Le tiers-théâtre et l’Institution

 Le tiers-théâtre et l’Institution 

 Dans les journaux, les salons et les cantines, on ne parle que du retournement des alliances mondiales, des menaces de guerre et de l’empoignade historique Donald Trump/Volodymyr Zelensky. Au théâtre de l’Unité, nous préparons le  kapouchnik de mars-notre cabaret mensuel délicat. Croit-on vraiment aux menaces de guerre ? Il n’y avait plus un sou dans les caisses de l’Etat et on voit les milliards affluer pour ré-armer la France….
Alors, évidemment, pondre de nouvelles théories sur le théâtre n’est pas la priorité….Mais la vie du spectacle continue avec des nominations, débats, prises de position… Et je continue à suivre l’évolution des politiques culturelles. A l’occasion de la sortie d’un nouveau bouquin d’Eugenio Barba, l’envie me vient de parler du tiers-théâtre, un immense continent en France. Il vit et prospère hors réseaux institutionnels. Il a peu de moyens: juste des subventions territoriales ou des aides du ministère de la Culture mais elles restent  modestes en comparaison avec celles accordées aux lieux labellisés.
Le metteur en scène Eugenio Barba et son Odin Teatret a, le premier, défini ce concept de tiers-théâtre. Eugenio Barba qualifie son travail de théâtre-laboratoire. Il a maintenant quatre-vingt huit ans et, a toute sa vie, théorisé le théâtre. Il a écrit de nombreux livres qui font aujourd’hui autorité pour ceux qui s’intéressent à la création et  la recherche. Inspiré par  le travail de Jerzy Grotowski (1933-1999),: « « Le théâtre doit reconnaître ses propres limites. S’il ne peut pas être plus riche que le cinéma, qu’il soit pauvre. » L’Odin Teatret est sans aucun doute une des compagnies les plus inventives avec une équipe fidèle d’artistes chevronnés et a un réseau qui s’étend dans le monde entier, surtout en Amérique du Sud.
 Eugenio Barba s’est toujours défini dans un espace non-institutionnel. Alors, quid de  l’Institution? Le T.N.P. à Villeurbanne est un Centre Dramatique national bien doté: onze millions d’euros mais s’est fait rogner sa subvention. Son directeur, Jean Bellorini, en a profité pour démissionner et va diriger le théâtre de Carouge à Genève. Cela arrive très rarement de passer d’un théâtre national, à un autre, beaucoup plus modeste. Jean Bellorini s’explique: onze millions de subvention mais il faut rémunérer quatre-vingt huit employés! Alors, ne reste qu’un million pour la création! La bureaucratie l’écrase: dans ce genre de paquebot, tout est compliqué, prévu à l’avance et les marges de liberté sont minimes…
 

© Sophie Kantorowicz compagnie Dare  Dare

© X Sophie Kantorowicz de la compagnie Dare Dare

A l’opposé, le tiers-théâtre, très proche du public, est léger, mobile, circule dans tous les recoins de la société. J’assiste à l’anniversaire des vingt ans de la petite compagnie Dare Dare, ébloui par l’atmosphère chaleureuse, l’inventivité tous azimuts et les bricolages géniaux. Ici on organise le désordre de façon très savante. Autre exemple: le Michtô, festival des arts de la rue et des chapiteaux né en 2006 à Maxéville près de Nancy et dont l’organisation est totalement collective… Il y a ici de l’utopie à revendre. Et quand on voit le Théâtre équestre Zingaro à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ou le Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, des lieux habités par des passions extrêmes, tous les détails sont soignés et  il y a un accueil  exceptionnel.

 A l’Odéon Théâtre de l’Europe, ou à la Comédie-Française, pas de moment après le spectacle où on attendrait les artistes au bar. La représentation est à peine finie que les portes se referment… Et si on veut les voir c’est à la sortie, sur le trottoir!  Julien Gosselin  a fréquenté le Channel-Scène Nationale de Calais et récemment nommé directeur de l’Odéon, voudrait y récréer  la même ambiance chaleureuse.
 Evidemment dans le tiers-théâtre, on ne change pas de direction tous les six ans…. Bien-sûr Francis Peduzzi à Calais a eu plus de vingt ans pour inventer le Channel. Mais quand la Mairie l’a trouvé trop encombrant, elle a exigé son départ! Le Ministère de la Culture l’a laissé tomber, comme peut-être même le Syndeac. Les Scènes nationales sont-elles condamnées à être des lieux froids et sans âme ?
Avec Hervée de Lafond, nous avons voulu prouver le contraire, quand nous avons dirigé la Scène Nationale de Montbéliard. Nous l’avons transformée en Centre d’Art et de Plaisanterie. L’utopie a duré neuf ans et nous avons réussi à secouer la ville entière et à lui faire vivre des moments épiques, entre autres avec le Réveillon des boulons (en référence à Peugeot à Montbéliard) un gigantesque spectacle de rue  la nuit de la Saint-Sylvestre qui attirait  plus de 25.000 personnes. Vingt ans plus tard, cela laisse encore des traces. Regarder la vie  en farce: un de nos slogans. Qui aurait dit : rien de grand ne peut sortir de l’institution.Sans doute moi, mais je n’en souviens pas…

 

Le 15 mars, Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité à Audincourt (Doubs).
 
 
 

Archive pour 16 mars, 2025

La Grande dépression de Raphaël Gautier, mise en scène d’Aymeline Alix

La Grande dépression de Raphaël Gautier, mise en scène d’Aymeline Alix

Une idée lumineuse : travailler sur la dépression, face sombre  de la psychologie comme de l’économie. De quoi sont donc faites ces chutes? L’auteur braque le projecteur sur une année choc : 1933. Hitler et le parti nazi prennent le pouvoir en Allemagne et ’aux Etats-Unis Walter Disney invente la souris Mickey, avec sa truffe noire, ses oreilles rondes et ses gros gants blancs, séquelle inattendue de la crise (économique) de 1929. Embrigadement aveugle d’une nation d’un côté, et de l’autre « entertainment » éblouissant (de l’ancien français entretenement) qui devient mondial. La pièce tient le pari : embrasser tous les espaces du récit, du cabinet de consultation de la psy, à une prise d’otage à Disneyland et nous fait assister à une réunion de musicologues nazis consacrée à la définition d’une esthétique authentiquement aryenne et nous partageons les états d’âme et d’affaires de Walter Disney, et très accessoirement de ses employés.

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L’Ariane qui nous conduira dans ce labyrinthe (dont notre société n’est pas vraiment sortie aujourd’hui) : un dépressif pressé de ne plus l’être. La troupe : Chadia Amajod, James Borniche, Christian Cloarec, Nathan Gabily, Agnès Proust et Stanislas Roquette, fonctionne bien, dans une scénographie pratique mais sans charme sinon quand elle sert d’écran ondulé, déformant, à de très brefs films de Mickey. Le spectacle est rapide, drôle, et même pédagogique, montrant du doigt le premier piège de la dépression : faire croire à l’individu qu’il est seul, abandonné à sa maladie, alors que la grande dépression est avant tout une maladie sociale et politique. C.Q.F.D. : 1933, année exemplaire de la destruction de l’humanisme.

 Un message  enrobé de fantaisie et un jeu d’acteurs-marionnettes efficace. On apprécie et pourtant le spectacle se heurte à un moment donné à un plafond, celui du jeu incarné et de l’adresse au public. Si, pour seulement cinq minutes, trois minutes, le « preneur d’otages de Disneyland » nous adressait un discours de révolte avec une vraie sincérité, un engagement, le spectacle trouverait l’ancrage, la gravité-et même le centre de gravité-qui lui manque. La metteuse en scène craint de tomber dans un jeu réaliste ou naturaliste et cela nous prive de ce qui pourrait être un précieux instant de transgression, un moment réel et vrai «qui brise la mer gelée en nous» (toujours Kafka). Nous sentons le besoin de cette effraction mais nous devrons nous en passer. Dommage! Avec un thème de cette force et de cette originalité, on attendait plus qu’une bonne soirée…

 Christine Friedel

 Jusqu’au 6 avril, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. Métro: Château de Vincennes+navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.

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