enfin, la scène, de la salle…  Du déjà vu mais Johana Giacardi le sait, qui déjoue à l’avance la critique, dans une savoureuse parenthèse.

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©Fanny de Chaillé

Et sans le faire exprès (mais, va savoir, avec tout ce jeu de vrai-faux et de chausses-trappes…), elle pose l’un des paradoxes du théâtre. Pourquoi la « participation» ne marche pas ? Parce qu’on n’en a pas besoin. Elle est déjà là dans le théâtre « sage »  et traditionnel. Rire, écouter dans un silence intense, c’est participer. Huer, lancer des tomates (pratique heureusement désuète), surtout quand elles visent les « méchants », c’est participer. Mais essayer quand même de faire sauter la frontière entre les groupes de spectateurs et acteurs (ou l’inverse) permet avec bonheur au spectacle vivant de rencontrer un public tout aussi vivant.  Un bon point pour la compagnie les Estivants et pour sa meneuse Johana Giacardi. Tout cela pour un spectacle modeste, très travaillé et têtu même s’il se donne des apparences bohèmes avec un brin d’insolence,  et qui fait plaisir.

Merci donc au Théâtre Public de Montreuil qui a invité cette «belle et rebelle » (Ha! Ha !) bande de filles dans un cadre qui n’en est pas un, puisque les spectacles sont hors-cadre avec T.P.Mob, autrement-dit mobile, dans plusieurs quartiers et auprès des collectivités avec des ateliers proposés par les artistes, ils donnent corps au rêve de la Décentralisation : du théâtre partout et pour tous, sans intimidation… Un peu de corps, c’est déjà beaucoup. Il faut bien s’y mettre, surtout au temps de : «Debout pour la Culture»…

 Christine Friedel

Spectacle vu à La Parole errante, Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Et du 11 au 15 février au Théâtre Public de Montreuil, salle Maria Casarès, 63 rue Victor Hugo, Montreuil. T. : 01 48 70 48 90.

Pour les représentations hors-les-murs, billetterie responsable : 20, 15, 10, 5 ou zéro €, selon vos moyens, En sachant qu’une place pour un modeste spectacle (mais comptant de nombreuses heures de travail) revient à 87 €. Heureusement, il existe encore des subventions !

 

 

 

 

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