Vaisseau familles par le collectif Marthe, mise en scène et écriture de Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui
Mais ce travail se rapproche d’une réalisation surtout fondée sur une approche théorique. Les actrices, avant même l’arrivée du public, discutent entre elles. Elles sont en short devant une grande et belle armoire en bois à deux portes, comme il y a encore dans les maisons familiales de campagne et sur lesquelles tout le monde rêve mais dont personne ne veut plus…
Au centre de la scène, un grand lit un peu incliné vers le public avec un très gros oreiller de coutil au tissage serré, dit toile à matelas rayée et un aussi gros édredon. Côté jardin et côté cour, un portant avec quelques costumes et une cantine grise. Puis, hissées comme des voiles de bateau par elles-même, des draperies de six mètres de haut en draps blancs ou crème, cousus ensemble avec broderies et dentelles. Cela rappelle là aussi les maisons familiales d’autrefois.
Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui se sont inspirées de la pensées éco-féministe des chercheuses Silvia Federici, Maria Mies, Geneviève Pruvost. Elles ont aussi lu Manifeste des espèces compagnes, La famille du Chthulucène de Donna Haraway et Que diraient les animaux si…on leur posait les bonnes questions? de Vinciane Despret. Et elles disent quelques extraits du Désordre des familles d’Arlette Farge et Michel Foucault.
Vaisseau familles commence donc par une explication très lisible face public sur leur travail, leur sources et les matériaux. Elles parlent aussi du fonctionnement des sociétés, notamment médiévale, qu’elles évoquent en de courtes scènes, en les croisant avec les sociétés actuelles. Ou celle des termites qui font aussi famille depuis des millions d’années avec une grande cohésion sociale et une remarquable intelligence collective : des « soldats » défendent la colonie et des « ouvriers » creusent les galeries, recueillent les œufs pondus par les reines ou femelles et sont chargés d’approvisionner la termitière…
Une façon aussi pour le collectif Marthe de revendiquer un autre type de famille existant ailleurs qu’en Occident, notamment en Afrique et ne relevant pas de la cellule close européenne actuelle, avec père, mère, et un ou quelques enfants. L’ensemble un peu didactique (du genre La famille pour les nuls) mais cette imagerie sur les évolutions de la famille française moyenâgeuse, bourgeoise du XIX ème siècle et celle des années quatre-vingt dix où sont nées ces actrices, se laisse voir…
Mais elles font l’impasse sur les modèles de famille où une femme qui vivait seul seule gardait la journée les enfants de paysans quand ils étaient aux champs, sur les couples et les célibataires choisissant de ne pas avoir d’enfant et sut d’autres monoparentales et homosexuelles. Comme sur les violents mensonges anti-woke que Donald Tump débite chaque jour, comme récemment sur Fox News, du genre: « Des Etats «adoptent des législations permettant d’exécuter les bébés après la naissance.»
Mais le spectacle perd vite de son élan initial, s’essouffle et avance par à-coups, c’est à dire mal, et le jeu dans cette armoire sans fond puis son démontage, la mise en place de ces grandes voiles blanches ou ces petites bagarres pour rire sur le lit, font plus aller Vaisseau familles vers une « performance » en arts plastiques.
Cécile Kretschmar a inventé des silhouettes et postiches vraiment drôles et les actrices, qui ont une maîtrise absolue de l’oralité et de la gestuelle, savent aussi créer de savoureuses images poétiques comme la montée des voiles blancs. Oui, mais… le texte qui sent à dix mètres l’écriture de plateau, et la dramaturgie, eux, restent pauvrets? Bref ces quatre-vingt dix -trop longues- minutes offrent un propos limité et on reste sur sa faim. Dommage…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 10 avril, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.
Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon (Rhône), du 15 au 17 avril.