Le Horla, libre adaptation de la nouvelle éponyme de Guy de Maupassant de Jonas Coutancier, mise en scène de Camille Trouvé et Brice Berthoud
Le Horla, libre adaptation de la nouvelle éponyme de Guy de Maupassant par Jonas Coutancier, mise en scène de Camille Trouvé et Brice Berthoud
La compagnie Les Anges au Plafond présente une remarquable version théâtrale de cette nouvelle fantastique. Ce spectacle avait été créé, il y a trois ans d’une heure dix, avec un étonnant dispositif scénique qui va évoluer et qui utilise la marionnette et l’illusion, pour nous emmener dans une dimension irréelle.
Nous sommes plongés dans l’épilogue: un terrible incendie ravage l’habitation du personnage principal(Jonas Coutancier). Derrière le rideau de scène troué, on entend le crépitement des flammes et on voit des lueurs orange se propager…Le rideau tombe et fait apparaître l’intérieur d’une maison (marqué d’un pourtour lumineux bleu), avec des meubles, et un praticable où est perchée une violoncelliste (Solène Comsa) qui interprétera la musique et créera les bruitages.
Un compteur affiche le nombre de jours avant le drame. Jour : 126. Un homme, debout au milieu du plateau, s’exprime dans une confusion la plus totale : «Je suis fou ! Je suis malade. Je suis resté dans ma maison hier, mais qu’arrivera-t-il demain ? Je suis fou, je suis malade…»
Un tic-tac résonne et nous remontons le temps jusqu’au jour 1. L’Homme s’installe dans sa nouvelle maison. Accompagné de la chanson On the Regular de Shamir,il met en place une table, un fauteuil… et déballe un lit pliable. Il emménage en dansant mais tout à coup, plus de musique…
L’Homme sort alors de son personnage et à l’avant-scène, en brisant ainsi le fameux quatrième mur, s’adresse à nous. Il y a tout à coup des grésillements sonores et le cadre de l’espace intérieur se met à clignoter, puis une ampoule du lustre grille…Le compteur décline : six, sept, huit, neuf jours… L’homme a un peu de fièvre et n’arrive pas à dormir. Il s’assoie alors sur son lit, dos public et s’enlace : une troisième, puis une quatrième main parcourt son dos et son cou… et disparaît d’un seul coup comme dans un mauvais rêve.
L’Homme ferme alors les rabats verticaux de son lit pour dormir et on le voit allongé sur le dos en ombre chinoise. Alors, une énorme main et deux avant-bras, surgissent de son torse et touchent son visage puis essayent de l’étrangler. L’Homme se réveille et a l’impression qu’« un danger le menace, que la mort approche. » Hors-jeu, il s’adresse à la musicienne puis se met en équilibre sur un grand carton et tombe par terre.
Jour 42 : l’Homme enfile un anorak, prend un sac à dos et une lampe frontale pour aller prendre l’air. Il sort à cour, pour revenir à l’avant-scène, derrière la limite de la « zone ». Il traverse la scène et un vent violent s’engouffre dans son costume (superbe effet magique et de conception artisanale).
Jour 56 : il croit être guéri mais les meubles bougent tout seuls et une partie de la moquette se retourne pour laisser apparaître un réseau lumineux. L’Homme se met à table, boit un verre de vin et épluche des carottes. Il entend en résonance que l’on croque plusieurs fois dans ces carottes (bruitage de la musicienne) et devient fou à cause du son sorti de nulle part.
Des épluchures lui sont jetées dessus et l’homme plante un couteau dans une carotte. Pour se calmer, il se fait une inhalation, la tête dans un bol couvert d’une serviette On aperçoit alors un saisissant demi-visage (masque très réaliste) avec une main qui tient son menton. Tout à coup, le visage se coupe en deux et on voit un interstice noir au milieu (effet remarquable de scission).L’Homme retourne se coucher. Mais une ombre chinoise sort de son corps en se pliant et en lui touchant son visage, puis saisit la bouche de l’Homme et lui fait avaler un tissu, puis lui referme les lèvres, comme pour lui voler son âme. L’Homme se réveille en sursaut.
Jour 68 : le 14 juillet, fête nationale. Il imagine des présences surnaturelles et se noie dans l’alcool en dansant sur de la musique de plus en plus forte, jusqu’à tomber par terre et casse la bouteille. Six mannequins en k-way tombent alors des cintres : des doubles de lui-même… Il se bat avec eux comme pour attraper le pompon dans un manège de fête foraine. Ces silhouettes inquiétantes sautillent et finissent par disparaître dans les cintres.
L’Homme a des spasmes et se roule au sol… Puis il sort une nouvelle fois de son rôle et explique au public que la bouteille brisée est en faux verre, et raconte une aventure qui lui est arrivée en Normandie: il avait failli tomber d’une balustrade et nous dit la sensation qu’il avait eu au ventre. Il retourne dans l’espace de la maison qui s’éclaire et dont le sol se retourne à nouveau, laissant apparaître un réseau de lignes lumineuses.
La violoncelliste parle de croyances et légendes surnaturelles, fées et Dieux : «Les religions sont des inventions stupides.» L’Homme apparaît alors transformé, avec quatre mains disproportionnées (des excroissances en latex comme deux à ses pieds). Il porte aussi un masque représentant son visage sur la tête et sa silhouette ressemble à une créature monstrueuse et difforme qui marche comme un animal, une représentation du Horla. Il inspecte la maison, monte sur les meubles, sort de la zone et disparaît en fond de scène.
Les jours passent : 80, 81, 82, 83, 84… Toujours rien et les phénomènes semblent avoir disparu, puis, le 2 août les meubles bougent à nouveau tout seuls. «Je vais me faire docile, dit-il, il est le plus fort. Mais je pourrai bientôt le tenir sous mes mains, le mordre, le déchirer… » L’Homme enfile alors un masque qui se décompose lentement en un réseau sanguin de lumières bleues. Puis, il se lance dans un combat imaginaire avec un bâton ( bruitages de coups par la musicienne) et enfin tourne alors sur lui-même à 360° comme une hélice: « Quelqu’un veut être moi et j’obéis, je ne suis plus rien. Je désir sortir mais je ne peux pas. Je ne peux pas fuir, je reste. »
Jour:101 : « J’ai pu m’échapper deux heures mais une voix ma dit de rester chez moi.» L’Homme essaie de sortir du cadre quand il y a un bruit de court-circuit mais les portes du théâtre restent fermées. Hagard, l’Homme monte alors dans les gradins vers les spectateurs, se place en équilibre précaire sur une rambarde (comme la balustrade évoquée plutôt) et crie: «Malheur à l’homme, le Horla va faire de nous, sa chose, sa nourriture !»
Il revient ensuite sur le plateau et range tous les meubles : « On est condamné au réel, laissez-moi sortir! » Le sol se replie encore un peu, ne laissant qu’un infime espace. La petite maquette d’une maison descend des cintres et l’homme y met le feu… Sur une musique électronique progressive et assourdissante, les flammes se propagent dans cette maison : terrifiante image ! Et de la fumée se diffuse lentement… l’Homme revient défiguré par une multitude de fils lumineux et tout un réseau fluorescent parcourt son corps et le plateau, comme dans le film futuriste Tron.
Il se couche alors et se confond avec le sol : tout le réseau lumineux s’éteint subitement comme un cœur qui vient de s’arrêter…La petite maison brûle et les cendres couvrent le plateau… Une effroyable et poétique mise en abyme.
Sébastien Bazou
Spectacle vu au Théâtre des Feuillants, Dijon (Côte-d’Or).