La Crèche texte et mise en scène de François Hien
La Crèche, texte et mise en scène de François Hien
Cet auteur et remarquable metteur en scène de La Peur, inspirée de l’affaire Barbarin sur la pédophilie dans l’Eglise ( voir Le Théâtre du Blog) s’est inspiré de l’affaire Baby-Loup à Chanteloup-les-Vignes, une ville nouvelle des Yvelines. On l’a un peu oubliée mais elle avait fait grand bruit en 2008, une année riche en événements: l’interdiction de fumer s’applique dans tous les lieux publics, la Société générale révèle la fraude de Jérôme Kerviel et la perte de 4,9 milliards d’€… Et il y a surtout le mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni ! Silvio Berlusconi, lui, allait diriger l’Italie pour la troisième fois! Mais le grand poète Aimé Césaire, l’acteur Farid Chopel, le couturier Yves Saint Laurent et le cinéaste Jean Delannoy s’en allaient voir les étoiles…
Le spectacle créé au T.N.P. à Villeurbanne, il y a deux ans n’a rien perdu en intensité: la directrice de la crèche Bicarelle à Puits-Hamelin (Yvelines) où sont employées des habitantes du quartier et qui est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, ce qui facilite la vie de nombreuses familles, Patricia, sa directrice va devoir licencier Yasmina, une salariée qui tient à porter le voile pendant ses heures de travail. Elle avait nommé Yasmina, sous-directrice et celle-ci, avant d’être en congé maternité et ensuite parental pendant cinq ans, avait eu entre temps, d’autres enfants. Quand elle revient, elle exige de travailler en portant le voile, contrairement au règlement intérieur formel de la crèche… Les relations entre les deux femmes vont vite de se dégrader : Yasmina prétend avoir le droit de témoigner de sa religion et estime être victime de discrimination.
Patricia, elle, récuse avec force une accusation d’islamophobie… et veut s’en tenir au seul règlement et à la laïcité dans les espaces publics appliquée, selon la loi de 1905. Très vite, le quartier populaire comptant de nombreux musulmans, va s’embraser. Mais, selon Alain Finkielkrault que cite François Hien dans son essai Retour à Baby -Loup, contribution à une désescalade : «S’il n’y a d’affaire du voile qu’en France, c’est bien que la France n’en a pas tout à fait fini avec la tradition galante.»Ni, pourrait-on ajouter, avec la guerre d’indépendance de l’Algérie que personne ici n’a connue mais qui laisse des traces réelles… La jeune femme veut obtenir une lourde indemnité de licenciement : 80.000 € ! Que le budget de la crèche de toute façon,ne permettrait absolument pas de lui accorder. Plusieurs procès se succèderont.
Yasmina aura-t-elle dû gagner aux Prudhommes puis en appel? La Cour de Cassation, elle, sera favorable à l’application pure de la neutralité confessionnelle,comme le prévoit la loi. Une affaire insoluble dans la mesure où il y avait trop d’enjeux à la fois et sociétaux sur fond de médiatisation. Et qui fait tache d’huile dans toute la France : ici s’affrontent deux conceptions de la laïcité avec, en toile de fond, d’un côté un refus de voir la réalité et de l’autre, une mauvaise interprétation de la loi. Et où le rôle des parents n’est pas le même selon leur origine. Une situation inextricable… aussi dans la vraie vie. Et comme le souligne François Hien, « il y a une certaine immoralité dans le reproche fait aux habitants des quartiers populaires de n’avoir pas reçu ce qu’on a renoncé à leur donner. » On a aussi oublié les sanctions imposées aux petits élèves qui parlaient le breton dans la cour de récré, encore au milieu du siècle dernier : faire des des dizaines de lignes de :«Je ne parlerai plus breton. » Une histoire qui n’est pas encore finie: l’an passé, il y a eu dans un grand théâtre national, deux spectatrices n’ont pas apprécié pas que les serveuses du bar portent le voile et elles l’ont dit à une responsable de l’accueil qui a pris leur défense. Les spectatrice en question ont été vite entourées par le service d’ordre.. et ont dû quitter ce théâtre.
Il y aura des réunions houleuses avec le personnel de la crèche où, comme toujours dans ce cas-là, certains hésitent à témoigner d’autant que Yasmina demande carrément de faux témoignages quand à la date de son port de voile. Le maire de la commune et ses adjoints ont hâte que cette affaire soit close et reprochent à Patricia, son intransigeance et son refus de négocier… Elle sent que le vent n’est pas en sa faveur et quittera à regret cette crèche exemplaire à qui elle avait beaucoup donné mais qui sera fermée, au grand dam des habitants. Une commune proche offrira alors à Patricia, d’accueillir cette crèche et d’en assurer la direction. Quant à Yasmina, elle deviendra puéricultrice à son domicile. Après une dernière entrevue où on sent comme le tout début d’un apaisement, elles reconnaissent chacune du bout des lèvres que cette affaire n’aurait jamais dû en arriver là…Pouvait-il y avoir une autre issue? Chacune y aura un peu perdu mais au moins, une solution minimale et une certaine sérénité auront été trouvées. Bien entendu, les protagonistes ne se reverront jamais…
François Hien a écrit de remarquables dialogues et conçu une mise en scène bi-frontale avec quelques accessoires et petits meubles (un peu trop souvent bougés). Et sa direction de neuf jeunes actrices-au jeu inégal-est impeccable. Mention spéciale à celles qui interprètent Patricia, Yasmina et les deux avocates. Très concentrées, comme leurs camarades de La Peur, elles donnent une vie indéniable à cette fresque sociale mais autant le texte de La Peur est serré, autant celui-ci est souvent bavard, et parfois répétitif.
Et après l’entracte, la seconde partie sauf est moins convaincante. L’ensemble gagnerait beaucoup à être resserré et joué sans pause. Fallait-il trois heures pour raconter cette histoire? La réponse est clairement : non. Et la dramaturgie, plus cinématographique avec de très courte scènes, que théâtrale, ne fonctionne pas bien. Malgré une excellente direction des actrices, un scénario solide et une réelle approche de ce que peut produire une compréhension mutuelle dans un conflit social. Mais bien entendu, il ne s’agissait pas pour François Hien de refaire le film de cette aventure humaine exemplaire. Il réussit au moins avec ce théâtre très accessible et qui ne tombe jamais dans la facilité, à donner matière à réfléchir sur les conséquences d’actes qui peuvent diminuer, voire casser le lien social. » Ce devrait être l’impératif moral de tout intellectuel, dit l’auteur et metteur en scène, de laisser la fureur à ceux qui n’ont pas le luxe de s’en prémunir: s’efforcer, à l’abri du du danger, de travailler à la désescalade. » Ce spectacle, à sa juste place, y réussit vraiment et ce n’est pas si fréquent dans le théâtre contemporain, public et encore moins privé.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 9 février, au Cent-Quatre, 5 rue Curial, Paris (XIX ème). T. : 01 53 35 50 00.