Le metteur en scène Eugenio Barba et son Odin Teatret a, le premier, défini ce concept de tiers-théâtre. Eugenio Barba qualifie son travail de théâtre-laboratoire. Il a maintenant quatre-vingt huit ans et, a toute sa vie, théorisé le théâtre. Il a écrit de nombreux livres qui font aujourd’hui autorité pour ceux qui s’intéressent à la création et la recherche. Inspiré par le travail de Jerzy Grotowski (1933-1999),: « « Le théâtre doit reconnaître ses propres limites. S’il ne peut pas être plus riche que le cinéma, qu’il soit pauvre. » L’Odin Teatret est sans aucun doute une des compagnies les plus inventives avec une équipe fidèle d’artistes chevronnés et a un réseau qui s’étend dans le monde entier, surtout en Amérique du Sud.
Eugenio Barba s’est toujours défini dans un espace non-institutionnel. Alors, quid de l’Institution? Le T.N.P. à Villeurbanne est un Centre Dramatique national bien doté: onze millions d’euros mais s’est fait rogner sa subvention. Son directeur, Jean Bellorini, en a profité pour démissionner et va diriger le théâtre de Carouge à Genève. Cela arrive très rarement de passer d’un théâtre national, à un autre, beaucoup plus modeste. Jean Bellorini s’explique: onze millions de subvention mais il faut rémunérer quatre-vingt huit employés! Alors, ne reste qu’un million pour la création! La bureaucratie l’écrase: dans ce genre de paquebot, tout est compliqué, prévu à l’avance et les marges de liberté sont minimes…

© X Sophie Kantorowicz de la compagnie Dare Dare
A l’opposé, le tiers-théâtre, très proche du public, est léger, mobile, circule dans tous les recoins de la société. J’assiste à l’anniversaire des vingt ans de la petite compagnie Dare Dare, ébloui par l’atmosphère chaleureuse, l’inventivité tous azimuts et les bricolages géniaux. Ici on organise le désordre de façon très savante. Autre exemple: le Michtô, festival des arts de la rue et des chapiteaux né en 2006 à Maxéville près de Nancy et dont l’organisation est totalement collective… Il y a ici de l’utopie à revendre. Et quand on voit le Théâtre équestre Zingaro à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ou le Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, des lieux habités par des passions extrêmes, tous les détails sont soignés et il y a un accueil exceptionnel.
A l’Odéon Théâtre de l’Europe, ou à la Comédie-Française, pas de moment après le spectacle où on attendrait les artistes au bar. La représentation est à peine finie que les portes se referment… Et si on veut les voir c’est à la sortie, sur le trottoir! Julien Gosselin a fréquenté le Channel-Scène Nationale de Calais et récemment nommé directeur de l’Odéon, voudrait y récréer la même ambiance chaleureuse.
Evidemment dans le tiers-théâtre, on ne change pas de direction tous les six ans…. Bien-sûr Francis Peduzzi à Calais a eu plus de vingt ans pour inventer le Channel. Mais quand la Mairie l’a trouvé trop encombrant, elle a exigé son départ! Le Ministère de la Culture l’a laissé tomber, comme peut-être même le Syndeac. Les Scènes nationales sont-elles condamnées à être des lieux froids et sans âme ?
Avec Hervée de Lafond, nous avons voulu prouver le contraire, quand nous avons dirigé la Scène Nationale de Montbéliard. Nous l’avons transformée en Centre d’Art et de Plaisanterie. L’utopie a duré neuf ans et nous avons réussi à secouer la ville entière et à lui faire vivre des moments épiques, entre autres avec le Réveillon des boulons (en référence à Peugeot à Montbéliard) un gigantesque spectacle de rue la nuit de la Saint-Sylvestre qui attirait plus de 25.000 personnes. Vingt ans plus tard, cela laisse encore des traces. Regarder la vie en farce: un de nos slogans. Qui aurait dit : rien de grand ne peut sortir de l’institution.Sans doute moi, mais je n’en souviens pas…
Le 15 mars, Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité à Audincourt (Doubs).