Livres et revues Un Siècle d’avant-garde, Essai sur le théâtre étasunien d’Emeline Jouve

 

Livres et revues

Un Siècle d’avant-garde, Essai sur le théâtre étasunien d’Emeline Jouve

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Cette professeure à l’université Toulouse-Jean Jaurès dont les recherches portent sur le théâtre d’avant-garde aux Etats-Unis, est l’autrice, entre autres, de Susan Glaspell’s Poetics and Politics of Rebellion (2017), Avignon 1968 et le Living Theatre. Mémoires d’une révolution (2018) et Paradise Now en paradis : une histoire du Living Theatre à Avignon et après,1968-2018 (2022). Elle a aussi codirigé diverses revues et ouvrages collectifs sur des écrivaines comme la célèbre Gertrude Stein et Susan Glaspell, célèbre poète et dramaturge du XX ème siècle mais peu connue en France.  Et des compagnies le Living Theatre
Cette compagnie a été créée à New York en 1951 par Judith Malina et Julian Beck mort en France il y a déjà quarante ans, et elle, il y a dix ans. Leur pratique était fondé sur un mélange fiction et réalité, tout à fait nouveau pour l’époque et étaient influencés par les happenings, le yoga, les exercices de Joseph Chaikin qui, un temps, fut acteur au Living. Ils mettent en avant l’improvisation,  entre autres dans Connexion où les acteurs jouaient avec de vrais drogués ou dans
Misteries and smaller pieces où ils crachaient sur le public… ou plutôt faisaient semblant, un spectacle que nous avions vu à Paris. Ce qui soit-dit en passant, ne scandalisait personne, même pas Francis Blanche qui rigolait… Ils privilégient surtout  un théâtre fondé aussi sur l’expression gestuelle…
Face à la guerre du Viêt nam, le Living monte des spectacles comme The Brig sous l’influence du Théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud  où il dénonce les violences dans les prisons. A réécouter les interviews que nous avions faites de Judith Malina et Julian Beck quand ils habitaient à Chatou (Yvelines), ils ont bien été d’avant-garde à New York dans les années cinquante. Ensuite, ils auront surtout pour but de créer un théâtre sans véritables dialogues aux messages révolutionnaires comme  ces remarquables Seven Meditations que nous avions vues au festival Sigma à Bordeaux. Mais on ne touche pas à un cheveu d’un citoyen américain jouant avec sa compagnie dans un pays étranger. Et quand Julian Beck sera mis en taule au Brésil, l’administration des Etats-Unis essayera de faire sortir non l’artiste mais le citoyen.
Tous les membres du Living adopteront un style de vie monacal communautaire et une vie sexuelle libérée. Cela dit, Julian Beck devait bien faire vivre ses acteurs et dirigeait sa troupe comme une entreprise: il acceptait les dons sans état d’âme et savait aussi bien vendre ses spectacles à des festivals  comme Sigam ou celui d’Avignon (encore jeune: vingt-deuxième édition) que dirigeait encore Jean Vilar mais le Living ne jouera finalement pas Paradise Now  à Avignon même mais gardera l’enveloppe des cachets dans un geste qui se voulait contestataire. Il pourra en tout cas se vanter d’avoir mis le feu aux poudres et ensuite Jean Vilar épuisé et sans doute écœuré, démissionnera…
L’ influence du Living qui fera subir une cure de jouvence au théâtre en France comme en Europe, avec surtout la mise en valeur du corps sur la scène et un nouveau regard du public. Avec une scénographie non frontale et souvent aussi ailleurs que dans les théâtres traditionnels… Bref ce que on voit partout maintenant. Il a beaucoup joué en France mais une seule fois à Paris et surtout au festival Sigma à Bordeaux dans les années soixante-dix. L’autrice rappelle  aussi l’importance du Wooster Group dirigé par l’universitaire Richard Schechner qu’il avait créé en 67 et qui utilisait la totalité de l’espace du lieu scénique et voulait faire sortir l’événement théâtral, hors des murs habituels, du côté de la performance et le Big Art Group d’Andrew Schneider.  mais aussi sur la présence du théâtre des Etats-Unis en France.
Cet essai fait la part belle avec intelligence et précision l’histoire du théâtre de cette époque, dit d’avant-garde à New York. Reste, comme dit l’autrice, à «dépasser le concept discriminant d’avant-garde historique et à aborder la création de pièces iconoclastes.» Selon elle, une première vague irait de 1910 à 1940, puis une deuxième jusqu’aux années soixante-dix et une troisième jusqu’à aujourd’hui, avec un théâtre, le plus souvent marginal, à New York. Ce livre peut être une bonne approche à la compréhension du théâtre américain, surtout new yorkais, de ces années-là.

L’analyse de ce pan essentiel de l’histoire du théâtre bien détaillée, ne se veut pas exhaustive.  Mais nous nous étonnons un peu que les projecteurs  soient dirigés sur quelques metteurs en scène et théoriciens, ce qui fausse la vision… Pour importants qu’il soient, d’autres ne l’étaient pas moins, comme ceux que nous avons bien connu: ainsi Richard Foreman, disparu le mois dernier comme John Vaccaro qui monta des spectacles musicaux avec chansons et dialogues très crus (mais non traduits!) comme dans Cockstrong, en slang, l’argot américain et qui influencèrent nombre de metteurs en scène européens, entre autres, Jérôme Savary. Ou encore Stuart Shermann avec ses minuscules spectacles sur des trottoirs de New York et qui avait réussi sur une table pliante et objets des plus banals qu’il appellait: « artefacts bons marché  ». Seul à les manipuler dans un silence absolu mais dans le bruit de la rue, il les associait et remplaçait les mots par des images, arrivant à créer ainsi un langage poétique…
Et, tous souvent accueillis en France comme bien sûr, le merveilleux Peter Schumann qui, avec de grandes marionnettes manipulées à vue dans les rues de New York pour protester contre la guerre menée par les Etats-Unis au Viet nam.   Lui aussi eut une influence considérable et n’en déplaise à Laurent Wauquiez, la France compte maintenant de très bonnes écoles consacrées à cet art. Ou encore, Robert Anton qui, avec de très petites marionnettes et devant une douzaine de spectateurs-un choix artistique clair et assumé créa de remarquables spectacles poétiques d’une cruauté exceptionnelle et étaient interdits aux enfants au festival de Nancy.  Et Meredith Monk, la seule encore vivante avec Peter Schumann et Richard Shechner. Chanteuse, compositrice, auteure et metteuse en scène de spectacles la nuit sur des places publiques mais aussi d’un opéra à l’Houston Grand Opera (Texas). Il y a, à la fin de ce livre, un bon glossaire-bienvenu, une bibliographie sérieuse et un index. Que demande le peuple?  Nous vivons une époque moderne, disait Philippe Meyer…

 Philippe du Vignal

Editions Deuxième époque. 25 €.

 

 

 


Archive pour 11 février, 2025

La Crèche texte et mise en scène de François Hien

La Crèche, texte et mise en scène de François Hien

Cet auteur et remarquable metteur en scène de La Peur, inspirée de l’affaire Barbarin sur la pédophilie dans l’Eglise ( voir Le Théâtre du Blog) s’est inspiré de l’affaire Baby-Loup à Chanteloup-les-Vignes, une ville nouvelle des Yvelines. On l’a un peu oubliée mais elle avait fait grand bruit en 2008, une année riche en événements: l’interdiction de fumer s’applique dans tous les lieux publics, la Société générale révèle la fraude de Jérôme Kerviel et la perte de 4,9 milliards d’€… Et il y a surtout le mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni ! Silvio Berlusconi, lui,  allait diriger l’Italie pour la troisième fois! Mais le grand poète Aimé Césaire, l’acteur Farid Chopel, le couturier Yves Saint Laurent et le cinéaste Jean Delannoy s’en allaient voir les étoiles…

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Le spectacle créé au T.N.P. à Villeurbanne, il y a deux ans n’a rien perdu en intensité: la directrice de la crèche Bicarelle à Puits-Hamelin (Yvelines) où sont employées des habitantes du quartier et qui est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, ce qui facilite la vie de nombreuses familles, Patricia, sa directrice va devoir licencier Yasmina, une salariée qui tient à porter le voile pendant ses heures de travail. Elle avait nommé Yasmina, sous-directrice et celle-ci, avant d’être en congé maternité et ensuite parental pendant cinq ans, avait eu entre temps, d’autres enfants. Quand elle revient, elle  exige de travailler en portant le voile, contrairement au règlement intérieur formel de la crèche… Les relations entre les deux femmes vont vite de se dégrader : Yasmina prétend avoir le droit de témoigner de sa religion et estime être victime de discrimination.
Patricia, elle, récuse avec force une accusation d’islamophobie… et veut s’en tenir au seul règlement et à la laïcité dans les espaces publics appliquée, selon la loi de 1905. Très vite, le quartier populaire comptant de nombreux musulmans, va s’embraser. Mais, selon Alain Finkielkrault que cite François Hien dans son essai
Retour à Baby -Loup, contribution à une désescalade : «S’il n’y a d’affaire du voile qu’en France, c’est bien que la France n’en a pas tout à fait fini avec la tradition galante.»Ni, pourrait-on ajouter, avec la guerre d’indépendance de l’Algérie que personne ici n’a connue mais qui laisse des traces réelles… La jeune femme veut obtenir une lourde indemnité de licenciement : 80.000 € ! Que le budget de la crèche de toute façon,ne permettrait absolument pas de lui accorder. Plusieurs procès se succèderont.

Yasmina aura-t-elle dû gagner aux Prudhommes puis en appel? La Cour de Cassation, elle, sera favorable à l’application pure de la neutralité confessionnelle,comme le prévoit la loi. Une affaire insoluble dans la mesure où il y avait trop d’enjeux à la fois et sociétaux sur fond de médiatisation. Et qui fait tache d’huile dans toute la France : ici  s’affrontent deux conceptions de la laïcité avec, en toile de fond, d’un côté un refus de voir la réalité et de l’autre, une mauvaise interprétation de la loi. Et où le rôle des parents n’est pas le même selon leur origine. Une situation inextricable… aussi dans la vraie vie. Et comme le souligne François Hien, « il y a une certaine immoralité dans le reproche fait aux habitants des quartiers populaires de n’avoir pas reçu ce qu’on a renoncé à leur donner. » On a aussi oublié les sanctions imposées aux petits élèves qui parlaient le breton dans la cour de récré, encore au milieu du siècle dernier : faire des des dizaines de lignes de :«Je ne parlerai plus breton. » Une histoire qui n’est pas encore finie: l’an passé, il y a eu dans un grand théâtre national, deux spectatrices n’ont pas apprécié pas que les serveuses du bar portent le voile et elles l’ont dit à une responsable de l’accueil qui a pris leur défense. Les spectatrice en question ont été vite entourées par le service d’ordre.. et ont dû quitter ce théâtre.

Il y aura des réunions houleuses avec le personnel de la crèche où, comme toujours dans ce cas-là, certains hésitent à témoigner d’autant que Yasmina demande carrément de faux témoignages quand à la date de son port de voile.  Le maire de la commune et ses adjoints ont hâte que cette affaire soit close et reprochent à Patricia, son intransigeance et son refus de négocier… Elle sent que le vent n’est pas en sa faveur et quittera à regret cette crèche exemplaire à qui elle avait beaucoup donné mais qui sera fermée, au grand dam des habitants. Une commune proche offrira alors à Patricia, d’accueillir cette crèche et d’en assurer la direction. Quant à Yasmina, elle deviendra puéricultrice à son domicile. Après une dernière entrevue où on sent comme le tout début d’un apaisement, elles reconnaissent chacune du bout des lèvres que cette affaire n’aurait jamais dû en arriver là…Pouvait-il y avoir une autre issue? Chacune y aura un peu perdu mais au moins, une solution minimale et une certaine sérénité auront été trouvées. Bien entendu, les protagonistes ne se reverront jamais…

François Hien a écrit de remarquables dialogues et conçu une mise en scène bi-frontale avec quelques accessoires et petits meubles (un peu trop souvent bougés). Et sa direction de neuf jeunes actrices-au jeu inégal-est impeccable. Mention spéciale à celles qui interprètent Patricia, Yasmina et les deux avocates. Très concentrées, comme leurs camarades de La Peur, elles donnent une vie indéniable à cette fresque sociale mais autant le texte de La Peur est serré, autant celui-ci est souvent bavard, et parfois répétitif.
Et après l’entracte, la seconde partie sauf est moins convaincante. L’ensemble gagnerait beaucoup à être resserré et joué sans pause. Fallait-il trois heures pour raconter cette histoire? La réponse est clairement : non. Et la dramaturgie, plus cinématographique avec de très courte scènes, que théâtrale, ne fonctionne pas bien. Malgré une excellente direction des actrices, un scénario solide  et une réelle approche de ce que peut produire une compréhension mutuelle dans un conflit social. Mais bien entendu, il ne s’agissait pas pour François Hien de refaire le film de cette aventure humaine exemplaire. Il réussit  au moins avec ce théâtre très accessible et qui ne tombe jamais dans la facilité, à donner matière à réfléchir sur les conséquences d’actes qui peuvent diminuer, voire casser le lien social.  » Ce devrait être l’impératif moral de tout intellectuel, dit l’auteur et metteur en scène, de laisser la fureur à ceux qui n’ont pas le luxe de s’en prémunir: s’efforcer, à l’abri du du danger, de travailler à la désescalade. »  Ce spectacle, à sa juste place, y réussit vraiment et ce n’est pas si fréquent dans le théâtre contemporain, public et encore moins privé.

Philippe du Vignal

Spectacle vu  le 9 février, au Cent-Quatre, 5 rue Curial, Paris (XIX ème). T. : 01 53 35 50 00. 

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