Requin velours texte et mise en scène de Gaëlle Axelbrun

Requin velours , texte et mise en scène de Gaëlle Axelbrun

C’est dans l’air du temps-le procès de Mazan et l’onde de choc jamais vue qu’il a provoquée. La jeune dramaturge dit ici les ravages psychologiques causés par un viol, avec un récit-dialogue joué par trois actrices.« C’est l’histoire d’une quête de réparation dit l’autrice. Ce n’est pas tant du viol comme acte qu’il est question que des récits intimes et politiques autour de celui-ci : les récits procéduraux, judiciaires, ceux cathartiques, libérateurs et ceux qui cherchent à comprendre, à donner du sens. »
Cela se passe sur un ring de boxe au sol noir et autour, dans une scénographie tri-frontale. Ce vendredi soir-fait exceptionnel au théâtre-une centaine de jeunes, voire de très jeunes spectatrices et environ douze mâles de tout âge… regardaient ce Requin velours dans un silence remarquable. Cela fait du bien de voir une salle dont la moyenne d’âge n’est pas de la soixantaine… comme trop souvent ailleurs.
Roxane, la jeune femme, victime traumatisée par ce viol, choisira, dans un acte de colère
et de vengeance à la fois, de devenir pute, comme elle dit. Pas loin de Putain de l’autrice canadienne Nelly Arcan (2001) qui avait été adaptée à la scène, et de  King Kong Théorie. de Virginie Despentes (voir Le Théâtre du Blog
).

© Christophe . Raynaud de Lage

© Christophe . Raynaud de Lage

Racontant ses passes sans honte ni pudeur, elle précise qu’elle a besoin d’un acte qu’elle veut réparateur : ce travail sexuel, elle l’a choisi et ne lui jamais été imposé, sinon par elle-même… Heureuse sans doute pas! mais comme un peu libérée : faire payer cher ses clients a déjà valeur de thérapie pour ce viol qui la déchire encore. Elle a cette fois la certitude d’avoir le dessus avec son sexe…
Et, après avoir vu son avocat, elle fait un comptes délirant sur l’argent des passes, dans un monologue à l’humour assez noir qu’il faut citer : »350€ pour le premier rendez-vous, là je manque de m’étrangler et pourtant j’ai rien dans la bouche. (…) Je fais le calcul, vite fait : le prix de la consultation + le prix du train aller-retour pour me rendre à Paris équivalent à environ 500€, soit trois heures à faire la pute. Sachant que, toute nuance épargnée, avoir été violée et être devenue pute sont liés, la situation va vite devenir absurde : il faudrait que je fasse de la thune avec mon cul pour défendre mon droit à disposer de mon cul.
L’argent que me donneront les clients va finir chez monsieur René, qui lui- même va sûrement se payer une pute (o.k, c’est la donnée la moins scientifique de l’équation). Pour simplifier la chose, il faudrait que je dise à mes clients d’envoyer directement l’argent à René. Imaginons maintenant que cette pute qu’il se paierait soit moi (là je serais bien obligée de l’appeler Maître, s’il le demande). En me payant, il me rendrait l’argent que j’aurais gagné de mes clients. Il faudrait donc suggérer à ces derniers d’établir un contrat avec René, selon lequel ils s’enculeraient mutuellement, échange de bons procédés, histoire qu’ils me laissent en dehors de tout ça. Ajoutons une donnée : si je suis devenue pute, c’est indirectement à cause de V le violeur. (…)  Il suffirait, en toute logique, que M. René et V baisent ensemble et se paient mutuellement, moyennant quoi je toucherais un gros pourcentage à chaque fois, en tant que réparation symbolique. Mais V serait pas puni. C’est naze, du coup, comme plan.  Je la refais : il suffirait que V devienne pute et que l’avocat René le paie très cher, somme sur laquelle je toucherais un pourcentage équivalant à 100 %. Tout le monde y trouverait son compte, hormis V, mais on s’en fout, c’est un violeur. Quoique, j’ai une bonne âme de chrétienne et je crois à la rédemption. Je serais donc la maquerelle de V, que j’exploiterais sexuellement et, en subissant le mal qu’il a commis lui-même par le passé, il se trouverait lavé de ses péchés. »

Mais la réparation est-elle encore possible? Roxane aura au moins acquis la certitude que cela se fera par elle, et aussi grâce à ses deux amies, jamais par la Justice pénale.. Laquelle, cela dit, a pour mission de protéger les intérêts de la société et sanctionner les  coupables: ce n’est déjà pas si mal encore faut-il qu’il y ait poursuite… Et un procès aux assises ne peut tout faire mais aide aussi les victimes à se reconstruire. En France,  93 %  des auteurs majeurs de viol, ont été condamnés à une peine privative de liberté ferme et  pour 69 % d’entre eux, celle-ci est supérieure ou égale à dix ans.
Elle raconte aussi une histoire amoureuse avec une jeune femme de son âge, une des «loubardes»
Joy et Kenza, rencontrées dans une soirée juste après ce viol. Roxane leur dira ce qui lui est arrivé un soir, et grâce à leur solidarité, elle tiendra le coup. Puis toutes les trois s’amuseront à parodier le procès de ce violeur : il
y a du règlement de comptes dans l’air avec le patriarcat, la Justice, la police  et elles exigent une juste réparation pour ce qu’a subi le corps et l’esprit de leur amie. Le langage de ce récit et des dialogues écrits par Gaëlle Axelbrun, souvent cru et d’une rare violence, a une force  théâtrale indéniable.
Roxane, à trois moments, enfile des bas bleus et des cothurnes en plastique transparent, genre érotico-fétichiste, et entame une danse sur le sol noir brillant du ring mais aussi sur les cordes. Ses camarades étant elles plus souvent entre le ring et le public. Le texte a sans doute quelques longueurs et a u  peu de mal à décoller… et la fin, au micro, il n’est guère audible. Mais, entre les deux, quelle écriture! Le ring imposant imaginé par l’autrice elle-même qui est aussi scénographe, parasite un peu la vision de cette Roxane, attachante et superbement jouée, avec  une diction impeccable mais aussi feu et distance à la fois, par
Mécistée Rhea, «actrice non-binaire franco-espagnole», Cécile Mourier, «artiste gender queer» et Amandine Grousson, «artiste interprète indisciplinaire (sic) et boxeuse ».
Mais si vous le pouvez, allez voir ce spectacle étonnant qui se joue encore quelque fois, le texte et ses actrices le méritent vraiment.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 21 février, Théâtre Ouvert, avenue Gambetta, Paris (XX ème).

Théâtre du Point du Jour, Lyon (Rhône), du 25 au 27 mars et dans le cadre du festival WET, Théâtre Olympia-Centre Dramatique National de Tours (Indre-et Loire), les 29 et 30 mars.

 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...