Les Nuages d’Hamlet, un spectacle de l’Odin Teatret, dédié à Hamnet et aux jeunes sans avenir, dramaturgie et mise en scène d’Eugenio Barba

Les Nuages d’Hamlet, un spectacle de l’Odin Teatret, dédié à Hamnet et aux jeunes sans avenir, dramaturgie et mise en scène d’Eugenio Barba

©x

©x

Ariane Mnouchkine et Eugenio Barba, le Théâtre du Soleil et l’Odin Teatret, se sont rencontrés au  festival de Munich au début des années 1980 et une profonde et longue amitié lie ces troupes, nées en 64. « Au-delà des différences esthétiques ou formelles, elles ont vécu et parcouru, chacune à sa manière, les mêmes chemins, les mêmes bonnes ou mauvaises saisons, et continuent, chacune à sa manière, à interroger les destinées du monde contemporain. »Aujourd’hui, Les Nuages d’Hamlet est le septième spectacle de l’Odin Teatr présenté au Soleil, depuis vingt-cinq ans dont récemment Les grandes villes sous la lune (2016),  L’Arbre (2018), Thèbes au temps de la la fièvre jaune (2022).

Eugenio Barba, peu connu des jeunes metteurs en scène et acteurs est ce créateur italien de quatre-vingt huit ans formé à Wroclaw par l’immense Polonais Jerzy Grotowski (1933-1999). Il a dû récemment hélas! quitter les locaux de l’Odin Teatret, un  théâtre-laboratoire où il travaillait depuis 66 à Holstebro (Danemark). Entre temps,  il aura eu, avec un enseignement magistral  fondé sur  la recherche intérieure, la voix et le geste, une influence considérable en Italie et en Europe.

©x

©x

Ce court spectacle est, bien sûr, inspiré par Hamlet que cite Eugenio Barba: « Voyez-vous ce nuage là-bas qui a presque la forme d’un chameau?  » Polonius : « Par la messe ! On dirait que c’est comme un chameau, vraiment. Hamlet : Je le prendrais pour une belette.
 Polonius : Oui, il est tourné comme une belette. Hamlet : « Ou comme une baleine? Polonius : Tout à fait comme une baleine. »
J’ai cherché dans Hamlet les lignes où Shakespeare parle des nuages. Je les ai assemblées comme un noyau, à partir duquel j’ai développé les premières scènes d’un spectacle dont l’histoire et le sens devaient être découverts au cours des répétitions
.

Ici, sur un étroit plateau au sol noir, (un « espace-rivière » dit-il), d’une douzaine de mètres  et bi-frontal, avec, à chaque bout, un rideau bordé par deux rampes verticales de leds  blanches ou rouges, ou bleues…  Cela commence avec une image-choc: un personnage traîne un berceau où on devine sous un linceul, le corps d’une petit garçon. Pouvoir d’une histoire qui fait penser à celles qui bercèrent notre enfance éditées dans la célèbre collection Contes et légendes. L’histoire  est celle d’Hamlet mais aussi de Shakespeare: en 1596, Hamnet, le fils unique de William Shakespeare, meurt à onze ans et cinq ans plus tard, le grand dramaturge perd son père et en deuil, écrit L’histoire tragique d’Hamlet, prince du Danemark. Dans l’orthographe fluctuante de l’époque, les prénoms Hamnet et Hamlet sont pratiquement interchangeables.
Et en deuil de son père, William Shakespeare  écrivit sa célèbre pièce.
Ici Eugenio Barba, dans une suite de merveilleuses images, danses, chants et musiques jouées au violon par Hamlet, nous  parle d’amour, de  désir de vengeance, bagarre violente, perte… Et il y a, au début, l’image projetée de la tête d’une statue ancienne qu’on retrouvera  à la fin, les orbites pleines de beaux cumulus blancs dans un ciel bleu. Revient aussi le corps du petit garçon qu’Hamlet dans les bras d’Ophélie, tient tendrement.
Attention, pas de méprise: ces Nuages d’Hamlet ne sont ni une pièce, ni une piécette, mais, disons, un poème théâtral  chargé de nombreuses références, avec des costumes insolites: robe bleue et blanches avec paillettes pour Hamlet, comme pour Ophélie, slip blanc pour Claudius et le grand dramaturge est représenté par une actrice au visage bleu, qui, elle seule, parle vraiment…
Le tout dans une fluidité absolue: les personnages « joués » par Antonia Cioază, Else Marie Laukvik, Jakob Nielsen, Rina Skeel, Ulrik Skeel, et Julia Varley, à la remarquable gestuelle-la marque de fabrique d’Eugenio Barba-passent, le temps d’un courte scène puis s’enfuient. Hamlet, lui, revient souvent, armé de son violon et dansant. Pas de saluts à la fin, comme si Eugenio Barba voulait nous laisser avec ses personnages-pantins hors-normes. Le public reste fasciné pendant les soixante-dix minutes où l’auteur-metteur en scène maîtrise de façon exemplaire, l’espace et le temps… Et pas besoin de connaître l’histoire d’Hamlet, il suffit de se laisser emporter par ce flot d’images poétiques comme venues d’un autre temps, celui où les drones n’existaient pas mais où la violence,elle, fleurit encore aujourd’hui…Les dernières photos sonnent comme une piqûre de rappel: terrifiantes, en noir et blanc, d’enfants-soldats fusil à la main et celle devenue emblématique du petit garçon juif du ghetto à Varsovie, les mains en l’air: pris dans une rafle et terrorisé par un S.S. qui pointe sur lui sa mitraillette.
Il y a quelquefois de petits miracles théâtraux: ce spectacle « enfantin » au sens étymologique du terme :les six personnages  ne parlent pas ( ou si peu) en est un bon exemple et il y avait quatre-vingt personnes assises sur deux rangs-dont pour une fois, de nombreux jeunes gens- qui ont savouré cet ovni exceptionnel… comme hors du temps, dans le silence rural de la Cartoucherie… Gilles Deleuze aurait sûrement aimé cette « image-temps puissante » comme il disait,  » elle donne à la narration une nouvelle valeur, puisqu’elle l’abstrait de toute action successive, pour autant qu’elle substitue une image-temps à l’image mouvement. » Il faut saluer cette performance qui aurait très bien pu être signée d’un jeune metteur en scène et qui a été chaleureusement applaudie… Oui, cela demande un effort d’aller jusque là et ces Nuages d’Hamlet se jouent seulement jusqu’au 9 mars mais croyez-nous, cela vaut le coup.
Allez, une dernière pour la route: « Si le théâtre est pour moi la terre de la nostalgie, dit Eugenio Barba, c’est parce qu’il nourrit le rêve du possible dans l’impossible, de la fantaisie dans la réalité, de l’émerveillement dans la banalité, de la danse dans l’immobilité. La possibilité de partager l’action avec d’autres personnes. D’où la profonde gratitude pour mes acteurs et pour tant de vivants et de morts qui m’ont appris à trouver le passage vers une énergie qui intensifie et éclaire le sens incommunicable de ma vie. » Tout est dit.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 9 mars, Théâtre du Soleil (salle face au Théâtre de la Tempête), Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 74 24 08.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...