Harcèlements

Harcèlements…

Autrefois, j’avais la passion de franchir les obstacles. Une compagnie de théâtre y est sans cesse obligée pour survivre et il fallait faire des choix, trancher, définir axes et priorités. Seul, je n’aurai jamais réussi: j’ai toujours été en duo avec Hervée de Lafond, et en trio, avec Claude Acquart, notre scénographe. Elle, la grande ordonnatrice et moi, le metteur en songes…. Certes, notre fonctionnement n’était pas d‘une fluidité idéale mais ressemblait à un moteur à explosion. Et tant bien que mal, nous avons réussi à maintenir le cap sur plus d’un demi-siècle, avec des  réussites  mais aussi des échecs.

©x Nal 2 CV-Théâtre  sur le Pont-Neuf à Paris devant J. Chirac

©x Notre spectacle  La  2 CV-Théâtre sur le Pont-Neuf à Paris avec, devant J. Chirac (1982) *

Notre récente décision, vu notre état de santé et notre âge: confier l’outil créé il y a vingt-cinq ans déjà à Audincourt, à trois membres de l’équipe qui vont poursuivre notre politique de résidences pour des compagnies, nos cabarets mensuels, les Kapouchniks,  et les Ruches, des ateliers de théâtre  annuels pour  lycéens. Ainsi, nous préférons nous retirer bientôt mais la fin qui s’annonçait tranquille, s’est brusquement dégradée au Théâtre de l’Unité: problèmes humains, soupçons de harcèlement… Les faits sont hélas! documentés. Bien sûr, j’ai cherché à éviter des solutions-couperets.
Hervée trouve, elle, qu’il y a urgence à réagir au plus vite. Elle est la référence: “harcèlement” que le Ministère de la Culture a mise en place et elle a recueilli des témoignages… Je tombe des nues.
Sans aucun doute, une chirurgie de guerre s’impose et nous allons devoir amputer notre équipe de deux excellents éléments. On ne pouvait pas continuer dans ce climat de non-dits, tensions, gêne, suspicion avec des gens qui ne se parlent plus. J’aurais rêvé d’une fin moins douloureuse… plus sereine. Autrefois, j’aimais les petits arrangements, les solutions non-violentes, les compromis. Mais là, nous ne pouvions plus continuer comme cela…

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité à Audincourt, ( Doubs).
 
*Un des travaux les plus emblématiques de l’Unité été en 77, La 2 CV théâtre: deux spectateurs à l’arrière assistaient…aux premières loges, à une histoire proustienne jouée en huit minutes par un seul acteur à l’avant de la voiture! Avec le grand rituel-ici caricaturé-des grands établissements: une ouvreuse antipathique, un garde républicain mais aussi un pompier de service! Dans cette plus petite salle du monde, Hervé de Lafond, Jacques Livchine et leurs comédiens arrivaient à dire avec humour et générosité ce qu’était, pour eux, faire du théâtre populaire au sens le plus noble du terme…
Jacques Chirac, lui, avait été élu la même année  77 maire de Paris.
( Ph. du V.)
 

Archive pour 19 février, 2025

Adieu Geneviève Page

Adieu Geneviève Page
Cette  grande comédienne vient de nous quitter à quatre-vingt dix-sept ans. Geneviève Page, née Bonjean, était la fille d’un antiquaire  galiériste et poète et de Germaine-Catherine Lipmann, héritière des montres Lip. Chez ses parents qui se marièrent, il y a juste cent ans, elle  rencontra nombre d’écrivains et artistes comme Jean Cocteau, Max Jacob… Son fin visage et sa voix grave forment un contraste séduisant et elle alterna rôles tragiques et comiques.
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« L’enthousiasme, disait-elle, est mon sport favori. »  Après des succès au boulevard avec La Manière forte de Jacques Deval. Mais aussi à Londres avec Happy Times, elle jouera au T.N.P. de Jean Vilar. Elle forme un duo exceptionnel avec Gérard Philippe dans Lorenzaccio et Les Caprices de Marianne d’ Alfred de Musset. Et elle joue en travesti dans L‘Heureux Stratagème de Marivaux  et  La Nuit des rois de  William Shakespeare. Actrice de la compagnie Renaud-Barrault, elle est une frémissante Dona Prouhèze dans Le Soulier de satin de Paul Claudel, son auteur de prédilection qu’elle retrouvera dans L’Echange où elle incarne la flamboyante Lechy. Mais elle est aussi Hermione dans Andromaque de Jean Racine, la Reine de L’Aigle à deux têtes de Jean Cocteau et joue dans Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo, mise en scène de Jean-Louis Barrault.

Styliste révoltée dans Les Larmes amères de Petra von Kant de R.W. Fassbinder, elle est aussi  la Mère Courage, dans la pièce éponyme de Bertolt Brecht et sera la tenancière du Balcon de Jean Genet. Et en 93, un impressionnante Athalie au festival d’Anjou et au Théâtre antique d’Epidaure où nous avons eu le bonheur-à douze ans!- de la voir.
Quatre ans plus tard, elle incarne avec humour, la tragédienne autoritaire de Colombe de Jean Anouilh. Et son récital poétique, Les Grandes Forêts, remporte un  grand succès, notamment à Beyrouth. Elégante et racée, sobre et pondérée, au charme parfois étrange, à l’aise en anglais aussi bien qu’en français, Geneviève Page excella aussi au cinéma… entre autres, dans L’Énigmatique Monsieur D de Sheldon Reynols avec Robert Mitchum
et dans Le Bal des adieux de Charles Vidor et George Cukor, avec Dirk Bogarde.
Elle est la mère-maquerelle dans Belle de jour de Luis Buñuel. Et Gabrielle, l’espionne de charme qui fait perdre  la tête au héros de La Vie privée de Sherlock Holmes, des rôles  qu’elle a remarquablement tenus. En 2005, nous avions eu la chance de la voir au Mégaron, à Athènes, dans lopéra de Claude Debussy, Le Martyre de Saint-Sébastien. Et en 2011, à quatre-vingt-quatre ans, elle joua encore dans Britannicus de Jean Racine, mise en scène de Michel Fau. Le théâtre classique et contemporain lui doit beaucoup. Merci Geneviève Page.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 Les obsèques de Geneviève Page auront lieu dans la matinée du 20 février à l’église Saint-Sulpice, à Paris (VI ème).

 

En dehors, la jeunesse de Rirette Maitrejean,texte et mise en scène de Sylvie Gravagana

En dehors, la jeunesse de Rirette Maîtrejean, texte et mise en scène de Sylvie Gravagana

Anna Estorges, alias Henriette ou Rirette Maîtrejean (1887-1968), n’est pas un nom connu du grand public. C’est pourtant à cette figure de l’anarchisme individualiste que s’est intéressée Sylvie Gravagna dans le spectacle qu’elle a conçu et qu’elle interprète. Il a été créé à Uzeste en 2022 et repris ici. Rirette était la fille d’un couple d’agriculteurs corréziens; appauvri, son père devient maçon à Tulle. Elle fait partie des premières générations à bénéficier de la scolarité gratuite et obligatoire et est une excellente élève qui veut être institutrice.
Mais son père meurt et sa mère veut qu’elle épouse un riche veuf. Agée de seize ans, elle serre son baluchon et s’enfuit pour la Capitale. Elle survit d’abord grâce à des travaux d’aiguille, puis apaise sa soif de savoir en fréquentant les causeries et universités populaires, issues du courant individualiste de l’anarchie qui ne s’accorde ni avec une perspective insurrectionnelle, ni avec celle de la grève générale.
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Pour les individualistes, la transformation des mentalités était un préalable à toute transformation sociale. Ils donnaient une importance toute particulière à l’éducation ainsi qu’à une presse prenant le contre-pied des informations données par journaux bourgeois. Ils adhéraient en outre à des pratiques propres à libérer l’individu ou le transformer, telles la vie en communauté, l’union libre, souvent plurale, le néo-malthusianisme (ou contrôle des naissances), le végétarisme, le nudisme, les randonnées à bicyclette…
Rirette se marie avec Louis-Auguste Maîtrejean, un ouvrier sellier qui fréquente les causeries populaires. Elle met au monde deux enfants mais cette union ne dure pas: Rirette, estimant qu’elle n’a pas avec lui suffisamment d’échanges intellectuels, le quitte pour Maurice Vandamme, dit Mauricius. Il écrit dans L’anarchie, organe de presse des individualistes. Elle y fait la connaissance d’Albert Libertad, le flamboyant fondateur du journal, qui sera tué lors d’une manifestation et Rirette s’occupera de L’anarchie avec Victor Kibaltchiche, fils exilé de révolutionnaires russes. Ils vivent en communauté à Romainville, en compagnie de jeunes libertaires légèrement chapardeurs. 

 Des dissensions apparaissent dans le groupe avec l’arrivée de Jules Bonneau, partisan de la «reprise individuelle» et, le cas échéant, du coup de feu et de l’explosif. Rirette et son compagnon prennent leurs distances. La presse, d’abord installée à Romainville, sera installée  rue Fessart dans le haut de Belleville. Mais  Rirette et Kilbatchiche sont entraînés dans le torrent médiatique et judiciaire qui accompagne braquages et attentats. Le procès de la «bande à Bonnot» fait, de Rirette, une bien involontaire vedette et lui vaut quinze mois de préventive. Elle est acquittée mais Kibaltchiche -le futur Victor Serge, son grand amour- est condamné à cinq ans de prison, au terme desquels il sera expulsé de France.

Sylvie Gravagna ne présente pas Rirette telle que le public la découvrit à son procès: une jeune mère de famille de vingt-cinq ans aux cheveux courts, aux grands yeux bruns, habillée d’un sarrau noir agrémenté d’un col Claudine blanc. Mais c’est Claudine devant les tribunaux, murmura-t-on! L’écrivaine Colette était à l’audience, envoyée par Le Matin. Tout ce que nous voyons et entendons est en flashback. Rirette, incarnée par la metteuse en scène, est une femme d’un certain âge, au visage très doux, qui se souvient. Le spectacle se réfère au texte de Rirette, paru en feuilleton dans les colonnes du Matin, en 1913 (2). Lorsque la lumière se fait sur le plateau, deux chaises : sur l’une, elle est assise habillée de teintes beiges ou camel: sur l’autre; une jeune harpiste blonde (Juliette Flipo), un peu ébouriffée, en salopette d’un rouge éclatant. Un effet optique des plus réussis…
L’une parle, l’autre chante, entrecoupant de romances ou de chants de combat, d’une voix à l’ample tessiture, le récit de l’aînée. Le spectacle se réfère aux Souvenirs d’anarchie de Rirette publié en feuilleton dans Le Matin du 19 au 31 août 1913. Le texte sans doute été  modifié, voire réécrit par le journal, ce qui valut à Rirette des attaques virulentes, souvent de nature misogyne, de la part du milieu libertaire. Il est republié en 1937, sous le titre  Confessions n°15, agrémenté d’une coda signée Commissaire Guillaume.
Sylvie Gravagna qui s’inspire des travaux d’une universitaire spécialiste de l’anarchisme, Anne Steiner, auteure de Rirette l’Insoumise, Tulle (2013) a fait
  un habile découpage, refusant un ordre purement chronologique. Son monologue commence par l’évocation de la soi-disant « bande à Bonnot», un personnage pour lequel elle n’a jamais eu de sympathie. Elle insiste au contraire sur la révolte de très jeunes gens, comme Edouard Carouy ou Octave Garnier, abattu par la police à vingt-deux ans. Dans les Mémoires qu’il laissa, on pouvait lire qu’il refusait de « vivre la vie de la société actuelle » et « ne voulait pas attendre d’être mort pour vivre ». Rirette évoque de son côté « la misère, l’humiliation, l’exploitation, l’abrutissement » qui étaient le lot de la classe ouvrière, lorsqu’elle courbait l’échine…
En courtes saynètes, sont remémorées les meilleurs moments de la vie de groupe, quand,par exemple, la communauté de Romainville pédalait jusqu’à la Marne, «empruntait» une barque et ramait : « Que c’est beau la vie ! » Sont naturellement rappelés ici les pires comme le braquage de la rue Ordener, premier hold-up motorisé en décembre 1911. Bonnot est au volant et un garçon de recettes de la Société Générale est dévalisé et grièvement blessé. Audace inouïe qui suscite le rejet de l’anarchisme et que dénonce, dans le spectacle, la belle voix grave de Juliette Flipo.
Rirette rapporte elle-même son procès, les questions que lui pose l’Avocat général et ses réponses : «En 1909, à vingt-deux ans, vous êtes devenue directrice du journal L’Anarchie.» « Non, gérante. Il n’y a pas de directeur chez nous. Nous sommes des anarchistes. » (…) « Et si notre journal enseigne le mépris des morales conventionnelles, chacun est libre de choisir son chemin . »
Rirette trace le portrait de celui qui fut « son plus beau souvenir d’anarchie », Libertad le bien nommé, « appuyé sur des béquilles, la tête énorme et le buste rabougri». Elle parle de sa voix et de sa verve, qui «l’électrisaient. «Ce n’est pas dans cent ans qu’il faut vivre en anarchiste. C’est maintenant. Méfiez-vous de ceux qui prônent la grève générale pour bâtir ensuite un monde meilleur ! » Et de rapporter ses bons mots : «La propagande par la fête ! ».
Quand Sylvie Gravagna
fait allusion à la Ruche de Sébastien Faure, expérience d’éducation mixte et anti-autoritaire pour orphelins, la musicienne pose son instrument, se lève et se lance sur l’air de L’Internationale dans une danse folle, L’Internationale des enfants. Malgré l’abondance des informations livrées, le spectacle, jamais difficile à suivre, est passionnant de bout en bout, réveille les morts ou une mémoire largement occultée et retrace la trajectoire romanesque d’une femme qui ne s’est jamais pliée à son destin…

Nicole Gabriel

Jusqu’au 22 février,  Local des autrices, 18 rue de l’Orillon, Paris (XI ème). T. : 01 46 36 11 89.


 

 

 

 

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