Théâtre et amitié triptyque : Je pars deux fois / La table planétaire / Théâtre et Amitié, textes de Nicolas Doutey, mise en scène de Sébastien Derrey, co-mise en scène de Vincent Weber pour la dernière pièce
Théâtre et amitié, un triptyque : Je pars deux fois /La Table planétaire /Théâtre et Amitié, textes de Nicolas Doutey, mise en scène de Sébastien Derrey, avec Vincent Weber pour le dernier
Ces trois pièces ont été créées à l’Olympia-Centre Dramatique National de Tours en janvier dernier. Sur un plateau blanc, deux petites tables de jardin: sur l’une, une bouilloire pour l’eau du thé, et sur l’autre, une cafetière à bec en inox. Sous une lumière blanche des plus crues, Paul et Pauline et ensuite une autre Pauline vont se parler, toujours debout. Comme une femme et un homme dans la seconde pièce où une dizaine de figurants silencieux vont traverser la scène plusieurs fois. Et il y aura deux hommes et une femme dans le dernier texte.
D’abord pour éclairer votre lanterne-ou du moins essayer!- quelques extraits de la longue note d’intention du metteur en scène : «Trois pièces pour approcher l’expérience d’un théâtre de paix. Trois propositions pour interroger le présent partagé du théâtre, son trouble fondamental, comme une invitation à l’étonnement et à la jubilation du jeu. Et où grâce à la confiance et l’humour, l’expérience de l’incertitude ne conduirait pas à une frustration mais au contraire, à une libération du regard et du mouvement. Ce qu’écrit Nicolas Doutey se situe dans un endroit rare, loin de l’ironie, qui est celui d’un théâtre de paix et d’étonnement. Ce qui est touchant d’abord chez ses personnages c’est l’attention qu’ils portent les uns envers les autres, comment ils s’écoutent. (…) Le spectateur est convoqué à suivre le cheminement chaotique et comique d’une pensée qui avance dans un décalage burlesque permanent. »
Voilà, vous êtes convoqués et… prévenus. Dans Je pars deux fois, un théâtre qui veut être sans doute expérimental et en «décalage burlesque» permanent » (sic), Paul et Pauline cherchent en vain ce qui a pu changer dans leur relation. Un chien, un ami, le bateau à prendre, un braquage, une éventuelle séparation qu’ils veulent opérer mais ensemble et dans la même maison… Nous comprenons qu’ils se rencontrent, se séparent, se retrouveront, ou pas. Cela commence sur l’air du « Jamais sans toi mais jamais avec toi », très mode ces derniers temps. Mais c’est mal parti: «Pourtant la pièce évolue vers la reconnaissance d’une disparition du problème,notamment à travers l’apparition et l’acceptation d’une multiplicité.» Tous aux abris!
Ce texte répétitif et laborieux, vaguement proche du théâtre de l’absurde . mais on est loin d »Eugène Ionesco et Samuel Beckett et de leur art fabuleux de la langue française… Cela qui ferait peut-être, à la rigueur, l’objet d’un sketch, nous laisse indifférent et distille goutte à goutte un remarquable ennui. Les choses ne s’améliorent guère dans le second volet de ce triptyque où on retrouve un acteur du premier, et un autre qui sera au dernier. Bavardage sur bavardage… ces personnages semblent désorientés… Et l’ennui s’installe alors solidement.
Arrive alors une douzaine d’acteurs amateurs: ils se figent, bloquant en silence toute action des protagonistes dans cet espace blanc : enfin un petit moment théâtral et une belle image, pas désagréable à voir (dans cet océan d’ennui, on se raccroche à ce qu’on peut!). Mais rien à faire, encore et toujours l’ennui, cela tourne à vide… Même si nous devons éprouver, comme le dit Sébastien Derrey, avec un poil de prétention, «une nouvelle sensation de la consistance des choses, une pensée et une émotion dont nous sommes invités à faire ensemble l’expérience. » (sic)
Il y a enfin Théâtre et amitié, le troisième volet qu’il a mis en scène avec le chorégraphe Vincent Weber. Pierre déballe un grand carton contenant une table livrée en éléments qu’il va falloir monter. Et Wen, une jeune femme va l’aider. Tout le monde a, un jour, été confronté à ce petit jeu de construction pour adultes où la notice écrite dans un français approximatif n’apprend rien et où il manque souvent quelque chose égaré dans le carton.
Wen aurait dû visser, auparavant les cercles en fer qui maintenant les quatre pieds: erreur fatale! Et il faudra donc refaire ce montage assez facile. Souvenirs, souvenirs : chez une consœur qui nous avait appelé, nous avions monté, avec une autre consœur, deux hauts rayonnages pour livres. Et l’ensemble- pas en bois mais en mélaminé blanc-de chaque côté d’une belle cheminée en marbre, avait pourtant de l’allure. Oui, mais nous nous sommes aperçus à la toute fin que nous avions posé l’une des deux plinthes à l’envers et qu’elle n’était pas tout à fait du même blanc. Horreur et damnation! Il aurait donc tout fallu démonter et remonter! Nous avons renoncé. Merci, Ikea pour ses notices mal rédigées…
Mais revenons à notre table: arrive un homme inconnu du couple: c’est Gérard d’Aboville, le célèbre navigateur qui arrive de Brest. En 1980, il avait traversé l’Atlantique en solitaire à la rame depuis le Cap Cod aux États-Unis, soit 5.200 kms ! Il s’avoue fatigué et accepte volontiers un peu de fromage et un café. Et vite remis, il va, lui, monter correctement les pieds de la table…Happy end, comme on dit en bon français! Ou » Amaiera zoriontsua » en basque!
Là, au moins, un peu de loufoque et on sourit aux vingt minutes réussies de ce sketch parfois assez drôle et sans prétention. Mais pour le reste, même si Rodolphe Congé, Vincent Guédon, Catherine Jabot, Nathalie Pivain, Olga Grumberg et Frédéric Gustaëd ont une impeccable diction et se débrouillent pour essayer de donner une vie à ce texte, on touche ici le fond de la médiocrité. Parisiens et Béthunois, vous pourrez vous épargner cette chose affligeante ! Une soirée perdue mais il n’y a pas mort d’homme… Et de toute façon, comme l’écrivait l’immense Miguel de Cervantes:«Tout s’en ira dans la lessive…» Ce n’est pas la première fois que nous sommes déçus par la programmation de Théâtre Ouvert… Et sa directrice aurait sans doute intérêt à faire de meilleurs choix.
Philippe du Vignal
Du 13 au 22 mars, Théâtre Ouvert-Centre National des Dramaturgies Contemporaines, 159 avenue Gambetta, Paris (XX ème). T. : 01 42 55 55 50.
Comédie de Béthune-Centre Dramatique National (Pas-de-Calais), les 29 et 30 avril.
Éditions Théâtre Ouvert pour Je pars deux fois et Théâtre et amitié et Éditions Esse Que pour La Table planétaire.