Empire, chorégraphie de Magali Milian et Romuald Luydlin

Empire, chorégraphie de Magali Milian et Romuald Luydlin

Une nouvelle création (pléonasme ?) de la compagnie la Zampa, simplement intitulée Empire. Selon les auteurs, l’empire en question désigne une «aire de jeu autant qu’un état d’esprit, une tentative plastique et chorégraphique de déjouer l’autorité à plusieurs ». La note d’intention est scrupuleusement suivie par un sextet ou sextuor de danseurs contemporains qu’accompagne, plus d’une heure durant, le guitariste électr(on)ique Marc Sens. Les chorégraphes font partie de la distribution où brillent à part égale Alice Bachy, Joseph Kraft, Camilo Sarasa Molina et Anna Vanneau. Le plateau, parquet ou dance-floor, est composé d’une série de tatamis maousses juxtaposés au sol, non au carré mais en polygone étoilé. Ce désordre géométrique assumé relève de l’installation, de la proposition « arty » ou de l’ornement scénographique. Il annonce la couleur et, dans une certaine mesure, le programme chorégraphique et musical.

©Alain Scherer

©Alain Scherer

La pièce, par sa rigueur même, requiert l’attention et l’adhésion du public. Elle n’est pas si simple d’abord : c’est, en effet, de la danse pure, technique, exigeante aussi bien pour les artistes sur scène que pour les spectateurs. Il s’agit d’un spectacle sans anecdote ou presque. Dysnarratif, avec, néanmoins un court texte poétique dit par cœur au micro par Alice Bachy et une dramaturgie de Marie Reverdy. Peu d’effets atmosphériques, quelques fondus lumineux, une composition musicale minimaliste, des costumes carnavalesques ou cabaretiers enfilés à vue par les artistes, quelques grimaces empruntées aux expressions des gargouilles gothiques. Aucune aspersion de fumigène, ce qui vaut d’être signalé…

 Le « guitar hero », impassible, impavide, sûr de son fait, mi-David Gilmour (pour le vibrato, le « bend » et les sonorités psychédéliques), mi-Rhys Chatham (si l’on se réfère à la période punk de celui-ci et à son duo avec la ballerine Karole Armitage), mi-Denis Mariotte (en raison de son accompagnement musical réduit à une seule note dans la pièce Umwelt de Maguy Marin), fait dans le « drone ambient ». À savoir le bourdon de cathédrale, avec ses boucles rythmiques obtenus par frappes à la baguette sur la six-cordes et les motifs mélodiques produits par frottis. La danse est ici, pourrait-on dire, sous l’empire de(s) sens. En raison du patronyme du musicien, discret visuellement, sagement assis côté cour, mais omniprésent de bout en bout. Du fait également de l’influence nippone sur la chorégraphie et de l’importance de l’art martial dans la deuxième partie de l’œuvre.

Il est vrai que « l’objet chorégraphique» de la Zampa (pour reprendre les termes de Magali Milian et Romuald Luydlin) est singulier. Il n’a que peu à voir avec le spectacle Nage no kata (2024) présenté à la Maison du Japon, une suite de mouvements exécutés par deux judokas aguerris, Stephen Roulin et Antoine Bidault, accompagnés de musique «contemporaine» (atonale), ayant pour but de signifier ou de dignifier artistiquement parlant une technique de combat ayant ses qualités propres qu’un cinéaste comme Akira Kurosawa avait déjà assimilé à l’art chorégraphique dans son film La Légende du grand judo (1943). Empire se réfère au pays du soleil levant mais aussi à l’Angleterre, développant dans toute la première partie de la pièce une suite gestuelle inspirée de la contredanse ou « country dance ». Les auteurs se sont assuré la collaboration de Guillaume et Serge Bertrand, pour le judo et de Cécile Laye, pour la contredanse anglaise.

 Au XVII ème siècle, la contredanse, comme l’art du jardin, diffère totalement entre la France et l’Angleterre. Jean-Marie Guilcher, dans son livre La Contredanse (1969), cite Lorin qui, de retour de Londres, estime que la contredanse anglaise n’impose aucun pas et, pour ce qui est de la contredanse à six, semble avoir été surpris de «la bizarrerie et de la diversité des pas, que chacun y faisait à sa fantaisie ». Les nombreux pas de deux de la pièce rappellent les danses de couple de cet âge d’or de la contredanse -quoique les costumes de Violette Angé pour Empire, hormis les collerettes, paraissent anachroniques, en particulier les pantalons à froufrous qui ressemblent à ceux des danseurs de mambo ! Les duos, naturellement, sont aussi ceux des affrontements de judokas.

 Les mouvements quotidiens relèvent d’une tradition… contemporaine, faite de petits gestes faciles à exécuter, comme ceux de la postmodern dance. Qui dit empire dit chute et l’impressionnante série de roulades, pour ne pas dire « ukemi waza », exécutées par tout le groupe, conclut la pièce de façon spectaculaire. Nous avons été sensible aux qualités de saltation de Joseph Kraft et à la prestation toujours juste d’Alice Bachy. Comme toutes les œuvres réussies, Empire gagne à être vue et revue.

Nicolas Villodre

Spectacle vu le 19 février à la Scène nationale du Sud-Aquitaine-Théâtre Michel Portal, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).

 

 

 

 

 

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Archive pour 21 février, 2025

Empire, chorégraphie de Magali Milian et Romuald Luydlin

Empire, chorégraphie de Magali Milian et Romuald Luydlin

Une nouvelle création (pléonasme ?) de la compagnie la Zampa, simplement intitulée Empire. Selon les auteurs, l’empire en question désigne une «aire de jeu autant qu’un état d’esprit, une tentative plastique et chorégraphique de déjouer l’autorité à plusieurs ». La note d’intention est scrupuleusement suivie par un sextet ou sextuor de danseurs contemporains qu’accompagne, plus d’une heure durant, le guitariste électr(on)ique Marc Sens. Les chorégraphes font partie de la distribution où brillent à part égale Alice Bachy, Joseph Kraft, Camilo Sarasa Molina et Anna Vanneau. Le plateau, parquet ou dance-floor, est composé d’une série de tatamis maousses juxtaposés au sol, non au carré mais en polygone étoilé. Ce désordre géométrique assumé relève de l’installation, de la proposition « arty » ou de l’ornement scénographique. Il annonce la couleur et, dans une certaine mesure, le programme chorégraphique et musical.

©Alain Scherer

©Alain Scherer

La pièce, par sa rigueur même, requiert l’attention et l’adhésion du public. Elle n’est pas si simple d’abord : c’est, en effet, de la danse pure, technique, exigeante aussi bien pour les artistes sur scène que pour les spectateurs. Il s’agit d’un spectacle sans anecdote ou presque. Dysnarratif, avec, néanmoins un court texte poétique dit par cœur au micro par Alice Bachy et une dramaturgie de Marie Reverdy. Peu d’effets atmosphériques, quelques fondus lumineux, une composition musicale minimaliste, des costumes carnavalesques ou cabaretiers enfilés à vue par les artistes, quelques grimaces empruntées aux expressions des gargouilles gothiques. Aucune aspersion de fumigène, ce qui vaut d’être signalé…

 Le « guitar hero », impassible, impavide, sûr de son fait, mi-David Gilmour (pour le vibrato, le « bend » et les sonorités psychédéliques), mi-Rhys Chatham (si l’on se réfère à la période punk de celui-ci et à son duo avec la ballerine Karole Armitage), mi-Denis Mariotte (en raison de son accompagnement musical réduit à une seule note dans la pièce Umwelt de Maguy Marin), fait dans le « drone ambient ». À savoir le bourdon de cathédrale, avec ses boucles rythmiques obtenus par frappes à la baguette sur la six-cordes et les motifs mélodiques produits par frottis. La danse est ici, pourrait-on dire, sous l’empire de(s) sens. En raison du patronyme du musicien, discret visuellement, sagement assis côté cour, mais omniprésent de bout en bout. Du fait également de l’influence nippone sur la chorégraphie et de l’importance de l’art martial dans la deuxième partie de l’œuvre.

Il est vrai que « l’objet chorégraphique» de la Zampa (pour reprendre les termes de Magali Milian et Romuald Luydlin) est singulier. Il n’a que peu à voir avec le spectacle Nage no kata (2024) présenté à la Maison du Japon, une suite de mouvements exécutés par deux judokas aguerris, Stephen Roulin et Antoine Bidault, accompagnés de musique «contemporaine» (atonale), ayant pour but de signifier ou de dignifier artistiquement parlant une technique de combat ayant ses qualités propres qu’un cinéaste comme Akira Kurosawa avait déjà assimilé à l’art chorégraphique dans son film La Légende du grand judo (1943). Empire se réfère au pays du soleil levant mais aussi à l’Angleterre, développant dans toute la première partie de la pièce une suite gestuelle inspirée de la contredanse ou « country dance ». Les auteurs se sont assuré la collaboration de Guillaume et Serge Bertrand, pour le judo et de Cécile Laye, pour la contredanse anglaise.

 Au XVII ème siècle, la contredanse, comme l’art du jardin, diffère totalement entre la France et l’Angleterre. Jean-Marie Guilcher, dans son livre La Contredanse (1969), cite Lorin qui, de retour de Londres, estime que la contredanse anglaise n’impose aucun pas et, pour ce qui est de la contredanse à six, semble avoir été surpris de «la bizarrerie et de la diversité des pas, que chacun y faisait à sa fantaisie ». Les nombreux pas de deux de la pièce rappellent les danses de couple de cet âge d’or de la contredanse -quoique les costumes de Violette Angé pour Empire, hormis les collerettes, paraissent anachroniques, en particulier les pantalons à froufrous qui ressemblent à ceux des danseurs de mambo ! Les duos, naturellement, sont aussi ceux des affrontements de judokas.

 Les mouvements quotidiens relèvent d’une tradition… contemporaine, faite de petits gestes faciles à exécuter, comme ceux de la postmodern dance. Qui dit empire dit chute et l’impressionnante série de roulades, pour ne pas dire « ukemi waza », exécutées par tout le groupe, conclut la pièce de façon spectaculaire. Nous avons été sensible aux qualités de saltation de Joseph Kraft et à la prestation toujours juste d’Alice Bachy. Comme toutes les œuvres réussies, Empire gagne à être vue et revue.

Nicolas Villodre

Spectacle vu le 19 février à la Scène nationale du Sud-Aquitaine-Théâtre Michel Portal, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).

 

 

 

 

 

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