Olympe, texte et mise en scène de Frankito, accompagnement musical d’Edmony Krater et Eugénie Ursch

Olympe, texte et mise en scène de Frankito, accompagnement musical: Edmony Krater et Eugénie Ursch

Ultime nuit pour Olympe de Gouges à la prison de la Conciergerie, avant son exécution en place de Grève, le 3 novembre 1793. La condamnée à mort se souvient de ses combats politiques, invoque ses maîtres Jean-Jacques Rousseau et Condorcet, vilipende ses ennemis et bourreaux Robespierre et Marat. Traitée avec mépris par ses contemporains dont Restif de la Bretonne, puis, avec condescendance par Michelet dans son Histoire de la Révolution Française, Olympe de Gouges n’est plus une inconnue, au moins depuis les célébrations du Bicentenaire de 1789. Des générations d’historiennes féministes se sont mises à la tâche et l’Université Paris 7 Diderot porte maintenant son nom. Et aussi à Paris, une place, et une station de bus..
Un projet original : Frankito est guadeloupéen et a écrit un texte avec des extraits de discours, déclarations et lettres d’Olympe de Gouges. Interprété ici par Firmine Richard, la plus célèbre des actrices guadeloupéennes, que l’on avait pu découvrir entre autres dans le film Romuald et Juliette (1989). Un solo rythmé par des morceaux de ka, ces tambours dont l’origine remonte à la traite des Noirs, quand, enfermés depuis Bordeaux dans la cale de navires, ils chantaient en frappant sur des quarts de tonneau. Edmony Krater, également guadeloupéen, mais montalbanais d’adoption, s’est beaucoup investi dans le projet. Il s’est intéressé très tôt à la figure d’Olympe de Gouges, née en 1748 à Montauban, chef-lieu du Tarn-et-Garonne où devait aussi voir le jour… le «néo-révolutionnaire» Daniel Cohn-Bendit.

Edmony Krater, auteur d’un accompagnement musical (2015) du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, a  voulu, avec Olympe, faire se côtoyer les cultures occitane et caribéenne. Voie aussi inexplorée, que bien trouvée : Olympe de Gouges ne parlait-elle pas en langue d’oc ? Et il lui en restait un accent « chantant » dont on se moquait dans la Capitale ?  Trois thèmes qui parfois s’entrecroisent, dans ce solo où s’exprime la plus grande détermination comme la plus immense détresse d’une femme meurtrie, moralement et physiquement.
Elle s’est blessée juste avant son arrestation mais, dans la prison, on lui refuse le moindre soin. Ressassant les affronts subis durant sa vie, elle se plaint du mépris avec lequel ses écrits ont été accueillis. « Mais je n’ai rien appris. », dit-elle. Elle ose  pourtant se mesurer à ceux qui ont «l’écriture élégante» et son inspiration est «semblable à une tempête». Elle est du côté de «ceux qui créent, qui font le bien pour la société ».

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Olympe de Gouges parle de sa vie, évoque une filiation, réelle ou fantasmée, avec un marquis de Pompignan, un homme de lettres. Une amitié d’enfance avec un demi-frère ou un cousin dont on la sépare, en la mariant à dix-sept ans à un officier de bouche «peu aimable ». Elle va avec son fils à  Paris, où elle trouve des protecteurs et où elle sait s’introduire dans les célèbres salons des Lumières. Elle mentionne les sociétés qu’elle fonda vers 1789-90 et rappelle ses nombreuses pièces de théâtre: elle « dictait une tragédie par jour, comme Lope de Vega », selon les dires de Michelet qui lui reconnaissait le statut de martyre et le don de la formule…
«La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune »,  la phrase la plus célèbre de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » en dix-sept articles, calqués sur la Déclaration des droits de l’homme de 1789 mais beaucoup plus concis. Elle proclame d’entrée que « la femme naît et demeure égale à l’homme en droits».
Il faudra attendre un siècle et demi, le 21 avril 1944, pour que les Françaises obtiennent le droit de vote. Sur le plan du droit privé, Olympe de Gouges propose un Contrat social entre l’homme et la femme, qui mettrait fin à la législation du mariage sous l’Ancien Régime. Elle souligne le « caractère volontaire de l’association conjugale », revendiquant ainsi le divorce.
Après la chute de la royauté, elle rejoint le mouvement modéré des Girondins, la violence lui faisant horreur mais elle montre quelque amertume, y compris à l’égard de la Révolution : «Devenu libre, (l’homme) est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages avez-vous recueillis dans la Révolution? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. » Sous la Terreur, après la publication d’un texte: Les trois Urnes, diffusé par voie d’affiche, elle est emprisonnée pour ses écrits «contre-révolutionnaires ».

 Le combat féministe de cette pionnière ne doit pas faire oublier ses idées abolitionnistes et c’est sans doute la partie la plus novatrice du spectacle. En 1788, elle publie Réflexions sur les hommes nègres: «Je vis clairement que c’était la force et le préjugé qui les avaient condamnés à cet horrible esclavage, que la Nature n’y avait aucune part, et que l’injuste et puissant intérêt des Blancs avait tout fait. »L’année suivante, elle propose à la Comédie Française une pièce L’Esclavage des noirs, qui y est lue. Mais elle cause une polémique telle, auprès des planteurs et colons, qu’elle sera déprogrammée. Le projet de Krater et de Frankito qui situent la pièce en Guadeloupe, se justifie. Dans une scène de mise en abyme, l’actrice fait mine de se grimer, puis interprète un dialogue entre Mirza et Zamora. les protagonistes de cette pièce.
« Pourquoi existe-t-il donc, demande Mirza, une si grande différence entre leur espèce et la nôtre » et Zamora lui répond: «Cette différence n’existe que dans la couleur. Mais les avantages qu’ils ont sur nous, sont immenses. L’industrie les a mis au-dessus de la Nature. Ils se servent de nous dans ces climats, comme ils se servent des animaux dans les leurs.» Olympe est un beau spectacle, oralement, visuellement et musicalement. Firmine Richard, habitée par son rôle, est, au centre du plateau, en pleine lumière, vêtue d’un robe aux couleurs vives. Côté jardin,  Edmony Krater, aux percussions, suggère la transe, et les accords graves du violoncelle d’Eugénie Ursch accompagneront la marche d’Olympe vers le supplice…

 Nicole Gabriel

 Jusqu’au 6 avril, Studio Hébertot, 78 bis Boulevard des Batignolles, Paris ( XVII ème). T.  : 01 42 93 13 04.

 

 

 

 

 

 


Archive pour 22 mars, 2025

Anatomie d’un suicide d’Alice Birch, traduction de Séverine Magois, mise en scène de Christophe Rauck

Anatomie d’un suicide d’Alice Birch, traduction de Séverine Magois, mise en scène de Christophe Rauck

Une pièce créée en 2017 au Royal Court Theatre à Londres dans une mise en scène de Katie Mitchel. Une sorte de condensé de la vie de  Carol, la mère, Anna sa fille et Bonnie, sa petite-fille. Dans les années 70, 80 et 90 pour Carol: 1990 à 2000 pour Anna, et 2030 pour Bonnie. L’autrice anglaise nous raconte leurs histoires et sur le plateau avec monologues et dialogues dont souvent certains simultanées. Carol, après une tentative de suicide, est hospitalisée. et donnera naissance à une petite fille. Mais seize ans plus tard, elle réussira enfin son suicide. Anna, une jeune toxicomane, a épousé un documentariste. Mais incapable d’assumer une maternité, elle aussi se suicidera quand ils auront une fille, Bonnie. Homosexuelle devenue médecin, celle-ci ne voudra pas avoir d’enfant pour casser la malédiction générationnelle pesant sur les femmes de sa famille. Des histoires qui s’entrecroisent. On entend ou, du moins, on essaye d’entendre ces dialogues souvent dits simultanément mais pas assez fort, sur un aussi grand plateau. Il y a aussi de nombreux autres personnages secondaires d’âge différent.

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L’autrice multiplie les scènes simultanées avec maîtrise, du moins textuellement… Et ce texte a visiblement fasciné Christophe Rauck: «Alice Birch est, aujourd’hui, une autrice de série que Netflix et la BBC s’arrachent, et ça se comprend lorsque nous lisons sa pièce. Elle réussit ce coup de génie de raconter une série sur le suicide en deux heures trente. Comme souvent chez les auteurs anglais, elle s’appuie sur un récit presque classique avec une minutie psychologique qu’elle puise sans doute de l’écriture scénaristique dans la construction des trois personnages de femmes. Mais en plus de la force de ce récit, de la précision des personnages et de leurs rapports, il y a cette forme incroyable et ce pari fou qui consiste à faire jouer en même temps trois histoires pourtant situées dans des temporalités différentes. »

Vous avez dit précision, radicalité, force d’un récit presque classique? Oui, Alice Brich traite avec un savoir-faire méticuleux ces histoires de malédiction générationnelle: transmission de culpabilité de mère à fille, quête d’identité, vie sexuelle, revendications féministes, volonté ou refus d’avoir un enfant, addiction à la drogue… Les erreurs commises par les ancêtres  qui se transmettent sont un thème dans le vent… mais que traitaient déjà formidablement Eschyle dans la trilogie Agamemnon, Les Choéphores,  Les Euménides  et dans Les Perses, Sophocle dans Electre et Euripide dans Iphigénie en Tauride où il reprend la malédiction sanglante des Atrides. Les scènes d’Anatomie d’un suicide à l’architecture compliquée, s’intercalent et se bousculent, avec parfois, les mêmes phrases revenant en boucle sur le temps, non plus d’apprendre à vivre mais à y renoncer…
De là, « à entrer en totale empathie avec ces femmes »comme le voudrait Christophe Rauck? Ce texte ressemble souvent trop à un exercice de style universitaire sur un thème imposé, du genre: «En deux heures, traitez d’une saga familiale sur trois générations avec, comme thème principal, le suicide, vous évoquerez aussi le monde hospitalier et créerez trois protagonistes féminines et de nombreux personnages subalternes. » Sur ce vaste espace, les courtes scènes se succèdent avec, à chaque fois, déménagement de meubles et accessoires-une mode actuelle: ce qui parasite l’action. Défilent ainsi canapé en cuir trois places sur roulettes, lit d’hôpital, table et chaises, baignoire, toilettes, etc. Ce qui a pour résultat de casser le rythme. . Et, sauf à de rares moments, on n’est jamais vraiment accroché : mon voisin s’est endormi plusieurs fois et sur le même rang, il y a eu des désertions…
Sans doute en cause: d’abord, une écriture plus filmique, que théâtrale : le public aurait besoin de s’y retrouver un peu et cette simultanéité de moments-séduisante pour un metteur en scène-pourrait être efficace… à dose homéopathique ! Mais quand cela devient un procédé, on a envie de crier : stop. Et la distribution est inégale: Audrey Bonnet, Servane Ducorps et Mounir Margoum s’en tirent bien mais on entend souvent mal les autres acteurs, surtout quand ils joeun assis en fond de scène derrière un tulle, une autre mode scénographique… Christophe Rauck peut arranger cela mais, en ce soir de première, même au sixième rang, c’était assez pénible et nuisait à ce  désir d’empathie » envers les personnages dont nous sommes assez éloignés.
Et les acteurs peinaient visiblement à les imposer… La scénographie d’Alain Lagarde bien réalisée, manque pourtant de clarté: le metteur en scène semble avoir eu en fait quelque difficulté à maîtriser ce grand espace où, dans le texte, l’action se passe dans une maison et à l’extérieur. Bref, cet enchaînement de courtes scènes ne retient pas vraiment l’attention. Mais comment s’emparer de cette dramaturgie où les phrases se répondent, d’une génération à une autre et arriver  à maîtriser un texte par moments virtuose mais lourd, avec de nombreux personnages comme dans une série, et complexe? Cela  relève d’une mission impossible. La volonté de casser le récit est un procédé déjà ancien mais ici les rapports entre les personnages manquent de profondeur. Et même s’il y a de belles images, ce spectacle trop long (deux heures) est vite ennuyeux et décevant. Nous avons connu Christophe Rauck, mieux inspiré. Vous êtes prévenu : évitez d’y emmener des lycéens ou des étudiants.
Mais, à vous de voir, cela vaut peut-être le coup d’aller jeter un œil (pour être informé) sur le travail de cette jeune dramaturge et scénariste peu connue chez nous mais confirmée en Grande-Bretagne. Elle a reçu plusieurs prix et en 2018, pour Anatomie d’un suicide, le prix Susan Smith-Blackburn accordé à une écrivaine britannique…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 19 avril, Théâtre Nanterre-Amandiers-Centre Dramatique National (Hauts-de Seine). T. : 01 46 14 70 00.

Du 15 au 23 mai, Théâtre National Populaire de Villeurbanne (Rhône).

La pièce a été traduite avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, centre international de la traduction théâtral et est publiée en anglais chez Methuen Drama (2021).

 

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