Le Voyage de M. Perrichon d’Eugène Labiche, mise en scène de Frédérique Lazzarini

Le Voyage de M. Perrichon d’Eugène Labiche, mise en scène de Frédérique Lazarini

La pièce avait été créée en 1860 mais est moins jouée que Le Chapeau de paille d’Italie ou La Cagnotte. Pourtant, elle a été souvent montée à la Comédie-Française et par Daniel Benoin à Saint-Etienne. Là aussi, il s’agit d’un voyage de  bourgeois mais cette fois parisiens… M. Perrichon, sa femme et leur fille vont prendre le train pour la première fois à la gare de Lyon, pour aller en vacances à Chamonix. Sont aussi là-le hasard fait bien les choses-Armand Desroches et Daniel Savary, des jeunes gens que la belle Henriette Perrichon avait rencontrés dans un bal… Chacun d’eux veut voyager avec cette famille pour gagner la confiance des parents et séduire la jeune fille. Ce qui se fera: ils sont des concurrents loyaux mais chez Eugène Labiche, les choses ne se passent jamais comme prévu et il y aura de nombreux rebondissements: «Cet animal (le bourgeois)  disait l’auteur, offre des ressources sans nombre à qui sait les voir, est inépuisable.»
Le bel Armand sauvera en effet monsieur Perrichon tombé dans un gouffre et en est chaleureusement félicité par la famille mais l’évocation de l’épisode semble gêner cet éventuel beau-père. Devoir quelque chose à quelqu’un n’est jamais valorisant pour un bourgeois! Et Eugène Labiche vise juste. Daniel Savary, lui, fait alors semblant de tomber dans une faille et cette fois, ce sera M. Perrichon qui viendra à son secours. Très satisfait de lui-même,  il sera auréolé de gloire dans un article du journal local… que le jeune homme a payé! Ce que, bien entendu, M. Perrichon ne sait pas. Et cerise sur le gâteau, il insulte,  sur le livre d’or de l’hôtel, un ancien officier qui a ironisé sur sa mauvaise  orthographe et qui le provoquera en duel. Daniel dira à son ami Arnaud, que le père de la belle Henriette est loin d’être un grand esprit. Lequel a entendu toute leur conversation et dépité  changera d’avis, quant au choix de son futur gendre… Mais  il y aura une heureuse fin, comme disent nos amis anglais…  Et Arnaud épousera Henriette.

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Et ce spectacle? Comment ne pas être partagé… Une remarquable scénographie signée François Cabanat : un sol rond et  blanc et deux écrans où seront projetées: la gare de Lyon, un compartiment où on voit défiler le paysage, un chalet en bois enneigé, le Mont Blanc, une route quand M. Perrichon est au volant. Comme son valet dans une rue du Paris actuel (pas tout jeune le procédé et beaucoup utilisé au cinéma et récemment au théâtre… mais efficace, économique et le public adore… alors pourquoi l’en priver? Mais aussi le grand appartement des Perrichon.  Tout cela donne au spectacle un côté déjanté bienvenu et  très appréciable…
Et dans un jardin, bien réelles, une grande statue de femme un peu dénudée et une petite remorque, chargée de rosiers
Lrouges en pot…. En vidéo, un merveilleux arbre, chargé d’énormes pommes rouges que le domestique ira cueillir:  un gag très drôle…

Et très bien vus, les formidables costumes imaginés par Dominique Bourde. Dans un tohu-bohu de siècles,  les trois Perrichon, sont parfaitement ridicules en longues doudounes blanches identiques. Puis revenus à Paris, père, mère et fille, en pantalon et manteau léger en tissu doré. Armand et Daniel, eux aussi grotesques, en costumes de ville à Chamonix. Et à Paris, en pantalon, chemise, cravate et veste blanche identiques… comme les frères Dupont!  » C’est d’ailleurs toujours par les substances (et non par les formes ou les couleurs), que l’on est finalement assuré de retrouver l’histoire la plus profonde, écrivait Roland Barthes dans Les Maladie du costume de théâtre en 1955. Un bon costumier doit savoir donner au public le sens tactile de ce qu’il voit pourtant de loin. Je n’attends pour ma part jamais rien de bon d’un artiste qui raffine sur les formes et les couleurs sans me proposer un choix vraiment réfléchi les matières employées : car c’est dans la pâte même des objets (et non dans leur représentation plane), que se trouve la véritable histoire des hommes. »  Ici, mission bien accomplie.

Côté mise en scène, il y a un bon rythme et cette heure et demi passe vite. Là où cela va moins bien: Cédric Colas (M. Perrichon) presque toujours en en scène s’impose vite mais le reste de la distribution est vraiment trop inégale. Quant à la direction d’acteurs, elle n’est pas du bois dont on fait les flûtes. Pourquoi  Frédérique Lazzarini  les fait-elle crier aussi souvent? Pourquoi surjouent-ils à la moindre occasion? Eugène Labiche (1815-1888) mérite mieux que cela et ne s’indigne pas des   Comme le faisait Emile Augier, son exact contemporain (1824-1889), un auteur  bien oublié d’une trentaine de pièces, entre autresavec Jules Sandeau, le mari de George Sand de Les Fourchambault. Mais il a aussi surtout écrit Le Gendre de M. Poirier et L’Habit vert, avec cette fois, Alfred de Musset. Comme Eugène Labiche, il s’attaque à l’hypocrisie bourgeoise, à la convoitise du fric, aux Jésuites, au clergé catholique…. mais sans jamais pousser le bouchon trop loin. 
L’auteur du Voyage de Perrichon, plus subtilement, refuse, lui, de juger mais il manie la cruauté et l’absurde, avec une technique éprouvée: il a écrit plus de cent cinquante pièces! toutes excepté neuf, en collaboration. Ses personnages ne sont pas des pantins mais des gens, comme chez Georges Feydeau son successeur, placés dans une situation ingérable.  Comme cette famille et ces jeunes amoureux se retrouvant par hasard dans une gare.
Les hommes-toujours plus nombreux que les femmes chez Labiche -n’échappent pas au ridicule mais ce «vieil auteur démonétisé», comme il se surnommait onze ans avant sa mort a encore des choses à nous dire. C’est, non pas malgré cette mécanique admirable, dit Gilbert Sigaux, que dure son théâtre mais grâce à elle qu’il sait dire le vrai. » Et le riche M. Perrichon sera enfin conscient que l’argent ne rend pas heureux (on pense à cette phrase minable que Labiche n’aurait pas renié : «Si, à cinquante ans ans, tu n’as pas une Rolex, c’est que tu as raté ta vie ! avait dit le publicitaire Jacques Séguéla.» Eschyle, il y a plus de vingt-cinq siècles, avait lui,merveilleusement énoncé dans Les Perses, l’exact contraire: « Et vous, vieillards, jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte car la richesse ne sert à rien chez les morts. »  Autrement dit, pas la peine de jouer à la Bourse, dépensez votre argent et faites-vous plaisir.- à vous et à vos proches.

Et ce pauvre Perrichon, imbu de lui-même et assez égoïste, regardera de façon plus lucide, le genre humain, après avoir fait ce voyage moralement épuisant jusqu’à Chamonix, dont il aura si peu profité. Il deviendra plus sage et plus humain. «Quand je pense que j’ai été comme ça ! dira-t-il en aparté, devant une somme d’argent qu’on lui rend.» Il y a même quelque chose d’émouvant chez cet homme plus tout jeune, dont la fille va se marier. Il  a sans coute conscience qu’il endossera sans doute bientôt un nouveau rôle, celui de grand-père… Ce qu’on perçoit à la fin bien mieux traitée, avec plus de nuances, par Frédérique Lazarini. Mais on a le sentiment qu’elle aurait pu aller plus loin… Ici, malgré de belles idées, le spectacle reste un peu décevant et il n’y avait aucun jeune dans la salle! Pourtant, tout  le théâtre comique actuel n’a rien à envier à ces vaudevilles qui ont enchanté nos aïeux et qui mérite d’être redécouvert… A suivre?

Philippe du Vignal

Artistic Athévains, 45 rue Richard Lenoir, Paris (XI ème) . T. : 01 43 56 38 32.


 

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